🍂20 - OUBLIER, S'HABITUER, PARDONNER🍂
Encore une fois, la nuit semblait s'éterniser tandis que le soleil tardait à se montrer, signe que l'hiver était bel et bien installé. Il avait commencé à pleuvoir un peu plus tôt, il y a une heure ou deux, transformant le sol à l'entrée de la maisonnée en une véritable marre boueuse.
Ce qu'il pouvait détester la boue. Cette terre argileuse dans laquelle il pataugeait et qui s'infiltrait de partout, collant chaque petite parcelle de ses semelles. Chaque jour, il en ramenait à la maison et le sol portait encore ses traces. Oh oui, ce qu'il pouvait détester la boue, mais plus encore, ce qu'il pouvait détester l'hiver. L'hiver et tout ce que cette saison de malheur pouvait représenter. Pour certains la fin d'année, pour d'autres les fêtes et tout ce que cela pouvait symboliser et pour d'autres encore... La brutale confrontation avec ce qu'a été cette année. C'est vrai, jusqu'à maintenant, tout se passait presque bien dans la vie de Kylian et les choses auraient pu prendre une tournure beaucoup plus grave ou beaucoup plus dramatique, mais il s'était toujours arrangé pour que cela ne soit pas le cas. Jamais, même. C'était devenu une sorte de pouvoir duquel il abusait : Être en dehors de tout et de toutes choses, comme s'il réussissait à vivre en dehors de son temps.
Mais n'était-ce pas le cas ? N'était-ce pas déjà sa réalité que de vivre en dehors de son temps tandis qu'il se retrouvait hanté, piégé et aux prises avec les — ou plutôt LE — fantôme de son passé ? Depuis le temps, il ne savait même plus expliquer comment tout ceci avait bien pu arriver. Merry avait-elle toujours été là ? Quelque part, il en avait bel et bien l'impression. C'était comme si, la notion du temps, du concret, de la réalité, avait fini par l'abandonner.
Il n'était maintenant plus qu'une âme errante sur un chemin sinueux, compromis dans un pacte avec le diable.
Oui, l'hiver était bel et bien là, apportant avec lui, la froideur dont lui seul détenait le secret.
D'ailleurs, c'était bien là un autre aspect de cette saison que Kylian détestait : le froid. Cela lui rappelait que le chauffage dans le poste fonctionnait à peine et que le bâtiment, à l'exemple du matériel, était vétuste et datait d'une autre époque. Bien évidemment, monsieur le maire n'était pas prêt à investir un centime dans des rénovations, des travaux ou dans l'achat de fournitures pour la police de Toleni, prétextant encore et toujours depuis deux ans, si ce n'était plus, une "restriction budgétaire". Pingre pour l'argent, mais avide de résultats, il n'y avait pas photos et d'ailleurs, Kylian pensait qu'il serait probablement temps de lui rendre une petite visite. Il avait dû lire le rapport à présent.
– Donc c'est là le résultat de vos deux mois d'enquête, commissaire ? interrogea le maire d'un air suspect.
Une intoxication à une plante provoquant de fortes hallucinations anxiogènes, comme si le maire — tout idiot qu'il était — allait gober cela.
– Effectivement, tout est dans mon rapport, répondit Kylian très calmement.
– Et puis-je savoir comment vous en êtes arrivé à une telle conclusion ? Il ne me semble pas vous avoir donné l'autorisation de vous approcher d'un tel endroit.
– Évitons de jouer à ce petit jeu, vous et moi, Monsieur le maire. Vous savez que j'en ai que faire de votre autorisation. Vous vouliez des réponses, les voici.
– Je trouve ce travail, disons, plus que léger, mais pouvais-je m'attendre à autre chose venant de vous ? Très bien. Considérez cela comme une énième faveur de ma part que j'entends bien noter sur votre ardoise toujours plus... Grandissante. Un jour ou l'autre, il vous faudra bien me renvoyer la pareille.
– Ai-je un jour manqué de le faire ? Il ne me semble pas. Nous avons un accord, vous et moi, et j'entends le respecter.
– Honnêtement, Kylian, je dois bien admettre que même après tout ce temps, j'éprouve un mal fou à vous cerner.
Lui-même éprouvait le même mal. Kylian s'était oublié au fil des jours passants, s'habitant à n'être qu'une coquille vide. Non pas qu'il ne ressentait rien, mais il savait qu'après tout le mal qu'il avait causé et engendré, il n'avait aucun droit de se plaindre. C'était là, selon lui, la juste punition.
– Vous êtes une véritable petite énigme, un mystère, une sorte de... C'est cela, de curiosité. Fort heureusement pour vous, je suis un collectionneur réputé et j'adorerai avoir mon propre cabinet de curiosités.
Encore une fois, ce vieux bonhomme pensait avoir la main supérieure dans leur jeu commun.
Encore une fois, il se trompait.
– Fort heureusement pour moi, corrigea le commissaire, je ne suis la propriété de personne et je n'appartiens qu'à moi-même.
Malheureusement, il n'y avait pas plus grand mensonge que celui-ci. Kylian était et demeurait l'esclave de la Culpabilité elle-même.
– De vous à moi, relança le maire, Vous pensez sérieusement que nous en avons terminé avec cette glaçante histoire ?
Quelle réponse voudrait-il avoir ? Non, quelle réponse conviendrait-il de lui donner plutôt ? Car en réalité, Kylian savait que cette histoire n'en terminerait jamais. Jamais.
– J'aimerais vous donner une réponse qui saura vous satisfaire, mais je ne peux rien vous promettre, Monsieur le maire. Sachez simplement que... Je m'y emploie.
– L'année dernière n'avait pas été si... Chaotique si je puis dire.
– L'année dernière, les choses étaient différentes et vous le savez. Mais encore une fois, je compte sur votre légendaire discrétion et votre incontournable compréhension pour ne pas poser davantage de questions. Cela risquerait alors de devenir rapidement gênant pour vous.
– Je suis tout de même en droit de me demander si vous avez réellement la situation bien en main comme vous me l'aviez promis il y a deux ans ! Je n'ai rien dit concernant la disparition de cette jeune femme, mais ce n'est pas pour autant que j'ai oublié ce qu'il s'est passé !
– Je sais, je sais. Normalement, le calme devrait revenir prochainement.
– « Prochainement » quand ?
– Là, vous devenez impatient, souleva Kylian un poil agacé.
– Je suis en droit de l'être, non ?
Qui était-il pour se permettre de dire de tels propos si ce n'était un vieux fou qui devait sa position à de vieux contes et de vieilles légendes ?
– Dans ce cas, je vous suggère d'apprendre la patience, Monsieur le maire. Il paraîtrait que celle-ci est mère de sûreté, suggéra le jeune homme en se penchant légèrement à son encontre.
– À votre intonation, je pourrais presque croire que vous me menacez.
– Oh, mais ceci n'est pas une impression, soyez en assuré. Vous le savez mieux que quiconque ici en ville, n'est-ce pas ? J'ai une amie qui a la sainte horreur de devoir être dérangée pour un rien. Vous ne l'avez pas oubliée, si ?
Comment le pourrait-il ? Il était celui qui avait grandement contribué à l'installation de tout ce petit manège sordide.
– Contrôlez la commissaire, grogna le maire, Contrôlez votre bête.
– Une bête ? Voyons, non, ce n'est pas ce qu'elle est. Vous l'insultez là et ce n'est pas très poli de votre part.
– Peu importe, je me fiche bien de savoir ce qu'elle est ou ce qu'elle n'est pas ! Vous m'aviez assuré il y a deux ans que...
– Et je vous l'assure encore une fois, monsieur le Maire, je vous l'assure encore une fois...
Puis dans un sourire aussi froid qu'un flocon de neige, il finit par lui dire :
– Je la contrôle.
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