Sans abris
Constance
Je n'ai jamais prêté plus d'attention que ça aux sans abris de la capitale. Je le dis sans honte parce que j'avais ma conscience pour moi en donnant dès que j'avais de la monnaie, en participant quand je le pouvais à la collecte de la banque alimentaire et en payant chaque matin un café "pour un inconnu" dans le café en bas de chez moi. J'aimais bien ce concept, je laissais de quoi payer un café à un sdf qui viendrait et il paraît que tous les matins quelqu'un venait chercher son dû.
Cela me donnait bonne conscience tout çà. Et à l'avouer ainsi, j'ai l'air d'une connasse sans cœur mais au final, j'en faisais plus que les trois-quart des gens !
Mais aujourd'hui je regrette ma désinvolture ... j'aperçois depuis plusieurs matins un homme recroquevillé devant le temple en face de là place et je voudrais l'aider mais je ne sais pas comment faire. Il a repoussé mon aide à deux reprises déjà.
Ce matin ne fait pas exception, je suis partie courir et au retour, je me suis arrêtée dans l'une des boulangeries de la place pour lui prendre du pain et une boisson mais il les a posé à côté de lui sans un mot et a détourné le regard. Je suis remontée prendre ma douche, un peu dépitée par ma nouvelle tentative.
Ce qui est un peu triste à avouer c'est qu'il aurait accepté mon aide ne serait-ce qu'une fois, j'aurais eu sans doute la conscience tranquille et j'aurais continué comme avant.
Je redescends un peu plus tard avec ordinateur et téléphone, pour changer, et rencontre le regard d'Aimé derrière le comptoir.
— Faudra m'expliquer vos ... tes choix de carrières Aimé !
— Bonjour Constance.
Au lieu de m'installer à ma table habituelle, je m'assieds au comptoir et il me sert un café très fort, comme je les aime. Je pense qu'il ne le sait pas et qu'au contraire, il corse mon café exprès mais je ne dis rien.
— Non, mais honnêtement ?
— Honnêtement quoi Constance ?
— Pourquoi tu fais ça ?
Et au cas où mon ça ne soit pas clair, je désigne le bar.
— J'aime bien, c'est une autre approche des gens et ça dépanne Gérard, il fatigue depuis quelques années.
Hervé nous rejoint et s'assied à côté de moi, il me souffle sur le ton de la confidence.
— Depuis son cancer à vrai dire. Et comme c'est Doc qui a détecté la maladie, il se sent responsable.
— Ah ben heureusement qu'il n'est pas coiffeur Gérard ! M'exclamé-je en pointant du doigt les cheveux en bataille de notre docteur sexy.
Aimé lève les yeux au ciel et reprend les comptes qu'il était en train de faire.
— Et puis Gérard tient trop mal ses comptes, il aurait fait couler la boutique si je n'étais pas intervenu.
— Mais comment tu gères avec tes patients ?
— On est deux médecins sur la ville plus une clinique privée et c'est déjà beaucoup donc j'ai décidé de travailler sur quatre jours. Il n'y a que l'été où je suis à temps complet sur le cabinet.
Je pioche dans les fruits qu'il vient de mettre sur le comptoir et je le vois aussitôt reporter ma dette sur la note que Gérard m'a ouverte.
— Hervé, tu ne t'ennuis pas à l'accompagner à chaque fois ? Remarque c'est touchant.
Je me suis tournée vers l'intéressé qui me regarde bizarrement.
— Touchant ?
— Ben oui ... Que tu accompagnes ton compagnon pour lui tenir compagnie.
Et là, il y a un silence de plomb qui s'installe, Aimé et Hervé me dévisagent, surpris, avant d'éclater de rire.
Je sens que j'ai manqué quelque chose mais je ne mets pas le doigts dessus tout de suite. Quand je comprends, je rougis violemment.
— Vous n'êtes pas ensemble ?
Hervé n'en peut plus de rire et secoue la tête alors que je remballe mes affaires entre gêne et consternation.
Aimé m'attrape la main, les yeux pétillant.
— Oh non, reste, s'il te plait...
Il attend un moment avant d'ajouter en riant.
— ... On s'amuse trop avec toi.
Je me rassoie, dépitée mais je suis incapable de détacher mon regard du sien. Aimé n'a pas l'air d'en avoir conscience mais il est vraiment très attirant. Il est grand, musclé - même très musclé des avant-bras - ce que je regarde chez un homme avec les mains. Mais surtout, il a des yeux magnifiques, enfin atypiques dirons-nous. D'un marron clair, comme illuminés de milliers de paillettes dorées. Et jusque là je trouvais les hommes à barbes négligés mais je retire tout de suite ce préjugé. En revanche, je confirme ma théorie sur les hommes canons, ils sont prétentieux.
— Mais qu'est-ce qui t'a fait penser qu'on était ensemble ?
— Vous habitez ensemble, tu es là tous les mercredis et samedis et Hervé t'accompagne à chaque fois ...
Le rire d'Hervé redouble à mes côtés puis il se met à émettre un reniflement sonore comme un cochon et là c'est à mon tour d'éclater de rire.
— Mon Dieu Hervé, c'est quoi ce rire ?
Il recommence et moi avec lui. Ça fait dès années que je n'ai pas ris ainsi.
Aimé parle à la place de Hervé qui essuie des larmes du coin de ses yeux.
— Là-haut, on ne capte pas. Hervé bosse à domicile mais il a besoin d'une connexion au moins deux fois par semaine, alors il vient bosser ici.
— Oh.
C'est tout ce que je trouve à redire.
*
Aimé
Je suis sûr que Hervé a été un brin vexé qu'elle nous pense en couple malgré la crise de fou rire qu'on vient d'avoir. Même si elle n'est pas son genre, il m'a avoué la trouver mignonne. Hervé est plutôt attiré par les black d'habitude et Constance n'en a pas vraiment le profil.
Heureusement qu'elle n'a pas demandé ce que Hervé faisait comme travail parce que ça aurait été étrange je pense. Il traduit les livres d'une célèbre marque de roman à l'eau de rose. Sauf que Hervé a une prédilection pour les romans de la collection "hôpital" et "hot" c'est parfois bizarre quand il toque à ma porte pour me demander mon avis sur des termes.
La femme de Salim, Fatima lui sert de cobaye pour relire et lui dire si ça se lit parce que moi, j'ai refusé. J'ai une certaine réputation à tenir. Quand j'ai connu Hervé, c'était un professeur d'université en droit de la santé extraordinairement doué mais à la suite d'une rupture, il avait fait une dépression et tout plaqué pour venir pleurer sur mon canapé en emportant toutes les affaires de sa compagne pour l'embêter. C'était une passionnée de roman de gare et la mauvaise traduction l'avait fait bondir au plafond. Bref, c'était l'histoire extraordinaire d'un type assez banal.
Constance bouge et je reporte mon attention sur elle, cette femme m'attire comme un aimant, pas de manière sexuelle - même si elle est plutôt à mon goût physiquement- non je veux dire que dès qu'elle est dans une pièce, je suis aux aguets. Elle dégage un tel mystère, une telle aura que je ne peux m'empêcher de me poser mille questions. Je la vois observer la place et me demande si elle guette l'arrivée des mamies bigoudis qui ne viendront pas avant mardi prochain ou si elle est encore en train d'essayer de percer le secret de l'homme qui erre là depuis un mois, dépenaillé et maigre.
J'ai moi aussi essayé de l'aider, c'est mon métier, mais il n'a pas voulu m'accompagner alors j'ai contacté l'assistante sociale mais elle a fait choux blanc.
Constance inspire avant de se rassoir et de regarder une série de tutoriel sur la rénovation des maisons. J'ai hâte de la voir à l'œuvre, ça promet ! Je ne sais pas ce que faisait Constance Adler avant d'échouer à Saint-Jean mais elle n'a pas les mains ni l'étoffe d'un maçon. Je m'attends à la voir débarquer plusieurs fois au cabinet.
La curiosité me gagne et je ne peux m'empêcher de poser LA question, vu qu'elle ne s'est pas gênée pour m'en poser alors qu'on se connait à peine.
— Qu'est-ce que tu fais comme métier ?
— Pas grand chose. Des petits boulots par-ci, par-là ! Élude t'elle vivement.
— Donc si je tape Constance Adler sur Google je n'aurais aucun résultat.
Elle relève les yeux, prise de colère. Je recule d'un pas, cette fille est déroutante, un instant je crois qu'on noue une relation amicale et celui d'après j'ai devant moi une parfaite emmerdeuse. Elle m'agace à la fin !
Je lève la main pour l'empêcher de s'enflammer et la couper avant même qu'elle n'ai ouvert la bouche.
— C'est pas comme si ça m'intéressait vraiment !
— Chirurgie esthétique ! S'exclame Hervé en brandissant son téléphone.
Quel gros lourd !
Constance soupire et secoue la tête.
— Je hais les petites villes ! Aucune intimité.
Ainsi elle est chirurgienne, mais quel âge a t'elle ? Allez maximum trente ans ? Je me corrige mentalement, il faut dans les quatorze ans d'étude pour devenir chirurgien et pour qu'on trouve son nom sur internet il faut qu'elle ait exercé un peu ...
Encore une fois je me dis que je n'ai vraiment rien en commun avec cette fille, la chirurgie esthétique c'est la dernière spécialisation que j'aurais choisie, je n'aurais certainement pas passé autant de temps à étudier pour refaire des seins trop petits, des nez trop longs et des fesses trop grosses. Je sais bien que c'est un peu réducteur mais bon, c'est tout de même un peu ainsi que je vois les choses.
— Mais quel âge tu as ?
Elle m'ignore superbement, je me tourne vers Hervé pour qu'il recherche mais il est livide devant son téléphone, qu'a t'il trouvé ? Soucieuse, elle le regarde et ses yeux le supplient.
— S'il te plait Hervé, ça m'appartient, c'est mon histoire, même si elle est publique.
Il hoche la tête, je ne sais pas ce qu'il a lu mais je suis à la fois intrigué et respectueux, sa façon de le lui demander m'a intimé le respect.
— Aimé mêle-toi de ce qui te regarde !
Ouais ... Ou pas.
Je m'apprête à l'envoyer de nouveau balader mais son regard est perdu dans le vide ou plutôt vers le sans-abris du temple qui s'est levé et boit dans la fontaine, l'échine courbée.
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