Reperage

Aimé

Le lundi est le seul jour où j'ai une pause déjeuner pourrie d'une demi-heure que je passe la plus part du temps en grignotant devant mon ordinateur.

Je viens de recevoir les résultats d'Elise Sters, la patiente que Constance a diagnostiqué d'un simple coup d'œil en salle d'attente et je retiens mon souffle. L'échographie montre une petite masse qu'il va falloir faire retirer très rapidement. La biopsie nous diras si c'est graisseux ou cancéreux.

Elle est douée cette emmerdeuse ! Elle l'a vu quand moi je me suis focalisé sur l'angine de son fils... on dit souvent que les chirurgiens feraient de très mauvais généraliste, je n'en suis pas si sûr pour Constance. Plus je la côtoie, plus sa perception globale des choses me saute aux yeux.

Par contre elle a un défaut : elle veut tout paramétrer, et même dans la vie personnelle. Elle doit être épuisante à vivre. Juliette lui a demandé d'organiser un pique nique la semaine prochaine et elle a réussi à traîner Marco sur place pour être sûre de repérer le chemin, combien de temps exactement il faudrait et cetera... C'est drôle, je vis dans les Cévennes depuis cinq ans, je n'ai jamais entendu parler de son Lac des Pises, j'aurais bien aimé faire partie de l'expédition.

Tiens quand on parle du loup ... Mon téléphone sonne, interrompant ma pause déjeuner sandwich/lecture de mail et le cours de mes pensées.

— Aimé, je suis avec Marco et titine...

Pourquoi je sens mal qu'elle mentionne ma voiture d'emblée ?

— ... et il se trouve que, tu vas rire - ou pas- mais on n'a plus d'essence. Je pensais avoir assez avec la réserve pour rentrer mais visiblement elle n'a pas de réserve. Bref comme en plein milieu des Causes il n'y avait pas de réseau, Marco et moi avons marché ...

Elle doit demander à l'Espagnol parce que je l'entends baraguoiner "tres ores" avec agacement et je me marre.

— Donc si, après tes consultations tu pouvais nous récupérer à ... c'est quoi le nom du bled Marco ? ... Arrigas ?

Je regarde sur Google Maps et rigole.

— Tu ne t'es pas rapprochée dis donc.

— Tu crois que je me balade avec une boussole ou quoi ? En plus on a un renard qui nous a suivi comme s'il voulait nous bouffer dès qu'on faiblirait !

— Avant toi Constance ma vie était terne.

— Bon, zut Aimé, donne-moi le numéro de Hervé, il me doit un service avec son livre débile  !

Je m'exécute, j'ai trop de patients cet après-midi pour y aller mais qu'est ce que j'aurais aimé voir sa tête !

Ma pause est finie, pour une fois j'ai vraiment l'impression que ma coupure déjeuner a été reposante. Merci Constance.

Je me lève et je vais ouvrir la porte à ma mamie bigoudis préférée (comprendre l'ironie de ma remarque) : Drusilla Van Beck.

Aujourd'hui Drusilla n'a que trois pages de notes sur les différents symptômes qu'elle pense avoir. Je crois qu'elle justifie à elle seule le trou de la sécurité social.

— J'ai remarqué que vous passiez du temps avec la nouvelle !

Quelle commère !

— C'est une belle femme, pas autant que notre Maria mais je comprends qu'elle puisse vous charmer.

— Drue, je ne suis pas sûr que ça vous regarde.

— Je l'ai vu traîner avec l'arabe.

— Fatima ... ils ont des prénoms.

— Et avec le clodo qui nous regarde de haut maintenant qu'elle l'a habillé comme un pape. Moi je vous dis cette fille ne sait pas où est sa place. Elle n'est même pas protestante.

— Ça arrive à des gens très bien.

— Manquerait plus qu'elle soit bouddhiste et le clodo, catholique et vous pourriez monter une confrérie multi-religion avec vos amis. Vous savez comment a fini la tour de Babel !

Je me prends la tête entre les mains en essayant de réfléchir comment me débarrasser d'elle. J'ai une idée.

— Drue, avec tous ces symptômes je ne suis pas sûr d'être en mesure de poser un bon diagnostic, je pense qu'il faut aller sur Montpellier.

J'évite de l'envoyer aux urgences de la clinique privée, je ne les porte pas dans mon coeur mais tout de même je préfère réserver ce supplice à un de mes vieux tuteur de stage qui m'avait pourri la vie.

Elle hoche la tête, comme convaincue que effectivement un autre médecin serait plus approprié et quitte le bureau. Préférant éviter les drames, j'informe mon associé de ma lâcheté et le vieux Wilfried approuve malgré toute sa bienveillance.

Il faut dire que Drue et lui ont eu une altercation violente il y a quatre ans et que c'est à cause de ça que la septuagénaire hypochondriaque ne veut plus voir que moi.

Salim m'envoi un message incompréhensible dans l'après-midi, je décidé de passer le voir après avoir finis les consultations.

Comme à son habitude, Salim est très accueillant.

— Tu tombes bien mon pote, je voulais te dire que j'ai eu la vieille Van Beck, elle m'a demandé une révision complète pour sa modus car elle va devoir faire des aller-retour fréquents chez un "vrai médecin"

— C'est mal de penser ça mais si tu pouvais oublier de vérifier les freins ...

Il rit et me sert un café en m'écoutant parler de Constance et titine en rade.

— Cette fille m'agace et m'attire, c'est bizarre non ?

— Non regarde, Fati, elle m'adore ET me déteste, ça a l'air tout à fait possible.

— T'es en train de dire que je pense comme une gonzesse ?

— Parfois, tu es aussi compliqué Aimé. Te prend pas la tête, Constance c'est une fille de passage, tu vas pas l'épouser ! Mais vous vous plaisez visiblement, y a pas de mal à passer du temps ensemble.

— Je vois ou tu veux en venir et je n'ai pas besoin d'une sex-friend.

— Fais pas ta tête de mule, Anna c'est finit, elle reviendra jamais s'enterrer dans notre trou paumé, ce qui veut dire qu'il faut que tu choisisses entre local/durable  ou exotique/fugace.

Il mime une balance avec ses mains.

— Maria ... Constance...

Je chasse l'idée d'une soirée avec Maria avec dégoût, c'est un très belle fille mais elle est sans relief, j'ai besoin d'être stimulé. Puis je pense à une soirée avec Constance et souris avant de déchanter. Salim a raison, elle est de passage et moi ce n'est pas ce que je recherche, je n'ai plus envie de relation sans avenir c'est sympa à vingt-cinq ans mais à trente-cinq ça ne s'inscrit plus dans mon projet de vie. Encore que je n'ai jamais adhéré au principe. Je le dis franchement à Salim qui me donne une tape sur l'épaule.

— Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.

Je vois ma titine arriver dans le garage et Constance en sortir.

— Salim ! Je fais ce que tu m'as dis, je te l'amène que tu regardes si on ne l'a pas abîmé.

— T'as fais quoi de Marco ?

— Hervé le ramène, il ne voulait plus venir en voiture avec moi.

Elle m'aperçoit, adossé au comptoir et me fait coucou avant de s'avancer pour me faire la bises. Alors que ses lèvres s'attardent plus longtemps que nécessaire sur ma joue, je passe la main dans son dos, aux creux de ses reins et rencontre sa peau gelée que je frictionne.

— Qu'est-ce que tu peux être tactile comme gars...

— Pour un médecin, il vaut mieux.

Elle me regarde avec ce petit air taquin et m'imite en me frottant le dos.

— Monsieur Durand, vous avez froid, n'ayez crainte je vais vous réchauffer.

Monsieur Durand c'est mon patient aux cent-trente kilos...

— Ok, je plaide coupable, je ne suis pas aussi tactile avec mes patients, juste mes patientes...

Je change vite de sujet en voyant l'air hilare de Salim qui me montre la voiture de Van Beck... Effectivement, pas toutes mes patientes non plus.

— Vous y allez pour quel heure chez Gérard ?

Il nous a invité à boire un verre ce soir pour fêter la naissance de sa petite fille.

— Merde ! S'exclame Constance, j'ai oublié d'aller chercher les petits fours chez Laroque.

— Lequel ?

Salim et moi avons posé la question en coeur. Il faut savoir qu'à Saint-Jean nous avons réussi l'exploit d'avoir deux boulangeries côte à côte portant le même nom mais se vantant d'être uniques. C'est les boulangeries des frères ennemis. Quand leurs parents ont décidé de cesser leur activité, Tristan et Quentin ont chacun émis le souhait de la reprendre, s'en est suivie une guerre de succession et voilà le résultat : ils ont séparé la boulangerie en deux. Tristan et son compagnon se veulent du terroir et Quentin se vante d'être raffiné et pour une clientèle élitiste. En réalité, ils font le même pain, les mêmes pâtisseries et les mêmes tarifs.

— Le canon qui m'a invité à boire un verre jeudi.

J'ai soudain envie de casser la figure à Quentin. Il faut que je me rende à l'évidence, il va falloir, pour ma santé mentale que j'envisage l'exotique/fugace.

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