Marco, Basile et Marilyne

Constance

J'ai passé la semaine à tout détruire dans la cuisine, poncer et enduire les murs, je suis claquée et usée. J'ai envie de pleurer devant mon inefficacité.

Heureusement j'ai Marco avec moi depuis trois jours. Mon SDF espagnol a eu pitié de moi. C'est le monde à l'envers ! Il s'est installé à côté de moi un jour où j'allais à la déchetterie et m'a aidé à tout débarrasser, comme il ne faisait pas signe de descendre au retour je l'ai embarqué chez Mamé. Il ne pipe pas un mot de français et donc je ne sais rien de lui en dehors de son prénom mais en revanche j'ai compris qu'il était du métier assez rapidement.

Je me demande comment ce type, qui est une force de la nature, a pu échouer là, dans le village du bout du monde sans un rond, sans famille. Il a pris son sac de couchage miteux et l'a posé à même le sol de la chambre de Mamé ce qui m'a un peu choqué. J'ai foncé lui descendre au moins un lit et des couettes et ensemble nous avons calfeutré les issues, pour lui faire un endroit à peu près viable.

En une journée Marco a arraché toute la moquette hideuse du couloir et de la chambre, ragréer le sol et comblé le trou béant entre la cuisine et le salon. Je lui ai juste servi de chauffeur dans les magasins de bricolage après une très infructueuse tentative d'essayer de nous comprendre. C'est à dire après qu'il m'avait fait une liste de courses - en espagnol évidemment-  et m'avait vu lui ramener une moitié de commande complètement hors propos.

Il avait alors marmonné "estúpida" pensant que je ne comprenais pas.

Clairement Marco n'est pas le compagnon idéal, il ne parle pas, il me prend pour une idiote et il est encore plus désagréable que moi... Mais il est là et il est compétent. J'essaie encore de trouver le moyen de communiquer avec lui mais c'est compliqué.

Fatima doit passer demain servir d'interprète, ouf !

Ah j'oubliais, Marco n'aime pas ma cuisine au réchaud, il préfère quasiment mourir de faim ce qui est vexant.

— C'est prêt !

Il arrive et renifle ma ratatouille en conserve et part dans un rire sonore avant de repartir vers le petit placard de nourriture que je lui ai garnie. Il sort un paquet de chips et soupir.

— Franchement tu abuses, c'est une boite, je ne peux pas avoir raté une boîte !

Bien évidemment il ne comprend pas ou fait mine de n'a pas comprendre et s'enfile les chips et un bocal de cornichon en grimaçant.

On toque à la porte et je vois les têtes d'Aimé et de Hervé passer par la porte.

— Oh ... on dérange ?

— Non, entrez, Marco va vous filer quelques chips !

Aimé nous regarde tour à tour avec un regard incrédule.

Je ne sais pas quel spectacle Marco et moi offrons assis chacun a l'autre bout de la pièce mangeant à même le sol mais j'en ai un vague aperçu.

— J'avais mis une table et des chaises mais il a tout remballé parce qu'il veut faire le sol demain ! Je tente de me justifier piteusement... Enfin c'est ce que j'ai supposé car je comprends rien de ce qu'il dit.

— On voulait t'inviter à dîner ... Mais on savait pas que tu avais un invité. Il est le bienvenu.

Je fais des mimes ridicules à l'intention de mon homme à tout faire pour tenter de lui expliquer mais il me regarde, circonspect et part se coucher.
Aimé rigole et me lance.

— Tu as réussi l'exploit de trouver quelqu'un d'encore moins aimable que toi ?

Je me tasse dans un coin avec ma casserole de ratatouille en conserve.

— Oui il est à peine plus civilisé que toi Aimé.

— Fais pas ta tête de lard, viens avec nous.

Hervé se marre et ajoute.

— En plus tu pourras suivre la saga de l'automne entre Maria et Aimé.

Merde ! Ils sont ensembles ?

J'ai souvenir d'avoir été assez désagréable à son propos et d'avoir parlé de mon agent immobilier en terme peu flatteur lors de notre dernière soirée. Ce qui s'avère tout à fait déplacé à la lumière de cette information nouvelle. J'ai un pincement de déception qui m'étreint le cœur.

Je bafouille.

— Je suis désolée Aimé... je ne savais pas que vous ...

— ... C'est une blague Constance, elle me harcèle et ça fait rire Hervé.

*

Aimé

Elle est assez touchante assise sur le sol de l'ancienne cuisine de Juliette en guenille. Elle n'a pas peur du ridicule et ne cherche pas à être coquette puisqu'elle monte manger avec nous comme ça.

J'aimerais filmer sa tête quand Hervé lui demande de faire la relecture de sa traduction du dernier roman collection "hôpital" et qu'elle attrape la liasse, dubitative.

— Le beau docteur Giovanni, récemment veuf se retrouve avec la garde de sa petite fille Opaline. Dévasté, il trouve pourtant rapidement réconfort dans les bras de la jolie puéricultrice fraîchement arrivée au Belleville Hospital. Mais la belle et douce infirmière peine à établir des relations amicale avec Opaline, saura t'elle gagner le Coeur du beau médecin et de la petite orpheline ? Ou devra t'elle s'éclipser devant le souvenir de la disparue...

Constance relève les yeux vers Hervé alors que j'en pleure de rire. Sa lecture hachée, révèle toute la passion qu'elle a ressenti à la lecture du résumé. Hervé ne relève pas et lui dit.

— La consigne Constance : on ne réécrit pas le livre, on minimise, avec le sens des mots, les non-sens et autres niaiseries. Et si la puéricultrice veut faire une opération coeur-poumon, on laisse faire.

Devant l'air affolée de Constance, il précise.

— Je te rassure ça n'arrive pas.

— Mais Hervé ... Pourquoi ?

Il se gratte la tête, embarrassé et tente une explication vaseuse.

— Parce que de toute façon, ça va finir entre les mains de jeune femmes en mal d'amour, insatisfaites dans leurs couples et leur apporter du baume au cœur alors autant que ce soit bien fait. En soit je te demande de m'aider à faire de la chirurgie esthétique de bouquin.

A son froncement de nez je vois qu'elle n'est pas convaincue mais Hervé ne lui laissant pas le choix, elle est obligée d'accepter.

— Hervé, ça fait plusieurs fois que je me dis qu'il faut que je te le dise mais je ne fait pas de chirurgie esthétique... je suis spécialisée dans la chirurgie reconstructice.

Je me redresse, attentif à ses explications. Son regard rencontre le mien. Elle se détourne aussitôt.

— Je travaille essentiellement sur des patients accidentés de la route, morsures d'animaux et tirs par balles. Bien sûr je fais aussi les malformations et suites de maladies mais moins souvent. Ma grande spécialité c'est les reconstructions faciales.

— Par balles ? Tu ne dois pas en avoir tous les quatre matins !

— Je faisais six mois à Paris, six mois à New York, alors si, j'en avais quelques uns.

J'ose lui demander pourquoi cette spécialité. Elle a un grand sourire.

— Pour jouer à Dieu voyons.

Elle reprend mes propres mots contre moi mais n'en dit pas plus. C'est étonnant comment plus j'en apprends sur elle, plus je veux en savoir. Une part de moi comprend, sans cautionner pourquoi elle n'a pas revue Juliette depuis sept ans.

On observe la vue magnifique en silence par delà la véranda et j'entends son rire qui brise notre tranquillité.

— "Opaline" ... Sérieux Hervé je ne sais pas si je vais y arriver !

Et elle me dévisage, inquisitrice.

— Pourquoi tu es exempté toi ?

— Au cas où ça t'aurais échappé, je n'ai pas d'avis particulier sur la relation amoureuse du pauvre docteur Giovanni ! Je suis de ces mecs virils et très peu romantiques !

— À d'autre, je suis sûre que tu es du genre fleur bleue et mièvre quand tu es amoureux.

— Tu veux le découvrir ? Je lance des petits baisers dans les airs et elle se met à rire.

Hervé prétexte une journée de traduction intense pour s'éclipser et je propose une nouvelle tentative de tisane à Constance qui s'est emmitouflée dans le plaid de mon canapé.

Dans la cuisine je médite sur mon invitée qui suscite en moi des émotions très contradictoires quand mon téléphone sonne, je décroche en sachant pertinemment ce qui m'attend, il n'existe qu'une personne au monde qui puisse m'appeler, saoule, à vingt-trois heures : mon géniteur.

Il est là, à crier comme un putois et je l'écoute patiemment, il en veut à la terre entière depuis sa naissance et sa colère prend des proportions effroyables quand il a bu. Toute mon enfance j'ai eu le droit à ces épisodes alcoolisés mais il se reprenait toujours en main pour son travail. Autant dire que depuis la retraite il est en mode "no limit"
A la DDAS quand il était petit, il était déjà connu pour ses vifs accès de violence. C'est un peu pour ça, je pense, qu'il n'a jamais été adopté. Mais c'est un battant, il n'y a pas à dire, il a utilisé toute cette colère pour en faire son métier. Basile Bastien, l'enfant de l'assistance sociale devenu un des plus grands lutteurs français et même mondiaux, quelle revanche sur la vie ! Et avoir un fils médecin avait été son apothéose et sa consécration.

Je l'entends injurier ma mère. Elle a beau être décédée depuis dix ans, il n'a toujours pas digéré qu'elle soit partie avec son meilleur copain. Heureusement pour lui, c'était un bon lutteur sinon il en serait mort, au lieu de ça, il a avait juste eu le nez et les côtes cassées et mon père n'avait eu que six mois de prison ferme. J'avais eu un peu les crocs de découvrir l'assistance sociale à mon tour durant ce laps de temps. Merci Maman d'avoir refusé de s'occuper d'un pré-ado pendant ces six mois !

— Une pétasse ta mère ! Tu vas pas me dire que tu trouvais qu'elle était maternelle ! Au moins Marilyne elle te traite comme son fils !

— Oui papa, sur ce point je te rejoins.

Quand on parle du loup, j'entends Marilyne arriver et l'enguirlander, elle lui retire la bouteille des mains d'après ce que je comprends et prend le combiné.

— Mon chéri, je suis désolée, il part demain en cure de désintox, un truc avec de l'hypnose qui a des supers résultats.

Elle, c'est la perle, le rayon de soleil dans sa vie. Maryline mérite mieux que mon père mais pourtant elle reste. Fidèle et aimante, elle a pris soin de notre famille disfonctionnelle pendant plus de quinze ans. Je l'embrasse et la laisse raccrocher. Ça me mine à chaque fois, ces coups de fils haineux et incohérents. J'espère de tout cœur que sa cure va marcher cette fois-ci.

Je me dirige vers le salon et aperçois mon invitée qui s'est endormie. En douceur, je tire de dessous le canapé la partie convertible et l'installe un peu mieux. Je ne peux m'empêcher de zieuter son décolleté qui laisse apparaître sa peau laiteuse et un bout de sa cicatrice. Je déglutis et reporte mon attention sur son visage. Elle est belle Constance, pas filiforme et éthérée comme un mannequin de Vogue mais tout en douceur avec de jolie formes là où il faut et un visage plein de charme. Je la désire malgré moi, malgré tout.

Je m'allonge à côté et continue de l'observer. J'ai besoin de réconfort après ce flot de haine qu'a déversé mon père et sa simple présence m'apaise. Et puis, elle est jolie à regarder. Je vois de très fines rides au coin de ses yeux, elle ne fait pas son âge mais quand on le sait, on voit par endroit les traces du temps et de la vie de fou qu'elle a menée jusque là.
Quand je pense qu'elle a eu son bac à seize ans et enchaîné ses études à suivre. Elle devait être le plus jeune chirurgien de sa promo ! Est-ce qu'elle en a bavé ? Comment a t'elle pu se faire un nom aussi rapidement ?

J'ai devant moi une femme pleine de mystère.

Elle me pousse dans son sommeil et je me lève et regagne mon lit en souriant : en tout cas c'est une sacrée casse-pieds !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top