La veille de l'accident
Constance
Le soir du deuxième jour, la route s'est désengorgée et de nombreux patients sont partis pour Nîmes et Montpellier, des chirurgiens frais et dispos sont arrivés nous remplacer. J'ai été dire au revoir à Cécile et bébé Constance - c'est son prénom car la maman n'avait pas encore trouvé le prénom de l'enfant et que la césarienne a été compliquée mais réussie.
Aveyrolles étant toujours coupé du monde, avec Marco et Aimé nous nous sommes entassés dans ma chambre à trois dans un lit de deux. Je crois qu'on a fait le tour du cadran. Quand j'ai ouvert les yeux, Marco était dans la douche, prêt à repartir "au front" pour lui, le travail n'était pas terminé.
Il paraît qu'il a sauvé deux des six mamies bigoudis en allant les chercher en barque... Oui parce que pendant vingt-quatre heure nous étions à Venise. Toujours est-il qu'Odile et Bénédicte ne jurent plus que par lui d'après Gerard. Il a été très ébranlé par les quatre noyades qu'il y a eu et ça lui a mis du baume au coeur de voir l'enthousiasme débordant des mamies bigoudis. Néanmoins, il se peut, qu'il aurait préféré qu'elles s'abstiennent de l'embrasser sur la bouche par surprise.
Il me fait signe de la main et quitte la chambre. Soudain la main baladeuse d'Aimé me frôle les flancs, je souris.
— Y en a un qui a retrouvé et son énergie et sa libido.
— Qu'est-ce que tu veux, toute cette histoire a commencé par une partie de jambe en l'air, je trouve qu'il serait de bon ton de la clore ainsi.
— Et après on ne couchera plus ensemble ?
Il s'est redressé sur son bras et m'embrasse les seins, le ventre...
— Non ... Ce n'est pas ce que j'ai dis ! On se jètera l'un l'autre comme de vieilles chaussettes quand nous serons lassés.
— Oh et tu penses que cela pourrait être d'ici combien de temps ?
Il est maintenant totalement au dessus de moi et sourit tout en m'embrassant avec avidité.
— Je ne sais pas ... Quand tu auras soixante ans et une libido en berne, j'irais chercher une des filles de Fatima et Salim, elles auront le bon âge alors.
Je rigole, le traite d'infâme pervers et me tends sous ses mains expertes.
Puis je lui chuchote à l'oreille que je n'ai pas de préservatif et il soupire à rendre l'âme avant de s'affaisser contre moi, la tête dans l'oreiller. Je le touche à quelques endroits stratégiques pour augmenter encore un peu sa frustration mais il m'attrape le bras et je vois ses yeux brûlant de désir me fixer.
— Constance, si tu n'arrêtes pas tout de suite, je te fais l'amour avec ou sans préservatif et tu seras la maman d'un autre bébé Constance dans neuf mois.
J'attrape mon téléphone et regarde mon application spéciale "code rouge"
— Aucune chance, les anglais débarquent dans trois jours.
Je vois son visage refléter l'effarement le plus total et il éclate de son grand rire franc.
— Mon Dieu, Super Adler, tu viens de tuer ma libido en deux secondes chronos. Un autre de tes pouvoirs magiques.
— Super Adler ?
Je fais glisser le drap sur moi, révélant ma poitrine - du côté sans cicatrices - je glisse ma main plus bas et le touche de manière intime, il réagit aussitôt et grogne..
— Je suppose que si ton application te dis que c'est bon, nous sommes "sauvés" ... perso je suis exempte de toute maladie.
— Et moi aussi, j'ai fais les tests après avoir appris la dernière de Peter.
Il me retourne contre lui et je crois que c'est au pire moment de notre intimité que la porte s'ouvre à la volée sur Marco et son plateau.
On a beau rabattre la couverture sur nous, la position dans laquelle nous étions laisse peu de place au doute. Il toussote et pose le plateau sur la table de chevet, avant de franchir la porte, il rit dans le couloir et je crois l'entendre dire quelque chose comme quoi finalement on n'a pas tant besoin que ça de prendre des forces... Il parle de mieux en mieux notre langue ne puis-je m'empêcher de me dire.
Aimé n'a pas l'air d'avoir été plus perturbé que ça par l'intrusion.
*
Aimé
J'ai franchement détesté l'épisode Cévenol, ça a été digne d'un épisode d'Urgence. surtout quand Le Vigan a déversé chez nous son lot de blessés - sans commentaire sur ce moment de solitude intense de l'équipe déjà surmenée ! Quand les pompiers ont extrait tous les gamins et annoncé la mort de l'un d'entre eux et du chauffeur. Mais aussi quand nous avons faillis perdre le générateur et
que les ASH ont décidé de jouer à "le premier qui trouve des bougies et ose se pointer dans les salles d'op pour les proposer - au cas où" Et déjà moi, qui suis d'extrêmement bonne composition je les ai envoyer bouler alors j'imagine la tronche des chir ! La pauvre stagiaire a croisé Marco avec ses bougies et s'est prise une avoinée sur le fait qu'il ne manquerait plus à sa journée que la gestion d'un incendie. J'extrapole car en vrai je n'ai pas compris un traître mot de sa tirade mais j'imagine bien qu'il aurait pu dire ça.
Quand la folle invasion s'est calmée, je suis sorti prendre l'air et je suis resté bouche béé devant le spectacle de Super Adler la clope au bec. Comme une gosse prise en faute, elle l'a écrasé par terre à toute allure en tentant de se justifier qu'elle était un poil stressée.
En menant une brève enquête je me suis aperçue qu'elle avait piqué les davidoff de Marco et ne désirait pas tellement que son méfait soit ébruité auprès de l'intéressé. Je jurerais que Constance, qui n'a peur de personne, craint pourtant Marco. J'ai négocié sur cette terrasse, une juste rétribution pour mon silence avant de repartir vers l'abattoir.
Autant dire que nos retrouvailles dans son lit sont en revanches beaucoup plus plaisantes que le reste de cette journée si on omet l'interruption de Monsieur jesaistoutfaire.
C'est bizarre mais quand je l'ai vu à l'œuvre dans la salle d'opération, j'ai eu une espèce de moment de franc malaise. Qui était cette femme si appliquée et concentrée, ce monstre de précision. Elle est bluffante, je crois que c'est à cet instant que j'ai compris son assencion fulgurante, sa renommée si incompréhensible en comparaison de son tout jeune âge. Mais il y a une aberration pour moi qu'il faut que je tire au clair. Constance serait l'un des seuls chirurgiens que je connaisse à ne pas se prendre pour Dieu le père ? Elle m'a fait la même remarque pour l'un des anesthésistes et j'ai bêtement ouvert la bouche sans rien répondre.
Elle me regarde avec ses grands yeux qui pétillent et je lui fais part de ma réflexion. En un éclair son regard se voile et elle se lève pour s'habiller.
— Constance ! Qu'est-ce qu'il y'a ?
— Je suis comme ça Aimé, aujourd'hui j'ai fais énormément d'efforts mais combien de fois j'ai voulu reprendre mes vieilles habitudes !
— Qui sont ... ?
Elle soupire et tente de m'expliquer ce que je devine déjà.
— Quand je rentre dans le bloc, je suis dans le même état d'esprit qu'un boxeur je pense. Je dois être rapide, efficace et incisive, les autres qui sont là ne doivent pas me gêner, ils doivent être des atouts, sinon ils n'ont pas leur place. Une opération c'est comme une symphonie, aucune fausse note ne peut être tolérée.
— Je ne comprends pas, c'est parce que j'étais là que t'es retenue ?
— Non, c'est parce que ...
Sa voix se brise mais elle reprend contenance.
— Parce mon arrogance a coûté la vie d'une interne.
Je suis estomaqué mais j'attends la suite.
— Elle s'appelait Anne, c'était une femme douce, trop douce pour moi en tout cas, je la trouvais lente, pas très efficace, trop dans l'empathie et pas assez dans le détails. La veille de l'accident, Anne est venue me voir en pleurs, elle se posait des questions sur son avenir professionnel suite à mon enguelade. Je crois - non, je sais -
qu'elle voulait que je la rassure, que je lui dise qu'elle y arriverait et ferait un excellent médecin voir même chirurgien ...
— ... Mais ce n'était pas ce que tu pensais ?
Elle hoche la tête et poursuit.
— Non, je savais qu'elle serait mauvaise, pas médiocre Aimé, mais néfaste. Je continue de le penser... je suis peut être directe mais je ne suis pas injuste, l'enguelade qu'elle a reçu était justifiée et je crois qu'elle le savait. Je ne vois pas comment elle aurait vraiment pu penser que mon discours ce jour-là puisse être différent. Elle n'avait pas le sens du détail, pas d'intuition et elle passait souvent à côté de l'essentiel...
— Alors tu lui as dis ? Comme ça ?
Elle s'agace mais continue sur sa lancée.
— Je ne suis pas sans coeur non plus ! J'ai même pris soin de choisir mes mots mais ...
Je dois être impitoyable visiblement.
Je lui ai fait comprendre que sa place n'était pas au sein de mon service. Pas tant qu'elle ne remettrait pas en cause chacune de ses connaissances et de ses intuitions erronées. Que c'était du gâchis d'être si douée pour écouter mais pas pour analyser.
— Que s'est-il passé ensuite ?
Le regard dans le vide, Constance me répond.
— Le jour de l'accident, on l'a retrouvé pendue dans sa chambre, elle disait que je lui avais permis de prendre conscience qu'elle n'avait pas sa place là. Sa famille n'a pas porté plainte, ils ont sans doute trouvé que j'avais eu ce que je méritais.
Je suis secoué, je ne sais quoi répondre, je la regarde se lever, j'ai l'impression que c'est une inconnue. Elle pose ses lèvres sur mon front et s'habille avant de quitter la chambre en me laissant seul avec mes pensées et cet effroyable silence.
Je me rends compte que je n'avais pas envie de percer le secret de Constance.
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