La valse des sentiments

Constance

Quand je raccroche je prends conscience de la bassesse de mon comportement. Visiblement c'est un moment important pour lui... Une idée germe dans mon esprit alors que Peter et Marco ont achevé de peindre le salon de la dépendance.

— les mecs ... partant pour une course contre la montre ?

Ils hochent la tête sans même demander d'explications, quels hommes étranges ... J'appelle Gérard pour lui raconter mon projet et qu'il retienne Aimé le plus longtemps possible. Nous allons faire une jolie chambre pour Eugénie. J'annonce que j'irais tenir le bar demain matin à la place d'Aimé.

Vous connaissez ces films où les héros vont sauver la planète en marchant à cinq de front ? Et bien nous sommes dans cette configuration-là quand nous arrivons devant chez Aimé, armés de nos pots de peinture. Je suis au milieu, déterminée et fière, à ma droite Hervé et Marco et à ma gauche Peter et Charles. On marche en décalé, encombrés par notre attirail mais je remarque avec amusement que nos pas sont synchronisés. La voiture de Salim fait même un dérapage et nous voyons sortir Fatima et ses filles.

— Il paraît qu'on a besoin d'un lit et de jouet d'enfant ?

Je lui tope la main et nous entrons tous alors que Charles fait un selfie avec nous de dos.

— Je vais envoyer ça à Valérie Damidot pour lui dire de se rhabiller, qu'on n'a pas besoin d'elle !

— Envoi plutôt ça à ton père pour lui montrer que je t'exploite.

Il rigole et je le soupçonne de s'exécuter avant de sursauter parce qu'Aya se plante devant lui et le dévisage longuement avant de déclarer, admirative.

— Toi tu dois en connaitre pleins de secrets...

Surpris par le ton et son emphase, Charles demande des précisions, il est habitué à générer une réaction dégoût ou de pitié, voire même d'évitement mais rarement de l'admiration. Je le sais car ils me racontent tous ça. Le regard est ce qu'il y a de plus dur à supporter. J'appréhende la réaction de sa mère et qu'elle interrompe cet échange si nature qui ne peut pas faire de mal à Charles. Mais c'est sans raison car Fatima a ce don naturel, la simplicité, entre autre celle de ne rien dire et laisser sa fille discuter avec le jeune homme.

Pendant qu'on s'active, on entend le baratin d'Aya et on sourit avec Fatima.

— C'est Constance qui m'a dit que les anges venaient refermer les cicatrices des petits enfants pour qu'ils se taisent et ne racontent pas les secrets. Toi ils t'ont oublié comme moi ! Et les autres ils sont méchants avec toi parce qu'ils sont jaloux.

La réponse de Charles ne me surprend pas trop, elle est franche et désabusée.

— Tu crois pas qu'elle t'a raconté des conneries, Constance ?

— Ben on s'en fiche, les autres le savent pas, si tu leur dis ça, ils seront impressionnés !

Il y a un grand silence et Aya lui prend la main.

— J'avais jamais rencontré quelque de différent comme moi.

— On n'a rien à voir toi tu es super chou moi je suis Frankenstein !

— C'est ton nom ? Moi c'est Aya.

Il soupire et finit par baisser sa garde. Marco se penche vers lui.

— Franck au boulot !

Tout en râlant, Charles prend un petit pinceau et un grand et emmène Alya dans un coin.

— On va lui dessiner un truc original au génie, viens microbe.

— EU-GE-NIE c'est maman qu'a dit !

Il pose son téléphone et met de la musique à fond. Un tube du moment très entraînant.

[Un GIF ou vidéo devrait être inséré ici. Veuillez mettre à jour l'application pour le voir.]

Je regarde les mecs qui peignent en rythme, Fatima et son aîné qui montent le lit, Aya et Charles qui s'appliquent et je me sens bien.

Je réalise d'un coup d'un seul qu'on n'a pas besoin de plus pour être heureux que de se sentir entouré. J'aurais des hauts et j'aurais des bas, des craintes inexplicables et des joies intenses et ce n'est pas parce qu'avant j'étais linéaire dans mes émotions que cette nouvelle moi me déplaît. J'ai des sentiments, je suis capable d'être capricieuse, égoïste, drôle, dans l'entraide et heureuse dans la même journée... Est-ce un vrai problème ? J'avoue que ça fait probablement de moi une chieuse.

— Si tu crois que tu vas bailler aux corneilles, tu te fourres le doigt dans l'œil !

Peter m'attire à ses côtés et me colle un rouleau dans les mains, il se déhanche contre la musique et m'envoie presque bouler contre la porte à chaque mouvement.

Si on avait eu le temps de se préparer on aurait trouvé une couleur plus enfantine que ça mais c'est un de ces bleu céruléen éclatant de Mamé qui illumine bientôt le pan côté lit, le reste est gris clair comme ma future chambre dans la dépendance. Je ne vois pas tout de suite la rose des vents que Charles a peinte sur le mur attenant à la fenêtre, elle est splendide. Il a du talent ce gosse. C'est même assez symbolique je trouve, Eugénie a retrouvé le chemin de chez Aimé.

C'est un record de fou, en quatre heures on vient de peindre une chambre entière avec plusieurs couches. Je n'en reviens pas. Il faut dire qu'on a Marco le peintre avec nous. Hervé nous prend en photo avec son appareil de pro. Charles fait un nouveau selfie de groupe en tournant tout de même la tête de son bon profil ... Il choisit même de mettre la rosace comme fond d'écran.

— On peut faire ... la chambre où Giulia dormira pareille ?

Je me tourne vers Marco et hoche la tête c'est clair que c'est une réussite. Je vais chercher la peau de mouton que Aimé avait mis dans la véranda et la dispose dans la chambre avec la guirlande de lampion que j'avais prévu de lui offrir à noël.

Un soupçon d'inquiétude me saisit alors que l'euphorie du moment retombe, et s'il n'aimait pas ? Et si malgré ce que j'ai cru comprendre quand il m'a appelé, il retournait vers Anna ? Je ne veux pas que cette pouf le vampirise et le récupère.

— Pourquoi ?

En sursautant, je manque de faire tomber un vase, Peter me regarde, adossé au chambranle de la porte.

— Je te connais Connie. Tu es encore en train de te faire du mal avec cette superbe Barbie.

— Arrête ça. Je déteste quand tu fais comme si tu lisais dans mes pensées.

Il fait un clin d'œil séducteur.

— Que veux-tu, je suis doué.

Il s'apprête à partir mais quelque chose le retient.

— Tu tiens à lui ?

— Parce que ça t'intéresse maintenant ce que je ressens ?

— Soit pas mesquine, je ne serais pas là si je ne tenais pas à toi.

Un point pour lui. Pourtant, je le connais mon Peter, il n'a plus de sentiments pour moi, je le sais depuis le lendemain de son arrivée, ce qui me perturbe c'est son insistance à rester...

— Je pense que je suis en train de tomber amoureuse de lui Peter, et ça me fait peur.

— Et bien montre lui bordel ! On sait jamais ce que tu ressens. Et dis-lui à la fin que tu vas rester ici.

Marco, que je n'avais pas aperçu me fait sursauter en riant.

— Vous êtes vraiment pas banals !

Je comprends ce qu'il veut dire et je me tiens les pieds en dedans pendant qu'il s'arrête à mon niveau et me prends les épaules.

— Tu restes ? Comment il sait ?

Peter rigole et prend le reste du matos.

— Parce qu'elle est comme moi, que veux-tu qu'elle aille foutre loin de vous. Quand on trouve sa famille, on la garde.

Marco réfléchit et hoche la tête avant de charrier mon ex.

— T'as raison, sa famille, on la choisit pas et toi je te choisis pas pourtant et t'es là.

— Ben tiens, tu sais qui va se brosser pour la chambre d'amis de la dépendance ... Giulia va dormir au placard.

— C'est mieux que dans la rue.

— Tu ne m'attendriras pas avec tes histoires de clodo.

Je soupire en fermant la porte derrière eux et fonce me planquer, j'ai reçu un message de Hervé qui m'a prévenu du retour d'Aimé qui commençait à trouver son cirque louche.

La porte d'entrée s'ouvre quelques minutes après le décor des gars et j'entends une petite voix fluette parler en boucle, j'ai presque l'impression de percevoir les cœurs dans sa voix quand elle s'adresse à Aimé, c'est mignon. La voix chaude et pleine d'émotion de notre amoureux commun emplit la pièce, il s'excuse de ne pas avoir une jolie chambre pour elle et la conduit droit vers notre surprise. je le pardonne alors pleinement de m'avoir planté pour elle tout à l'heure.

Quand il pénètre dans la pièce, il n'y a aucun bruit, il ne dit rien, je suis inquiète mais les petits cris émerveillés d'Eugénie me rassurent d'un certain côté. On n'aura pas déçu tout le monde. Je me glisse hors de mon abri et m'approche d'eux à pas de loup.

Je crois que je m'attendais à tout sauf à ce qui m'attend, Eugénie est la tête la première dans la vieille malle de Mamé que Fatima a rempli de jeux mais Aimé, lui est assis sur le lit, la tête entre les mains. Je me précipite à ses pieds, inquiète. Je me glisse entre ses bras et il me serre à m'étouffer.

— Je suis désolée, je pensais que ça te plairait. C'est si moche que ça ? On peut tout remettre...

Je n'ai même pas le temps de finir qu'il m'attrape et m'allonge sur le lit en m'embrassant et en riant.

— Vous êtes des grands malades.

Pourquoi ? Parce qu'on est encore plus efficace que les maçons ont du cœur ?

— Beurk, s'exclame Eugénie qui vient voir ce qui se passe.

Ce petit bout de bonne femme se présente et me serre la main comme une grande.

— Tu es l'amoureuse de parrain ?

— Je ne sais pas trop... Aimé ? Je suis ton amoureuse ?

Toujours amusé, il hoche la tête.

— Je te présente ma fiancée.

J'ai un mouvement de recul et le tape en riant.

— Ah oui et quand est-ce que je t'ai dis oui ?

Ses yeux se posent sur moi et il plonge son regard bleu profond dans le mien.

— Le jour où je te le demanderais.

Il chuchote un merci en désignant la chambre et comme je suis un peu mal à l'aise avec sa déclaration, je tente une blague.

— Tu vas épouser Marco, Peter, Charles, Hervé et Fatima aussi ? Parce qu'ils ont plus qu'aidé aujourd'hui.

— De toute façon, t'accepter toi telle que tu es, c'est accepter toute ta clique. Allez viens, on va regarder la reine des neiges sur le canapé, on a déjà dîné, je te prépare quelque chose ?

Il se lève me laissant perplexe avec Ninie qui veut me tripoter les cheveux.

— Ta mère, elle a un copain ?

Eugénie hoche la tête.

— Oui mais elle dit à tout le monde que c'est compliqué.

— Tu sais pourquoi ?

— Oui, il est tout noir et grand-mère aime pas les noirs. Et il s'appelle Trésor, mamie aime pas non plus.

Je reconnais qu'il est assez vil d'interroger les gamins mais je me sens rassurée, Trésor me plaît déjà.

Ninie me prend la main et m'emmène vers le salon.

— Tu aimes Aimé ? Tu m'as pas dit.

— ... Oui. Je l'aime.

Mes doutes s'effacent, j'ajoute ce sentiment à ma palette d'émotions de la journée et je pense à ma mère avec nostalgie, j'aurais voulu lui raconter cette journée incroyable, j'aurais bien aimé la rassurer et lui dire que tout allait bien se passer pour moi. Que j'allais rencontrer un homme extraordinaire, des amis indéfectibles et que Mamé allait bientôt rentrer chez elle.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top