L'observatoire

Constance

Je suis dans une salle d'opération, j'entends le bip de machines, je vois autour de moi l'agitation mais ne peut réagir. Mon bras me fait mal, comme déchiqueté. Avec une infinie lenteur je passe ma langue sur les lèvres et cligne des yeux, aveuglée par la lumière vive des spots.

Elle revient à elle crie Peterson et je vois l'anesthésiste se précipiter et œuvrer... le silence, l'oublie revient.

Une affreuse pensée me saisie juste avant que le vide ne se fasse : et si je ne pouvais plus jamais opérer ?

...

— Je t'aime ma chérie, ne t'inquiète pas, je reste avec toi

Cette voix ! Je me sens bien.

...

Alors que j'ai les yeux fermés, j'entends mon amie Sofia qui chuchote à Peter quelque chose.

— Comment vas t'on lui annoncer ?

...

Je me réveille en nage, régulièrement la nuit, je suis assaillie par ces rêves qui n'en finissent jamais de se répéter. J'attrape mon téléphone pour voir l'heure.

15 messages

Peter ... je ne peux m'empêcher de lire les premiers mots de certains.

Tu me manques...

Où es-tu ?

Quand reviens-tu ?

Parfois je te déteste de nous faire ...

Je rabats sur la table mon téléphone  côté écran pour ne plus apercevoir ses messages.

Je sens la colère m'envahir et me renfonce dans le vieux sommier à ressorts. Ici on ne sait pas qui je suis, je peux être une nouvelle personne, rencontrer des personnes qui n'ont aucunes idées de ce que j'ai vécu. J'ai le droit, non, de repartir à zéro ?

Et Peter n'a rien à attendre de moi, nous avons été clairs là-dessus.

Le temps avait étiolé nos sentiments. Ses blagues qui m'avaient fait tant rire avant ne suscitaient plus maintenant la même hilarité, son assurance qui m'avaient tant séduite avait perdue de sa splendeur à mesure que je gravissais moi même les échelons et son charme discret était devenu plus tapageur, moins naturel. Il m'énervait quand il riait trop fort, quand il se vantait d'une opération, quand il... en fait même lorsqu'il dormait, il m'agaçait.

Je crois que l'amour ne dure pas et que c'est pour ça que je repoussais le mariage, une part de moi voulait désespérément avoir une famille, des enfants, être parfaite sur le catalogue de la femme accomplie. Mais les choses sont ce qu'elles sont, je ne suis plus cette Constance là, Aya l'a dit, je suis vieille sauf qu'elle s'est trompée, ce n'est pas mon corps qui est vieux c'est ma tête. Elle est usée et fatiguée.

J'entends un nouveau bip et retourne mon téléphone.

{capitaine Ha'Doc}
Je n'arrives pas à dormir, Marco ecoute de la musique à tue tête ! J'espère que tu dors aussi mal que moi !

Je sais je donne des surnoms nuls à mes contacts, je me demande bien quel est le mien dans son téléphone ?

{L'emmerdeuse}
Jusqu'à ton message je dormais comme un bébé !

{capitaine Ha'Doc}
On peut s'envoyer des textos sensuels si tu veux !

Je rigole

{l'emmerdeuse}
Vas y, commence, qu'est ce que tu portes ?

{capitaine Ha'Doc}
Un pyjama combinaison "les minions"

{l'emmerdeuse}
Noooonnnn ! Photo ?

{capitaine Ha'Doc}
Je t'invite à le voir en vrai demain soir.  On se fera un Scrabble  !

{l'emmerdeuse}
Tu sais parler aux filles :)

{capitaine Ha'Doc}
Tu portes quoi toi ?

{l'emmerdeuse}
Rien  ... dés que j'ai froid, je me colle au chauffage à défaut d'autre chose.

{capitaine Ha'Doc}
Ok, je te réserve un créneau demain pour soigner tes engelures  au  derrière

Je souris et repose le téléphone. Je n'ai pas envie qu'il sache qui je suis, d'où je viens, cette relation d'amitié-flirt me plait telle qu'elle est.

Encore sous le charme, je reprends une dernière fois et me trompe de conversation, le message de Peter s'affiche en intégralité.

{mon Coeur}
Encore une journée loin de toi, sans nouvelles, je me demande si tu vas bien, si seulement tu es heureuse loin de moi. Je suis tellement désolé pour tout ce qui s'est passé. Je ne cesse de penser à cet effroyable gâchis. J'ai beau repenser à tes mots, je n'arrives pas à arrêter d'espérer. Espérer comme un fou que tu reviennes, que tu m'aimes, que tu reprennes le travail, notre quotidien qui faisait notre force.

Je soupire, je suis sûre que quiconque lirait ça serait touché et attendri et me prendrait pour une connasse sans coeur. Mais moi dans ses messages je n'ai vu qu'un mot "Je"

Ce "je" narcissique qui m'a si longtemps étouffé.

Je me lève et enfile un jean et un pull puis prends la voiture.

Je roule lentement avant d'arriver à destination et toque à la porte.

Aimé m'ouvre, il m'a menti, il est en jogging ... Je lui prends la main sans un mot, sur le trajet il essaie de parler mais je pose avec un sourire mes doigts sur sa bouche. Avec douceur, je sens ses dents tenter de me mordre les phalanges et je frissonne.

— Nous sommes arrivés.

Il regarde autour de lui avec un grand sourire.

— Tu sais que je bosses aujourd'hui ?

— Tu as bien le temps pour un petit déjeuner non !

— En haut du Mont Aigoual ? Était-ce nécessaire ?

Il se tait et regarde le soleil se lever, emmitouflé dans sa doudoune. Nous sommes au point culminant des Cevennes, c'est une des plus belles vue que je connaisse.

Au bout de quelques instant il prend ma main et me serre contre lui.

— Merci !

— You're welcome !

De rien

On contourne l'observatoire et avec dépit on constate que le restaurant est fermé.

C'est beau le mont Aigoual mais c'est pris d'assaut par les vents et un café aurait vraiment été le bienvenu.
Un homme se penche à la fenêtre et nous demande ce qu'on cherche. Notre explication le fait grandement rire et on le voit refermer violemment la fenêtre.

— Allez ! Entrez, je vous l'offre votre café.

On se tourne tous deux vers la petite porte qui vient de s'ouvrir, un grand barbu se tiens dans l'encadrement.

Quelques gouttes de pluies nous décident à entrer et nous réchauffer dans le vieil observatoire.

Assis côte à côte dans l'office, je sens sa main saisir la mien et caresser ma paume avec délicatesse.

— Ça va mieux Constance ?

Je le regarde étonnée, comment sait-il ? Je hoche la tête tout en conservant mon regard dans le sien et souris.

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