L'episode Cévenol

Aimé

J'ouvre les yeux et je la vois, emmitouflée dans une couverture devant la fenêtre de la chambre, l'air inquiet.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Aimé ... je crois qu'on a à faire à un épisode Cévenol !

Je me lève précipitamment, nu comme un vers, et me plante avec elle devant la fenêtre. La pluie diluvienne a assombri tout le paysage, on ne distingue plus rien. C'est des milliers de litres qui sont en train de s'abattre sur la région.

Je frissonne, j'ai manqué celui d'il y a deux ans, j'étais en déplacement mais quand je suis rentré, la ville avait longtemps porté les stigmates de la violence de ces pluies torrentielles. J'espère qu'elle se trompe...

Je jette un œil à mon téléphone... plus de réseau, la lumière vacille à cet instant et s'éteint d'un coup. Les câbles ont dû être sectionnés. Elle se tourne vers moi et ouvre sa couverture pour m'inclure dans la chaleur de son corps et de la couette. Je déglutis et réagis aussitôt en la serrant contre moi.

— Tu me laisserais une chance d'être encore plus performant ?

Elle fronce les sourcils, comme si elle n'avait pas remarqué ma piètre prestation ! Heureusement que je me suis un peu rattrapé.

J'ai une vision qui m'assaille, assez nette de nos corps l'un contre l'autre. Au début c'était maladroit et elle a même rit à un moment, ce qui est peu flatteur mais au deuxième round, je peux dire sans me vanter qu'elle a eu l'air d'apprécier. Bon je n'ai pas été parfait non plus mais j'ai tenté d'être attentionné.

J'aimerais bien faire un sondage honnête, du nombre de gars qui s'en sortent bien dès la première fois. En dehors des bouquins j'entends, parce qu'évidemment les filles, à force de lire des histoires où le type assure direct, sont assez déçues quand, dans la vraie vie, le péquin moyen semble intimidé ou maladroit.

— Tu n'as pas trouvé ça bien ? Chuchote t'elle les yeux plissés, inquiète.

Quel con !

— Tu as été fantastique Constance, c'est moi, je peux faire mieux ...

Elle relève les yeux rassurée et me sourit tout en me caressant, de plus en plus entreprenante.

— Aimé ... là, ce qu'il s'est passé entre nous, pour moi ça n'a jamais été aussi bien. Je croyais que j'avais un problème, que je manquais d'imagination mais visiblement non, ça ne venait pas de moi.

Je l'enlace et l'embrasse.

— Ton Peter est un con, si je puis me permettre et je vais te le prouver de nouveau.

Je l'entraîne vers la coursive. Place à l'exotisme !

Et là, je comprends ce qu'elle vient de me dire, pour moi aussi c'est une expérience nouvelle, c'est comme si nous étions en complète symbiose, deux moitiés d'un tout destiné à fusionner.

J'ai envie de lui dire qu'elle est mon meilleur coup et je me retiens, je ne suis pas sûr que ce soit romantique.

Anna et Peter sont relégués aux oubliettes pour quelques heures.

Quand nous nous décidons à quitter la chambre, affamés, je dois d'abord partir à la recherche d'une bougie tellement la lumière est tombée, le vacarme de la pluie nous laisse peu de place au doute. C'est bien un épisode Cévenol. En quelques heures, vont se déverser dans les Cévennes l'équivalent d'une année de précipitations. Les pluies vont entraîner des inondations, les orages vont faire des dégâts importants et quand tout cela aura cessé, nous devrons tous les deux nous porter aux secours des habitants.

Pour le moment, elle est là, contre moi, à grignoter des chips et du coca et je suis heureux. Nos téléphones sont sans réseaux, elle lit tranquillement le texto qu'elle avait reçu en même temps que celui de docteur Connard.

— Mamé me disait qu'on reportait le pique nique.

Elle s'assombrie

— J'espère qu'elle est à l'abris.

— Ne t'inquiète pas. Le personnel est formé pour ça.

Je me lance car quelque chose me travail depuis un moment mais j'appréhende sa réaction.

— Constance ?

— Oui ?

— Nous devrions nous rendre disponibles ... En tant que médecins... pour les sauvetages je veux dire ... Enfin dés qu'on pourra partir.

Je bafouille cette phrase à moitié intelligible alors que j'espérais la convaincre avec un tas d'arguments éclairés et imparables.

— Je sais.

Elle a tourné la tête et je ne perçois pas l'expression de son visage. Je prends sa main gauche.

— Je ... me demandais... Tu peux opérer ?

— Tu veux savoir si j'ai pris un congé sabbatique parce que je ne pouvais plus exercer ou parce que je ne voulais plus ?

— En gros, oui...

Elle secoue la tête avant de se décider à me répondre.

— C'est un peu des deux, ma main est intacte mais je n'ai pas réussi à remettre les pieds dans un hôpital.

— Depuis l'agression ?

Je sens qu'elle voudrait m'envoyer balader mais elle se retient de justesse.
Je pose une main sur son dos.

— Tu n'es pas obligée.

— Ma patiente était défigurée depuis plus de dix ans, elle avait rencontré son mari comme ça, était devenue mère comme ça... bref elle vivait avec ses cicatrices. Elle était très gentille cette femme, mais comme cela arrive souvent, après quelques opérations, elle a changé. En devenant plus jolie, elle a pris conscience de sa valeur et de ce qu'elle avait ou non à accepter. Et visiblement, la violence quotidienne de son mari n'en faisait pas partie.

— Alors il est devenu fou ?

Elle hoche la tête et continue.

— Il a débarqué en salle d'op et s'est jeté sur elle. J'ai essayé de faire barrage avec mon bras et il s'est acharné sur moi avec le scalpel en disant que tout était ma faute.

Elle me montre ses cicatrices.

— Mais il a sorti un pistolet de nul part et lui a tiré dessus. Un de mes infirmiers a été touché et c'est l'anesthésiste qui a réussi à le ceinturer. J'étais déjà sans connaissance, j'ai perdu beaucoup de sang.

Elle est en colère et je sens qu'elle va se défouler sur moi si je ne fais rien, alors je la serre fort dans les bras.

*

Constance

Je ne sais pas s'il a su que j'allais devenir méchante mais il a eu le bon geste, il m'a serré contre lui.
Je respire plus sereinement et lui dit avec une infinie douceur.

— Merci.

— Merci à toi Constance de m'avoir confié ton secret.

— Ce n'est pas ça mon secret Aimé, ce jour-là, il s'est passé autre chose. C'est cette chose qui m'a paralysé et ça je n'arrive pas à en parler.

— Tu n'as pas à le faire.

Il se lève et s'étire, il me fait un peu penser à un chat, qu'est-ce qu'il est bien foutu !
Je me mordille la lèvre et décide que c'est à mon tour d'être curieuse.

— Aimé, cette maison, de la véranda à la baignoire assez grande pour deux personnes ... Tu l'as pensé pour une femme ? Pour Anna ?

Il a l'air étonné une fraction de seconde et s'assied.

— Déjà jalouse ?

— Quoi ? Non je ne me permettrais pas !

Son sourire s'étire à mesure que je me braque.

— Je te taquine. Oui, j'avais dans l'idée en dessinant les plans qu'Anna me suivrait, elle avait paru enthousiaste pendant mes études quand je parlais de ce projet mais quand la fiction est devenue réalité, elle est partie. Anna avait une fille... Eugénie. Je l'adorais, j'avais même prévu sa chambre.

Il me prend la main et me conduit vers une chambre que je n'avais pas encore vu. C'est une chambre d'enfant magnifique et délicate dans ses tons gris et rose pâle.

— Quand Anna et Eugénie ont quitté ma vie, ça m'a brisé.

Je caresse le dos du meuble à jouet.

— Pourquoi est-elle partie ?

Il me dévisage longuement avant de répondre.

— Parce qu'elle était un peu comme toi, elle voyait cet endroit comme un lieu de vacances et non comme un foyer...

Le silence accueille sa repartie à laquelle je ne sais quoi répondre. Le silence... On tourne tout les deux la tête vers l'extérieur.

L'épisode Cévenol prend fin, coupant ce moment gênant.

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