Consultation

Constance

Ce matin j'ai pris ma décision, je vais retaper toute seule cette fichue baraque, parpaing par parpaing avec des tuto YouTube s'il le faut et tant pis si ça me prend toute l'année.

Je sais bien que ce n'est pas l'idée du siècle mais autre choix ai-je ? Je ne peux tout simplement pas laisser tomber ! J'ai toujours fonctionné ainsi, il me faut un but dans la vie pour avancer. Un projet a la fois sinon je déraille mais en aucun cas "ne rien faire"

"C'est le secret de Constance" disait ma mère quand on lui demandait comment son petit génie de fille fonctionnait. "Comment a-t-elle obtenu son bac à seize ans ?" "Comment a t'elle réussi ses études aussi facilement ?" "Trouvé aussi aisément ce poste ?" J'avais décidé quelque chose, j'atteignais inlassablement mon but. Et contrairement à ce que certains disaient il n'y avait là nul génie, juste de la ténacité et en aucun cas je ne pourrais dire que ça avait été facile, simple ou aisé, j'en avais bavé, j'y avais tout sacrifié.

Je ne suis pas non plus une maniaque du contrôle, c'est un peu compliqué à expliquer, si je parviens à mon but, j'admets sans problème que le reste puisse partir à vau-l'eau. Comme mon travail et mon couple pour ne citer qu'un exemple. Parce que mon but, ça peut paraître triste, c'était mon travail.

Alors pour ma santé mentale il faut que ça marche à nouveau, que je me fixe un nouveau but et l'atteigne.

Mais d'abord, je vais aller toucher deux mots à ce docteur Bastien pour lui dire ce que je pense de ses traitements pour Mamé.

Quand j'arrive, je suis seule dans la salle d'attente mais j'entends des voix venir du cabinet. Je regarde ma montre et plonge la tête dans mon bouquin. Je n'aime pas attendre, cela fait des années que je n'ai plus eu à attendre dans la salle d'attente d'un médecin, l'apanage de ma profession. Je réalise soudain ce que ça fait de patienter dans une salle remplie de microbes.

Une femme à la quarantaine bien tassée entre et s'assied en face de moi en toussant assez fort. Je me souviens avoir joué une fois avec Mamé à "qui vient pour quoi" j'étais trop petite à l'époque pour comprendre certaines de ses suppositions. J'ai un sourire nostalgique à ce souvenir et au temps que j'avais passé le soir à chercher dans le dictionnaire la définition du mot hémorroïdes. Je relève la tête et observe la femme en face de moi, elle a l'air fatigué. Quand elle déglutit j'ai l'impression de voir une masse se déplacer à la base de son cou, quasiment imperceptible. Je secoue la tête et passe à autre chose, je me fais des idées.

— C'est pas vrai !

Je me tourne vers cette voix que je commence à connaître. Aimé me détaille des pieds à la tête. Je n'en crois pas mes yeux, c'est lui le médecin ? D'un geste agacé, il me montre l'intérieur du cabinet et j'y entre sans faire la fière.

— Carte vitale me dit-il de but en blanc.

— Je suis venue parler de Mamé... De son traitement.

— C'est une consultation donc il me faut la carte vitale.

Le con.

Je fouille dans mon sac et la lui tend, il prend le temps de lire le nom dessus.

— Constance Adler ?

Je déglutis et j'attends une réaction qui ne vient pas. Cela a des avantages les petites villes finalement.

Il me montre la table d'examen.

— Enlevez le pull et les chaussures, je vais vous examiner.

— Vous êtes sourd ou quoi ? Je ne viens pas pour moi ...

— Vous êtes là, je viens de passer la carte vitale, j'ausculte.

— Espèce d'âne bâté !

Il croise les bras et me domine de toute sa hauteur. Furieuse, je retire mon pull et mon tee-shirt, il veut du spectacle, il va en avoir !

Mais il ne bronche pas et décroise seulement les bras pour s'approcher doucement et poser se mains sur les cicatrices.

Je ferme les yeux, tremblante de rage.

*

Aimé

Mon Dieu ! Rien ne m'avait préparé à ça, que lui est-il arrivé ? Une longue estafilade part de son poignet et remonte vers son sein gauche, sur la poitrine, elle a de nombreuse cicatrices beaucoup plus fines qui s'estompent plus facilement. J'attrape sa main et l'observe minutieusement, quelques micro coupures mais mal placées, elle a dû atrocement souffrir.

Je lève les yeux vers elle, intrigué, inquiet mais ne rencontre que son regard furieux. Il n'y a pas de tristesse dans ses beaux yeux bleus, juste de la colère. Une chose est sûre, Constance Adler n'est pas une victime, c'est une battante. Je m'éloigne et vais chercher quelque chose dans mon tiroir pour le lui tendre. C'est une préparation à base d'herbes que je prépare pour une vieille patiente. Ce n'est pas très protocolaire mais je lui fais confiance bizarrement.

Elle la saisit et la hume.

— Intéressant ... Lavande ... germe de blé ?

J'acquièce.

— Mandarine et ... curcuma ?

Son regard se change et elle a un petit sourire.

— Je comprends mieux pourquoi les autres vous appelle "Doc"

Je lui rend son sourire et penche la tête de côté.

— Vous êtes mignonne quand vous souriez Constance.

Pour ne pas dire carrément sexy. Je lui liste ce qu'il faut qu'elle fasse pour les cicatrices mais elle ne m'écoute pas vraiment, ce qui est un peu déroutant. Elle se rhabille et me tourne le dos, je regarde la courbure de ses hanches avant de me ressaisir. C'est une patiente bon sang !

Elle m'expose enfin le but de sa visite et me soûle avec le traitement de Juliette Salvé. Je suis obligé de la couper pour lui dire que ce n'est pas moi le prescripteur mais le médecin de la clinique.

— J'ai cru comprendre que vous étiez passé la voir ?

— En tant qu'ami !

— Oh ... excusez-moi.

C'est rare de la voir gênée, c'est plutôt grisant.

— Constance !

— Oui ?

— Autant me tutoyer si vous devez continuer de me poursuivre ainsi. Et il faut arrêter de se prendre pour un docteur, internet raconte parfois des âneries. Si le médecin de Juliette lui a mis ce traitement c'est pour une bonne raison.

Elle me lance un regard étrange.

— Aimé vous ... tu parles trop.

Ça m'en bouche un coin, généralement ce n'est pas vraiment ce qu'on me dit. Je la regarde sortir et ne peux m'empêcher de sourire. Elle est vraiment spéciale cette fille.

Quand je me décide à aller chercher ma patiente suivante, je suis surpris de voir que Constance discutait avec elle et s'enfuit à l'instant où je passe la porte.  Ma patiente semble nerveuse.

— Bonjour Madame Sters, qu'est-ce qui vous amène ?

— Docteur Bastien ... J'ai peur d'avoir attrapé l'angine de mon fils.

Je l'ausculte et confirme qu'elle a bien chopée l'angine de Grégoire que j'ai reçu en fin de semaine dernière, alors que je rédige l'ordonnance, elle bafouille.

— Vous pourriez regarder ma thyroïde docteur ?

Je relève le menton et la dévisage, incrédule.

— Si vous voulez, qu'est-ce qui vous fait penser qu'il y a un problème ? Vous êtes fatiguée ces derniers temps ?

J'arrête ce que je faisais et m'approche d'elle, à la palpation je sens une masse anormale qui n'est pas dû à l'angine et je fronce les sourcils.

— Je vous prescris des examens complémentaires Elise. Ce n'est peut-être rien mais je préfère m'en assurer.

Ses épaules s'affaissent.

— Alors elle avait raison ?

— Qui ça ?

— Votre collègue avec qui vous discutiez avant de me reçevoir. 

Ma ... quoi ?

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