Adieu Mistigri
Aimé
On est là, à siroter notre pinard sur ce lac gelé et cela ne choque personne. Même moi, je suis plutôt bien. Ne serais-ce la présence de Peter qui est toujours un peu dérangeante ... Ce type c'est l'OVNI de ma vie, je n'arrive pas à déterminer si sa présence dans l'univers était nécessaire.
Il m'intrigue autant qu'il me dépasse. Là, par exemple, il serre contre lui un vieux sac de course miteux comme si c'était la chose la plus importante au monde. C'est un de ces sacs cabas originaux en plastique rouge, dessus trois poules étranges en pull, en combi et escarpins se pavanent sous une grosse inscription "j'ai la côte" je n'en comprends même pas l'humour.
Juliette semble fatiguer un peu, je lui propose mon bras mais elle me tapote gentiment la tête, comme un chien affectueux avant de s'adresser à Peter.
— Peter, mon petit chéri, je crois que c'est l'heure.
Ce dernier sursaute et me regarde un peu dépité. Qu'est ce qu'il mijote encore ?
— Constance ...
Mon ventre se serre d'appréhension.
Il sort de son sac une urne funéraire et on reste tous comme des cons, notre verre de vin à la main à le contempler avec stupeur. Constance est finalement la seule qui semble la moins stupéfaite, presque suspicieuse.
— C'est qui ?
Ça me semble évident à moi, je ne comprends même pas sa question. Peter, pédagogue, inspire avant de répondre.
— Mon cœur, je ne veux pas que tu m'en veuille... J'ai dis la vérité à Mamé quand je suis venu, j'ai voulu réparer ma faute. Ça a été très dur à accepter pour elle mais elle a voulu lui rendre un hommage aujourd'hui, ici.
Ma chérie est sous le choc, elle est si belle, si triste, emmitouflée dans un vieux plaid de Peter, l'air glacé sortant de sa bouche par saccade. Ma Constance dont les épaules se ploient alors que, hagarde elle plonge son regard dans le sien, la pauvre, je ne peux rien pour elle. Et dire qu'elle voulait y arriver seule et le lui dire.
— Je suis désolée, chuchote t'elle pour Mamé autant que pour elle.
Juliette ne nous regarde plus, des larmes coulent le long de ses joues et sillonnent ses rides la rendant soudain tellement âgée. Je tends la main vers Constance pour l'attirer à moi mais Marco a déjà fait son Marco et la serre à l'étouffer dans sa grande étreinte, je me retiens à grand peine de les décrocher et m'approche de Juliette pour lui proposer une épaule bienveillante.
La petite voix de Constance émerge du géant de muscle et demande.
— Mais Peter ... C'est qui dedans ? Pour nous, Constance précise : Maman a été enterrée.
Ah ... Je comprends mieux sa question maintenant, tous nos regards se tournent vers Peter qui se balance d'un pied sur l'autre.
— C'est Mistigri son chat. Tu sais que je devais m'en occuper... Et bien, je l'ai écrasé en allant chez ta mère lui donner à manger. J'ai rien senti, je l'ai cherché partout jusqu'à ce que je vois sa queue dépasser. C'était horrible, ce vieux machin miteux s'était endormi devant sur la place de parking et j'ai cru que c'était un vieux sac poubelle. Ça m'a foutu le moral à zero et comme je connais un mec qui tient un funérarium, je lui ai amené et il me l'a fait gratis.
... Je sens sous mon bras l'épaule de Juliette tressauter dans un rire irrépressible alors que tous les autres son bouche-bées, trop choqués pour parler. Peter, que les silences gênent particulièrement, a l'air d'un gosse qui refuse d'apprendre de ses erreurs.
— Quoi ! Il était stupide ce chat ! En plus je me trimbale avec ses cendres depuis trois mois ! Il est là quand je mange, quand je dors, quand je me lave, quand je vais aux toil...
— ... On voit l'idée Peter, je le coupe dans son élan, et donc tu t'es dis qu'on allait lancer ses cendres, un peu comme un au-revoir à la fille de Juliette.
— Voilà mon pote, tu as tout compris.
Il prend l'urne et la dévisse, le couvercle doit être dur à enlever car il force dessus et tire très fort, tellement fort qu'il s'emmêle les pinceaux et nous déverse le contenu de l'urne dessus. Nous en somme entièrement recouverts, tous les six. J'ai même un goût infect de cendre dans la bouche qui me donne envie de vomir.
Le rire de Mamé résonne dans l'immensité gelée et nous nous regardons tous, avant de l'imiter. La tête dépitée de Peter vaut son pesant de cacahuète, dans une dernière tentative de sauver son honneur, il époussete Constance en direction du Lac et dit.
— Au revoir Mistigri, tu étais un bon chat.
Il relève les yeux vers elle et ébauche un sourire misérable.
*
Constance
Je ne pas trop pourquoi je pleure, de rire ou de douleur, si je pleure la dernière idiotie de Peter ou la confrontation avec Mamé. Je suis venue de l'autre bout de la France retaper sa maison et je ne suis même pas foutue de lui dire que sa fille est morte depuis des mois. Ma mère était tout mon monde mais elle devait bien être une grande partie de celle de Mamé ! Et je lui ai volé ça, avec le concours de Peter, certes.
J'accorde à Peter que Mistigri était con comme ses pieds, il avait pris en grippe mon fiancé et régulièrement pissait dans les affaires de ce dernier. Peter, s'estimant bon prince, n'avait jamais mis à exécution son projet de pisser dans son panier en représailles. Je le soupçonne tout à coup d'avoir très bien vu Mistigri avant de l'écraser mais je me retiens de dire quoique ce soit.
Il faut que je sache quelque chose.
— Mamé ?
— Oui ma chérie.
— Pourquoi tu étais fâchée avec maman ?
Elle hausse les épaules, triste.
— Une histoire ridicule, je ne sais même plus les tenants les aboutissants, c'est ça le plus douloureux, un dispute de plus car je trouvais qu'elle me parlait mal. On s'est toujours déchirées, dès adolescente elle était en rébellion avec moi. Toujours la princesse de son père. Il arrivait dans la pièce et moi je n'existais plus, juste bonne à assurer son bien-être et sa sécurité. J'ai eu beau l'aimer infiniment, je lui en ai un peu voulu, je suis devenue plus dure et elle plus rebelle.
Elle reprend péniblement son souffle.
— Et maintenant je n'aurais plus l'occasion de lui dire combien je l'aimais, que tout le reste c'était des broutilles. La vie est parfois belle mais si souvent laide. On perd son temps à se battre les uns contre les autres et on oublie que tout ce qui reste à la fin c'est l'amour. J'aurais voulu qu'elle me pardonne.
Peter s'approche d'elle et dépose un baiser sur sa joue avant de se tourner vers moi.
— Et moi j'aurais voulu te faire toujours rire et chasser toutes tes peurs...
— Tu me fais rire Peter, même quand c'est l'heure de se réunir pour dire au revoir. Mais tu oublies qu'on ne peut pas toujours rire.
Il a tout à coup ce sourire si triste qui me déprime. Peter triste c'est une aberration. C'est comme un soleil qui ne brillerait plus. Et si souvent j'avais profité de sa clarté ! Pour être honnête, cette forteresse qu'il représentait entre les émotions négatives et le monde m'avait tant protégée que j'en étais venue à préférer fermer les yeux contre ses incartades pour bénéficier un peu plus longtemps de sa présence.
Et j'avais ainsi cessé de me respecter et même de le respecter parce que, depuis bien longtemps, je l'avais traité en ami sympa plutôt qu'en amoureux. Et il avait eu beau chercher à attirer les regards, mon attirance à moi était partie depuis des années au profit du besoin de sécurité affective qu'il comblait. Et nous nous étions tout simplement oubliés.
Je réalise maintenant que mon plus grand reproche à son égard, d'avoir décidé pour moi, à ma place... n'est finalement que la suite logique des choses. Il avait pris l'espace que je lui laissais. Je décidais pour ma carrière, il faisait ce qu'il voulait pour le reste, jusqu'à se substituer à moi.
Je prends aussi conscience que je l'aime profondément pour ce qu'il est, mais pas de manière amoureuse. Je lui concède cette part importante qu'il a dans mon cœur, quatorze années passées côte à côte.
Et on reste longtemps ainsi tous serrés dans la neige devant l'immensité blanche.
Pendant ce temps, Peter remballe en silence le pique nique avant de s'exclamer en frottant son pull encore pleins de cendre.
— J'ai l'impression que Mistigri fera toujours un peu parti de nous maintenant.
Je ferme les yeux et me pince les lèvres pour ne pas rire.
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