7. One shot
C'est en danse de la joie qu'on se prépare à sortir avec Sarah. Je gigotte tellement que ma meilleure amie rate mon contour de sourcil.
— Super, je vais devoir recommencer, râle ma blonde préférée.
— M'en fous ! Viens, on reste là, devant un film, et on fête ça avec une bonne bouteille ?
— Hors de question. Mes amis de la fac nous attendent. Et on va fêter ça avec bien plus chargé que du vin pêche ! Prépare-toi à la gueule de bois, c'est moi le Sam ce soir.
Je crie de joie en repensant à mon déménagement imminent. L'appel d'il y a dix minutes change tout. Le soulagement que je ressens est indescriptible.
J'ai ENFIN un lieu où m'établir.
Après un mois de séparation, dont plus d'une semaine de squat chez Clément ! Et je ne peux que me remercier : c'est grâce à mon contact social facile que j'ai décroché ce bail. Je croyais ne jamais y arriver, avoir de trop petites ressources pour espérer plus qu'un studio de dix-sept mètres carrés en plein centre-ville, autrement dit la mort pour Wave et moi, ou devoir me résoudre à une colocation, ou rester chez Clément jusqu'à l'obtention d'une place en HLM. Mais un heureux coup du destin m'a précipitée à cette visite chez un particulier, avec Wave, et nous lui avons plu. Je ne sais pas si je le dois à ma chevelure rousse, mon visage enfantin, le contexte de ma recherche ou à mon chien trop souvent discriminé...
Finalement, qu'importe qu'il ait eu pitié, un instinct de bon samaritain ou qu'il ait eu l'impression de remplir un devoir citoyen, j'ai une adresse. Ma nouvelle vie démarre pour de vrai, c'est concret, et c'est donc euphorique que nous débarquons au bar, une heure et demie plus tard.
Sarah a hâte de me présenter ses anciens collègues de promo. Il paraît que la fac, ça soude. Elle n'aura fait qu'une tentative avant de changer de voie mais eux sont restés. Je n'en ai rencontré qu'une petite partie à l'un ou l'autre de ses fêtes d'anniversaires. Et effectivement, dès qu'on rejoint la table, ce sont deux têtes inconnues pour moi qui nous accueillent. Dont une... plus que charmante.
La vache, comment Sarah a pu me cacher un si beau mec de son entourage ?
Le bellâtre en question se lève et s'approche, me laissant le luxe d'admirer à quel point son visage est doux et bien fait. Il a des épaules larges, à peine couvertes d'un t-shirt que je rêverais déjà d'enlever, un menton comme je les aime : carré et rasé de près, un sourire ravageur qui s'étire à ma vue.
Piquée.
Je me rends soudain compte d'à quel point j'étais loyale et fidèle avec Maxime : jamais je n'ai regardé quelconque homme avec l'attitude que j'ai désormais, celle de l'opportuniste, celle du « et si ? ». Mon envie de plaire est décuplée. Alors que j'ai trois messages non lus d'Arthur et que j'ai continué à parler à d'autres mecs sur les applications...
Mais je suis célibataire, n'est-ce pas le moment de m'autoriser à papillonner ? Ce n'est pas si grave, ce n'est pas irrespectueux, j'ai été claire avec Arthur pendant nos derniers échanges, je ne suis actuellement pas dans l'optique d'un couple, et il l'accepte.
Et comment pourrais-je songer à de l'exclusivité face à...
— Salut ! Paul, se présente-t-il. Le pote de beuverie de Sarah.
— Cléo, enchantée. Sa meilleure amie.
Nous échangeons une bise électrique puis je salue la fille en face de lui.
— Jess, sa copine du coup, dit cette dernière en le désignant.
Douche froide. Mais bien sûr que c'était trop beau pour être vrai : un mec aussi canon ne pouvait décemment pas être célibataire !
Assez rapidement pour m'éviter de me noyer dans le sentiment de culpabilité qui m'étreint, le reste du groupe arrive. Nous refaisons tous connaissance, obligés de changer de table tant nous sommes nombreux, et je suis ravie d'avoir d'autres interlocuteurs que Paul, dont le charisme magnétique me titille. Le pire, c'est que lui et sa copine sont assis en face de moi désormais. Je ne tiens que distraitement les conversations, mon attention mise à mal par le sentiment qu'il m'observe, et je me sens défaillir quand Sarah mentionne le Blue, la boîte de nuit où elle veut nous emmener dans trois jours... car qui sera de la partie, sans sa copine ? Copine qui s'absente pour aller aux toilettes et permet à Paul de formuler ce qui semble être le mantra du sous-groupe de fêtards :
— Ce qui se passe au Blue reste au Blue.
Ce disant, il ne me quitte pas des yeux et je frémis aux sous-entendus que mon cerveau s'est empressé de créer de toutes pièces. Pourquoi tant de mystères liés à ce lieu ? Le Blue est une boîte techno, connue pour favoriser les rapprochements et la désinhibition. Un programme comme il m'en faut, mais soudain, j'hésite à me joindre à la fête. Ai-je envie de me plonger dans leurs secrets ? D'en avoir, ou d'en devenir un... ?
— Cléo a hâte de découvrir, décrète pourtant Sarah. Elle a beaucoup à rattraper, si vous voyez ce que je veux dire !
Que les dieux aient pitié de mon âme.
***
La fin de semaine au travail a été agréable. Rire avec les collègues, être bercée par l'innocence des enfants, ça m'a permis d'arrêter de penser à ma rupture, même si j'étais très souvent distraite par Arthur, toujours aussi charmant... mais également, je l'admets, par Paul.
C'est un sentiment nouveau, que je dois en partie à une forme d'auto-sabotage : j'ai tourné et retourné le problème dans ma tête et je pense l'avoir identifié. Arthur coche toutes les cases mais le revoir m'effraie, car il transpire le sérieux. M'engager avec lui, ce serait signer pour un couple tel que j'en ai toujours rêvé... Mais le timing est précoce, je suis tétanisée à l'idée de me donner entièrement, de réinvestir du temps, de l'énergie, de la confiance.
Plus que tout, j'ai peur parce que je ne suis pas habituée à ce schéma : qu'il s'agisse de mes parents ou de Maxime, je n'ai eu que des exemples de personnes avec peu voire pas d'intelligence émotionnelle.
Alors, Arthur... c'est mon inconnue, cette variable dont je n'ai aucune donnée, ce facteur dont je ne connais ni les risques ni les conséquences.
J'ai beau savoir que ce que j'ai connu est mauvais, toxique pour moi, que je mérite mieux... et j'ai beau avoir ce mieux pile en face des yeux... ça me bloque.
Tandis que fantasmer sur un homme en couple, ça c'est ok pour mon cerveau de torturée !
Parce qu'inaccessible, inatteignable, et répressible. Parfait pour continuer l'auto-flagellation, renforcer mes croyances limitantes, et donc brosser mon ego blessé dans le sens du poil. La cerise sur le gâteau ? Avoir un crush de ce type, c'est à l'opposé de la relation sérieuse qui m'angoisse désormais au plus haut point. Ne désirer que ce qu'on ne peut pas avoir pour s'auto-confirmer qu'on est voué à l'échec, et ainsi se conforter dans l'inaction et la complainte...
La vie est dure pour deux raisons : soit parce que vous quittez votre zone de confort, soit parce que vous y restez. Mais un seul de ces choix permet d'évoluer.
Check.
Je vois venir le schéma psychologique de merde que je m'apprête à répéter et je sens que j'y plonge déjà, comme si je me dédoublais, que ma conscience et mon cerveau se dissociaient... Ce n'en est que plus frustrant.
La fin de mon trajet stoppe net mon introspection. Je me gare et trottine jusqu'à l'immeuble où vit Sarah. C'est sa colocataire qui m'ouvre et je rejoins sans tarder ma blonde préférée, en pleine préparation dans la salle de bain. Je la retrouve fer en main. Elle suspend son brushing pour m'enlacer. Puis, je sors mon attirail et la mise en beauté commence, sur des airs de shatta.
— J'ai super hâte ! s'écrie-t-elle en se vaporisant de la laque sur sa chevelure bouclée.
— Rappelle-moi qui vient ?
— Dan, sa copine, Paul, Leo et nous deux !
Je reste coite en disciplinant mes sourcils. Sarah fait de même, m'observant à travers mon reflet dans le miroir, et relance :
— J'en conclus que Clément ne sera pas de la partie...
— Je lui ai bien proposé de nous accompagner, mais il a préféré rester avec Wave. Ça m'arrange, je ne stresserai pas du fait qu'elle soit seule.
— Tu sais qu'il va te faire la tête ?
— Parce que je n'aurais pas insisté ? Les boîtes c'est pas son truc.
— Il ne va pas être ravi si tu péchos...
— De un, comment le saurait-il ? Et de deux, ce n'est pas prévu au programme !
— Ma biche. C'est le moment de faire des rencontres en vue de baptiser chaque pièce de ton cinquante mètres carrés !
Plus que deux jours avant la signature du bail et la remise des clefs... J'en trépigne d'impatience. Mais Sarah me fait oublier mon aménagement autant que la jalousie potentielle de Clément : en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, nous voilà dans la file d'attente du Blue. Les garçons arrivent, ainsi qu'une charmante brune au bras de Dan. D'emblée, le groupe s'extasie et je constate, désormais que Paul sort sans être accompagné, à quel point il est dans un jeu de séduction, verbal et tactile, avec Sarah. Leur amitié à tous est singulière, basée sur de la drague assumée autant que platonique, et c'est un jeu auquel naturellement je suis mêlée.
Je me décoince, souffle un peu. Paul aime plaire et en joue, mais c'est bon enfant. Je n'ai rien à craindre et c'est bien mieux ainsi. Me voilà soudain plus avenante, moins sur la retenue, avec celui qui s'est proclamé « guide » pour la soirée.
— Je te montrerai tout ce que tu as besoin de voir, avait-il susurré.
On le sent habitué des lieux, tant par les gens qui le saluent de toutes parts que par son aisance aussitôt qu'on rentre dans la boîte.
L'atmosphère n'a rien à voir avec ce que j'ai pu connaître auparavant. Il fait sombre, l'habillement est plus osé et les gens bien plus libérés. Les basses font vibrer mon corps entier alors que nous n'en sommes qu'au « hall d'entrée », en quelque sorte. Les différents espaces me sont présentés brièvement, notamment les fameuses toilettes du Blue, dont les utilités principales ne sont a priori pas celles auxquelles on pense.
— Vous êtes prêts ? lance Paul en enfilant ses lunettes noires, typique du style ambiant.
L'excitation pulse dans mon sang dès l'ouverture de la première double porte, quand j'aperçois les effets lumineux. Les doigts de Paul cherchent les miens et je le laisse me tenir la main jusqu'à la place qu'il nous réserve, aka le « point de ralliement ». Le Blue est enivrant : nos bras et nos têtes battent la mesure, synchrones. La techno a beau ne pas être mon genre de prédilection car super répétitif, je profite déjà pleinement de cette parenthèse festive. Trop, peut-être, pour remarquer que Dan et Léo sont partis, chercher à boire sans doute, et juste à temps pour comprendre que Sarah et l'autre fille vont aux toilettes... et que je me retrouve seule avec Paul. Une part de moi est curieuse de ce qu'il pourrait se passer sans témoin, et l'autre me crie de suivre les filles.
Comme je m'y attendais, lui saute sur l'occasion :
— Elles auraient pu nous inviter.
Je dois sourire, car il poursuit :
— Après, rien ne nous empêche d'y aller.
J'inspire profondément, me sentant flancher, et le mets en garde :
— Me chauffe pas...
Il entoure ma nuque de sa paume et me rapproche de lui.
Mon point faible. Fait chier.
— Dis ça à tout le monde, mais pas à moi, lâche-t-il d'une traite, comme à bout de souffle.
Un délicieux frisson me parcourt le corps.
— Qu'est-ce que je risque ? répliqué-je.
Il n'a pas le temps de me répondre car les garçons reviennent, verres à ras-bord. On échange quelques mots, j'en profite pour m'écarter et essayer de retrouver mes esprits.
À quoi est-ce que je joue, là ? Paul est maqué. Et Arthur me plaît, alors qu'est-ce qu'on fait là, à flirter ? Certes, ce ne sont que des taquineries qui ne dépasseront pas le stade de la parole, mais ça ne me ressemble pas. J'avais dit : jamais les hommes en couple !
Je livre un sourire de façade à Sarah, qui ne se sera pas absentée longtemps et, tâchant d'oublier le trouble qui m'habite, je saute, balance mes poings en l'air, au rythme effréné des basses. Les yeux clos, comme pour nier la réalité, je m'immerge dans ma bulle, loin de mes pensées sulfureuses. Manquant d'air, je m'arrête brusquement de danser pour fendre la foule à contre-sens et sortir de la salle.
Où sont ces foutus WC ?!
J'y trouve refuge, un brin de calme malgré l'affluence. L'eau du robinet est une bénédiction pour mes joues en feu, que je tapote. Je me jauge dans la vitre encrassée au-dessus de l'évier, mime un « non » avant de me résoudre à affronter la tentation. Trois pas plus tard, je tombe nez-à-nez avec Paul, qui scrute les alentours.
Bon sang, il s'est mis torse nu.
Quand son regard coule sur moi, ses lèvres se rehaussent avec charme et je sens ma détermination à lui résister s'effriter.
— C'est toi que je cherchais !
— Je suis là ! ris-je. Tu t'es inquiété ?
— Bien sûr.
Je pouffe, amorce le retour vers la salle. Je pousse la deuxième porte qui nous en sépare quand me sens tirée en arrière. Paul me plaque contre le mur, calquant son corps au mien. Ses lèvres viennent capturer les miennes, ses doigts n'ayant pas libéré mon poignet. Je me surprends à lui rendre son baiser.
Comme si je l'avais attendu toute la soirée.
Ces quelques secondes d'égarement, passionnelles, intenses, me laissent pantoise lorsqu'elles prennent fin.
Qu'est-ce qu'on vient de faire ? J'étais sûre qu'il ne tenterait rien... Que c'était de la parlotte !
Et pourtant, il n'a pas l'air de le regretter. Bien au contraire... Il arbore un rictus satisfait...
— On retourne dans le son ? propose-t-il.
Ai-je un autre choix ?
Je le suis, le cerveau en ébullition, et l'index sur ma bouche. Il avance avec quelques regards en arrière et nous revoilà au milieu de tout le groupe.
Dois-je agir comme s'il ne s'était rien passé ? Est-ce que ce baiser signifie quelque chose, au juste ?
Je fais mine de rien, arbore une attitude décontractée, légère, pourtant je me sens comme glacée à l'intérieur. Paul m'a embrassée. Et la culpabilité me ronge autant que le désir me consume.
Pourquoi faut-il que de tous mes dates, ce soit le seul à bien embrasser ?
Je revis la scène, je déglutis, danse, et ne peux m'empêcher de capter ses œillades gourmandes. La chaleur qui grimpe en moi devient si insoutenable que je saute presque sur le poppers que propose Dan. J'en renifle à pleines narines... et m'abandonne ainsi à toutes mes attractions interdites.
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