5. Dehors !
De : Avions de chasse
On est là.
Je descends, fébrile, et ne cache pas mon émoi en découvrant l'équipe de choc qui m'attend près du camion. Tous m'adressent un regard ou une moue qui en disent long sur ce qu'ils pensent et je me contente de les prendre dans mes bras.
— Allez, on va torcher ça vite fait, bien fait, déclare Killian.
Clément acquiesce, tape dans ses mains comme pour signifier le top départ et enfile ses gants.
Ça y est, c'est réel.
Je déménage en express, retour à la précarité.
Ce qu'il avait juré ne jamais me faire.
Ce dont je le pensais incapable.
Pénéloppe craque ses doigts, Marie s'attache les cheveux, Killian allume la sono et Sarah effectue deux burpees pour s'échauffer.
— Tu sais s'il va passer ? s'enquiert Clément.
— Peut-être...
— Qu'il passe, gronde Sarah, prête à en découdre.
Est-ce mal si au fond, j'ai bien envie qu'ils lui refassent le portrait ? Arriveront-ils seulement, à coups de poing, à gommer de son visage son air supérieur et méprisant ? Ou va-t-il falloir une pelle ?
— Il rentre à quelle heure ce soir, tu disais ? s'enquiert Marie.
— Vingt-trois heures.
— Mais venez on reste là, propose Sarah. On les accueille. On leur souhaite la bienvenue.
Sarah ne cesse de me répéter que je suis sur le bail, qu'il ne peut pas me foutre dehors comme ça, que c'est illégal... Mais il ne le fait que de manière insidieuse : il sait parfaitement que je ne supporterais pas d'être dans la même pièce que la gamine qui s'amusera sans doute à l'embrasser à tout va, devant moi, pour me faire remarquer qu'elle a pris ma place.
— Je ne veux pas les voir, ni l'un, ni l'autre, et encore moins ensemble, répliqué-je.
Sarah m'enlace. Elle est énervée et n'a que des projets de passage à tabac en tête, mais c'est un cœur de guimauve qui ne pense qu'à mon bien.
— Alors déguerpissons vite de là, tranche-t-elle.
Les mélodies pop accompagnent nos premiers pas jusqu'à mon pallier. Je laisse Wave saluer ses tontons et tatas puis la sécurise dans la salle de bain. Déjà, je vois mes cartons se soulever et disparaître dans la cage d'escaliers. Je manage Pénéloppe, Marie et Killian qui font les aller-retours jusqu'à la camionnette, où Clément assure l'optimisation de l'espace, tandis que Sarah vérifie que je n'oublie rien.
— C'est à toi ? demande cette dernière en désignant un luminaire.
— Non, c'est sa sœur qui lui a offert...
— Dommage. Et les coussins ?
— Non plus.
— Hum. Je vais trouver quelque chose !
Et la voilà qui part en marmonnant. Tout en me disant qu'il faudrait probablement que je la garde à l'œil, je prête main forte à Pénélope pour descendre le matelas.
— Il fera moins le malin en dormant sur les lattes, ricane ma binôme.
— « Je rentre ce soir et il est hors de question que je dorme sur le canapé », gnin gnin gnin, singe Sarah depuis le couloir. Cheh !
J'avoue que j'ai presque jubilé en rappelant à Maxime et son culot légendaire que le matelas est le mien.
On le hisse dans le véhicule en riant sous cape.
— L'imprimante, c'est à toi ? hurle Sarah depuis la fenêtre.
— Oh oui punaise ! m'exclamé-je. J'allais l'oublier !
— Tu vois que je fais bien de demander !
J'éclate de rire et Pénélope le pointe du doigt :
— C'est ça qu'on veut. Ça fait plaisir de te voir heureuse.
— La colère aide ! rationnalisé-je. Puis je n'ai rien à regretter...
— Clairement pas ! commente Killian en passant. C'est lui qui reviendra, la queue entre les jambes ! Il se mordra les doigts de t'avoir perdue, aussitôt qu'il te verra kiffer ta vie. Il s'en voudra d'avoir été si méchant, tu sais que je parle d'expérience !
— Et nous, on sera là, on l'attendra ! assure Marie, qui se débat avec un tendeur pour accrocher le vélo.
On remonte quatre à quatre les marches et on poursuit. En moins d'une heure, on a tout chargé. Il n'y a rien eu de bien lourd – encore moins pour moi, puisqu'ils ont fait en sorte que j'en fasse le moins, mais on est tous en sueur. Aussi, savoure-t-on la pause bien méritée ! Verres d'eau en mains, assis au sol avec Wave dans les pattes, dans cet appartement soudain bien impersonnel, on débriefe :
— La table, elle était pas à toi ? insiste Clément.
— Pas vraiment.
— Parce qu'on peut encore la couper. Ou tu veux embarquer les rallonges ?
On rit tous, bien que je décline la proposition.
— Et les verres, tu veux qu'on en fasse quoi après ? interroge Killian.
— Je lui en laisse.
— Tu es beaucoup trop gentille, persiffle Sarah.
— Ça m'encombrerait, mens-je pour faire passer la pilule.
— Et le lustre ? relance Marie.
— Non. Enfin on l'a payé avec le compte commun, mais il peut le garder.
— Les ampoules, alors !
— Non ! riposté-je, hilare.
— Mais Cléo ! s'indigne Sarah. Je te jure, je suis frustrée qu'on ne lui fasse pas au moins une crasse ! Les gars, qu'est-ce qu'on pourrait faire ?
— Ne faites rien, je veux juste partir ! Il va déjà être bien assez emmerdé, tout l'utilitaire quasiment m'appartenait...
— Bah c'est très bien ! assène Pénéloppe.
— Alleeez ! supplie ma meilleure amie. Un p'tit truc ! Dont il se rendra compte dans deux semaines.
— Non, Sarah...
— Écoute-la, Sarah ! intervient Clément, aka la voix de la sagesse. Vu comment il est con, mieux vaut ne pas lui donner des raisons de l'être plus. Ça se retournerait contre elle.
— Et je ne suis pas comme ça, ajouté-je.
— T'es pas drôle, déplore Sarah.
Elle nous livre son regard de chien battu mais personne n'est attendri par le loup déguisé en agneau.
Je sonde une dernière fois la pièce à vivre, une pointe de nostalgie en moi, et conclus :
— Bon, trêve de blagues... Merci, les gars. Vous êtes extraordinaires. On a géré, un temps record !
— C'est normal, répondent-ils en chœur.
Je décroche la clef de la boîte aux lettres pour la poser sur ce carnet de malheur, où sa nouvelle conquête s'était permis de m'écrire de dégager.
Sérieux, j'avais demandé une seule chose : qu'elle foute pas un pied ici. Il pouvait la voir autant qu'il voulait même si ça me broyait le cœur, mais ici... Bordel, j'aurais dû inviter tous les gars dont il s'était méfié et baiser sauvagement sur chaque centimètre carré de ce que je croyais être notre foyer.
Killian tire du scotch de déménagement et affiche un rictus espiègle.
— Si on entoure la clef...
Tout le groupe part en fourire.
— Ou on la cache ! surenchérit Pénélope. Et on leur écrit : « Bienvenue chez vous ! Pour bien démarrer la soirée, nous vous proposons un petit jeu.».
C'est le cœur allégé que je les pousse vers la sortie, telle une maîtresse de CP. Et je conserve ce rôle pour sermonner l'élément perturbateur de la classe, restée près du compteur électrique :
— Sarah. Rallume le courant.
— Rho, t'es vraiment pas drôle.
— Écoute, je prends déjà sur moi pour pas passer l'aspirateur...
— Et encore heureux ! rugissent mes amis en chœur.
Je les revois emporter le balai et la serpillière en premier, afin de s'assurer que je ne serai pas plus gentille que nécessaire, et ne parviens pas à m'arrêter de glousser. Ce n'est qu'une maigre punition, mais oui, Maxime va retrouver l'appartement aux trois-quarts vide et au sol tapissé de poussière.
Jamais je n'aurais cru être si heureuse et soulagée de partir d'ici. Même Wave n'a pas l'air si perturbée, elle se contente de me suivre, attendant les consignes.
C'est bon signe : Maxime ne m'a pas détruite, il m'a juste mise à terre un temps. Et il a usé et abusé de cette attitude supérieure, en pensant que je ne saurais pas rebondir... Il a sans doute sous-estimé mes capacités, ainsi que tout le matériel qui m'appartenait.
Maxime,j'ai pris toute la vaisselle, les ustensiles de cuisine, les draps etcouvertures, la décoration, les produits de nettoyage et l'essentiel pour la toilette. Le reste, je te le laisse.
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