4. Second date
— Mais je te préviens, je sors du travail, le mythe va s'effondrer ! lancé-je joyeusement au téléphone à Arthur, qui m'appelle pour savoir si notre second rendez-vous tient toujours.
— Si c'est insoutenable je fermerai les yeux, et je me concentrerai sur ta voix.
Je ris, lui aussi, et on raccroche quand je monte en voiture. Je me mords les lèvres, en apercevant mon sourire ravi dans le rétroviseur intérieur. Et je ne peux pas m'empêcher de me sentir reconnaissante.
Une semaine seulement s'est écoulée depuis notre premier rendez-vous mais je dois admettre qu'il m'a manqué. Le souvenir de notre complicité si naturelle m'a remonté le moral à bien des moments, lorsque j'étais seule parmi mes cartons, ou que les insomnies me tiraillaient encore.
Les plaies de mon cœur se pansaient chaque fois un peu plus, quand son « j'aimerais beaucoup te revoir » prenait le pas sur les « dégage » de Maxime, quand son « tu es surprenante » guérissait les « tu es prévisible », quand son « je ne pensais pas rencontrer une fille comme toi » apaisait la triste réalité d'avoir été quittée pour plus une chair plus fraîche.
Pourtant, la douleur est bien présente en mon sein et petit à petit, des pensées parasites s'immiscent, m'intiment de garder mes distances, me rendent méfiante et mauvaise. En réalité, je suis terrifiée à l'idée que ma rupture me change pour toujours : que mon cœur, si débordant, ne s'offre plus qu'à vingt pour cent, que ma tendresse ne s'exprime plus autant, que je devienne blessante, possessive, dénigrante. Je sais comment réagissent les gens à une peine amoureuse : ils se blindent, font souffrir pour s'éviter de subir. Ils se développent aux antipodes de l'amour sain qu'ils souhaitent et avaient pu apporter dans le passé. On ne devient que plus aigri, ce qui se comprend, et ça ne nous pousse qu'à multiplier les histoires pires encore, dans une avalanche de sentiments brisés, d'espoirs désabusés. Maxime m'a comme privée de seconde chance, car jamais plus je n'aurai l'innocence dont lui a eu la primeur. Il a gardé les belles premières fois, si précieuses à mon âme, pour m'affubler des pires derniers instants. Quel égoïsme, de me prendre ce que j'aurais mieux fait de donner à un autre, et de s'en montrer si peu reconnaissant. Je me sens volée, amputée du bon en moi.
Une larme coule sur ma joue, décuplant la colère que j'éprouve. Je le hais de me mettre dans de pareils états, alors que je devrais me réjouir, ne penser qu'à Arthur. Je le hais encore plus car je sais qu'il s'en fiche, de ce qu'il me fait vivre. Et c'est ce qui me rappelle qu'il ne m'a pas aimée réellement. Parce que quand on aime, on se soucie toujours de ce qu'on fait vivre à l'autre.
Me quitter, il en avait le droit. Les gens qui me quittent, c'est monnaie courante, je gère. Ce qui blesse, c'est de m'avoir fait me sentir si spéciale il y a un mois, pour obtenir de moi ce dont il avait envie, puis me faire me sentir si indésirable aujourd'hui. En fait, je lui en veux d'entamer une nouvelle relation, comme si nous n'avions rien vécu, comme si je ne lui avais pas dédié mon intimité, ma vie, mes priorités, mes principes, mon avenir. Comme si tout ça, de si significatif et symbolique pour moi, ne valait pas la peine d'un « je suis tellement désolé, Cléo ».
Parce qu'il ne l'est pas.
Plus je me rapproche du parc de la Citadelle, où Arthur et moi nous sommes donné rendez-vous, plus j'en suis convaincue : jamais plus je ne saurai aimer comme avant. Tout sera toujours entaché du souvenir perforant de la trahison et de l'abandon.
La boule nichée dans l'estomac, qui me rappelle que je me nourris exclusivement d'angoisse depuis des jours, me garde vissée à mon siège. Seule l'arrivée d'Arthur, agitant son bras et souriant jusqu'aux oreilles, me convainc de couper le contact à défaut de faire demi-tour.
Je descends, le rejoins sur le trottoir et lui fais la bise. Avec lui vient un vent de légèreté ; tout s'enchaîne avec un naturel qui me soulage un peu : j'ouvre le coffre, aide Wave à descendre et procède aux présentations. Arthur, qui n'a jamais eu de chiens, m'étonne par ses bons réflexes. Immédiatement, ma chienne l'apprécie et lui fait la fête. Je n'hésite même pas quand il tend la main pour saisir la laisse. Moi qui suis d'habitude si méfiante et protectrice en ce qui concerne Wave, me voilà qui la lui confie sans hésitation. Elle m'adresse un regard et je lui rends un clin d'œil. Comme convenu tacitement, elle joue les fayottes, marche bien au pied et ne se laisse pas distraire par les passants.
Le parc de la Citadelle est un espace verdoyant en plein cœur de la ville, à deux pas du quartier universitaire. Il comprend, comme son nom l'indique, des vestiges d'une forteresse, et est traversé par un court d'eau sur lequel flâne une famille de cygne qui y a élu domicile. Petite, je me rappelle que nous venions ici au moment des naissances, observer le nid, et leur jeter du pain. Grande erreur, mais mes parents n'ont que rarement brillé par leur respect du vivant.
C'est un souvenir que je partage à Arthur spontanément. Les cygnes, pas la parentalité discutable de mes géniteurs.
Lui a beau habiter à côté, il me confie découvrir le sentier pour la première fois. Au fil de nos pas, j'en apprends encore sur lui : la grande différence d'âge de ses parents, l'image de couple avec laquelle il a grandi, sa relation fusionnelle avec sa sœur, ses envies de voyage, les nouvelles anecdotes marrantes que lui vaut son travail de programmeur... Je ne lui trouve pas de défauts et pourtant, il n'est pas dans une démarche de séduction hypocrite. Tout comme moi, il n'entretenait pas d'espoir quant aux applications de rencontre et n'a pas d'attentes particulières. Il se dit heureux seul, mais cultive, avec l'âge, l'envie de partager des aventures à deux. On se livre sur nos rêves les plus fous, fantasme à leur réalisation, plus loufoque à chaque fois que l'autre surenchérit. Et d'une certaine manière, j'adorerais qu'on essaie, pour de vrai.
Puis, irrémédiablement, la nuit tombe et la fraîcheur s'installe, nous rappelant l'heure avancée. Je n'ai pas envie que ça s'arrête mais nous amorçons le retour. Alors qu'il sait pertinemment où est garée ma voiture, il me guide et m'amène à faire un détour. On débouche sur une petite aire de jeu où il lance spontanément un défi :
— Va dans la boule ! Je vais te faire tourner.
Mon enfant intérieur crie de joie et m'ordonne de m'exécuter. Je ferme les yeux, me laisse bercer par la vitesse. Mes pensées, elles aussi, tournoient. Arthur a tout de l'homme parfait. Il est beau, me fait rire, et a ce côté si lumineux et joueur dont je rêvais.
Mais c'est trop tôt...
Non... ?
Ou sans doute trop beau pour être vrai.
Jamais les choses ne pourraient être aussi simples.
Alors, même quand je me relève, tangue et qu'il me rattrape dans ses bras où il fait bon vivre, je reste raisonnable et lui souhaite une bonne nuit, sans poser de nouvelle date pour se revoir.
***
Lorsque j'ouvre la porte et que Wave part en courant, joyeusement, dans l'appartement, un mauvais pressentiment me prend à la gorge. Rien ne paraît avoir changé, mais mon sang n'a fait qu'un tour. Je m'approche de la salle à manger, où j'ai l'habitude de déposer mon sac et ma veste à cheval sur une chaise, puis déglutis.
L'instinct ne trompe pas, ma pauvre Cléo.
Un mot à ma place.
Comme si nous n'avions plus nos numéros respectifs.
Mais ce n'est pas son écriture... C'est celle de Julie.
« Salut, j'ai vu que tu n'as pas payé le loyer. Ça veut dire que tu as trouvé quelque chose ? J Je rentre demain soir avec Julie. Bonne journée. »
Je m'assois, sidérée.
Donc... C'est ça que je mérite, après sept ans ensemble ? Être jetée dehors pour qu'elle s'installe ? Alors qu'il me disait il y a cinq jours ne pas vouloir de sérieux, avoir besoin d'être célibataire ? Alors qu'il me promettait être là si j'avais besoin d'aide ?
La colère se mêle à ma panique et, des larmes douloureuses obscurcissant ma vue autant que mon jugement, je dégaine mon téléphone, textote à tous ceux qui seraient susceptibles de pouvoir m'héberger. La liste se réduit vite entre Sarah, qui doit demander l'aval de sa colocataire aigrie qui a un chat – Wave déteste les chats-, Killian qui aimerait dépanner mais est allergique aux chiens et Marie et Pen', qui ont un studio à peine assez grand pour elles deux... Ne reste que Clément, qui tente de m'appeler, un peu dérouté. Mais je suis incapable de tenir une conversation orale en ce moment. Je pleure, je retiens mes cris, je serre mes poings à m'en briser les phalanges.
Comment Maxime ose-t-il ?!
Je suis en rage. Pour la première fois depuis des lustres. Mon corps entier, en feu, en tremble et mon rythme cardiaque est insoutenable.
Je lui avais demandé une chose, une seule putain de chose ! Qu'elle ne foute pas un pied dans cet appartement tant que j'y vivais.
Même ça, il n'a pas pu le respecter. Attendre plus d'un mois que je me reloge en pleine ville, c'était trop lui demander. J'hallucine ! Il m'a trompée, n'affiche aucun regret, et a le culot de me demander de partir de cet appartement que j'ai trouvé, pour lequel j'ai fait les démarches ?! Reniant tout son beau discours sur « Je veux que tu saches que je t'aiderai toujours. Financièrement, ou pour déménager. Prends le temps de te retourner. »...
Moi, jamais je ne me serais permis ça.
Quand, le soir où j'ai découvert les messages, je l'ai confronté, et qu'il a fini par me proposer d'aller habiter chez ses parents, à dix minutes, j'ai dit non. J'estimais qu'il était chez lui à même titre que moi, qu'il n'avait pas à se compliquer le quotidien.
Quelle cruche. J'aurais dû le foutre à la porte et lui cracher dessus depuis la fenêtre d'où il aurait vu ses affaires tomber.
Après un bain qui avait pour mission de me détendre et deux anti-dépresseurs, j'arrive enfin à aller à la pêche aux infos.
À : Maxime
Salut. À quelle heure vous rentrez demain ?
De : Maxime
23h.
Tu as trouvé quelque chose ?
À : Maxime
Ne fais pas comme si ça t'intéressait, tu veux ?
De : Maxime
Oh si si, ça m'intéresse. Je veux l'appartement pour moi. Alors je te redemande : quand est-ce que tu t'en vas ? Parce qu'il est hors de question que je dorme sur le canapé.
Mes ongles percent ma peau, en une piqûre de rappel. Je suis bien vivante, et c'est bien réel.
Commentj'ai pu aimer une ordure pareille ?
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