12. Introspectons !

Je sors en nage de mon troisième cours de pole dance, autant trempée que satisfaite. Dehors, il fait beau, et je savoure la caresse du soleil encore généreux de septembre, à l'instar de bien d'autres urbains. Je déambule tranquillement le long du quai entre les groupes d'adolescents, les couples et les touristes tant en réalisant que cette vie que je mène commence à me plaire. Même cette ville, que je trouvais grise et désagréable, commence à m'être chère. Moi qui détestais la foule, qui me sentais jugée en permanence, je découvre que je ne suis qu'un poisson dans l'eau. Et un poisson qu'on complimente, parfois, mais je ne crache pas sur les compliments en ce moment, même s'ils viennent du sans-abri du coin de la rue.

Tout en marchant, je sors mon téléphone de ma poche de short : je vois deux messages non lus de la part d'Arthur mais je choisis en priorité de visionner mes exploits. Enfin, disons, mes tentatives. M'inscrire à cette école du centre, c'était la meilleure idée du siècle : en plus de me faire la balade du samedi après-midi, de me réconcilier avec la ville et ses habitants, cette activité redonne la confiance en moi que je pensais anéantie par Maxime. Car même si j'ai pour le moment l'air d'un kébab tournant sur sa broche, j'apprends à tolérer mon corps, à moitié nu devant des inconnus, et je me rends compte que je ne me trouve ni nulle ou ni franchement moche !

Je rogne les vidéos et en poste le contenu sur mes réseaux sociaux, fière de mes progrès notables en peu de temps. Puis, je réponds à Arthur, qui me remercie pour la soirée d'hier, que nous avons passé ensemble devant un film de notre enfance. J'y repense un instant, dans une humeur teintée de nostalgie ; Arthur et moi partageons un amour inconditionnel pour la musique et les dessins animés... Il nous a d'ores-et-déjà concocté une liste « d'incontournables » qu'il veut que je visionne avec lui. Mais, étonnamment, il n'y fait pas mention. Au contraire, ses messages sont neutres, je le sens peiné. Quand je le questionne à ce sujet, il répond qu'il souhaite en discuter de vive voix. Automatiquement, les bienfaits apaisants de ma séance de sport s'évaporent. Voilà un peu plus d'un mois qu'on se fréquente, plusieurs fois par semaine, et j'espérais naïvement qu'on reste plus longtemps à ce stade de pseudo flirt, sans prise de tête ni compte à rendre.

Ni une ni deux, j'envoie un point GPS à Sarah afin qu'elle me retrouve pour promener Wave. J'éprouve un cruel besoin de débrief. Vingt minutes de voiture plus tard et ma chienne récupérée sur le trajet, je retrouve ma meilleure amie à l'entrée d'un parcours de santé boisé.

Le premier quart d'heure, elle me relate la catastrophe de son deuxième rendez-vous. Elle prend cette perte de temps au pied levé et n'est clairement pas aussi découragée que moi après les miens.

— Mais passons, et toi alors ? Tu as vu Arthur hier, non ? Comment c'était ?

— Bien, comme toujours... Mais c'est embêtant parce que je pense à...

— Paul ?

Soufflée par sa perspicacité, seule une lourde respiration de ma part lui répond. Je sens mes joues rougir et les pensées défilent à toute allure dans mon encéphale déjà saturé de questionnements. Ces derniers jours, j'ai profondément regretté mon écart avec Paul. D'une part parce qu'il est en couple, parce que je me sens d'autant plus coupable de ne pas ressentir tant de remords, et d'autre part parce qu'il s'agit d'un ami de Sarah...

— Détends-toi, Cléo. Je suis contente que ce soit avec lui que tu sois remontée en selle. C'est un gars bien, si on met de côté le fait qu'il est infidèle, mais ça, ça le regarde. C'était bien ?

— Tu... Il te l'a dit ?

— Il n'en a pas eu besoin... Je le connais et je te connais. La manière dont il te regardait, déjà le jeudi... C'était sûr. J'ai rarement vu autant d'envie dans les yeux d'un gars, d'ailleurs.

Mon visage s'empourpre encore, d'une gêne mêlée à un plaisir délictueux.

— J'aurais dû t'en parler, je...

— Ce n'est pas ce qu'on est en train de faire ? s'enquiert ma blonde préférée avec humour. Tu as le droit d'avoir tes secrets.

— J'avais peur que tu m'en veuilles..., confié-je.

Elle éclate d'un rire franc.

— Cléo, il n'y a rien au monde qui pourrait faire que je t'en veuille. Je tiens bien trop à nous.

Je respire à plein poumons, soulagée, et l'enlace.

— J'ai tellement de chance de t'avoir !

— Moi aussi, ma biche. Par contre, me met-elle en garde, ne t'attache pas à Paul, d'accord ?

— Promis.

Et pourtant, il hante mes pensées, s'invite dans mes rêves, vit dans chaque palpitation de mon bas-ventre...

Nous nous remettons à nous promener.

— Donc Arthur, c'est mort ? demande ma confidente.

— Il veut qu'on parle et j'hésite à fuir. Changer d'identité et me barrer au Panama.

Elle lève ses yeux brun foncé au ciel avec un rictus amusé.

— Et plus raisonnablement, quand vas-tu lui parler ? Il t'a prouvé à de multiples reprises que tu pouvais tout lui dire, il mérite de savoir où tu en es le concernant !

— On croirait entendre Pen'...

— L'âge de raison ! fanfaronne Sarah. Alors ? Quand ? À moins que tu ne réfléchisses à te débiner ?

Je déglutis, me concentre sur la balle violette de Wave, que j'ai pris soin d'emmener avec moi, et la lui lance.

— Cléo ! Bon sang ! Pourquoi est-ce que tu continues à le voir, si tu t'en fous ?

— Je m'en fous pas, c'est juste que je commence à me dire que ça n'ira pas plus loin, mais... il fait tout comme il faut !

— Mirage, soupire-t-elle. Tu ne vas pas rester dans une situation qui ne te convient pas juste pour ne pas le blesser.

— C'est injuste pour lui, j'étais à fond, et là je...

— Tu as le droit de te rendre compte que ça ne va pas. Tu ne lui dois rien.

— J'aime pas jouer avec les gens.

— Ce n'est pas ce que tu fais. Par contre, sois claire désormais avec lui, sinon, effectivement, ce n'est pas cool.

J'acquiesce et nous terminons le tour en parlant respectivement travail et colocation. Les quelques kilomètres qui nous restaient m'ont convaincue et quand je reprends le volant, c'est pour me rendre à l'appartement d'Arthur. Je l'appelle et bien que surpris, il descend rapidement me rejoindre. Les fesses en appui sur mon capot, c'est là que nous restons après nous être salués, et qu'il ait fait une caresse à Wave.

— Ça me fait plaisir que tu sois venue... Je te manquais déjà ? plaisante-t-il.

Mon cœur se serre. Pourquoi faut-il qu'il rende ça compliqué ? Je me sens odieuse.

— Je... te sentais soucieux par messages et tu voulais discuter, non ?

— Oui... Cela dit, j'ai plus l'impression que tu es venue pour parler, toi, analyse-t-il avec un sourire bienveillant.

Diable, il est malin. Je ne l'apprécie pas pour rien... Pourquoi faut-il que je ne le désire pas, que je ne me projette pas avec lui ?

— C'est vrai. En fait... J'ai beaucoup réfléchi et je me rends compte que je ne suis pas prête à aller plus loin pour le moment.

— Oui, tu l'as déjà dit, et c'est ok. Tu te prends la tête à ce sujet ? Il ne faut pas, je ne te mets pas la pression tu sais, on apprend juste à se connaître.

— Mais tu t'attaches et tu mérites quelqu'un de disponible dès maintenant. Car toi, tu es prêt. Et je crois que le timing ne joue pas en notre faveur. Ce n'est pas notre heure, sans doute...

Mais quand c'est la bonne personne, il n'y a pas de mauvais timing... si ?

— Cléo, ce n'est rien que j'ignore... Je suis un grand garçon. Évidemment que tu me plais, évidemment que tu as su trouver une importance pour moi, dans mon quotidien, dans mes projets, mais je sais me protéger et ne pas prendre les choses personnellement. Ta rupture est encore trop fraîche... Je peux ?

J'accepte de me lover dans ses bras. Il est beau, il sent bon, il est gentil, il me plaît... mais pas assez pour me donner envie de me remettre en couple, alors peut-être que ce n'est pas le bon.

— Tu devrais m'en vouloir, chuchoté-je contre son torse saillant.

— Ah bon ? s'étonne-t-il en pouffant.

— C'est ce qu'un mec normal ferait...

— C'est ce que les hommes que tu as pu fréquenter feraient, rectifie-t-il. Et tu n'es pas tombé sur les meilleurs. C'est frustrant, d'ailleurs, car peut-être que si tu n'avais pas eu tant de mauvaises expériences, on n'en serait pas là. Cela dit, ça fait de toi qui tu es.

— Je suis désolée. Il fallait qu'on en parle, excuse-moi d'avoir tant tardé. Ça devait te peser...

Il dodeline de la tête puis chacun reprend sa place, un peu moins éloignés qu'avant.

— En fait, ce n'était pas à ce sujet que je voulais te voir, tu sais... Tu avais été claire dès le début sur ta position et je n'attendais pas plus de « nous » pour le moment.

— Oh... Quoi alors ?

L'idée qu'il ait pu rencontrer une autre fille me donne soudainement l'envie de me pendre. À être aussi indécise, je risque de laisser passer ma chance. Une petite voix me dit que je ne me le pardonnerais pas, parce que c'est un homme en or.

— Le destin est un peu ironique, mais il confirme mes propos... On m'a proposé un poste à Québec... que je vais accepter.

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