1. Boîte de nuit

— Hum... Non.

D'un geste nonchalant de la main, Sarah me fait signe de changer de tenue. Pourtant fière que celle je porte, je m'indigne :

— Mais pourquoi ?!

— Pas assez décolleté ! décrète ma meilleure amie.

— Purée, panpan ! Tu veux que j'y aille à poil ou quoi ?! Puis j'ai rien à montrer !

— Ma biche. Tu as des atouts. On va les mettre en valeur !

— Je ne veux pas m'envoyer tous les mecs de la boîte...

— Non, mais au moins un, ça te ferait du bien !

J'en frémis.

Est-ce lamentable de ne pas m'en sentir capable, encore ?

J'aurais dû sauter sur le premier venu, pour lui montrer que moi aussi je peux rebondir vite et le remplacer... mais je n'y arrive pas. Sarah dit que je suis trop loyale pour ça, et pourtant, à part la haine, je n'ai plus de sentiments pour mon ex. Moi, je crois que c'est contre ma nature. J'aime prendre mon temps, toute l'intimité que je peux donner n'est accordée qu'avec une confiance bien sélective.

— Allez, zou. Tu me changes ça fissa.

Bras ballants, marmonnant, je retourne à mon dressing, où j'enfile la dixième proposition vestimentaire pour ce soir. Je crois qu'on n'y sera effectivement pas avant 23 heures, à l'Anchor. Le souci ? On doit tout de même retrouver les autres membres de notre groupe dans un bar à vingt-et-une heures. Et, je vous le donne dans le mille, il est vingt heures trente !

Je m'active, troque ma jupe crayon et son haut fleuri pour une robe fluide vert émeraude, aux épaules dénudées et à la coupe valorisante. Dans le miroir je me trouverais presque jolie ! Un exploit, car depuis ma rupture avec Maxime, l'homme avec qui je vivais et que j'aimais éperdument depuis sept ans, j'ai perdu dix kilos. Et ce sont évidemment les meilleurs qui sont partis ! Adieu mes belles fesses rebondies, adieu mon bonnet C.

Là, malgré ça, je pourrais presque me ressentir désirable !

— Bon, tu te grouilles ? s'impatiente Sarah.

— J'arrive ! dis-je en clopinant vers elle.

Elle lâche son téléphone – aka l'extension de sa main– et étudie ma silhouette. Telle la créatrice qu'elle a toujours rêvée d'être, elle m'ordonne de me tourner. Je m'exécute, sourire aux lèvres. Il est bon de voir que même dans les moments les plus sombres, il y a toujours de la place pour le bonheur.

— Coton ? vérifie Sarah depuis le canapé.

— Oui !

— Parfait. Parce que tu vas transpirer.

— Ça ne se verra pas sur le tissu, je fais du vélo avec cette robe parfois, et aucune tache.

Enfin, Sarah lève son pouce. C'est validé !

Je me retiens de sauter de joie, tant c'était inespéré. Ni une ni deux, elle me fait passer à la commode pour la mise en beauté.

Ma meilleure amie est déjà prête, comme d'habitude. Depuis l'enfance, c'est la fille la plus coquette de mon entourage, si ce n'est de la ville. Avec son dégradé blond impeccable, aux mèches bouclées et laquées, ses yeux sombres, son nez rond et ses lèvres toujours bombées – à peine deux injections, ne lui jetons pas la pierre... C'est un bout de femme charmant. Et... renversant. Les traits secs et carrés de son visage lui confèrent un air autoritaire et froid qu'elle n'a que lorsqu'on m'embête. Un air qu'elle a beaucoup, ces derniers jours...

— Lève les yeux et hausse les sourcils, biche, me demande-t-elle.

Elle m'applique savamment un enchaînement de produits qui me sont bien peu communs. Jusqu'à présent, j'étais « nature ». Je ressens désormais le besoin d'évoluer, de bousculer mon style et mes habitudes. C'est sur ce constat, et les conseils barrés d'une influenceuse-psychologue, qu'on a établi, avec Sarah et les autres, une liste de dix choses à faire, jamais tentées auparavant, pour me remettre de cette ignoble rupture.

La une ? On s'y prépare : aller en boîte. Si, si, c'est la première fois de toute ma vie ! Et ni Sarah ni les autres ne cachent leur excitation à ce sujet.

Rapidement, on est prêtes et on se dirige, en retard, vers le bar où on est tous censés se retrouver. Sans surprise, Killian est déjà là. Il se lève et nous toise de son mètre quatre-vingt.

Sarah le salue à sa manière, tout en charme et ambigüité : d'une caresse sur la joue et en enroulant son index dans ses cheveux d'ébène. Je la soupçonne d'en apprécier la douceur autant que de rêver aux tresses qu'elle pourrait lui faire.

— Bien le bonsoir, Rafale, susurre-t-il.

— Hey, beau gosse, roucoule-t-elle en réponse. J't'ai déjà dit que tu es le plus beau anglo-coréen du monde ?

— Et toi la plus belle femme cis hétéronormée du quartier ?

Bien qu'amusée par ce pseudo jeu de séduction qui les lie depuis quatre ans maintenant, je me racle la gorge :

— Mes salutations à toi aussi, Killian.

— Mirage ! J'ai bien cru que tu allais te débiner ! me charrie-t-il.

— Jamais ! m'écrié-je en riant. J'ai bien trop hâte de découvrir ça.

Il m'enlace et je me sens déglutir. Chaque jour, je remercie les cieux d'avoir mis sur ma route, parfois de la manière la plus improbable qui soit, des amis aussi exceptionnels.

Je connais pour ma part Killian depuis un an seulement. Il était en couple avec une amie de Sarah et ce n'est qu'à leur rupture que lui et moi nous sommes rapprochés. Aujourd'hui plus que jamais, nous sommes soudés. Pour avoir traversé ma situation, il est celui qui me comprend le mieux... En comparaison d'ailleurs, je n'ai pas à me plaindre : lui l'avait demandée en mariage !

Clément me tire de mes pensées en nous rejoignant :

— Salut les copains !

Je lui saute au cou, bien trop ravie de le voir après plusieurs semaines où il était en vacances. Je suis surprise de le découvrir parfumé, mais ça ne fait que m'encourager à rester dans ses bras un instant.

— Comment tu vas, ma belle ? s'enquiert-il.

— Mieux maintenant que tu es là, soufflé-je.

Il me sert fort contre lui et je glousse quand sa barbe me chatouille la joue et me convainc de le lâcher.

Clément, c'est mon ancien voisin. Celui qui a illuminé mes deux années de vie dans un patelin coupé de tout, quand Maxime et moi ne vivions pas encore ensemble. Il est le plus âgé du groupe, avec sept ans de différence avec moi, et c'est littéralement mon clone. En plus grand, plus écolo, et un brin plus rebelle aussi.

Et puisqu'on lit sur le groupe que Pénélope et Marie nous rejoindront directement à la boîte, on est pour le moment au complet. On s'attable et la discussion s'axe immédiatement sur mon retour en selle :

— Alors, Fruitz, ça donne quoi ?

Un rire nerveux m'échappe.

Peut-être qu'installer une application de rencontre un jour après ma rupture, c'était prématuré, mais ça a le mérite de me redonner ma confiance en moi... et de me montrer que plusieurs options s'offrent à moi, et que je me trompais en disant « jamais je ne retrouverai quelqu'un, qui pourrait vouloir de moi ? ».

Toute excitée que Killian nous lance sur le sujet, Sarah applaudit telle une enfant devant un clown. Sans attendre, elle commence à résumer à ma place. Le date agréable, le foireux, celui qu'elle a écourté à ma demande avec une performance digne d'Hollywood...

Je rectifie, trouvant un certain plaisir à la surprendre :

— Ah mais attends, il y a du nouveau !

Ses petits yeux marron s'écarquillent tandis que Killian continue de hocher la tête avec une moue pincée, comme admiratif du résultat de mon profil en si peu de temps. Clément quant à lui semble sceptique ; ses sourcils froncés en disent long sur son inquiétude à me voir plonger à cœur et corps perdu dans le célibat.

Entre la prise de commande et l'arrivée de nos boissons, je leur explique la teneur des échanges qui ont suivi les rencontres, et celles qui se profilent. Au final, il y a pas mal à raconter, mon Pornstar n'est pas de trop pour m'hydrater !

— La vache, Mirage ! s'esclaffe Killian. Bon, trop d'infos. Je veux tout savoir, reprenons... Avec photos, s'il te plaît.

Je m'exécute, fais défiler les visages.

— Lui, c'est le gentil sûrement puceau ? demande Killian.

— Mignon mais next, intervient Clément. T'as besoin de quelqu'un d'assuré.

— Et lui, celui qui veut grave du sérieux avec toi ? resitue Killian.

— Je te le dis cash, c'est un camé, assure Clément.

— Lui, c'est qui de nouveau ?

— Celui qui force pour la voir, la stalke sur les réseaux et est super possessif ! répond Sarah.

— Fuis ! s'écrie Clément. S'il est comme ça alors que vous ne vous êtes même pas encore rencontrés, t'imagines en couple ? Fuis.

— Lui il est pas mal ! C'est qui ?

— Oui, c'est vrai ça, c'est qui, Cléo ? s'étonne Sarah.

— Un match d'aujourd'hui. Il s'appelle Arthur, il est sympa, sans prise de tête.

— Il en a une bonne, admet Clément à contrecœur.

Je le taquine d'un petit coup d'épaule, sachant très bien qu'il chipotera sur toutes mes options, jugeant à chaque fois qu'elles ne sont pas assez bien pour moi.

Je l'observe, me perd dans ses yeux aux couleurs et forme d'amande. C'est un bel homme, avec ses épais cheveux noirs et sa barbe à la « mousquetaire ».

Il y a un monde où je regrette de l'avoir repoussé il y a trois ans... Un monde où nous aurions pu être ensemble, et où j'aurais assurément été mieux traitée qu'avec Maxime. A minima respectée dans mes émotions et épargnée d'infidélité.

— Aucun parti sérieux à part Arthur alors ?

— C'est déjà pas mal ! répliqué-je. Mais assez parlé de moi ! Et vous, alors ? Ça rit moins là, hein !

Sarah mime une balle reçue en plein cœur et Killian sifflote, yeux au plafond. Quand à Clément, il se crispe et n'en dira pas plus sur son couple. En partie parce que sa copine ne m'a jamais appréciée, et aussi parce que c'est une barrière entre nous qu'on n'aime pas se rappeler.

Oui, sans elle, peut-être qu'on l'aurait passé rien qu'à deux, cette soirée...

— J'ai compris, abandonné-je. Balancez plutôt les potins.

Les trois se mettent à piailler en même temps, bien plus gaiement. Et les heures s'écoulent ainsi, à boire et papoter, médire sur nos ennemis et faire les mégères du quartier, jusqu'à ce que Pénélope nous appelle.

Tout s'enchaîne bien vite pour mon petit esprit étourdi par les cocktails, nous voilà devant les videurs, et presque aussitôt au cœur de la fête. Main dans la main avec Sarah, je découvre l'intérieur d'une boîte, d'un œil aussi innocent qu'émerveillé. La musique est clichée, l'ambiance assez plate, mais la lumière et l'agencement de la salle sont assez nouvelles pour me séduire. Même si le reste du groupe râle déjà.

Pénélope trottine jusqu'à nous et continue à marcher à mes côtés, bras dessus bras dessous, tout en me cuisinant sur ce qu'elle a loupé. Mais Sarah la coupe :

— Redis-moi pourquoi Marie ne vient pas ?

— C'est pas sa cam', tu sais bien ! rappelle Pénélope. Mais elle tenait à faire chauffeur, pour qu'on puisse tous boire.

Marie, c'est ça. Cette gentillesse et cette dévotion aux autres, même – et souvent – quand ce n'est pas foncièrement nécessaire. Pénélope a mis du temps à l'intégrer au groupe, elle avait peur des retombées si elles se séparaient... Elle avait tort de craindre, et l'absence de Marie ce soir est un vrai regret pour nous tous. Quant à leur couple, solide depuis quatre ans, est l'un des rares à me donner encore de l'espoir en l'amour.

Mais trêve de nostalgie. Je n'ai qu'à chercher le bonheur que je mérite ! Et il ne sera que plus beau !

Après la commande d'une bouteille à cent-vingt euros...

Oui, il paraît que c'est nécessaire pour avoir une table.

..., et des verres que mes amis me préparent avec soin, corsés comme il faut, je me fais entraîner sur la piste de danse, que les gens commencent à peupler. Mes espérances prennent un coup quand je remarque qu'autour de nous il y a majoritairement de très jeunes garçons... ou des hommes en couple... ou qui ne m'attirent absolument pas physiquement. Qu'importe, je me tortille, chante à tue-tête et profite de mes amis.

Les heures s'écoulent, l'alcool lui coule, et je me désinhibe complètement. Ce lâcher prise est... divin. Je me surprends à rire à gorge déployée, à sauter sans penser au regard d'autrui, à adresser des clins d'œil voire des compliments au peu de fêtards qui me laissent moins indifférente. Et quand enfin je découvre le clou de la surprise, je hurle de joie.

Deux objectifs de ma liste en un : aller en boîte de nuit et aller à une soirée mousse !

J'attrape Sarah par la main et nous courons en direction du distributeur. Une immense colonne de savon s'écroule depuis le plafond sur la foule, jusqu'à l'ensevelir. Le DJ choisit le moment pour switcher du rap aux airs latino et déjà, nos hanches se balancent en rythme. Aventureuse, je glisse entre les groupes, trouve une petite place pour deux et me trémousse, la peau déjà caressée par les bulles blanches.

Killian arrive, un coup dans le nez, le portable en main, et devant la caméra je ne me bride pas. Je sais qu'il postera les photos, les vidéos. Et une part de moi espère que Maxime le verra.

Qu'il verra que je peux, et serai heureuse sans lui.

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