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Dire que ce moment était gênant serait certainement mentir.
En effet, étant membre d'une troupe de théâtre depuis presque deux ans, j'étais largement capable de parler devant des inconnus aux regards impressionables.

La seule chose qui me bloquait était le fait que chacune de ces cinq personnes venait dans la même école que moi. Je me sentais donc vulnérable, effrayée que cette conversation mène à des fuites de leur part. Je ne voulais pas que tout le monde soit au courant de ce secret que je cache depuis un petit bout de temps.

J'ai premièrement pris ma respiration alors que les cinq personnes que je ne connaissais presque que de vue me regardaient de manière insistante, surtout Carl.

    -Je vais vous dire mon secret parce que je suis obligée et parce que vous l'avez fait mais je veux vraiment être sûre qu'aucun de vous ne le répètera, ai-je commencé. Cela me détruirait réellement de savoir tout le monde au courant.

Ils ont bêtement confirmé d'un hochement de tête.
Je n'étais pas vraiment inquiète car nous étions sur un pied d'égalité, malgré le fait que j'étais persuadée de détenir un secret bien pire que le leur.

    -Promis, juré, craché, a spontanément lancé Sulivan.

J'ai souri, bêtement souri. Je connaissais ce garçon depuis la deuxième secondaire. Nous étions dans la même classe de langue à ce moment-là et nous nous étions tout de suite très bien entendus. Nous ne sommes pas devenus amis pour autant mais nous avions chacun une très bonne image de l'autre, en tout cas, c'était le cas pour ma part.
J'aimais sa sensibilité, sa franchise et son tact impressionnant. Jamais je ne l'ai vu manquer de respect, même pas dans la pire des situations.

En soi, ce n'était pas lui qui m'inquiétait le plus. Je savais qu'il ne se permettrait pas de crier sur tous les toits ce que je comptais lui révéler. C'était plutôt les quatre autres qui me refroidissaient clairement.

   -Non, ne te fais aucun souci, aucun de nous n'ira répéter quoi que ce soit, a répliqué le petit Émile.

Eglantine a été la première à affirmer les paroles de notre jeune camarade. Je n'attendais plus que de voir la réponse des plus redoutables: Tabitha et Carl. Ils n'avaient pas vraiment l'air méchants, ce n'était pas ce que je voulais dire mais disons que c'est les deux qui me bloquaient secrètement le plus.
L'un était populaire et vraiment beau et l'autre était étrange et en même temps capable d'influencer n'importe qui avec son air satanique. Et surtout, ils avaient tous les deux une grande gueule et pourraient lancer des rumeurs aussi facilement que de se faire une omelette.

    -Tu peux te lancer, Roxane, a gentiment dit Carl.

Je ne pense pas que c'était vraiment quelqu'un de mauvais ou qu'il avait un mauvais fond. Je pense plutôt que c'était un garçon très juste, très sensible avec un coeur énorme. Le genre qu'il aimait se donner à l'école était une simple carapace de protection face aux autres. Il était certainement vulnérable mais essayait de se protéger tant bien que mal à sa manière.
Donc, lorsqu'il m'a encouragée à continuer, un sourire est bêtement apparu aux creux de mes lèvres et j'ai repris une bouffée de confiance.

    -Ne me prenez pas pour une fille bizarre ou facile, ai-je commencé.

Émile m'a rassurée d'un simple hochement de tête auquel j'ai répondu par un sourire.

   -Durant les vacances, je suis partie en Slovénie avec des amis, ai-je commencé, hésitante. Tout se passait très bien, jusqu'àla fin de la première semaine.

J'ai remarqué que Tabitha regardait Carl d'une façon concentrée et intense. Je me demandais pour quelle raison elle faisait cela.
Lui, par contre, me regardait moi et avait l'air curieux de connaître la suite.
Malgré sa popularité insupportable, il était comme nous, avide de curiosité. Et peut-être pas une mauvaise curiosité.

    -Dans le courant de la première semaine, lorsque je suis allée à un endroit où l'on peut laver son linge... J'ai perdu le mot, me suis-je arrêtée quelques instants, tracassée de retrouver ce mot.

    -C'est pas grave, Roxane, continue.

Ces paroles venaient d'Eglantine qui semblait impatiente de connaître mon histoire jusqu'aux détails les moins utiles.
Tabitha a relevé la tête de Carl après que la fine blonde ait parlé et s'est de nouveau concentrée sur moi.

    -Bref, je suis allée là-bas avec tout le linge que je devais laver et j'avais pris un livre pour attendre sans m'embêter...

    -Personne n'était venu avec toi?, m'a coupée Sulivan.

J'ai souri. Sulivan a toujours aimé poser des questions aussi stupides que celle qu'il venait de prononcer. Évidemment qu'il n'en avait rien à faire de savoir si quelqu'un était venu avec moi.
Ou alors, il a toujours porté beaucoup d'importance à des détails pareils que je n'aurais jamais considérés comme étant importants.

   -Non, il n'était que neuf heures du matin et on avait fait la fête la veille. Je m'étais désignée pour éviter de nettoyer la maison avec eux, ai-je souri.

Émile a rigolé et m'a dit que j'étais quelqu'un de très malin qui avait l'air de parfaitement connaître tous les subterfuges pour s'en sortir dans les situations les plus désagréables.
Je n'ai pas répondu mais étais plutôt d'accord avec ce qu'il avait expliqué. Bien que des fois, je me fasse avoir, il avait entièrement raison.

    -Ne fais pas durer le suspens trop longtemps, je ne suis pas certain d'avoir la capacité d'attendre encore des siècles, a ironisé Carl.

Ce grand blond m'impressionnait et me tapait sauvagement sur le système.
Je le trouvais intéressant pour un populaire, pour un de ces êtres sans valeur, mais infernal avec ses réflexions incessantes et non fondées.
Après cette expérience nouvelle et inventée par ce professeur déjanté, je me promettais d'aller discuter avec ce jeune homme au physique avantageux et au mental complexe. J'étais prête à en savoir un peu plus sur lui.

Mais là n'était pas la question donc j'ai courageusement décidé de continuer mon discours, pour éviter d'ennuyer Monsieur. Ça serait fort dommage au sinon.

    -Là-bas, j'ai rencontré un garçon, ai-je recommencé à parler. C'était le style de mec que l'on croise dans les films. Il était grand, blond et était magnifiquement mal coiffé.

Ces trois derniers mots ont fait rire la petite Eglantine. Je trouvais son rire mignon et appréciait le fait qu'elle ne trouve pas mes paroles trop barbantes.

    -Il se nommait Sven et dès notre première rencontre, il m'a parlé, comme si nous nous connaissions depuis plusieurs années déjà. C'était quelqu'un de très à l'aise et de plus, il parlait très bien le français, ai-je narré avec passion.

Cette histoire m'écoeurait et me rendait euphorique à la fois. C'était étrange à décrire mais je n'aurais su le faire d'une autre façon que de celle-ci.

    -Il venait d'où?, m'a curieusement questionnée Tabitha.

   -De Finlande, je pense. En fait, nous n'avons pas vraiment pris la peine de discuter à propos de nos origines ou de la raison pour laquelle nous nous trouvions en Slovénie.

C'était vrai.
J'ai remarqué les yeux d'Eglantine s'exorbiter. Elle devait être un peu plus sur les règles et trouvait certainement évident de poser ce genre de questions à une personne que l'on rencontre pour la première fois et dans un pays étranger, qui plus est.
Je n'avais pas les mêmes principes qu'elle et me suis bien gardée de ne faire aucune réflexion.

    -Durant toute la semaine qui a suivi notre rencontre, nous nous sommes arrangés pour nous donner rendez-vous chaque jour. Il m'a fait découvrir la région qu'il connaissait si bien grâce à sa famille maternelle qui y vivait.

   -Cette histoire serait parfaite pour devenir le scénario d'un film américain et cliché, a commenté Carl.

Je lui ai gentiment envoyé une grimace déformant mon visage pour qu'il comprenne que sa remarque était stupide et inutile. Certes, je ne l'avais pas mal pris, ça m'avait même rendue secrètement hilare. J'étais juste fatiguée de ses coupures incessantes et sans raison d'être.

    -Très rapidement, il m'a embrassée et sommes passés à la vitesse supérieure, si vous voyez ce que je veux dire, ai-je sous-entendu cette chose évidente. Ce n'était pas ma première fois ni la sienne donc les choses se sont faites plus facilement, plus aisément. Sans aucune gêne, l'acte s'est répété plusieurs fois, ai-je précisé, un peu mal à l'aise.

Sulivan était très concentré et buvait mes paroles. Peut-être était-ce celui qui me mettait le plus mal à l'aise des cinq, en fin de compte. Le fait de le connaître et d'avoir des amitiés avec lui sans qu'elles soient véritablement importantes compliquait les choses, rendait tout un peu plus subtile.
J'avais bien trop peur qu'il ne me juge suite à cette révélation ou que des idées ignobles se créent dans sa tête à mon propos.

    -Et ensuite? Que s'est-il passé?

C'était encore une fois le géographe quarantenaire. Ce dernier commençait vraiment à m'énerver, pour être sincère mais je pense que je n'étais pas la seule à ressentir cela.
Très vite, Monsieur Lefebvre s'est rendu compte qu'il était de trop, ou du moins, c'était ce que j'avais compris lorsqu'il s'est éloigné de la table.

   -Je vais lui refaire le portrait, à celui-là, a râlé Carl pour la quatrième fois à ce sujet.

La seule différence avec tout ce qu'il avait dit auparavant était que nous étions tous excessivement d'accord avec lui, avec ses paroles, cette fois-ci.
Monsieur Lefebvre n'a pas un mauvais fond, c'est même une très bonne personne mais il a tendance à se mêler de ce qu'il ne le regarde pas. Enfin, c'était son projet que nous étions en train de faire mais ce n'était pas une raison pour venir nous couper sans cesse.

   -Bon, je vais continuer comme s'il n'était jamais venu nous couper, ai-je rigolé sans vraiment prendre de plaisir à dire ça.

   -Oui, c'est une bonne idée, a révélé Émile.

Le jeune garçon m'a envoyé un léger sourire et ses yeux se sont éclairés. Ça le rendait très attirant mais je me suis très rapidement reconcentrée sur l'histoire que j'étais en train de leur raconter.

   -L'avant-dernier jour que je passais en Slovénie, nous nous sommes retrouvés. Nous sommes allés nous promener longuement sur le bord d'un lac et avons fini par faire follement l'amour, sans préservatif. Je ne m'inquiétais pas car ce n'était pas la première fois que je me contentais de la pilule pour nous protéger.

Je n'étais pas vraiment mal à l'aise mais j'aurais préféré avoir à raconter autre chose à ces gens-là. Je sentais un peu trop le regard insistant de Sulivan sur moi et cela me perturbait sincèrement. Néanmoins, je prenais sur moi pour éviter de poser mes yeux sur lui.
En fait, le fait de le connaître un peu plus que les autres me déstabilisait réellement. Je n'avais aucune envie que son opinion sur moi devienne minable. J'étais vraiment perturbée par cette idée qui avait prise un peu trop de place dans mon esprit.

   -Une semaine après mon retour, je me suis rendue compte que cette fois, ça n'avait pas fonctionné, qu'on aurait dû utiliser un préservatif.

    -Tu étais tombée enceinte?, m'a questionnée Sulivan, les yeux exorbités.

J'ai honteusement répondu d'un hochement de la tête qui signifiait qu'il avait vu juste.

   -Oui, je suis tombée enceinte. Sauf que Sven était en Finlande et que nous n'avions plus aucune raison de nous voir, ai-je expliqué. Je ne l'ai jamais prévenu quant à cet embryon non-désiré prenant vie en moi. Aucune lettre ne lui a été destinée avant que je n'avorte.

Eglantine ne me quittait plus des yeux, très touchée par l'histoire que je racontais. Elle avait l'air très sensible à tout ce qui touchait à l'enfant mais aussi au mal-être de la femme lorsque cela lui tombe dessus sans que l'envie soit présente.

   -Je vis dans une famille extrêmement catholique donc il m'a fallu longtemps avant d'avouer cela à mes parents et que je ne leur demande d'avorter, ai-je révélé.

   -Ont-ils directement accepté?, a curieusement demandé Carl.

   -Non, il a fallu un temps fou avant que je n'obtienne une réponse satisfaisante. Avant, je n'ai cessé de pleurer.

J'ai senti cinq regards concentrés posés sur moi. J'étais émue par ce que je disais. Me rappeler du mal-être que j'ai ressenti pendant ces trois longs mois m'ont serré le coeur et m'ont donné envie de vomir. Je détestais cette histoire dans laquelle je joue le rôle de destructrice, de meurtrière. Cette petite créature n'était pas désirée, certes mais n'avait pas demandé d'être là et de perdre la vie avant même de la connaître.
Je ne l'aurais pas assumé, ce bébé, c'est vrai mais je n'assumais plus cet acte depuis un bon moment, non plus Je me sentais minable d'avoir fait ce choix.

   -Je me sens parfois stupide et dégueulasse d'avoir avorté..., ai-je commencé, hésitante. Enfin, laissez tomber, vous n'arriverez certainement pas à comprendre.

Carl n'était plus du tout méprisant et Tabitha m'envoyait un regard compatissant. Sulivan, lui, a tendrement attrapé ma main et l'a serrée dans la sienne, pour calmer mon chagrin intérieur.

   -Je suis contente d'être partie en Slovénie avec mes amis et d'y avoir rencontré Sven mais j'aimerais tellement avoir la possibilité de retourner dans le passé et de tout recommencer, ai-je sangloté.

Cette histoire était affreuse et je n'avais plus envie d'en parler, alors je me suis ressaisie. Difficilement mais sûrement. Je n'avais pas envie de me mettre à pleurer comme une pauvre débile ou de me remémorer cela trop longtemps donc j'ai pris sur moi pour sourire.

    -Mais ça va, je ne ferais plus jamais cette erreur, ai-je conclu.

Sulivan m'a compressée légèrement la main avant de la lâcher. Je l'ai remercié d'un sourire qui se voulait radieux mais qui ne devait absolument pas être lumineux.

    -Parle-nous de toi, Émile.

Eglantine a gentiment changé de sujet en se tournant vers le jeune Émile qui s'éclaircissait la voix.

🔷R O X A N E🔷

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Désolée pour le mois de retard... J'espère que ce chapitre vous a plu malgré tout. Cette histoire sera finie avant 2017, promis.
#39 catégorie nouvelle (27/11/2016)

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