-Un jour, un petit romancier français du nom de Stendhal a dit: "Un peu de passion augmente l'esprit, beaucoup l'éteint", ai-je commencé. Il avait raison. Et en un siècle, les choses n'ont pas changé.
J'ai senti cinq regards interrogatifs se poser sur moi. Ces derniers ne semblaient pas comprendre où je voulais en venir. C'était drôle mais j'avais pris un air grave que je ne pouvais quitter, de peur de devenir ridicule.
-Tu vas nous parler d'une de tes passions qui t'a détruite, toi, a constaté Émile.
C'était le plus jeune du groupe mais il paraissait beaucoup plus réfléchi que tous les autres, dont moi-même. Il écoutait ce qu'on disait et déduisait parfaitement bien les choses. C'en était admirable.
Personne d'autre n'a émis un son. Tout le monde attendait que je m'explique, trop curieux de savoir.
-D'une certaine manière, mais c'est bien plus compliqué que cela, ai-je continué.
Je m'amusais de les voir languir; cela me rendait gaie.
Je savais qu'ils allaient se montrer corrects mais ils attendaient surtout que je leur raconte la raison de mon poids si peu élevé. Ils ne me l'ont pas dit mais c'était prévisible.
J'en avais marre d'être diminuée au reflet que mon corps maigre renvoyait.
-Tu sembles effrayée à l'idée de nous faire part de ton secret, a lancé Roxane.
Ces paroles n'ont pas été dites méchamment. Bien au contraire. Elle les a même lancées avec bienveillance.
J'ai continué à hésiter durant plusieurs secondes avant d'oser me lancer. Ce n'était pas évident mais pas infaisable pour autant.
-Quand j'étais petite, j'ai décidé de commencer, comme n'importe quelle gamine qui se respecte, la danse classique, ai-je commencé.
J'ai remarqué Tabitha infirmer cette chose qui m'a toujours parue si réelle, si véritable.
Pourtant, cela ne m'a pas démolie car j'ai continué à raconter.
-Ma Maman m'a inscrite aux cours de danse classique et j'étais heureuse, jusqu'en quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-six, enfin je ne sais plus mais c'est plutôt récent. A ce moment, la professeur a décrété que j'avais un niveau plutôt intéressant et énormément de potentiel. Elle m'a donc conseillée de commencer des concours. J'ai accepté...
Ils me regardaient tous, même Carl. Ils étaient certainement en train de se demander où je voulais en venir et à quel moment, j'avouerai mon honteux secret. J'espérais, du moins, qu'ils étaient conscients que cela était le plus gros de l'histoire, que sans ces informations, je ne pouvais continuer.
J'étais persuadée qu'ils l'avaient compris donc j'ai continué sans m'en assurer.
-Commencer ces compétitions n'a été qu'une somme d'emmerdes.
Suite à cette phrase, les yeux de Roxane se sont arrondis. Elle était certainement choquée de m'entendre m'exprimer de cette façon. Néanmoins, ce que j'avais dit était si faible face à tout ce que je ressentais véritablement.
-Donc, tu as commencé les compét' il y a trois ou quatre ans?, a demandé Sulivan.
-Oui, en quatre-vingt-six, j'ai fait ma première.
-Mais qu'est-ce qu'il s'est passé suite à cela?, s'est impatientée Tabitha, la fille au style inhabituel.
-J'ai pris cela très à coeur, ou plutôt trop à coeur...
C'était plus fort que moi: j'ai explosé en sanglots. C'était réellement stupide de ma part de réagir de cette façon. Je n'avais pas de droit de me mettre à pleurer si rapidement alors que Sulivan n'avait pas émis un seul sanglot en racontant une histoire trois fois plus triste que la mienne.
J'ai retenu ma respiration durant une dizaine de secondes afin de me ressaisir et de pouvoir continuer.
Aucun des élèves autour de la table ne bougeait. Ils me regardaient tous. J'ai uniquement senti la main d'Émile se poser dans mon dos afin que de me remotiver, je présume.
-Ma professeur de danse me rappelait chaque semaine que j'étais inscrite pour faire un concours et que je devais donc faire tous les efforts du monde. A ce moment-là, je faisais presque soixante-cinq kilos. C'était beaucoup trop pour ma taille mais je me sentais bien dans mon corps, je n'avais pas besoin de changer. Je n'en avais pas envie. Pourtant, elle m'en a obligé, ai-je déclaré.
-Et c'est à ce moment que les choses se sont compliquées?, m'a questionnée Roxane.
J'ai confirmé d'un hochement de tête. La colère est doucement montée en moi. Rien que le fait d'évoquer les actes de Madame Petraeus m'énervait sincèrement. C'était une femme admirable, au talent énorme mais ce qu'elle m'avait fait était horrible, voire inacceptable.
Dès que je parlais d'elle, je sentais la chaleur monter et traverser tout mon corps, à cause d'une rage infinie envers cela.
Toutefois, j'ai fait de mon mieux pour la garder en moi et ne pas exploser comme je le faisais d'habitude quand je pense à cette histoire.
-Elle m'a répété des tonnes de fois que j'étais grosse. Que j'avais beaucoup de talent et que je devais continuer les compétitions mais que si je ne perdais pas vingt kilos, jamais je ne serais reconnue pour ce que je faisais.
-Mais elle est complètement conne, cette femme. On ne dit pas cela à une gamine!, s'est exclamé Sulivan.
J'ai souri car ce qu'il disait était agréable à entendre et de plus, j'aimais savoir que je n'étais pas la seule à penser que ce comportement était irrespectueux et minable.
-Que s'est-il passé ensuite?
Le sérieux du plus jeune, Émile donc, m'a ramenée sur la bonne voie et m'a obligée à continuer d'expliquer. Il semblait impatient de savoir la fin de l'histoire.
-J'ai accepté, bêtement accepté de perdre du poids. J'avais envie de faire partie des concours et que l'on me regarde pour mon talent et non pour mes bourlets, que j'étais la seule à avoir. J'ai donc commencé à manger de moins en moins et à tout calculer. Même mes parents sont rentrés dans mon jeu.
-C'est à cet instant que les choses deviennent merdiques, à tous les coups, a répliqué le musclé nommé Carl, d'un air distrait.
J'ai affirmé ses paroles qui, malgré leur incohérence, étaient si vraies. Si je n'avais jamais commencé à essayer de faire attention, je ne serais pas actuellement si mince, ou plutôt si maigre.
Au moment où j'ai voulu me remettre à parler et à enfin déblatérer contre ce que j'avais sur le coeur, Monsieur Lefebvre a de nouveau débarqué près de notre table. Ses allers et retours commençaient sincèrement à me courir sur le haricot, pour ne pas être impolie.
Il avait décidé de faire cette activité et maintenant que l'engrenage s'était déclenché, il venait fourrer son nez dans nos confidences et nous obligeait, par conséquent de ne pas parler jusqu'à ce qu'il soit parti.
Il n'était pas méchant mais je n'ai jamais vraiment apprécié ce prof. Ou du moins, j'ai arrêté de le faire le jour où il m'a mise en retenue car je riais à son cours. Depuis lors, tout ce qu'il tente d'entreprendre m'énerve sincèrement.
J'ai pris sur moi et n'ai rien dit. Je lui ai bêtement souri et ai attendu qu'il parte afin de me remettre à parler.
-Qu'est-ce qu'il est lourd, ce mec, s'est spontanément exclamé Carl lorsque le géographe s'est éloigné.
Tabitha lui a dit que pour une fois, elle était entièrement d'accord avec lui. Ce dernier a donc souri de toutes ses dents, d'un air victorieux que je n'arrivais à interpréter.
Je les ai regardés durant quelques secondes et me suis alors dite que ces deux-là avaient forcément un secret en commun.
-Vas-y, continue, Eglantine, a dit Roxane.
-Je ne sais plus où j'en étais.
-Tu racontais que tu as alors commencé à faire attention à ce dont tu mangeais, m'a aidée le sérieux Émile.
Je l'ai gratifié d'un regard avant de me concentrer dans le but de m'y remettre.
-Donc oui, j'ai commencé à me préparer des plats sains en veillant toujours à manger le moins gras possible. Au début, cela était très difficile mais c'est très rapidement devenu une obsession.
-Une obsession dans quel sens?, s'est curieusement intéressée Tabitha.
-Dans le sens où des fois, je craquais et j'avais vraiment envie de manger un biscuit par exemple mais ensuite, je me laissais mourir de faim pendant une demi-journée. C'est réellement devenu maladif mais, grâce à cela, j'ai perdu mes kilos superflus en même pas quelques mois. Ma professeur de danse était très heureuse et m'a beaucoup félicitée. Néanmoins, elle voulait toujours plus. Elle attendait absolument que j'atteigne les quarante-cinq kilos.
J'ai roulé des yeux. Repenser à cela me faisait le même effet que d'entendre cette conne de Célia parler du fond de la classe. Et je peux vous dire que cette fille m'exaspère au plus haut point.
-Quarante-cinq kilos pour ta taille n'est pas humain!
-Tu as raison mais figure-toi que je les ai atteints. Je les ai même largement dépassés. Je pèse maintenant trente-sept kilogrammes.
Lorsque j'ai dit cela, j'ai remarqué les cinq paires d'yeux s'agrandir, sans aucune exception. Ils semblaient tous étonnés par ce chiffre si petit pour ce paramètre vital. Je les comprenais car moi-même, je trouvais cela minuscule. Mais peu importait les efforts que je pouvais faire, rien ne changeait, rien ne bougeait.
-Tu as quel âge?
-J'ai bientôt dix-huit ans.
Cette information les a surpris encore plus. Il était impossible, d'après eux d'avoir une masse si petite à un âge pareil...
-Tu n'arrives pas à prendre du poids?, a demandé Roxane.
-Non, avec la meilleure des volontés, non. J'ai déjà tout essayé et ça n'augmente jamais. Ça diminue, même...
Ces derniers mots m'ont ramenée sur Terre, cette triste réalité a refait surface. Ça me déchirait le coeur de me le dire, de l'avouer tout haut. Je préférais me mentir, renier cette chose horrible à mon propos. Qu'est-ce que je donnerai pour être considérée comme une fille normale avec un poids rentrant dans la norme. Mais ce n'était malheureusement pas le cas.
-Et tu danses encore?, a questionné Sulivan.
J'ai déjà remarqué que ce garçon ne parlait pas beaucoup, comme s'il se préservait de je ne sais quoi.
Il semblait ne connaître personne de l'école. Moi-même, je ne l'avais jamais véritablement vu dans les couloirs.
Peut-être était-il timide à cause de cela? Je n'en savais rien.
-Oui, oui, je pense que je n'arrêterai jamais car j'aime trop cela mais j'ai malgré tout un sentiment paradoxal face à cela.
-C'est étrange, a jugé Carl.
-Tu veux bien la fermer une bonne fois pour toutes, Carl?, s'est exclamée la gothique, désagréablement.
-Chef, oui, chef!
Le grand blond a souri face au regard mauvais que lui lançait la jeune fille. Je me suis mise à légèrement rire avant de reprendre où j'en étais.
-Oui, c'est étrange, Carl, ai-je confirmé la remarque faite quelques instants plus tôt.
-Et elle te demande encore de perdre du poids?, a demandé Sulivan.
J'ai haussé les épaules et ai répondu que maintenant, ce n'était plus le cas. Madame Petraeus était contente de l'apparence que je renvoyais. Ce n'était pas plus mal car j'étais quelqu'un de très influençable et je n'avais absolument aucune envie d'atteindre les trente kilogrammes. Déjà actuellement, je me sentais très mal dans ma peau alors il suffisait de maigrir encore pour que je tombe en dépression.
-Je pense que tu devrais couper les ponts avec cette femme, semblait être convaincu Carl.
-Qu'est-ce que cela changerait?
-Tu ne te ferais plus influencer par ses dires, a-t-il répondu en levant les yeux au ciel.
-Tu sais, maintenant qu'elle ne le dit plus, je le pense moi-même donc cela n'aiderait pas spécialement.
-Je suis persuadée, moi, Tabitha Wathelet, malgré le fait que je ne te connaisse que depuis une demi-heure, que tu es entièrement capable d'oublier tout ce qu'elle a bien pu te faire croire à propos de l'importance du poids et de devenir celle que tu veux être.
Ces quelques paroles m'ont touchée. D'une certaine manière, elles avaient égayé mon coeur si triste. C'est comme si Tabitha avait osé s'en approcher et lui avait gentiment tendu un mouchoir pour faire disparaître son chagrin.
-Merci, Tabitha mais je ne crois pas pouvoir récupérer les dix kilos qu'il me manque...
-Il n'y a aucune raison, a répliqué Sulivan. Quand on veut, on peut, comme on dit souvent.
Les quatre autres adolescents ont affirmé et m'ont encouragé en même temps.
-Il te suffit d'avoir un peu plus confiance et dans deux semaines, tu fais la masse qui te convient, tu sais, m'a sérieusement dit Roxane.
-Merci beaucoup pour vos conseils. Je suis vraiment désolée d'avoir révélé quelque chose d'aussi nulle que cela...
Ils m'ont pardonnée et m'ont avoué que ce n'était pas nul.
Ça ne m'a pas véritablement étonnée étant donné qu'ils mouraient d'envie de savoir pour quelle raison j'étais presqu'anorexique.
Maintenant, venait le tour de Carl. J'étais impatiente de savoir ce qu'il se passait entre Tabitha et lui pour qu'il y ait autant de haine.
🔷E G L A N T I N E🔷
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