Prologue
8 octobre
Avez vous déjà été pris d'un fou rire pendant un enterrement ?
Si non, je peux vous assurer que c'est très mal vu. Même si le fou rire en question est juste nerveux.
Je le sais, parce que j'en ai eu un pas plus tard qu'il y a deux heures et je peux vous dire que j'ai jetté un sacré froid parmi l'assemblée.
Ça doit faire maintenant une heure que l'enterrement en question est finit et environ un quart d'heure que ma famille et moi roulons en voiture pour rentrer chez nous mais ma mère ne cesse de remettre cette histoire sur le tapis.
- C'était très déplacé Alice. (Alice c'est moi). me reproche-t-elle pour la énième fois en tapotant furieusement la portière.
Dans les rangs arrières, mes trois frères sont trop occupés par leurs propres activités pour prêter attention à la conversation.
Alexandre scrute la route, espérant y repérer une twingo pour pouvoir frapper l'épaule de son voisin de gauche. Ledit voisin, plus connu sous le nom de Léandre, est plongée dans un article qui récapitule le "TOP 10 des maladies les plus mortelles, faite le quizz !".
Ulysse, lui, cherche désespérément une raison de se plaindre. Il finit par la trouver :
- Maman tu peux changer la musique ? On n'est que début octobre, Mariah Carey peut attendre encore deux mois. râle Ulysse, qui ne sait faire que ça.
Le pauvre garçon est écrasé entre moi et la portière gauche. Il a donc l'oreille collé à la sono par laquelle Mariah Carey lui hurle que tout ce qu'elle veut pour Christmas c'est lui.
- N'est ce pas que c'était déplacé Richard ? demande ma mère à mon père qui conduit, ignorant les plaintes de son fils.
- Très déplacé. réponds le Richard en question avec un air absent, concentré sur la route.
D'une manière générale mon timide de père à toujours tendance à aller dans le sens de ma mère. Il a horreur du conflit donc si être d'accord avec la patronne de la maison peut permettre de ne pas evenimer une dispute ça lui convient très bien comme ça.
Je pense qu'il serait d'ailleurs bon pour vous que je revienne sur ce petit incident (bien que vous n'ayez rien à faire avec mon journal entre vos mains).
Il faut savoir que mon arrivé avais déjà été assez mal vue car j'étais arrivé en retard après m'être trompé d'enterrement. Imaginez ma tête quand je me suis rendue compte après dix minutes de cérémonie dans l'église que je n'avais aucune idée des gens qui m'entouraient ni de ce "Patrik" qu'ils pleuraient tant. Il s'avérait que je m'étais trompé d'église. Je n'ai jamais été bonne en orientation mais ça ne m'avais jamais vraiment embêté jusqu'à maintenant.
Je suis donc sortie en pleine cérémonie, m'attirant de ce fait les foudres de ces personnes que je ne connaissais pas et j'ai appelé, l'aîné de mes frères, Léandre, qui en plus d'être le plus agréable est également le seul doté d'une once d'intelligence.
Il n'était cependant pas très ravis de m'entendre parce que passer un coup de fil est également mal vu dans une église apparemment. C'est à se demander ce qu'on vient foutre là dedans, on ne peut rien faire sans se prendre des regards de travers.
Il m'a donné l'adresse en chuchotant et je l'ai remercié en chuchotant même si je n'avais aucune raison de baisser la voix.
Je suis arrivée sur place et je suis rentrée dans l'église (la bonne cette fois) où j'ai effectivement reconnu ma famille qui s'ennuyait à mourir au premier rang et qui faisait semblant d'écouter le discours larmoyant, quoique répétitif d'une grande tante.
Je me suis avancée dans l'allée principale, les têtes de quelques personnes en quêtes de distraction se sont tournées vers moi au fur et à mesure que j'avançais et la grande tante en plein discours m'a jeté un regard noir, agacée de ne plus avoir l'attention générale de son public. Trois ou quatre vieux ont même fait "chuut" en fronçant les sourcils comme si je pouvais réduire le bruit de mes pas sur le sol.
Je me sentais un peu comme la mariée qui descend vers l'autel sauf que personne ne dirait jamais "chuut" à une mariée.
Je me suis assise précipitamment sur le banc où ma famille était installé.
Ma mère m'a lancée le regard "On va en reparler quand on seras sortis d'ici tu peux me croire". Et pour cause on est en train d'en parler dans la voiture.
Mon père s'est réveillé.
Leandre a déserré sa cravate comme s'il mourrait de chaud.
Ulysse qui dit toujours ce qu'il pense, c'est à dire des méchancetés, a voulut faire un commentaire sur mon retard mais s'est abstenu au dernier moment, par peur que la résonance du lieu porte un peu trop loin la grossièreté qu'il allait me sortir.
Alex a eut l'air hyper surpris de me voir. Puis il a regardé autour de lui et il a eut l'air hyper surpris de l'endroit où il se trouvait. En fait je me demande si il ne venait pas de se réveiller lui aussi.
La grande tante a terminé son discours et j'ai été navré de constater que je n'avais aucune idée de qui était cette "Ginette" dont elle parlait tant.
D'ailleurs cinq minutes après mon arrivée, la cérémonie s'est achevée et tout le monde s'est levée. Elle avait dû durer à peine vingts minutes.
J'en ai déduit que personne ne connaissait vraiment cette Ginette.
Ensuite, on est allé au cimetière et le prêtre a prononcé quelques mots.
L'ambiance n'était pas très joyeuse ce qui peut paraître logique pour un enterrement mais je ne pensais pas que ce serait aussi ennuyeux. Aucune crise de larme, aucun témoignage alarmant sur la vie de cette Ginette
Rien. Personne n'avait eu la bonne idée de payer des pleureuses pour mettre de l'ambiance. Il n'y avait pas de buffet, rien pour nous faire patienter le temps que l'on amène le cadavre de cette pauvre Ginette.
En bref, c'était un enterrement à petit budget.
On a finit par amener Ginette, je me suis penchée sur le corps, ma famille m'a imitée et j'ai constaté que si le nom ne me disait rien, le visage non plus. Ma famille n'a pas eut l'air de la reconnaître non plus mais la plupart d'entre eux ont eu la décence de ne rien laisser transparaître à leur étonnement. Sauf Ulysse.
- C'est qui ? a-t-il demandé, sceptique sans même faire semblant de pleurer cette pauvre femme.
Deux vieilles lui ont lancé un regard mauvais et ma mère qui se concentrait à avoir l'air dévasté comme les autres par la mort de Ginette lui a donné un coup de coude dans la côte pour le faire taire.
À part ça tout était très calme.
Et ça aurait pu le rester si le prêtre n'avait pas reculé et n'était pas tombé dans le trou creusé pour y placer le corps.
C'était une chute incroyable : le pauvre homme a lâché son bouquin, puis il a secoué les bras comme dans les dessins animés pour tenter de retrouver son équilibre mais c'était peine perdue. Il a fini par succomber aux lois de la gravité et il est tombé les quatre fers en l'air dans le trou creusé pour Ginette et non pour lui (du moins pas encore mais vu son âge avancé, ça ne saurait tarder).
Sa robe a glissé le long de ses genous et s'est heureusement arrêté juste avant de trop en dévoiler. J'ai cru comprendre plus tard que le pauvre homme s'était cassé la cheville mais franchement, vu la scène, ça valait le coup. La situation était désopilante c'est donc tout naturellement que je me suis mis à rire.
À hurler de rire.
Seule.
Et pas juste deux secondes.
Non.
Au moins une grosse minute.
Sans être capable de m'arrêter.
Quand j'ai réussi à mettre fin à ce henissement de poney je me suis rendue compte que tous les regards étaient rivés sur moi et qu'ils étaient loin d'être aimables. Je savais d'avance que ce serait une histoire qu'on me ressortirait aux réunions de famille.
Pour les personnes que je connaissais à peine je serais surnommée jusqu'à ma mort "la fille qui hurle de rire aux enterrements".
Peut être qu'à mon propre enterrement quelqu'un se mettra à s'esclaffer pour me rendre hommage. Je visualise déjà ma tombe sur laquelle il y aura gravé "morte de rire, littéralement".
J'avais incroyablement honte. À tel point que j'avais envie de sortir ce vieux prêtre clopinant de son trou et de prendre sa place pour qu'on nous enterrent ensemble, moi, Ginette et mon rire de poney.
Toute personne un peu sensée aurait pu se douter que je puisse vouloir oublier ce moment et ne jamais le réévoquer. Mais pas ma mère. Elle s'entête à m'en parler depuis maintenant vingts minutes.
- Si tu avais vu la tête de ta grand mère ! peste-t-elle. Suzanne est venu me voir après la cérémonie et elle m'a dit "dis donc ta fille est une vraie boute en train". elle prend une voix ridicule et haut perchée pour imiter celle de sa sœur.
Je comprends alors que ma mère n'est pas énervée parce que j'ai ris sur le sort d'un pauvre homme mais parce que je lui ai fait perdre la face devant sa sœur. Quelle générosité d'âme.
Ma mère souffre d'un léger complexe d'infériorité envers sa soeur et pour cause, ma grand mère ne cesse de les comparer entre elle. Suzanne surpasse légèrement maman dans tous les domaines qu'elle entreprend et ce depuis l'enfance et elle ne manque pas de lui faire savoir. L'hiver dernier, au concours de pâtisserie du quartier maman a fait un magnifique gâteau au chocolat et à la framboise. Suzanne a fait pratiquement le même mais sous forme de pièce montée faisant passer le gâteau de maman pour un ridicule cupcake a côté. Elle a gagné et ma mère n'a toujours pas digéré cet échec.
- Maman change de musique. demande Leandre qui commence aussi à être agacé par la musique de Noël hors saison.
- Mais du coup c'était qui Ginette ? s'entête Ulysse.
- Vous avez vu ! s'écrit Alex en pointant du doigt la route comme si un leprechaun venait de vomir un arc en ciel sous ses yeux.
- Quoi ?
- Il y avait un hérisson mort, vous l'avez loupé c'est bête. soupire-t-il franchement déçu.
- Je crois que je n'ai jamais vu de hérisson vivant, à chaque fois que j'en vois un c'est parce qu'il est mort sur le bord de la route. nous fait savoir mon père.
- C'était qui Ginette maman ?
- Si tu avais vu Suzanne, elle avait un petit sourire en coin cette peste comme si elle me disait en face "mon Dieu Carmen, ce que ta fille est mal éduquée". tempête maman plus pour elle même que pour un réel interlocuteur.
- Maman on peut mettre Abba plutôt? Ou radio head c'est sympa radio head.
Je soupire, personne ne s'écoute chacun poursuit sa conversation personnelle et c'est dans cette cacophonie atourdissante qu'on arrive enfin à la maison.
- N'empêche que je ne comprends pas comment tu peux avoir aussi peu de cœur. Pauvre homme. soupire maman qui vient de se souvenir qu'un type a quand même souffert dans l'histoire.
Elle lançe son sac à main sur un coussin. Enfin sur notre chat qui était malheureusement allongé sur le coussin en question et qui s'éloigne en feulant.
- Maman c'était hilarant. j'affirme. C'était nerveux, ça arrive de rire au mauvais moment.
- Bon ça suffit Alice, je ne veux plus entendre parler de cette histoire.
J'ai trouvé ça très culotté de la part de la personne qui avait passé le trajet à évoquer l'incident de long en large. Je la soupçonne d'avoir voulu s'occuper dans la voiture en me faisant une de ses leçons de morale et maintenant qu'elle est rentrée et qu'elle a épuisée son stock de reproches, elle veut juste aller se reposer
- File dans ta chambre et par pitié range la. C'est le bazar dans cette maison. râle-t-elle en regardant d'un œil mauvais la table basse qui est tellement encombrée qu'on n'en distingue presque plus la couleur
Je traîne des pieds jusque dans ma chambre et entreprend d'y mettre de l'ordre. Je commence à trier la bibliothèque quand je remarque au fond de celle ci un livre qui m'est inconnu, coincé entre un bouquin de math en état de décomposition et un vieux Picsou.
Je réussi à l'extirper et découvre, ou plutôt, redécouvre, horrifiée, la chose la plus immonde que j'ai vu de toute ma vie.
C'est un journal intime.
Le petit livre que je tiens du bout des doigts comme si il était porteur de la peste, est un journal rose intitulé "ton super carnet intime de princesse".
La couverture est constellée de paillettes. On pourrait croire qu'elle a été entièrement aspergée de vomi de licorne. Les pages empestent le parfum à la fraise et la couverture illustre une petite fille. Sa tête blonde est couronnée d'un diadème et un sourire figé est peint sur son visage.
On pourrait presque croire qu'elle est constipée.
Ou possédée.
Un petit cadena à paillette en forme de cœur ferme le carnet et souligne la notion d'intimité évoqué dans le titre du journal. Je ricane. Si les concepteurs de ce journal pensent que le mot "Intime" écrit en gros sur la couverture ou qu'un cadenas pailleté risquent d'arrêter les fouines de ma famille ils se fourrent le doigts dans l'œil.
En dehors de l'ordre imposé pour mettre les couverts, choisir le programme télé et déterminer le passage dans la salle de bain, l'intimité est le concept le moins respecté dans cette famille
Laisser une trace écrite de ma vie, disponible à tous reviendrait clairement à une sorte de suicide sociale.
Bien que je n'ai pas vraiment de réputation à sauver.
Ce carnet m'a été offert par ma tante paternel lors d'une de ses visites.
Elle vit en Angleterre et vient donc rarement, ce qui fait que je la vois environ une fois tous les trois ans et à chaque fois, elle semble oublier que je puisse grandir entre ses visites. Elle m'offre donc toujours des cadeaux avec environ deux ou trois ans de décalage, par rapport à l'âge où il est adapté pour un enfant de le recevoir. C'est pourquoi quand j'avais 8 ans, elle m'a offert un livre "apprendre à lire de manière interactive", à mes 10 ans un pull trop petit de deux tailles et à mes 14 ans, l'affreux journal que je tiens entre mes mains.
À l'époque, j'ai été tentée de le brûler quand elle me l'a offert mais j'ai eu peur qu'elle me demande de le lui montrer, lors de sa prochaine visite. Du coup, j'ai décidé de le garder au cas où un jour j'aurais besoin d'un cale porte ou d'un dessous de plat.
En tout cas, jamais la possibilité d'écrire dedans n'aurait pu me traverser l'esprit.
Jusqu'à aujourd'hui.
Après tout, n'importe quelle activité me paraît plus divertissante que de ranger ma chambre. Maman dit souvent que je devrais essayer de combattre ma flemme, arrêter de tout remettre au lendemain, vaincre la procrastination et blablabla.
Je m'occuperais de cette histoire de flemme plus tard. Pour l'instant je vais me concentrer sur l'écriture de mes mémoires.
Cette journée sera donc les premiers mots que j'écrirais dans ce journal : le jour où j'ai ris à un enterrement.
Je ne sais pas si j'arriverais à écrire dedans de manière régulière ou si je m'en lasserais aussi vite que je me suis lassée de la routine beauté du soir. Mettre de la crème hydratante me fait perdre cinq minutes précieuses de sommeil et en plus, ça colle sur l'oreiller, alors je m'y suis tenue une semaine et puis j'ai arrêté.
Tout ça pour dire que je m'appelle Alice Wonder et que ce que tu tiens entre tes mains c'est désormais mon journal (alors repose le ! Tu n'as pas vu le cadena intimidant et le mot "intime" dans "journal intime"?).
Plus tard
Il s'avère que d'après Ulysse, Ginette était en fait une cousine éloignée de ma grand mère. Qui l'eut crut ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top