THIRD DEGREE
Tapotant de l'ongle sur la table, je tente tant bien que mal de me concentrer sur les formules et définitions qui s'alignent sous mes yeux, noircissant les pages de mon cahier. Mais rien n'y fait, mon attention finit toujours par dévier vers l'écran de mon portable. Résolument éteint.
En cet après-midi de samedi, cela fait des heures que je suis toute à mes devoirs, finissant évidemment par la physique, matière que j'apprécie le moins. Studiosité empruntée étant donné que, depuis hier soir, je ne peux penser qu'à une chose : ce garçon qui est venu me voir au magasin. Je vérifie toutes les deux minutes, peut-être même les deux secondes, qu'il ne m'a pas envoyé de message, que je n'ai pas raté d'appel. Mais mes notifications restent jusqu'ici exemptes de tout numéro inconnu.
Je n'y tiens plus. Poussant mes notes, incompréhensibles de toute façon, sur le côté, je me saisis de mon portable, et de mon exemplaire du Banquet. Sans me laisser le temps de changer d'avis, je compose son numéro, les mains presque tremblantes, avant de le porter à mon oreille.
Mais au premier bip, je raccroche immédiatement, posant le portable sur le bureau comme s'il s'agissait de charbon incandescent ; je ne peux pas faire ça.
Quelques secondes s'écoulent, pendant lesquelles je me contente de fixer l'appareil, un flot de pensées incessant parcourant mon esprit sans que je ne puisse en saisir aucune.
Brusquement, l'écran s'allume, me faisant presque sursauter. Un numéro s'affiche. Inconnu pour mon portable, certes, mais pas pour moi : je viens de le taper.
Me levant, je m'éloigne d'abord du bureau, fixant le téléphone vibrant sur celui-ci. Plusieurs bips retentissent, et je sens le dernier arriver. Mais comme paralysée, je ne parviens pas à répondre, ni à faire le moindre geste pour se faire. Mais, au dernier moment, je me jette sur le portable et décroche rapidement.
« Allô ? »
Il ne répond pas tout de suite, me laissant dans l'attente pendant ce qui me paraît être une éternité.
« C'est le chaton, pas vrai ? »
Je hoche inconsciemment la tête, comme s'il pouvait me voir. Oui, c'est moi, « le chaton ».
« Comment tu as su... ?
- T'as une toute petite voix, elle va bien avec ton surnom. Eh puis j'ai une cigarette avec ton numéro dessus, tu t'souviens ? »
Encore une fois, je hoche la tête, avant de cette fois réaliser qu'il ne peut pas me voir. Mais quelle idiote je peux faire !
« Je... Tu... Est-ce que tu voudrais qu'on se voit, ce soir ? »
C'est sorti tout seul. Mais je ne regrette aucun des mots que je viens de prononcer, je brûle simplement d'impatience en attendant la réponse du brun. Réponse qui tarde, encore une fois, à venir.
« Ce soir, je bosse...
- Oh. Bien sûr. Désolée, c'est logique, t'es plus... Enfin, tu- »
Cette fois, je m'emmêle clairement les pinceaux. Mettant le portable sur mode haut-parleur, je pose celui-ci sur le bureau et cache mon visage entre mes mains, comme si ça pouvait effacer ce qui vient de se passer.
Mais sa voix résonne à nouveau, timbre grave envahissant la chambre.
« Désolé, je dois y retourner. »
En effet, j'entends des bruits de fond.
« Oh, oui, pas de soucis. Tu bosses où ? »
Il hésite. Je l'ennuie ? Si il ne voulait pas que je l'appelle, il aurait peut-être du éviter de me donner son numéro... Non ?
« Au Ginger, un bar en ville, tu ne dois pas connaître... »
Un peu embarrassée par le ton de la conversation, je m'apprête à y mettre un terme, quand il parle à nouveau.
« Mais je te rappelle la semaine prochaine, si tu veux ! »
Cette fois, sa voix semble s'être adoucie, et ce simple changement, aussi minime soit-il, suffit à me faire complètement fondre et oublier son attitude d'il y a quelques secondes.
« Oui, d'accord, à plus tard alors ! »
Et je raccroche, avant de me laisser tomber dans mon lit. Il faut que j'appelle Jackie.
⋆ ⋆ ⋆ ⋆
La rousse fouille énergiquement dans ma penderie, tandis que je balance mes jambes en l'air, allongée sur le ventre et l'observant dans sa quête compulsive d'une tenue à porter.
« Tu es sûre que c'est une bonne idée ? Peut-être qu'il ne va pas apprécier...
- Tu plaisantes ? Quand tu vas débarquer là-bas et qu'il va te voir, tu vas être le rayon de soleil de sa journée... Au pire, on dira que je t'ai invitée là-bas et que c'est une pure coïncidence, que tu ne te souvenais plus du bar dont il t'avait parlé !
- Tu sais, si on doit y aller, je ne pense pas que j'aie besoin de me changer...
- Je sais oui, je ne cherche pas pour toi, mais pour moi. Toi, t'es parfaitement adorable comme ça, fidèle à toi-même. »
Sur ces mots, elle jette un coup d'œil à la petite robe rose que je porte et hoche la tête d'un air entendu. Puis, finalement, elle ferme la porte de mon placard.
« Bon, tu sais quoi, tant pis pour ma tenue, il ne s'agit pas de moi ce soir ! Je suis trop impatiente de voir sa réaction !
- On dirait presque que c'est à toi qu'il plaît ! »
Mais malgré mes dires, je souris : moi aussi, je suis impatiente.
Surexcité, Jackie saisit ma main et me traîne jusqu'au rez-de-chaussé, où se situe le magasin familial.
« Vous sortez les filles ? Demande mon père d'un ton distrait, le nez dans ses livres de comptes.
- Bonsoir Monsieur, s'exclame mon ami en retour. Oui, mais on ne rentrera pas trop tard !
- D'accord, c'est bien c'est bien...
- Papa, est-ce que Jackie peut rester dormir, ce soir ?
- Oui oui, bien sûr... »
Je ne cherche pas à avoir une conversation plus détaillée avec lui : quand il fait les comptes de l'entreprise, il n'a de temps pour rien d'autre.
Alors qu'on s'apprête à sortir, Jackie se tourne vers moi, l'air réfléchi.
« Hum... Tu sais ce qu'il te manque ?
- Non ? »
Sans s'embarrasser d'une explication, elle se saisit d'une des marguerites qui reposent dans leur pot devant l'entrée du magasin, et, en coupant la trop longue tige, fait passer celle-ci derrière mon oreille, la laissant ainsi dans mes cheveux.
« Et voilà pour notre princesse ! »
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