CHAPITRE 1
Bienvenue en ville
Les volutes de fumée s'échappaient des cheminées pour danser sous la lune.
Une brise fraiche faisait valser les feuilles jaunes avant de les abandonner aux pieds des immeubles. Doucement l'air devenait chargé de malice. Les boutiques abordaient plusieurs décorations d'Halloween ; des guirlandes en forme de chauves-souris, des fantômes peints sur les vitrines et des citrouilles sur le bas des portes. Accrochés aux lampadaires, des dizaines de fantômes et de sorcières illuminaient la ville une fois la nuit tombée.
Loin de la foule bruyante de Natwood, dans un cottage isolé, trois jeunes femmes arrivaient de New York. Le moteur d'une Porsche vert sapin effraya les corbeaux posés sur le toit de chaume. La conductrice aux cheveux d'ébène regardait l'écran de son portable, attendant le message de sa patronne, pensive. Des coups sur sa vitre la tirèrent de ses pensées. Son amie l'attendait, un parapluie à la main.
Le clapotis de la pluie martelait le sol pavé, laissant des traces grises sur les murs beiges de la résidence. La jeune blonde au parapluie cherchait les clés, cherchant tantôt sous le pot de basilic, tantôt sous la grenouille en céramique. Le vrombissement d'une moto la fit sursauter, elle et son amie.
La troisième était arrivée.
Protégées de la pluie, réchauffées par le feu crépitant de la cheminée, les trois jeunes femmes attendaient dans la cuisine. Sora sirotait son thé sencha. Cove buvait son café. Et Avery croquait dans un biscuit en forme d'araignée. Silencieuses, leurs regards fixaient un téléphone posé au centre de la table. Lorsque l'écran s'illumina, affichant une notification aussi bruyante qu'attendue, Cove fut la première à se jeter dessus.
Un message d'une prénommée Gladice s'affichait sur le cellulaire : "SURPRISE. PAS DE MISSION. BONNES VACANCES."
Cove repoussa le téléphone en fronçant les sourcils.
— J'hallucine, s'offusqua-t-elle. Elle nous fait venir ici en urgence, elle nous fait attendre ici des plombs... Tout ça pour nous envoyer un message disant bonnes vacances ? j'y crois pas !
– C'est vrai que c'est bizarre...
– En plus, elle aurait pu prendre la peine d'écrire de vraies phrases, conclut Avery en avalant un second sablé.
Sora se releva et vida sa tasse dans l'évier, son thé était devenu froid. En face d'elle, une fenêtre embuée dévoilait un jardin endormi, bordé d'arbres et de feuilles orangées. Les branches nues dessinaient des ombres mouvantes à l'intérieur du cottage. Sur l'une d'elles, un hibou endormi ouvrit les yeux lorsque Sora le regarda. Le vent froid du mois d'octobre sifflait espièglement.
– Génial, on va devoir faire des courses, soupira-t-elle en remarquant la bouteille vide de liquide vaisselle.
– Pourquoi, vous comptez rester ? Hors de question. J'ai dû annuler une superbe fête au Charmed pour venir jusqu'ici. Je croyais que Gladice nous envoyait en mission, mais s'il n'y a pas de mission, alors il n'y a pas de Cove.
Avery repoussa l'assiette en face d'elle, rassasiée, et repoussa ses locks qui tombaient sur ses épaules.
– Nous aussi on voulait aller à cette soirée Cove... Mais voyons le bon côté des choses, on peut passer Halloween ici, ça n'a pas l'air si terrible.
– Youpi, une fête ringarde au fin fond du Massachusetts. Moi je pense qu'on devrait rentrer. Retrouver notre civilisation adorée. Qu'est-ce que t'en dit Sora.
La jeune femme se retourna et croisa les bras. Une part d'elle voulait rentrer, regagner son appart hors de prix et la pollution de la ville. Mais quelque chose lui criait de se méfier.
– J'en dis qu'on devrait rester ici. Au moins pour cette nuit, je n'ai pas envie de me retaper 3 heures de route.
– Moi aussi, je suis KO, s'exclama Avery.
Cove soupira, adieu fêtes branchées de la grosse pomme pensa-t-elle. Même si elle refusait de l'admettre, les 3H35 de voiture avaient eu raison d'elle. Et son estomac criait famine. Après un gargouillis trahissant sa faim, elle accepta sous le sourire béat de ses deux acolytes. Attachant son carré blond dans un chignon bas, elle se leva pour enfiler son blazer en cuir bordeau.
– Et si on allait manger en ville ?
– Tu crois qu'il reste des trucs d'ouvert à cette heure ? On est à la campagne ici... demanda Avery en enfilant son manteau.
Un haussement d'épaules fut sa seule réponse. Son amie se dirigeait déjà vers sa voiture, sous le regard malicieux de la demi-lune.
La météo était froide et narquoise en cette période de l'année. La brume formait des halos de lumière colorés autour des guirlandes d'Halloween, se reflétant sur le trottoir. Les citrouilles sculptées regardaient les trois jeunes filles avancer prudemment dans les entrailles de Natwood.
Des cris résonnaient, s'élevant dans le ciel sombre de la nuit. Sora tourna la tête. Près du gazebo qui trônait au milieu d'un rond-point, une horde d'hommes portait des vêtements d'antan et brandissait des fourches et des torches. Les flammes se reflétaient sur les pomettes d'une jeune femme. Debout sur une un tabouret, une corde autour du coup, un tissu blanc cascadait sur ses courbes. Une sorcière.
Avery secoua la tête.
– Ils sont vraiment malades ici, ne me dites pas qu'ils...
– Je crois qu'ils répètent, répondit Avery. Regarde le mec avec le mégaphone.
Un vieillard rondouillet regardait la scène, assis sur une chaise pliante, un mégaphone en main. Quand la jeune femme leva le pied, il se mit à crier "COUPER".
– De vrais barges, compléta Cove avant de tourner.
Arrivée à un feu rouge, la voiture s'arrêta. Avery regardait par la fenêtre. En face d'elle se tenait un café aux allures vintages. Les néons métalliques de l'enseigne formaient le nom Seet. La faim grandissant, les trois amies n'avaient plus la force de chercher une minute de plus. Cove se gara le long du trottoir et les jeunes filles allèrent au Seet.
À l'intérieur, le Seet ressemblait plus à un bar qu'à un café. Des hauts tabourets bleus électriques longeaient un comptoir en pierre blanche sur lequel pendait une fausse toile d'araignée - du moins l'ésperaient-elles. Une étagère en fer forgé était clouée au mur, dévoilant une farandole de boissons et de sirops. Plusieurs plantes grimpantes dévoraient la pièce, laissant une dentelle de verdure au plafond.
Cove observa le reste de la décoration. Tous les meubles étaient différents les uns des autres, uniques. Même si elle trouvait que l'endroit ressemblait trop à une brocante. Ce qui ne semblait pas déranger Sora. La jeune fille sourit en allant s'asseoir sur un fauteuil en velours brun, près d'une table basse ronde.
Le menu plastifié gisait sur les sets de tables,entouré d'autres flyers et prospectus. Cove attrapa une affiche orange fluo décorée d'un épouvantail dessiné à la main. De grosses lettres à la police douteuse invitaient les habitants à une soirée près du gazebo.
– Soirée déguisée près du gazebo, mardi 31 octobre. C'est organisé par la troupe de théâtre du village, lu Cove. Leur flyer est vraiment moche en tout cas.
– On devrait y aller, proposa Avery.
Un raclement de gorge coupa son élan. Le serveur aux boucles rousses attendait, bloc note à la main. Les trois jeunes filles ne l'avaient même pas vu arriver. Avery le regarda, gênée. Les yeux bruns du jeune homme se posèrent sur le flyer que Cove tenait toujours.
– Tous les bars du coin font des soirées pour la nuit d'Halloween. Le Seet aussi, même si techniquement c'est un café... Mais c'est la première fois que la troupe de théâtre en organise une. Je crois que le nouveau metteur en scène adore cette fête. Bon, savez ce que vous voudriez commander ?
– Des frites et une carafe de thé glacé, répondit Sora pressé qu'il s'en aille.
– C'est noté.
Cove posa la feuille orangée et donna un coup de coude à Avery qui regardait le serveur s'éloigner. Avery se frotta le bras et fronça les sourcils.
– Mais aïe ! Qu'est-ce que j'ai fait encore.
– Va le voir, il est mignon. Si on reste ici, autant que ça soit bénéfique, murmura Cove.
– Il est pas mal, ajouta Sora. Tout à fait ton style.
Avery croisa les bras. Elle détestait son cœur d'artichaut et sa manie de craquer pour les mecs qu'elle croisait en mission. Manie en commun avec Cove. Sora tentait toujours de les ramener à la raison, mais si elle n'avait pas été en couple elle ferait surement pareil. Elles n'avaient pas changé depuis le lycée. La jeune femme sourit en y repenssant.
– Chut il revient. Si vous dites quoi que ce soit, je demande à Gladice de m'intégrer à une autre équipe d'espionne, ordonna Avery en murmurant cette dernière phrase.
✧✧✧
Le lendemain, quand la brume s'enroulait doucement autour des maisons, le village était déjà réveillé. Les commerçants ouvraient leur boutiques, le boulanger sortait son plateau rempli de croissants et autres viennoiseries à la cannelle, et les habitants se pressaient déjà sur les trottoirs recouverts de feuilles mortes. Un vieillard s'afférait à les chasser de son palier, sous le regard habitué des passants. Les décorations d'halloween semblaient différentes sous la lumière diurne, moins mesquines, plus sages.
Et au milieu du matin calme qui planait sur Natwood, Avery faisait son footing habituel. La jeune femme criait timidement des "désolée" avant de zigzaguer entre chaques lève-tôt de la ville. Il semblait qu'à Natwood personne ne faisait de footing. Mais Avery n'était pas dupe, certains regards sombres relevaient de toute autre chose. Petite ville, petitesse d'esprit.
Au bout de la rue, le Seet attira son attention. Elle n'avait rien avalé en partant ce matin. Et elle mourait d'envie de revoir le serveur de la veille.
Après un regard à sa montre connectée, elle termina les quelques mètres qui la séparaient du café.
Derrière la vitre ornée de fantômes en plastique, Cove déposa un billet sur le comptoir et attrapa son café à emporter. Elle se recoiffa dans le reflet d'une fourchette, soupirant contre son carré blond qui se rebellait. Un jeune homme lui tapota l'épaule.
– Puis-je avoir ma fourchette, s'il vous plaît ?
– Oh, pardon. Tenez.
– Vous cheveux sont magnifiques. Comme vous d'ailleurs.
Cove le regarda. Une barbe noire grimpait sur ses joues creuses, aussi sombre que ses cheveux. Lorsqu'il posa son bouquin pour attrapper la fourchette que Cove lui tendait, la jeune femme posa son regard sur ce qui lui servait de marque page. Une carte professionnelle d'un orange terne avec une plume et un chaudron au centre. On pouvait y lire "La troupe Ensorcelée". Les sourcils froncés d'incompréhension, Cove secoua la tête pour offrir un sourire au jeune homme.
Il avala une gorgée de café avant de saisir la carte et de l'agiter devant Cove.
– Intéressée ?
– Oh non non, je ne suis pas comédienne...
– Dommage, avec un visage comme le votre vous seriez parfaite.
Cove leva les yeux au ciel, les techniques de dragues bidon rendirent aussitôt ce garçon nettement moins attirant. Elle chercha désespérément un moyen de couper court, quand le tintement d'une cloche retentit, annonçant un nouveau client.
– Avery ! Je suis là. Bon, ravie de vous avoir rencontré euh...
– Ryker, répondit-il.
– Ryker, répéta Cove avant de s'enfuir vers son amie.
Avery n'eut même pas le temps de se plaindre, que Cove la traînait dehors, loin du Seet. Le vent venait fouetter leur visage, laissant l'odeur amer du café narguer les narines de la joggeuse. Elle croisa les bras et arrêta de marcher. Son estomac criait famine trop fort pour suivre une minute de plus son amie.
– J'ai faim, Cove. Quand quelqu'un rentre dans un café, c'est souvent pour commander quelque chose, tu sais.
– Pardon, mais ce type me draguait et je voulais juste m'éclipser de la conversation...
La jeune blonde montra du doigt une boulangerie. Une arabesque de souci - une fleur de saison- encadrait une vitrine alléchante. Des petites tables pliantes blanches resistaient aux rafales, et un panneau affichait les prix écrits à la craie. L'odeur du pain chaud traversait toute la rue.
– Viens, je te paie une patte d'ours pour me faire pardonner.
Avery sourit.
– Tu as de la chance que j'adore les pattes d'ours.
Les deux amies avancèrent vers la boulangerie fleurie. La boulangère emballait soigneusement leur commande, un sourire béat sur le visage, comme si jamais personne ne venait ici. Tandis qu'Avery se léchait déjà les babines, Cove fouilla dans son sac, cherchant sa carte de crédit. Elle sortit son porte-monnaie, laissant tomber la carte professionnelle orange.
– Tu as fait tomber un truc, fit remarquer Avery.
Cove se pencha pour la ramasser. Cet homme était sans gêne. Mais surtout très doué pour glisser une carte aussi discrètement dans un sac. Si ce n'était pas un pickpocket en quête d'amour, alors il n'y avait qu'une seule autre explication.
La carte s'était retrouvée là par magie.
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