Chapitre Unique
Mark Tuan était un jeune étudiant. Bien qu'un peu téméraire et impulsif, il était loyal et courageux. Il menait une vie plus ou moins tranquille dans un modeste appartement non loin des quartiers huppés de Canberra. Ce matin-là, alors qu'il dégustait sa tartine, la télévision attira son attention. La présentatrice du journal télévisé présentait le sommaire d'aujourd'hui. L'un des sujets était la nouvelle loi mise en place. Mark savait que tout cela n'allait pas lui plaire. Depuis qu'Irène, la représentante du parti Dérévelt, avait pris le pouvoir par un coup d'Etat, la vie changeait petit à petit.
Tout cela a commencé avec le port d'un bracelet rose, à l'effigie de cette femme, pour prouver l'appartenance au parti. Ce bijou, sur lequel se trouvait son visage, aussi joli soit-il, Mark le détestait. Le jeune homme savait que la population était prise au piège avec une personne pareille à la tête du pays. Et il avait bien raison. Venait d'être annoncée l'installation d'un système de contrôle aux aéroports et aux ports avec, en prime, le rejet des immigrés africains. Mark devait prévenir ses amis, il fallait qu'ils réagissent avant que toutes leurs libertés ne soient supprimées. Il enfila sa veste sans oublier le petit bracelet pour éviter de se faire remarquer. Il envoya un message aux autres pour leur donner rendez-vous.
En passant par la place publique, le blondinet remarqua une toute nouvelle statue. Elle était très belle, très bien réalisée mais ce qui gâchait l'œuvre c'était ce qu'elle représentait. C'était elle, à nouveau, avec, cette fois, une inscription rajoutée sur le socle « Une seule patrie, une seule guide, une seule créatrice ». Il se retint d'hurler que tout ce manège était du grand n'importe quoi et continua son chemin. Quelques minutes plus tard, il arriva devant leur « Q.G » comme ils aimaient l'appeler. C'était un bâtiment désaffecté avec un sous-sol qu'ils avaient aménagé. Personne ne connaissait cet endroit à part les cinq compagnons. Chacun d'entre eux était d'un endroit différent de la ville et Mark était le plus loin, par conséquent, le dernier arrivé.
- Nous sommes en état d'urgence les gars. On doit agir et ouvrir les yeux aux gens, s'exclama-t-il en pénétrant dans la petite pièce.
- Tu as raison mais tu sais pertinemment qu'on ne peut pas débarquer au milieu des rues, des mégaphones à la main, puis crier sur tous les toits ce que l'on pense de ces lois et de leur créatrice, rétorqua Joshua.
Ce dernier était très intelligent, perspicace et futé. C'était lui qui, la plupart du temps, en remettait certains sur le droit chemin avant qu'ils ne fassent quelque chose de stupide. Et ceux qui se faisaient le plus souvent reprendre étaient Mark et Johnny, tous deux impétueux. Félix, que l'on pouvait considérer comme le meneur et qui était d'origine coréenne, intervint :
- Joshua n'a pas tort. Quelqu'un sait pourquoi une surveillance a été mise en place ?
- Pour protéger la population des possibles dangers extérieurs et préserver la culture locale ont-ils dit. Cependant, je suis convaincu qu'il y a quelque chose de plus douteux derrière tout cela, répondit Jacob.
Jacob était le plus jeune d'entre eux, le plus discret et le meilleur en arts martiaux. Mark allait reprendre la parole mais il fut interrompu. Au dessus d'eux, un bruit de pas précipités les avertit. Ils mirent à exécution le plan qu'ils avaient maintes fois répété. Chacun caché derrière un mur ou un meuble, Joshua et Jacob leur couteau à la main. La porte s'ouvrit dans un fracas et se referma rapidement, puis, plus aucun bruit. Le seul son distinct était celui d'une respiration saccadée. Tous attendaient le signal de leur meneur pour se ruer sur l'intrus. Seulement, ce signe ne vint jamais. Au lieu de cela, ce dernier sortit de sa cachette calmement, les mains en l'air, la tête baissée. Puis, il releva légèrement les yeux, un petit sourire en coin.
- Je me doutais que tu ne faisais pas partie de ces troupes qui nous surveillent.
- Tu as toujours été perspicace, taquina l'autre.
- Qui est-ce ?
- Lucas, se présenta-t-il. Je cherchais cet endroit mais une patrouille m'a reconnu et m'a poursuivi. Je les ai semés à quelques pâtés de maisons d'ici.
- Tes poignets, montre-les nous, ordonna Mark.
Le nouveau venu s'exécuta. Il ne portait pas de bracelet, ni aucune marque d'appartenance au parti.
- Tu es bien imprudent petit, ricana le grand futé. Tu ne devrais pas sortir sans ce ridicule bijou même si tu n'adhères pas à cela. Regarde-nous, on le porte tous, même ces deux grands imbéciles, rajoute-il en désignant Johnny et son voisin.
- Je lui ai dit de nombreuses fois, mais mon cher cousin semble vouloir s'obstiner.
Le coréen poursuivit :
- Lucas, je vais te faire une proposition. Tu peux nous rejoindre, nous aider à faire tomber la gouvernante du pays et ses conseillers mais il faut que tu aies un minimum de courage et, surtout, que tu obéisses à mes ordres. Ou bien tu peux repartir, seul.
- Ai-je vraiment le choix ?
- Bien sûr, mais l'un est meilleur que l'autre.
- C'est d'accord. Je vous suis.
- Bienvenue parmi nous.
Suite à son ralliement, Lucas avait pris connaissance de toutes les informations importantes et du début de leur machination. Ils passèrent l'après-midi entière à revoir les éléments prioritaires. Aux alentours de 20 heures, des sirènes retentirent au dehors.
- Mais c'est quoi encore ce vacarme ? s'indigna Mark.
Comme seule réponse, un de ses acolytes alluma la radio. Une voix grésillante s'éleva « Le couvre-feu de 22 heures s'applique dès ce soir. C'est une décision que la dirigeante du pays a prise ce matin, peu de temps après la nouvelle loi annoncée. Selon elle et ses conseillers, la productivité sera meilleure et le travail plus productif ».
- La situation devient critique. Le temps presse, si l'on ne se hâte pas Irène va prendre ses aises et nous ne pourrons plus rien faire.
- Le nouveau a raison. Notre stratagème doit être parfaitement mis au point pour dans deux ou trois semaines maximum. Nous devons redoubler d'efforts pour atteindre notre objectif. En attendant rentrez tous chez vous et restez sur vos gardes. Reposez-vous, à demain.
Ils repartirent chez eux après avoir fixé une heure précise pour le lendemain. Dans les rues, les habitants se pressaient de peur de se faire reprendre. Lorsqu'il rentra chez lui, Mark se mit à réfléchir intensivement à un moyen qui pourrait faire avancer leur plan plus vite. Ils manquaient de temps, le temps était quelque chose de très précieux de leurs jours. Il ne fallait pas l'épuiser inutilement.
•~•
Le lendemain matin, le blondinet fut réveillé par la sonnerie de son téléphone. Il décrocha, la voix encore endormie. Après quelques mots de son interlocuteur il semblait bien plus réveillé. Il sauta de son lit et se vêtit avec célérité. Exactement comme la veille, la porte s'ouvrit dans un fracas.
- Dites-moi que c'est une mauvaise blague, supplia Mark.
- J'aimerais, mais ce n'est pas le cas. Il est rentré chez lui et ils sont venus frappés à sa porte. J'ai entendu ses voisins en parler, il ne s'est pas laissé faire facilement mais ils ont fini par le maitriser.
- Nous n'aurions pas du le laisser rentrer seul, souffla Jacob.
Ils avaient des regrets, tous, sans exception.
- Plusieurs possibilités s'offrent maintenant à nous. Changer notre plan initial et tenter d'aider Lucas à s'en sortir, ou, ne pas s'en occuper et nous concentrer sur notre cible, annonça Félix.
- C'est ton cousin, Félix, on doit aider ce petit. Le laisser entre les mains du gouvernement et qu'il se fasse torturer est inenvisageable, décida sagement Joshua.
Ils acquiescèrent. Lucas allait sans doute subir des atrocités jusqu'à ce qu'il révèle des informations à propos d'autres résistants, eux. Dès l'instant où la décision fut prise, ils étudièrent attentivement chaque faille du système et finirent par conclure que l'opération « Sauver Lucas » était quasi-impossible. Certains avaient proposé de se la jouer « Yakuzas», de kidnapper un conseiller, l'emmener dans un sous-sol sombre et effrayant, le faire parler et secourir le nouveau. Mais ce n'était pas réaliste, ils n'étaient pas de la mafia japonaise et n'avaient pas les compétences pour se faire passer pour des gens aussi puissants qu'eux. Après une bonne dizaine de propositions toutes plus irréalisables les unes que les autres, le génie du petit groupe avança quelque chose d'intéressant. Bien que le pourcentage de réussite fût faible, il fallait entreprendre une initiative. Il fut conclu que l'opération aurait lieu le soir même, après le couvre-feu, lorsque les rues seront vides. Le plus compliqué serait d'échapper aux patrouilles.
•~•
Quand les sirènes se turent ce soir-là, les jeunes garçons enfilèrent un masque et un sweat à capuche noir. À pas feutrés ils décampèrent. Leur planque se situait à une vingtaine de minutes à pieds de l'endroit où se trouvait, normalement, leur ami. Ils coururent le plus vite possible devant parfois se cacher derrière un mur ou des poubelles, faute de se faire repérer et arrêter à leur tour. Si cela venait à arriver, leurs espoirs et leur liberté seraient réduits à néant. Ils parvinrent sans trop de problèmes devant une grille en fer légèrement rouillée par le temps.
- On va passer sur le côté. Suivez-moi, ordonna le leader.
Ils escaladèrent sans difficulté la clôture.
- C'est étrange, il n'y a aucun garde, chuchota Mark.
- Effectivement, c'est louche. Restez vigilants.
Ils s'infiltrèrent avec précaution dans le premier couloir lugubre. Ils dévalèrent les escaliers et parvinrent à une galerie étroite et glacée. Étonnamment, tout était calme. Trop calme. Ils progressèrent en file indienne jusqu'à se retrouver devant une cellule. À l'intérieur, Johnny remarqua un corps étendu par terre. Il éclaira l'intérieur avec sa lampe torche.
Tous eurent un mouvement de recul. Une vision d'horreur s'affichait à eux. Le corps sans vie de Lucas. Dévasté et impuissant, Félix s'accrocha aux barreaux en hurlant. Joshua s'accroupit auprès de lui et le serra fortement dans ses bras essuyant ses yeux pour empêcher les larmes de couler, contrairement à l'autre, qui ne pouvait se retenir. Curieux de la situation, Mark s'avança un peu plus et braqua la lumière sur le cadavre. Lucas avait bel et bien été torturé. Ses ongles arrachés, sa jambe fracturée, le ventre, les bras et les cuisses tailladés, des dents éparpillées sur le sol, des éclaboussures de sang sur les murs, deux ou trois instruments sales encore disposés sur un petit tabouret, le prouvaient. C'était un carnage. Le blondinet eut un haut-le-cœur et s'éloigna le plus possible. Écarté des autres, il observa plusieurs autres cellules jusqu'à distingué un homme tapi dans l'ombre.
- Vous le connaissiez bien ? demanda le mystérieux garçon.
- Je ne l'avais rencontré qu'hier mais il était de la famille de mon meilleur ami.
- Ce jeune garçon est très fort, il n'a rien dit, même sous la torture. Très courageux de sa part.
- Depuis combien de temps êtes-vous là ?
- Je dirai quelques heures, pas plus. Cela vous dit-il de passer un marché avec moi ?
- Joshua, appela-t-il, approche s'il te plait.
Le brun laissa Félix entre les mains de Jacob et se dirigea vers lui.
- Cet homme nous propose un marché, je te laisse décider.
- Que demandez-vous monsieur ?
- Si vous me sortez de là, je peux vous être très utile.
Il sortit enfin de l'ombre. Il était âgé d'une trentaine d'années et était vêtu d'un costume.
- Enchanté, je suis Daniel, ex-conseiller de Madame La Présidente.
- J'en déduis que si vous êtes enfermé ici c'est que vous l'avez trahie. Comment être sûr que vous ne recommencerez pas ?
- Vous ne pouvez pas. Vous devez simplement me faire confiance. Si vous voulez avoir une chance de sortir de la prison qu'est cette île vous n'avez pas vraiment le choix.
Joshua s'assit en tailleur et réfléchit. Lui qui avait, d'habitude, toujours réponse à tout était tiraillé entre accepter ou refuser la proposition de l'homme. S'il passait ce marché, tout pourrait bien se passer et ils sortiraient de là sains et saufs ou alors ils pourraient tous se faire avoir, par sa faute, et finir emprisonnés pour le restant de leurs jours. Ou pire. Encore hésitant, il reprit la parole :
- C'est d'accord. Je vous sors de là, mais expliquez-moi d'abord votre « solution ».
- Mon arrestation est récente. Rien n'a encore été dévoilé au public et je possède des contacts dans la capitale et au-dehors, en Nouvelle-Zélande. Je peux m'arranger pour obtenir des faux papiers pour chacun de vous.
- L'île des réfugiés, songea le brun.
Depuis peu, la Nouvelle-Zélande était devenu le territoire où toutes les personnes fuyant le système politique en Australie s'étaient exilées. Suite à cette révélation, Joshua s'exclama :
- Venez par ici ! Nous devons sortir quelqu'un !
Ses complices se servirent d'un banc installé pour les gardes comme levier pour, avec la force adéquate, soulever la porte.
Daniel les remercia et partit à l'opposé d'où venaient les garçons.
- Que faites-vous ? La sortie est de l'autre côté, signala le plus jeune.
- Je sais. Mais il y a un souterrain de ce côté-ci. Avec le crissement du fer et vos cris, les gardiens ont probablement dû être avertis. Il est plus sûr de prendre ce chemin.
Face à ces arguments, personne ne contesta et ils suivirent leur ainé. Les galeries souterraines qu'ils empruntèrent les menèrent à l'extérieur, dans la rue adjacente de l'entrée du bâtiment. Mark se posait des questions et avait besoin de réponse.
- Où étaient les gardes ?
- C'était l'heure de l'apéro collectif petit. Depuis la mise en place du couvre feu, les patrouilles au-dehors se chargent de toute la surveillance. Pendant ce temps-là, c'est repos pour les autres. Alcool et snacks à volonté ! Ils ont l'air méchant avec leurs airs de gros durs mais, ces gardiens, sont de vrais adolescents !
Le trentenaire ricana et prit son téléphone. Il appela un de ses contacts et annonça à ses sauveurs qu'ils se rendraient le lendemain à l'est de la ville.
•~•
La nuit fut rude, le petit groupe avait dormi dans une bâtisse abandonnée pour échapper à la surveillance des gendarmes. Ils avaient des courbatures et Félix n'était pas tout à fait remis de ses émotions mais, dans quelques heures, si tout se passait bien, ils seraient loin de cet endroit.
- Bougez-vous les petits. On ne doit pas arriver en retard.
Ils prirent le bus pendant une bonne heure avant d'arriver au point de rendez-vous. Daniel leur ordonna de rester en place pendant qu'il récupérait les faux passeports. Mark commençait à s'impatienter et à, de nouveau, se poser des questions quand la silhouette de l'homme qu'ils attendaient se dessina au loin, brandissant des documents.
- Vous voilà enfin ! On commençait à douter de votre sincérité.
- Je suis un homme de parole. Voici vos papiers. Par précaution, je vous conseille d'enfiler des lunettes de soleil et un masque. Nous ne sommes jamais trop prudents. Le nom de l'aéroport est indiqué sur vos billets, retenez bien vos nouveaux noms. Partez ensemble, je vous rejoindrai plus tard. J'ai une dernière chose à accomplir.
- Merci beaucoup Daniel. Nous nous reverrons dans quelques jours.
•~•
Des coups sur la porte se firent entendre. Un individu fit son entrée. Cinq jeunes garçons se précipitèrent vers lui et parlèrent tous en même temps. Le plus grand ria légèrement en les voyant si excités à l'idée de retourner chez eux et de, plus ou moins légalement, tenter de reprendre le contrôle de leur pays.
Ils se stoppèrent lorsqu'un autre homme, plus imposant, faisant parti du gouvernement Néo-Zélandais, fit irruption et déclara :
- L'avion vous attend. Vous trouverez tout ce dont vous aurez besoin à l'intérieur. Le but de cette mission est d'éjecter Irène de sa place de présidente et de faire le moins de morts possible. Comme des légionnaires, vous devez être prêts à vous battre pour défendre les libertés qui vous sont évidentes.
Puis cita :
« Ne soyez plus des hommes, devenez des démons. »
Camerone, Bataille au Mexique de la légion étrangère, 1863.
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