7 - Interview

Nanaka croisa les jambes et elle ramena les yeux sur son bloc-notes le temps de calmer les battements de son cœur. Mikey était assis, imperturbable, à quelques pas devant elle. Il avait toujours ce petit sourire, celui qu'il avait en entrant. Mais son regard, comme son expression, n'avaient plus rien à voir avec ceux qu'elle lui avait connus.

Il a l'air heureux... Se dit-elle tandis qu'elle l'examinait discrètement. Haru et lui, ils ont l'air heureux maintenant.

Cette pensée lui remplit la poitrine de chaleur. Si toutes les épreuves qu'elle avait traversées leur avaient permis à tous les deux de trouver le bonheur, alors elle ne regrettait rien.

Il est pilote maintenant, songea-t-elle, je ne savais pas qu'il aimait les motos... En même temps, c'est un ancien bōsōzoku, ça n'a rien d'étonnant.

Toute à ses réflexions, Nanaka enchaîna maladroitement ses questions, posant parfois deux fois la même et bafouillant encore plus que lors de ses premières interviews à l'école de journalisme. Chaque fois qu'elle levait les yeux et croisait son regard, son cœur semblait s'emballer et faire des bonds sauvages dans sa poitrine. Elle avait l'impression d'abriter un petit animal qui refusait de se calmer.

Elle se pencha sur ses notes pour tâcher de se concentrer, les yeux baissés. En vain. Le timbre chaud de Mikey lui faisait courir des frissons sur la peau dès qu'il ouvrait la bouche et elle avait du mal à le cacher.

Sa voix... Il a toujours la même voix, se dit-elle.

Elle se reprit avec l'envie de se mettre des claques.

C'est normal, idiote ! Se sermonna-t-elle. Les gens ne changent pas de voix !

Rien n'y faisait. Sa soudaine proximité la perturbait.

Lorsque l'interview toucha à sa fin, Nanaka laissa échapper un soupir de soulagement et elle retomba dans son fauteuil.

Makoto éteignit sa caméra.

Le trouble de Nanaka ne lui avait pas échappé et, même s'il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, il se doutait que cet homme en était la raison.

– Tadano, on fait une pause, dit-il, j'ai envie de m'en fumer une.

Il récupéra son paquet de cigarettes dans la poche de sa veste et Nanaka bredouilla.

– Euh.. Oui, d'accord, bien sûr.

Makoto la regarda en silence.

En d'autres circonstances elle lui aurait fait remarquer qu'il lui avait dit lui-même à peine quinze minutes plus tôt qu'ils n'avaient pas le temps de se reposer et elle aurait ajouté une réplique bien sentie sur les fumeurs, ces drogués.

Il y avait bien quelque chose qui la chamboulait.

Le regard du cameraman passa de l'un à l'autre et il se demanda une seconde s'il pouvait les laisser seuls. Il décida que ça devrait aller. Cet homme n'était pas comme celui qui l'avait précédé.

En plus Tadano le connaît, se dit-il en se dirigeant vers la porte.

Une fois qu'il fut sorti, Nanaka commença à arranger ses papiers avec des gestes nerveux. Le silence s'était installé entre eux et elle ne savait pas comment le rompre.

Mikey s'en chargea.

– C'est à mon tour de poser des questions maintenant ? Demanda-t-il, amusé par la situation.

Nanaka releva les yeux et elle fut aussitôt capturée par son regard. Mikey avait toujours ces prunelles d'un noir d'encre si sombre qu'on avait l'impression de s'y noyer. Mais il s'y mêlait désormais un éclat presque enfantin qu'elle n'y avait jamais vu.

C'est le VRAI Mikey, réalisa-t-elle. Celui que j'ai connu était le fruit d'un accident, celui-ci c'est l'homme qu'il devait devenir.

Cette révélation lui donna le vertige et elle s'accrocha à l'accoudoir de son fauteuil.

Elle lui retourna son sourire.

– Il y a des questions que vous souhaitez me poser monsieur Sano ?

– Oui, par exemple, d'où est-ce qu'on se connaît ? J'ai beau réfléchir je ne vois pas et pourtant j'ai une bonne mémoire.

Nanaka se mordit la lèvre.

Évidemment...

Elle avait fait une gaffe en ouvrant la porte, cela ne risquait pas de lui avoir échappé.

– Vous faites erreur, tenta-t-elle de s'en tirer. Je vous l'ai dit, je vous ai pris pour quelqu'un d'autre.

Mikey esquissa une moue peu convaincue.

– Il n'y a que les gens qui me connaissent qui m'appellent Mikey, lui fit-il remarquer.

Nanaka ne sut pas quoi répondre.

Elle se creusa la tête, mais ne vit aucun moyen de s'en tirer. Finalement préféra capituler.

– D'accord, je suis grillée, dit-elle avec une mimique gênée. C'est vrai, on se connaît. Mais je ne suis pas surprise que vous n'en ayez gardé aucun souvenir.

– Ah oui ?

– Oui.

– Un indice peut-être ? Dit-il.

Nanaka réfléchit. Puis elle lui dit :

C'est moi l'avion le plus rapide du monde.

Pendant une seconde, ces mots parurent n'avoir eu aucun effet sur Mikey. Puis il écarquilla les yeux de stupéfaction. Dans sa mémoire, il revit la fillette qui l'avait attrapé au vol lorsqu'il était tombé dans les escaliers, chez son grand-père, alors qu'il était enfant.

– Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ça fait mal ! Avait-elle dit en se redressant, la tête dans les mains. T'es vraiment un abruti Sano ! Tu peux pas faire attention, non ?

– C'était toi... Souffla-t-il stupéfait.

Nanaka sourit.

– Oui, dit-elle.

Mikey se pencha brusquement en avant sur le bord du fauteuil.

– Si tu savais combien de temps je t'ai cherchée ! Dit-il. Personne ne semblait rien savoir à ton sujet ! C'est comme si tu étais apparue à ce moment-là pour te volatiliser la seconde suivante !

– Ah oui ? Dit-elle. Je ne savais pas. Moi, je t'ai juste entendu tomber en passant devant chez toi et je me suis précipitée pour t'attraper au vol. On a vraiment eu de la chance tous les deux sur ce coup-là.

Nanaka n'avait aucun mal à mentir. Cette histoire, c'était celle qu'elle s'était répétée encore et encore quand elle essayait d'oublier.

– Vraiment ?

– Bien sûr ! Dit-elle sincèrement surprise. Quoi d'autre ? Tu me dois une glace d'ailleurs, j'ai fait tomber la mienne sur le trottoir en courant.

Le regard de Mikey plongea dans le sien. Finalement il retourna s'adosser dans le fauteuil.

Ça n'était pas parce que Takemichi et lui avaient remonté le temps que d'autres avaient vécu des expériences similaires. Il était tout à fait possible que l'intervention de cette fillette soit un hasard.

Il rit.

– Takemicchou m'avait pourtant prévenu de faire attention dans les escaliers ce jour-là ! Dit-il. Mais comme d'habitude je ne l'ai pas écouté. Il a fait une de ces têtes quand je lui ai dit que j'étais tombé, heureusement que tu m'as rattrapé !

Nanaka le regarda sans comprendre. Qui était Takemicchou ?

Mikey se redressa.

– Un resto ce soir, ça te tente ? Lui dit-il. En échange de la glace et aussi pour te remercier de m'avoir sauvé la vie.

– Je veux bien, dit-elle, mais tu n'as pas une course importante demain ?

Il rigola.

– C'est bon ! Je suis le meilleur !

Elle rit à son tour. Étrangement, dans sa bouche à lui, ces mots ne la gênaient pas.

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