44 - Interruption
La séance reprit en début d'après-midi après une courte pause et le public se pressa aux portes du tribunal.
Nanaka fut ramenée à côté de son avocat.
Elle n'avait pas réussi à se détendre, tout au plus avait-elle grignoté le repas destiné aux détenus.
Elle jeta un œil dans la salle, mais fut surprise de ne pas y voir Mikey.
Où est-ce qu'il est ? Se demanda-t-elle en le cherchant nerveusement du regard. Il est en retard ?
Elle ne s'était pas rendue compte à quel point sa présence était importante à ses yeux avant qu'il ne s'absente.
Draken était bien là lui et il lui fit un petit signe de la main quand il croisa son regard. Cela la rassura un peu, mais pas autant qu'elle l'aurait souhaité.
Elle ramena son attention sur la table devant elle et s'efforça de se calmer.
Tout va bien, se répéta-t-elle. Il va arriver d'une minute à l'autre. Je suis persuadée qu'il n'est pas loin. Il a sûrement eu un contretemps.
Son cœur refusait néanmoins de ralentir et elle sentait ses battements résonner jusque dans sa gorge.
La porte s'entrouvrit et Mikey parut, un petit sourire en coin.
Le greffier qui venait de fermer le foudroya du regard, mais Mikey ne lui accorda même pas un coup d'œil. Il retourna s'asseoir à côté de Draken et tous les deux échangèrent à voix basse, ponctuant leurs phrases de hochements de tête entendus.
Lorsqu'il était entré dans la salle, Nanaka avait eu l'impression qu'un nœud se défaisait dans sa poitrine.
Elle se retourna vers la cour qui finissait de prendre place, soulagée.
Est-ce que quelqu'un m'a déjà fait le dixième de l'effet qu'il me fait ? Se demanda-t-elle.
La réponse, Nanaka la connaissait. Personne n'avait jamais eu une emprise pareille sur ses sentiments.
Même Rikorin, s'aperçut-elle.
L'affection qu'elle portait à sa sœur était sincère, c'était même l'amour le plus profond qu'elle n'ait jamais éprouvé. Mais il ne s'y mêlait pas cet attachement presque viscéral qui lui donnait l'impression que sa vie toute entière dépendait de la simple existence de l'autre.
Au lieu de l'effrayer, cette idée lui réchauffa étrangement le cœur.
C'est cela aimer...
Le juge ramena le silence dans la salle et les murmures se turent.
L'après-midi fut consacrée à l'audition des familles des victimes.
Leurs témoignages tirèrent des larmes à plus d'un et même Nanaka eut le cœur serré en voyant une jeune mère sangloter à la barre en évoquant la mort de son mari.
Elle avait beau savoir que toute cette mise en scène était orchestrée par le procureur, elle n'en était pas moins bouleversée.
Ils ont brisé tant de vies... Il est hors de question que je les laisse bousiller la mienne aussi !
Au lieu de l'affaiblir, ces témoignages renforcèrent sa détermination.
Toutefois tandis que les témoins défilaient, Nanaka se demanda quel visage elle devait présenter.
Si je fais mine d'être émue, on va croire que j'ai des remords, mais si je reste impassible, on va dire que je suis un assassin sans cœur.
Elle était déroutée et elle aurait aimé demander conseil à son avocat, mais Konemori gardait le regard rivé droit devant lui, l'air absent, comme si tout cela ne le concernait pas.
Comment compte-t-il me tirer de là ? Se demanda-t-elle. Est-ce qu'il a un plan au moins ?
Elle se mordit la langue au moment où cette pensée la traversait.
Arrête ça, s'intima-t-elle. Tu vas t'en sortir, il n'y a pas le moindre doute ! Tu dois faire confiance à Mikey et à ses amis !
Elle s'aperçut que sa confiance était en réalité exclusivement placée en Mikey. S'il lui avait raconté que le coupable allait débarquer tout à coup au milieu de l'audience pour avouer ses crimes, elle l'aurait cru sur parole.
Quand suis-je devenue ce genre de filles, candide et un peu crédule ? Se demanda-t-elle. Est-ce que c'est lui qui me rend comme ça ?
Elle ramena les yeux sur ses mains fermées en poings et pinça les lèvres.
Non, ça n'est pas ça... Comprit-elle. En réalité, j'ai toujours été ainsi. Gentille, confiante, même un peu naïve... Comme Rikorin. On est jumelles après tout. C'est juste que, jusqu'à présent, je ne m'autorisais pas à le montrer. Mais maintenant qu'il est là... Je n'ai plus peur d'être moi.
Nanaka déglutit péniblement.
Il lui avait fallu en arriver là pour s'en rendre compte. Maintenant, elle espérait juste que tout se terminerait bien.
Lorsque le procureur eut fini d'interroger ses témoins, Konemori prit la relève.
À la surprise de Nanaka, il appela à la barre l'inspecteur qui l'avait arrêtée, Fubuki Ido.
– Inspecteur Fubuki, commença-t-il en déposant plusieurs feuillets devant lui. Pouvez-vous nous dire ce que sont ces documents ?
Le policier se pencha pour les examiner.
– Je dirais que ce sont des relevés de comptes, répondit-il. Mais je ne suis pas un spécialiste, vous devriez demander à un comptable.
– Je vous assure que vous êtes tout à fait la personne que je voulais voir, rétorqua l'avocat avant de poursuivre. Pouvez-vous nous dire quel est le nom de la compagnie inscrit sur l'en-tête de ces documents ?
Fubuki les regarda à nouveau. Puis il fronça les sourcils.
– Les entreprises Mori, dit-il.
– Je vous ai vu froncer les sourcils, releva l'avocat. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
L'inspecteur souffla.
– Les entreprises Mori font actuellement l'objet d'une enquête pour blanchiment d'argent d'un clan yakuza. Le clan Kilihito.
Une vague de murmures stupéfaits monta de la salle. Ce jeune clan yakuza s'était fait connaître ces derniers mois par la violence de ses méthodes. On disait qu'il ne reculait devant rien pour se faire une place dans la pègre.
Konemori sortit de nouveaux papiers de sa pochette et il les étala un à un devant le policier.
– Pouvez-vous à présent nous en dire plus sur ces compagnies ?
Le policier étudia les documents un par un et son front s'assombrit un peu plus à chaque papier.
– Kama Industrie est une filiale du groupe Kone, répondit-il, eux aussi sont sous le coup d'une enquête. Pareil pour Kaox et Igashi Company, ajouta-t-il en montrant les autres documents. Toutes les trois sont soupçonnées de servir de sociétés écrans au clan Kilihito et de blanchir de l'argent pour eux.
Cette fois, le juge dut jouer du maillet pour ramener le silence dans la salle.
Lorsque les voix se turent il se tourna vers l'avocat.
– Maître Konemori, quel est le rapport avec notre affaire et où avez-vous eu ces documents ?
– Je les ai obtenus auprès d'un proche de la première victime, leur apprit l'avocat. Ce dernier les lui avait confié en faisant passer ça pour ses papiers personnels. Apparemment il semblerait qu'il ait servi de comptable à ce clan yakuza. Tout porte à croire qu'il avait monté une double comptabilité pour masquer les fraudes de ces entreprises...
Konemori se tourna vers le policier et ajouta :
– Mais je ne suis pas un spécialiste, dit-il avec un rictus, il faudrait demander à un comptable.
Fubuki Ido ne l'écoutait plus. Toute son attention était tournée vers les documents qu'il brûlait de toute évidence d'étudier en détail.
L'avocat retourna s'asseoir et le procureur prit le relais.
– Mon collègue vient de nous fournir la preuve de la probable implication de la mafia dans ces crimes et je l'en remercie. Mais cela n'innocente pas sa cliente, bien au contraire. Inspecteur Fubuki, pouvez-vous nous dresser le profil d'un tueur de la mafia ?
Le policier réfléchit.
– Le plus souvent ce sont eux-mêmes des yakuzas, répondit-il. Mais plus rarement, les clans engagent des professionnels. Dans ce cas-là, l'assassin ressemble à monsieur ou madame tout le monde. Les tueurs professionnels cultivent une apparence banale afin d'approcher plus facilement leurs victimes.
Le procureur se tourna vers la salle pour prendre le public à témoin.
– Une apparence banale, répéta-t-il. Comme mademoiselle Tadano.
Nanaka se sentit grincer des dents. En une seule question, le procureur venait de retourner la situation. Toutes les découvertes faites par son avocat semblaient désormais servir son propos.
Je ne vais pas m'en sortir à ce rythme...
La porte se rouvrit dans son dos, la tirant de ses pensées.
Toutes les têtes se tournèrent et le juge soupira.
– Ce tribunal n'est pas un hall de gare, fit-il remarquer.
Le nouveau venu, un petit homme au regard fuyant, referma la porte derrière lui et parcourut du regard les visages qui s'étaient tournés vers lui.
Il hésita et marmonna :
– En fait... on m'a dit de venir là parce que je sais qui a tué ces types-là, ceux de votre procès.
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