41 - Détention
La sonnerie stridente déchira le silence du couloir et Nanaka se leva.
Elle avait les jambes ankylosées à force de rester à genoux sur les tatamis de sa cellule. Si au moins elle avait le droit d'appuyer le dos au mur, mais c'était interdit. Comme de parler, de s'allonger ou même de faire du sport dans sa cellule.
Debout, elle attendit que la porte s'ouvre à la suite de toutes les autres.
Une fois dans le couloir, Nanaka se plaça en silence dans la file des détenues. Là, il fallait tendre le bras et le poser sur l'épaule de la fille qui vous précédait. Les déplacements se faisaient toujours ainsi en prison. À distance réglementaire, au pas et en silence.
Le réfectoire où elles arrivèrent était une vaste salle carrée avec des tables alignées d'un bout à l'autre, bordées de tabourets. Là aussi, il fallait se tenir derrière sa place attitrée et attendre une sonnerie pour s'asseoir et manger.
Tout était chronométré ici. Les repas duraient treize minutes. Pas une de plus. Quand retentissait le signal de fin, il fallait saluer, se lever et ranger son tabouret sous la table. Interdiction de prendre une bouchée supplémentaire et encore moins de mettre de la nourriture dans ses poches pour plus tard.
Mais ça n'était pas le pire. Les passages aux douches, comme aux toilettes étaient eux aussi scrupuleusement minutés et même la position dans laquelle vous dormiez était codifiée, toujours sur le dos, le visage visible.
Nanaka s'étonnait de voir à quelle vitesse son corps s'était adapté à ce rythme. En quelques jours, elle commençait à ne ressentir le besoin de passer aux toilettes qu'aux heures prescrites par le règlement et si, les premiers temps, un gardien avait dû tambouriner aux barreaux de sa cellule parce qu'elle avait roulé sur le côté en dormant, elle finissait maintenant par dormir toute la nuit sur le dos sans bouger.
Officiellement, les détenus avaient droit à trente minutes d'exercice par jour, mais dans les faits ils les passaient généralement dans une petite cour grillagée à peine assez large pour se dégourdir les jambes avec, comme seule vue, un coin de ciel au-dessus de leurs têtes.
L'avantage de la prison, c'est qu'elle laissait du temps pour penser. Et penser, Nanaka ne s'en privait pas.
Après l'audience, dans le bureau où Konemori l'avait rejointe, elle avait fouillé dans ses souvenirs à la recherche du moindre détail qui pourrait aider l'avocat à l'innocenter. Tout en lui racontant ce qui lui revenait, elle avait commencé à revoir plus distinctement l'incident de la ruelle, comme si le mettre en mots éclaircissait sa mémoire.
L'homme était arrivé vers elle en courant et, s'il ne l'avait pas vue, c'est parce qu'il regardait par-dessus son épaule avec effroi.
Il était poursuivi et moi je l'ai à moitié assommé... Quelle imbécile je fais ! Son assassin a dû bien me remercier !
– Je ne pense pas que ça suffira à trouver le vrai coupable, avait-elle conclu après avoir raconté tout ce dont elle se souvenait à l'avocat. Si au moins je me rappelais qui j'ai pu voir en sortant de la ruelle...
Elle s'était rassise, la tête dans les mains pour réfléchir, mais il n'y avait rien à faire. C'était le trou noir.
– Ne vous occupez plus de ça, lui avait-il dit. On prend le relais maintenant.
Nanaka avait relevé les yeux.
– Que comptez-vous faire ? Avait-elle demandé.
Konemori était en train de ranger son bloc-notes dans sa mallette.
– Je vais faire quelques recherches sur la victime, avait-il dit. S'il avait des liens avec les yakuzas, je devrais en trouver des traces. Le reste, je laisse Kisaki s'en occuper, c'est sa partie.
– Kisaki ?
– Kisaki Tetta, lui avait répondu Konemori. L'homme qui paie les factures. Apparemment c'est un ami de votre petit copain.
Ce nom ne lui était pas inconnu.
Un ami de Mikey ?
Lorsqu'il était parti, Nanaka avait à l'esprit plus de questions que de réponses.
Et les premières portaient sur le meurtre de la ruelle.
Ce type était poursuivi et apparemment ce serait des yakuzas qui l'avaient pris en chasse.
Tout cela lui semblait logique maintenant qu'elle observait les faits avec détachement. Pourquoi cet homme aurait-il été en train de courir si ça n'était pas pour échapper à quelqu'un ?
Si seulement je l'avais aidé au lieu de le cogner...
Mais il était trop tard pour regretter. Tout ce qu'elle pouvait faire maintenant, c'était aider à démasquer ses véritables meurtriers.
Durant tout le trajet de retour jusqu'à la prison, elle s'était efforcée de réfléchir aux liens qui pouvaient exister entre tous ces événements.
Des yakuzas seraient coupables... D'accord, mais lesquels ?
Il existait presque autant de clans mafieux que de quartiers à Tokyo. Autant dire que cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin.
Et ces deux autres corps... Comment le procureur a-t-il eu l'information ? Est-ce que quelqu'un l'a vraiment mis sur la voie ? Ou bien est-ce qu'on l'a payé pour me les faire endosser...?
Elle allait trop loin, elle le savait. Mais elle ne pouvait pas empêcher son esprit de divaguer.
Elle était revenue à son problème principal.
Comment faire pour les aider ?
Mais elle avait beau retourner cette question dans tous les sens, elle ne voyait aucun moyen d'agir.
Merde ! Je ne vais quand même pas les laisser me pendre pour des meurtres que je n'ai pas commis ?
Les premiers jours, Nanaka s'était fait violence pour résister à l'envie de demander à voir l'avocat. Elle voulait savoir comment se passait son enquête, elle voulait connaître chacun des mots qu'il avait entendu et chacune des pistes qu'il suivait.
Mais elle savait que si elle faisait cela, elle le ralentirait dans son travail.
Le mieux à faire, c'est de me tenir tranquille... Quand il aura du nouveau, il me le dira.
Même si c'était la meilleure décision, cet immobilisme n'était pas loin de la rendre folle. Pour la première fois, Nanaka était obligée de s'en remettre complètement à d'autres. Il n'y avait rien qu'elle puisse faire ou dire pour influencer les événements et, pire encore, elle n'avait pas la moindre idée de la façon dont son affaire se déroulait et de ce qui se passait en dehors des murs de la prison.
Pour la première fois, elle avait totalement perdu le contrôle de sa vie. Et cela la terrifiait.
Même dans son autre vie, elle n'avait jamais ressenti pareille impuissance. Elle était pieds et poings liés et son destin tout entier reposait entre les mains d'autres personnes.
Il faut que je me calme, s'enjoignit-elle un jour alors qu'elle tournait en rond dans la petite cour réservée à l'exercice. Je dois me reprendre sinon je vais devenir folle. Il faut que je leur fasse confiance !
Ces derniers mots l'apaisèrent un peu. De l'autre côté de ces murs, il y avait Riko, sa sœur jumelle. Rikorin prendrait soin de leur mère et de leur grand-père, Nanaka n'avait pas de doute à ce sujet, elle ferait en sorte qu'ils restent à l'écart des aspects les plus sordides de cette affaire et qu'ils s'inquiètent le moins possible.
Et puis il y avait cet avocat. Avec sa dégaine de yakuza, Konemori saurait où chercher les réponses à ses questions.
Et il y avait surtout Mikey.
Le seul fait de penser à lui réchauffa le cœur de Nanaka et elle repensa aux derniers mots qu'elle lui avait dits.
Je t'aime et je t'ai toujours aimé. Je ferai n'importe quoi pour te protéger.
C'était la vérité. Elle l'avait toujours aimé. Même autrefois, dans cette existence qui avait précédé celle-ci, elle l'aimait déjà.
Je suis heureuse de l'avoir retrouvé... Songea-t-elle.
En dépit de tout ce qu'elle devait traverser à présent, cette pensée était comme un phare qui la guidait.
Quoi qu'il arrive, je serai toujours heureuse de l'avoir retrouvé.
Restait ce Kisaki.
Passée sa première surprise, Nanaka s'était finalement souvenue où elle avait déjà entendu ce nom.
Autrefois, quand elle était flic et qu'elle enquêtait sur Mikey et sur le Bonten, quelqu'un l'avait mentionné devant elle. Elle n'arrivait plus à se souvenir qui, ça datait d'il y a si longtemps, mais il lui semblait qu'il avait été lié à plusieurs meurtres.
C'est peut-être la personne idéale pour m'aider, essaya-t-elle de se rassurer. Rien de tel qu'un meurtrier pour en débusquer un autre. Et puis Mikey lui fait confiance...
C'était cela surtout qui la rassurait, la confiance que lui accordait Mikey.
Elle comprit alors qu'elle avait déjà remis son destin entre d'autres mains sans même s'en rendre compte.
Et ces mains étaient celles de Manjirō Sano.
Cette pensée lui coupa le souffle. la confiance qu'elle avait en lui était si naturelle, qu'elle s'était imposée sans même que Nanaka s'en aperçoive.
Elle continua à longer le grillage de la cour, rassurée.
Je n'ai pas à m'en faire, se dit-elle. Lui et ses amis sauront comment me sortir de là. Tout ce que j'ai à faire, c'est croire en eux et attendre.
NDA : Toutes les descriptions de la vie en prison au Japon sont tirées de témoignages d'anciens détenus. Le milieu carcéral est très dur au Japon. Par exemple, il n'existe pas de remise de peine pour bonne conduite. En cas de conduite exemplaire durant votre détention vous pouvez obtenir des privilèges, comme le droit d'appuyer votre dos au mur dans votre cellule (oui, oui, vous avez bien lu ! )
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