36 - Sacrifice
En quittant les locaux de KTXKO, Mikey se sentait un peu plus serein. Kisaki ne lui avait fait aucune promesse, mais il avait le sentiment d'avoir remis ses craintes entre les mains des personnes les plus compétentes qu'il connaisse. Kisaki et Koko sauraient quoi faire, il en était certain.
Tout en longeant le trottoir, Mikey songea qu'il aurait dû penser à aller les voir plus tôt.
Pourquoi je ne l'ai pas fait ?
La vérité, c'est que la peur l'avait empêché de réfléchir. Une peur comme il n'en avait plus connue depuis longtemps. L'idée de voir Shichi sortir de sa vie lui serrait la gorge au point de l'étrangler. Cela lui avait rappelé ces années, après la mort de Shinichiro, où il craignait constamment pour ses proches.
Ce qui ne l'avait pas empêché de perdre Baji, puis Emma, Izana et enfin Draken.
Oui, mais à ce moment-là, j'étais seul et j'étais persuadé que je devais tout faire sans l'aide de quiconque, se dit-il. Maintenant j'ai Takemicchou et moi aussi j'ai changé. J'ai compris que je pouvais m'appuyer sur les autres et j'ai confiance en Kisaki.
Cette pensée le tranquillisa.
On va te sortir de là Shichi... Sois patiente...
Heureusement que Kenchin avait pensé à aller les voir, lui. Encore aujourd'hui, Mikey se demandait ce qu'il ferait sans lui.
– Merci Kenchin, dit-il. C'était une bonne idée d'aller leur demander de l'aide.
– Ta copine n'est pas encore tirée d'affaires, lui rappela Draken, mais on peut avoir confiance en ces deux-là. Ils feront tout leur possible.
– Oui, tu as raison.
Le lendemain, ce fut un avocat d'un genre particulier qui se présenta à la porte du centre de détention de Katsushika. En plus de ses lunettes de soleil à verres réfléchissants et de son costume à fines rayures, on pouvait distinguer l'extrémité des tatouages qui couvraient ses bras sous les manches de sa veste et les cicatrices, traces d'anciens combats de rue, sur son visage.
Le garde, à l'entrée du centre, hésita en le voyant approcher. Il recula dans sa loge et lui fit signe de patienter pour appeler son supérieur.
Jinzō Konemori ne s'en offusqua pas. Il avait l'habitude. Son allure de yakuza lui fermait beaucoup de portes. En échange, elle lui en ouvrait d'autres. Fils cadet d'un chef de clan mafieux, il avait été mis au ban de sa famille lorsqu'il avait tenu tête à son père pour pouvoir faire son droit. Il devait à Tetta Kisaki de n'avoir pas fini en prison avec les siens lorsque les Konemori s'étaient retrouvés dans le viseur de la justice, après la promulgation de la loi antigang.
Aujourd'hui, Jinzō Konemori avait changé de vie et le seul lien qui le reliait encore à son ancien monde, c'était son rôle d'avocat, un métier pour lequel il était allé jusqu'à défier sa propre famille.
Quelques minutes plus tard, le gardien fut de retour et il lui ouvrit la porte après avoir confirmé son identité auprès de sa hiérarchie.
– Toutes mes excuses Maître, dit-il. La sécurité est notre priorité, vous comprenez.
– Je comprends tout à fait, répondit l'avocat, ne vous faites pas de soucis pour ça.
Il avait pris l'habitude d'entretenir de bonnes relations avec le personnel des prisons. Qui pouvait savoir quand il en aurait besoin ?
Il rangea ses lunettes de soleil dans la poche de sa veste avant d'emboîter le pas au gardien qui avait été chargé de le conduire.
C'était la première fois qu'il pénétrait dans le quartier réservé aux femmes. Jusqu'à présent, ses clients avaient toujours été des hommes, d'anciens yakuzas ou des membres de leurs familles au prise avec la mafia.
D'après ce que Kisaki lui avait dit, Nanaka Tadano avait tué un homme à coups de poings en étant sous l'emprise de l'alcool. Konemori ne pouvait pas s'empêcher d'imaginer un mastodonte quand il pensait à elle.
Le garde le laissa dans la pièce dépourvue de caméra et de système d'écoute destinée aux rendez-vous entre les détenus et les avocats et Jinzō Konemori commença à sortir des papiers de sa mallette en attendant sa cliente.
Le coup de fil de Kisaki, la veille, ne l'avait pas surpris. Ça faisait longtemps que l'avocat attendait de pouvoir retourner l'ascenseur au chef d'entreprise. Kisaki avait témoigné en sa faveur lorsqu'il était devenu évident que les Konemori étaient tous pourris jusqu'à la moelle. Sans lui, en ce moment, il serait derrière les barreaux.
La porte se rouvrit et Konemori ne put masquer sa stupéfaction quand on lui amena un petit bout de femme qui devait à peine lui arriver au-dessus de la ceinture.
Nanaka s'assit et le garde ressortit après leur avoir rappelé qu'ils devraient frapper à la porte quand ils auraient fini.
L'avocat, qui s'était levé à leur entrée, se rassit.
Il regarda Nanaka tout en se demandant s'il s'agissait d'une erreur, mais elle ne lui laissa pas le temps d'ouvrir la bouche.
– Vous êtes Maître Konemori ? Dit-elle.
Elle avait la voix éraillée, comme si elle avait trop crié, et ses traits tirés, comme les cernes sous ses yeux, montraient qu'elle ne dormait pas assez. Elle avait aussi les joues creusées.
Malgré tout, la détermination brillait dans son regard.
– Nanaka Tadano ? Répondit-il.
– C'est moi, dit-elle. J'ai accepté de vous recevoir pour une seule raison, je veux que vous leur transmettiez un message. Dites-leur d'arrêter d'essayer de m'aider.
Elle n'ajouta rien et l'avocat la regarda sans comprendre.
– Pourquoi ? Dit-il enfin.
– Peu importe, dit-elle en se levant. Dites-leur juste d'arrêter.
Elle rejoignit la porte et frappa pour qu'on vienne la chercher.
Avant que la porte ne s'ouvre, elle se tourna à demi vers l'avocat.
– Dites-leur qu'il vaut mieux qu'ils m'oublient, dit-elle.
Puis elle sortit avec un des gardes.
Konemori appela Kisaki arrivé sur le parking du centre de détention.
– C'est ce qu'elle a dit ? Demanda ce dernier.
L'avocat lui avait rapporté leur bref entretien.
– Oui, dit-il. Rien de plus.
– Je vois.
– Qu'est-ce que vous voulez faire monsieur Kisaki ? Abandonner ?
À l'autre bout du fil, Kisaki répondit :
– Non, dit-il. Laissez-moi passer un coup de téléphone, je vous rappelle.
Kisaki raccrocha et il appela Mikey.
– Va la voir, lui dit-il quand il eut fini de lui expliquer la situation. Va la voir et remets-lui les idées en place !
Il y avait de l'irritation dans sa voix.
– Je ne sais pas... Répondit Mikey. Sa sœur serait peut-être plus indiquée ?
Il était désarçonné d'apprendre que Nanaka voulait renoncer à se défendre. Jusqu'à cet instant, il pensait qu'elle se battrait bec et ongles pour retrouver la liberté, que rien n'aurait plus d'importance à ses yeux que de retrouver les personnes qu'elle aimait. Et voilà qu'elle leur annonçait qu'elle ne voulait plus de leur aide.
Shichi... Pourquoi tu fais ça ?
Il avait comme un arrière-goût de trahison au fond de la bouche.
– Je pense que non justement, reprit Kisaki. Je pense que c'est toi la personne la plus appropriée pour lui faire entendre raison.
Mikey n'était pas convaincu.
– Qu'est-ce qui te fait croire ça ? Dit-il.
– Parce que je suis pratiquement certain qu'elle nous fait un espèce de délire de justice à la con et qu'elle pense qu'elle doit se sacrifier pour le bien de tous, le genre de conneries que tu pourrais faire toi aussi, je me trompe ?
Mikey resta muet de stupeur.
Kisaki, comme les autres, avait par moment des souvenirs de leurs vies précédentes et Mikey, à l'image de Takemicchou, était à chaque fois surpris par leur perspicacité.
– Alors va la voir ! Reprit Kisaki sans lui laisser le temps de répondre. Va la voir et mets-lui le nez dans sa merde ! N'hésite pas à lui dire que si elle ne se bouge pas, c'est la peine de mort qui l'attend !
Puis il raccrocha.
Il avait un peu exagéré, il le savait. La peine de mort n'était jamais prononcée au Japon pour un simple homicide accidentel, il fallait au moins être un meurtrier récidiviste. Mais Kisaki se disait que s'il arrivait à faire peur à Nanaka, elle réagirait peut-être.
L'avocat fut de retour au centre de détention de Katsushika le lendemain, mais cette fois il n'était pas seul. Mikey l'accompagnait.
Ce dernier n'était toujours pas convaincu par l'idée de Kisaki, mais puisqu'il avait décidé de s'en remettre à lui, autant faire ce qu'il lui demandait.
Et puis la vérité, c'est qu'il avait envie de voir Nanaka. Il en avait besoin, elle lui manquait.
– Normalement les visites ne sont pas autorisées en dehors des membres de la famille, lui dit l'avocat. J'ai réussi à obtenir une dérogation exceptionnelle, alors allez droit au but et ne traînez pas. Ils ne nous autorisent que cinq minutes.
Mikey hocha la tête.
– C'est compris, dit-il.
Peut-être que quand il la verrait se disait-il, il comprendrait pourquoi elle faisait cela.
La salle où on les conduisit était un parloir classique séparé en deux par une paroi en plexiglas. Rien à voir avec la pièce où les avocats s'entretenaient avec leurs clients à l'abri des oreilles indiscrètes.
Mikey garda les yeux sur la porte, de l'autre côté de la vitre, et l'avocat recula contre le mur pour leur laisser un peu d'intimité.
Lui aussi espérait que cet entretien ferait changer d'avis sa cliente. Même s'il ne l'avait pas dit à Kisaki, il n'aimait pas la lueur qu'il avait vue dans son regard. C'était comme si Nanaka Tadano se pensait déjà morte.
La seconde porte s'ouvrit et Nanaka entra accompagnée par une gardienne.
– Cinq minutes, annonça cette dernière en la conduisant à la chaise, face à la vitre.
Nanaka hocha la tête et elle ramena les yeux sur Mikey.
Elle sourit.
– Tu es venu, dit-elle.
Il y avait de la chaleur dans sa voix. Quoi qu'elle en dise, elle était heureuse de le voir. Sa simple présence apaisait un peu cette terreur qui lui emplissait le ventre depuis qu'elle avait pris sa décision.
Mikey se pencha brusquement en avant, les mains sur la vitre.
– Shichi ! Dit-il. Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu ne veux pas qu'on t'aide ? Konemori est un pro ! Il peut te tirer d'affaires ! Laisse-le faire !
Nanaka choisit ses mots avec soin. Elle avait bien réfléchi à ce qu'elle devait lui dire si jamais Mikey venait en personne lui poser la question et elle ne voulait pas perdre sa chance de lui expliquer les raisons de son geste.
– Mikey écoute... Dit-elle. Il faut que je le fasse, tu comprends, pas vrai ?
Elle plongea son regard dans le sien comme si cela pouvait lui permettre de lire dans ses pensées et ajouta :
– Je ne peux pas vivre avec ce que j'ai fait sur la conscience... c'est trop horrible.
Mikey se redressa.
Il mit un instant à comprendre.
Nanaka ne parlait pas de l'homme de la ruelle.
Elle parlait du Bonten.
Nanaka était en train de se punir pour les crimes qu'elle avait commis lorsqu'elle était au service du Bonten.
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