31 - Beuverie

Son carton sous le bras, Nanaka sortit du bâtiment sans un regard en arrière. 

Une fois sur le trottoir, elle jeta un œil autour d'elle. Jamais elle n'était partie aussi tôt, l'après-midi venait à peine de commencer et les rues étaient noires de monde.

Elle réfléchit et s'éloigna en direction de la gare de Shibuya et de son quartier animé. Finalement, elle n'avait pas envie de rentrer chez elle pour se retrouver seule dans son appartement à déprimer.

Il va aussi falloir que je me trouve un autre appart, réalisa-t-elle, je ne pourrais plus payer le loyer de celui-ci...

Cette idée la démoralisa plus que tout et elle tourna ses pas vers le sud de Shibuya et ses petites rues qui offraient des izakayas presque tous les dix mètres.

(NDA : Izakaya, bar, bistrot au Japon où l'on trouve aussi à manger)

J'ai besoin de boire un verre... Se dit-elle. Voilà, c'est ça, je veux boire un truc, fort si possible !

Elle plongea la main dans sa poche pour éteindre son téléphone – elle n'avait envie de parler à personne – et se mit en route.




Nanaka jeta son dévolu sur une petite gargote, la seule qui soit déjà ouverte à cette heure, et elle s'installa au comptoir, sa boîte posée à côté d'elle.

– Un sake, commanda-t-elle, et laissez-moi la bouteille tant qu'à faire.

– Sale journée ? Lui demanda le patron en la servant.

– Vous n'imaginez même pas, répondit-elle.

Il posa la bouteille à côté d'elle et ajouta :

– Alors ça ira mieux demain.

– J'espère... Souffla Nanaka tandis qu'il s'éloignait.

Elle vida le premier verre d'une traite et se resservit.

Elle avait beau retourner le problème dans sa tête, elle ne voyait pas comment elle pourrait de nouveau travailler dans le journalisme.

Si NHK licencie, je n'imagine même pas les petits médias. De toute façon, je n'irai jamais très loin dans une petite boîte sans envergure. Pour devenir une reporter reconnue, il me faudrait une grosse société. Mais il n'y en aura plus une seule pour m'embaucher maintenant. Surtout vu la situation économique. Sans compter qu'à la NHK je n'ai fait que servir de bouche-trou et travailler au service des sports, tu parles d'une expérience à mettre sur un CV...

Elle soupira et laissa tomber sa tête sur son bras.

– Toutes ces années foutues en l'air pour rien ! Lâcha-t-elle.

Elle essaya de réfléchir au domaine dans lequel elle pourrait se reconvertir, mais aucune idée ne lui vint.

Je pourrais postuler dans la police, se dit-elle, ça n'est pas comme si je ne l'avais jamais fait et je suis sûre que je peux réussir à nouveau le concours haut la main !

Mais la pensée de s'engager dans une voie semblable à celle qu'elle avait suivie dans son ancienne vie lui fit froid dans le dos.

Non, c'est une mauvaise idée...

La tête dans la main et les yeux dans le vague, Nanaka continua à s'enivrer méthodiquement sans se soucier de l'heure et quand elle releva les yeux, elle s'aperçut que, dehors, la nuit était en train de tomber.

Ça fait combien de temps que je suis là ?

De l'autre côté du comptoir, le barman la regardait de temps à autre et Nanaka sortit son téléphone pour consulter l'heure. Elle se rappela alors qu'elle l'avait éteint. Elle le fourra de nouveau dans son sac sans le rallumer et se leva en titubant.

– Combien je vous dois ? Demanda-t-elle.




Après avoir réglé, Nanaka sortit de l'izakaya, sa boîte en carton sous le bras, et elle prit la direction de la gare.

Tu es vraiment pitoyable, se sermonna-t-elle, tu rencontres un petit contretemps et voilà comment tu réagis ? Tu préférais l'autre futur peut-être ? Ne me fais pas rire ! Perdre son job, c'est rien en comparaison ! Tu vas me faire le plaisir de te remuer ! Tu es loin d'être une imbécile, tu trouveras un autre boulot, ça ne fait aucun doute !

Tout en grommelant sourdement, elle longeant les petites rues d'un pas incertain, se tenant par moment aux réverbères pour ne pas perdre l'équilibre.

Elle coupa par une ruelle pour rejoindre le boulevard, non loin de la gare, lorsqu'un homme arriva en courant en face en jetant des regards par-dessus son épaule.

Il ne la vit qu'à la dernière minute. Il la percuta de l'épaule et l'envoya heurter le mur voisin.

Sous le choc, Nanaka lâcha sa boîte qui alla s'écraser au sol. Le bruit de porcelaine brisée ne laissait planer aucun doute sur la triste fin du mug de Riko.

Nanaka se redressa, furieuse.

– MAIS PUTAIN REGARDE UN PEU OÙ TU VAS CONNARD ! Cria-t-elle.

L'homme ne lui accorda pas une seconde d'attention. Il s'apprêta à repartir en courant, mais elle l'attrapa par le col de sa veste avant qu'il ait fait un geste et amena son visage près du sien.

– JE TE PARLE ENFOIRÉ ! TU VAS M'ÉCOUTER OUI ? Lui dit-elle.

L'autre parut seulement se rendre compte de sa présence. Il regarda tour à tour la femme qui le tenait à la gorge et la rue, derrière lui. 

Ivre, Nanaka lui écrasa son poing dans la figure pour lui rappeler qu'elle était là.

– QU'EST-CE QUE VOUS AVEZ TOUS À ME FAIRE CHIER AUJOURD'HUI ? Dit-elle. C'EST UN CONCOURS OU QUOI ?

Sans attendre de réponse, elle lui administra un nouveau coup qui lui fit voler la tête en arrière, puis elle le ramena vers elle et lui envoya son genou dans le plexus, vidant d'un coup tout l'air contenu dans ses poumons.

L'homme tomba à genoux, les mains sur le ventre et le souffle court, et il essaya de reprendre sa respiration.

Nanaka alla examiner ce qui restait de ses effets personnels. Le mug était brisé, comme elle s'y attendait, et les morceaux s'étaient éparpillés sur le sol crasseux de la ruelle.

– Merde... Marmonna-t-elle.

Elle était plus ébranlée par l'incident qu'elle voulait bien l'admettre.

Elle ramassa les morceaux de porcelaine et les fourra dans le carton avec le reste des objets, avant de quitter les lieux en vacillant sur ses talons hauts, la boîte de nouveau serrée sous le bras.

– Me font tous chier aujourd'hui... Bafouilla-t-elle en sortant de la ruelle, l'élocution rendue pâteuse par l'alcool. Vais aller me coucher... ça vaut mieux.




Le lendemain matin, ce furent des coups frappés à la porte qui tirèrent Nanaka du sommeil.

– Putain... Souffla-t-elle en roulant sur elle-même.

Elle avait l'impression qu'un pivert faisait la fête dans son crâne.

Elle ouvrit un œil et elle regarda par la fenêtre. Le soleil était haut dans le ciel, il ne devait pas être loin de midi.

Elle se recoucha.

– M'en fous... Dit-elle tout haut. J'ai plus de boulot...

Elle ramena les bras en travers de ses yeux pour se protéger de la lumière qui semblait essayer de lui transpercer le crâne, lorsque les coups reprirent à la porte, plus puissants encore que l'instant d'avant.

Nanaka se redressa et elle s'assit sur le bord du lit. Autour d'elle la pièce semblait tanguer et elle ferma une seconde les yeux le temps que les murs reprennent leur place.

J'ai vraiment abusé hier...

– Ça va... Ça va... Dit-elle en réponse aux nouveaux coups qui ébranlèrent le battant. J'arrive, il y a pas le feu...

Elle enfila des vêtements attrapés à la hâte et rejoignit l'entrée en essayant de réprimer la nausée qui lui tordait le ventre.

Je ne picolerai plus jamais... Se promit-elle, non pour la première fois.

Quand elle ouvrit, elle découvrit trois uniformes de police dans le couloir.

– Nanaka Tadano ? Dit celui qui était l'officier en lui montrant son insigne.

Nanaka s'appuya contre le battant, l'estomac en bataille. 

Elle hocha la tête.

– C'est moi, dit-elle. Qu'est-ce que je peux faire pour vous monsieur l'officier ?

L'agent sortit la photographie d'un homme.

– Est-ce que vous reconnaissez cet homme ? Lui demanda-t-il.

Nanaka prit la photo pour l'examiner de plus près.

– Non, dit-elle en la lui rendant, je ne l'ai jamais vu de ma vie.

– Vous êtes sûre ? Insista-t-il sans reprendre le cliché.

Elle soupira et ramena la photo à elle. À dire la vérité, ce visage lui disait quelque chose.

Nanaka ferma les yeux et elle se pinça l'arête du nez. 

La scène de la veille, dans la ruelle, lui revint en mémoire. C'était l'homme qu'elle avait frappé.

– Ah oui, dit-elle, c'est possible. Je l'ai croisé hier soir pas loin de la gare.

L'officier fit un signe du menton en direction d'un de ses agents et ce dernier vint plaquer Nanaka face contre le mur avant de lui passer les menottes.

– Qu'est-ce que...? Dit-elle stupéfaite.

– Nanaka Tadano, dit l'officier, je vous arrête pour le meurtre de cet homme, Shogi Hiyoshi. Vous avez le droit de garder le silence, mais tout ce que vous pourrez dire sera retenu contre vous dans un procès.


NDA : Vous voulez me frapper là, hein ? ( ̄▽ ̄*)ゞ

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