30 - Fin de carrière
Le lendemain, un lundi, Nanaka repensait encore à la conversation qu'elle avait eue la veille avec son grand-père. Après le premier éclat du vieux bonhomme, elle avait réussi à lui soutirer toute l'histoire.
Apparemment, le grand-père de Mikey et lui se connaissaient depuis des années. Tous les deux avaient repris leurs dojos en même temps et, à l'époque, il ne se passait pas une semaine sans que l'un ou l'autre accompagne un de ses élèves en compétition. Bien sûr, ces derniers ne pratiquaient pas le même sport, mais il leur avait suffi de se croiser dans les couloirs pour que des inimitiés naissent entre les deux entraîneurs. Chacun reprochait à l'autre de vouloir éclipser les réussites de ses élèves. Très vite, ils en étaient venus à s'affronter par élèves interposés. Chaque fois que l'un d'eux obtenait une victoire plus éclatante que celle de l'autre, il fallait qu'il le lui fasse remarquer. Au fil des années, la situation ne s'était pas arrangée et désormais, la seule mention de l'autre les faisait tous les deux enrager.
– Le pire, avait dit Riko, c'est que s'ils avaient pu vider leur querelle en s'affrontant tous les deux une fois pour toute, cette affaire serait finie depuis longtemps ! Mais comme l'un enseigne le kendo et l'autre le karaté, ils n'ont jamais pu savoir qui était le plus fort !
– C'est vraiment une histoire de fou ! Avait renchéri Nanaka.
Elle avait hâte de raconter ça à Mikey.
Avec un peu de chance, se dit-elle, il sera d'accord pour venir essayer le kendo, ça sera amusant !
L'idée de relancer la guerre entre les deux entraîneurs était loin d'être bonne, elle était même mesquine, Nanaka le savait, mais elle était surtout très drôle et elle était sûre que Mikey serait de son avis.
Parvenue au pied du building de la NHK dans le quartier d'Udagawacho, Nanaka se dirigea vers les ascenseurs situés dans le fond du hall d'accueil.
C'est parti pour une nouvelle semaine à interviewer des types qui puent la transpiration et qui ont plus de muscles que de cervelle...
En début d'après-midi, quand Nanaka revint de sa pause déjeuner, Makoto, son cameraman, pivota vers elle sur sur siège de bureau.
– Tadano, lui dit-il, un des types des ressources humaines te cherchait il n'y a pas cinq minutes. Il dit que tu dois aller les voir.
– Oh ? Dit-elle. Les ressources humaines ? Ça sent la promotion ça !
Makoto la regarda en silence avec l'air de se dire qu'elle prenait ses rêves pour des réalités. Puis il secoua la tête et revint à son ordinateur.
– Traîne pas, lui dit-il. Il faut qu'on revoit le montage de l'interview des joueurs de baseball de l'université qu'on a faite la semaine dernière. Tu me diras les passages que tu veux garder et ceux que tu veux couper.
– Ça marche ! Dit-elle en ressortant.
Nanaka remonta le couloir d'un pas rapide. Makoto pouvait dire ce qu'il voulait, il n'y avait pas cinquante raisons pour expliquer une convocation aussi soudaine au service des ressources humaines.
Un poste a dû se libérer et ils ont besoin de quelqu'un en urgence ! Se dit-elle. C'en est fini des sportifs dégoulinants de sueur !
Quand elle arriva en vue de la porte du chef du personnel, elle se recomposa une expression professionnelle et frappa.
Monsieur Nakama, le chef de service, leva les yeux quand Nanaka entra.
– Ah, dit-il, Tadano, justement, je voulais vous voir, Asseyez-vous.
Il lui désigna un des sièges, devant son bureau, et Nanaka s'y installa, trépignant presque d'impatience.
Le chef du personnel feuilleta le dossier posé devant lui pendant plusieurs secondes. Puis il reprit.
– Tadano, dit-il, vous êtes renvoyée.
Il fallut un instant pour que les mots fassent leur chemin jusque dans l'esprit de Nanaka.
– Qu... Quoi ? Dit-elle. Renvoyée ? Mais pourquoi ?
Elle se pencha en avant. En face d'elle, l'homme soupira.
– Vous n'êtes pas sans savoir, lui dit-il, que la compagnie rencontre des difficultés en ce moment, comme toutes les sociétés d'ailleurs. C'est pourquoi nous devons nous défaire d'une partie de notre personnel. Surtout les personnes non essentielles. Votre poste va être remplacé par des interviews achetées à des sous-traitants extérieurs, cela nous reviendra bien moins cher que de payer un employé à plein temps. Je suis désolé.
Nanaka n'arrivait pas à en croire ses oreilles.
– Non... Dit-elle, vous vous trompez, il doit y avoir une erreur...
– Il n'y en a pas, lui assura-t-il, vous m'en voyez désolé. Allez rassembler vos affaires, inutile de terminer votre journée. Votre dernier salaire vous sera versé dans le courant de la semaine.
Assise sur le bord de son siège, les yeux sur les genoux, Nanaka avait l'impression de s'être prise un coup de massue sur la tête.
Elle releva la tête et reprit.
– Vous êtes sûr qu'on ne peut rien faire ? Dit-elle. Je peux me contenter d'un autre poste en attendant que la situation s'améliore. En dehors de la NHK je ne trouverai pas d'emploi sérieux de journaliste, surtout dans les domaines qui m'intéressent.
Elle savait qu'une fois cette place perdue, elle n'en retrouverait pas de semblable. Il n'était pas si facile de mettre un pied dans une de ces grosses compagnies.
Il secoua la tête.
– Impossible, lui dit-il. En plus, la décision ne vient pas de moi.
– Comment cela ?
Le chef du personnel soupira de nouveau et il lui dit :
– Tadano, ne m'obligez pas à vous faire un dessin. Vous avez abandonné votre poste à Motegi. C'est bien vous qui avez décidé de partir avant la fin des épreuves et qui avez fait changer les billets de retour ? Le service financier nous l'a confirmé, note de frais à l'appui.
Nanaka retomba sur sa chaise. Elle n'avait rien à répondre à cela.
Il conclut :
– La compagnie préfère se défaire des personnes en qui elle ne peut pas avoir pleinement confiance. Je suis sûr que vous pouvez le comprendre.
– Je vois, souffla-t-elle.
Finalement elle se leva avec le sentiment de vivre un cauchemar et elle se dirigea vers la porte.
– Au revoir monsieur, dit-elle en sortant.
En chemin pour leur bureau, Nanaka n'arrivait pas à se défaire de ce sale goût qu'elle avait au fond de la bouche.
C'est de ma faute... J'ai merdé...
Puis elle s'efforça de se raisonner.
Non, ils devaient virer quelqu'un, c'est tombé sur moi. Si ça n'avait pas été aujourd'hui, ça aurait été dans un mois ou dans deux...
Elle était néanmoins toujours assommée par la nouvelle.
(NDA : Au Japon, le monde du travail est très différent de celui qu'on connaît en occident. Là-bas, les emplois sont à vie et les employés considèrent leur entreprise comme leur seconde famille. Presque tous trouvent un boulot en sortant de l'université et ils ne le quittent plus jusqu'à la fin de leur carrière. La mobilité professionnelle n'est pas montrée en exemple et l'on encourage les employés à rester dans la même compagnie. Trouver un travail passé la sortie de l'université, surtout quand on a été licencié, est une tâche difficile et dans le meilleur des cas, les personnes dans ce cas se retrouvent cantonnés aux petits jobs – baito – généralement réservés aux étudiants.)
Au moment où Nanaka passa la porte du bureau, Makoto vint vers elle en deux pas.
– Je viens d'apprendre la nouvelle ! S'écria-t-il. Tadano tu tiens le coup ?
Nanaka ne savait pas quoi lui répondre.
– Comment tu as su ? Dit-elle.
– On vient de me prévenir que j'étais transféré dans un autre service, dit-il. J'ai demandé qui allait bosser avec toi et on m'a expliqué.
– Je vois.
Elle se dirigea vers son bureau et se laissa tomber sur son siège. Elle ne s'attendait vraiment pas à ça en se levant ce matin.
Allez rassembler vos affaires... votre dernier salaire vous sera versé dans le courant de la semaine, avait-il dit.
C'était vraiment terminé.
Nanaka se secoua et elle se redressa.
De toute façon, je détestais ce travail ! Se sermonna-t-elle.
Elle commença à rassembler les quelques effets personnels qu'elle avait apportés au bureau et s'aperçut que le tout tenait dans un petit carton pas plus grand qu'une boîte de chaussures.
On est si peu de choses...
L'objet qui lui tenait le plus à cœur, c'était un mug que Riko lui avait offert quand elle avait commencé à travailler à la NHK.
Il y était inscrit THIS TWIN-SISTER IS BOXING LIKE A BOSS.
Le texte la fit rire.
– Tu sais ce que tu vas faire ? Lui demanda Makoto, la tirant de ses réflexions.
– Pour le moment, dit-elle, je vais rentrer chez moi. Ensuite je verrai. J'imagine que je chercherai un nouveau travail. En tout cas merci. Si ce travail n'a pas été complètement insupportable, c'est grâce à toi.
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