3 - Cachotterie
Nanaka sortit du bureau de son chef de service, un sourire de façade sur le visage.
– Bien sûr monsieur Hattori ! Dit-elle. Ce sera fait ! Vous pouvez compter sur moi !
Puis elle ferma la porte et grommela.
– Je t'en collerai moi des "prenez votre travail au sérieux mademoiselle", "avez-vous idée de la chance que vous avez ?" Gna gna gna...
Elle tourna les talons et se dirigea vers le bureau qu'elle partageait avec son cameraman, Makoto Uchiha.
Une fois à l'intérieur, elle se permit de claquer la porte et Makoto jeta un œil par-dessus son épaule. Il commençait à avoir l'habitude. Cela faisait bientôt quatre mois que Nanaka et lui travaillaient ensemble et elle digérait toujours aussi mal sa promotion au service des sports.
– Un problème ? Dit-il.
– On doit aller interviewer un de ces grands types... Lui répondit-elle. Un de ceux qui dégouline de sueur... qui saute et court partout avec un ballon...
Elle fit un signe vague en direction de la porte Makoto réfléchit.
– Un basketteur, comprit-il.
Avec le temps il avait appris à traduire le langage sportif de Nanaka.
– Voilà, dit-elle.
– Tu as son nom ?
Nanaka fouilla la poche de son tailleur et elle en sortit le bout de papier sur lequel elle avait noté les informations que lui avait donné le chef de service.
– Pour qui tu me prends ? Dit-elle. Évidemment que je l'ai : Kōsuke Wakamatsu.
Le cameraman ouvrit des yeux surpris.
– Vraiment ? Dit-il. Wow ! Le chef t'envoie te charger du gratin ? Félicitations ! On voit la reconnaissance de ton travail !
Nanaka le regarda, des étoiles plein les yeux.
– C'est vrai ? Dit-elle.
Pendant une seconde, elle se prit à rêver que c'était peut-être le début de la fin de son calvaire au service sportif, mais Makoto éclata de rire.
– Non, dit-il, c'est juste le pivot de l'équipe universitaire de Waseda, mais c'est tellement drôle de voir ta tête, tu tombes dans le panneau à chaque fois !
– Crétin... Marmonna-t-elle.
Nanaka rejoignit son bureau et elle se laissa tomber sur son siège avec un soupir désespéré. Tous les deux occupaient un espace à peine plus grand qu'un placard au douzième étage de la tour Amway Plaza Tokyo qui abritait les locaux de la NHK. L'endroit était encombré de placards et d'étagères débordant de cartons à archives répertoriant les résultats sportifs de ces deux dernières décennies, comme si les ordinateurs et internet n'existait pas. Le Japon était loin derrière les autres pays en matière de dématérialisation de données et nombre de japonais ne juraient que par la paperasse et n'avaient aucune confiance dans les nouvelles technologies.
Nanaka bascula la tête en arrière et la posa sur le dossier de son fauteuil pour contempler le plafond.
– Mais moi je devais aller au gala de Rikorin ce soir... Geignit-elle.
– Ah c'était ce soir ? Mince...
Elle hocha la tête.
Riko était une danseuse professionnelle. Après des années de travail acharné, elle avait fini par entrer au Ballet National du Japon et ce soir elle allait monter sur scène pour la première fois pour une représentation moderne des Quatre Saisons.
Nanaka se mit à taper des pieds par terre comme une gamine.
– Je veux pas aller à cette fichue interview ! Cria-t-elle.
Puis elle se redressa et adressa un sourire charmeur à son coéquipier qui était en train de vérifier son matériel.
– Tu veux pas t'en occuper ? Dit-elle. Tu feras ça très bien. Tu sais tout ce qu'il y a à savoir sur ces types et...
– Non, la coupa-t-il.
Nanaka se renfrogna et il ajouta :
– Tu sais aussi bien que moi que ça ne marche pas comme ça, dit-il. Mon job, c'est de les filmer et ton job, c'est de les interviewer.
Oui, Nanaka le savait très bien, comme elle avait très vite compris la raison pour laquelle on lui avait confié ce poste au lieu de désigner un spécialiste du sport. Beaucoup de ces pseudos stars n'aimaient pas les journalistes et une jolie femme les approchait plus facilement qu'un vieux chroniqueur bourru et ventripotent.
C'est presque de la prostitution en fait... S'était-elle indignée quand elle s'était aperçue des intentions de ses supérieurs. Ils utilisent mon physique, ça devrait être interdit...
En face d'elle, Makoto se leva et remballa son matériel.
– Allez, dit-il, il faut qu'on y aille.
–Déjà ?
– On aura pas trop d'une heure pour rejoindre l'Ikebukuro Sports Center avec la circulation qu'il y a à cette heure.
Nanaka ne fit même pas mine de se lever.
– Comment tu sais que c'est là-bas ? Dit-elle.
– L'équipe de basket de Waseda joue toujours là-bas Tadano, lui dit-il.
Tous les deux montèrent dans la fourgonnette au logo NHK de la société et, tandis que Makoto s'installait derrière le volant, Nanaka téléphonait à Riko.
– Je suis tellement désolée Rikorin ! Dit-elle après lui avoir expliqué la situation. Je t'avais promis d'être là pour ton premier gala et ces abrutis me collent une interview dans les pattes !
– T'en fais pas Nana, la représentation est enregistrée, tu pourras la voir...
– Mais c'est pas la même chose ! Protesta Nanaka.
Riko étouffa un rire. Même si on la considérait généralement comme l'aînée, Nana pouvait être tellement gamine parfois.
– Tu sais quoi ? Dit-elle. On la regardera toutes les deux, comme ça tu pourras me donner ton avis...
– Je ne suis pas sûre de m'y connaître assez en danse contemporaine pour ça, mais ok, ce dimanche ?
Au bout du fil, Riko hésita.
– Pas ce dimanche, dit-elle enfin, j'ai déjà un truc de prévu, mais la semaine prochaine pas de problème.
– D'accord, on fait comme ça, dit Nanaka. Encore désolée !
– T'en fais pas.
Puis elles raccrochèrent.
Pas ce dimanche, j'ai déjà un truc de prévu, avait-elle dit.
Assise sur le siège passager, Nanaka garda le silence. Il n'était pas dans les habitudes de Riko de lui faire des cachotteries. Depuis qu'elles étaient petites, toutes les deux partageaient tout et n'avaient aucun secret l'une pour l'autre.
Peut-être que c'est juste une chose sans importance, se dit-elle.
Pourtant, le ton sur lequel Riko l'avait dit avait éveillé l'attention de Nanaka. Après tout, elle avait été inspecteur de police dans une autre vie.
Je vais essayer d'en savoir plus...
Le coude posé sur le rebord de la portière, Nanaka regarda la ville défiler sans la voir. En temps normal, elle ne se serait pas permise de fouiller dans la vie de sa sœur. Mais Riko avait autrefois perdu la vie dans des circonstances troubles et Nanaka s'était promis que cela ne se produirait plus. Elle ne laisserait plus sa petite sœur affronter des difficultés sans l'aider. Même si c'était contre son gré.
Quarante-cinq minutes plus tard, l'entrée de l'Ikebukuro Sports Center se profila et Nanaka rangea ces pensées dans un coin de sa tête. Elle s'en occuperait plus tard.
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