21 - Rendez-vous
Nanaka était encore en train de rire au feu rouge suivant.
– Je ne t'imaginais pas porter un casque, lui dit-elle un moment plus tard. Je veux dire, en dehors des courses.
– Hmm ? Ah ça ? C'est Kenchin qui insiste, il dit que je dois faire attention et ne pas risquer de me blesser en faisant l'andouille avant une compétition.
Nanaka ne répliqua pas. Draken le connaissait vraiment bien.
– Ça fait longtemps que vous vous connaissez tous les deux ?
Lors de leur soirée au restaurant, ils n'avaient pas parlé de ses amis.
– Avant, lui dit-il, Kenchin était mon meilleur ami. Je veux dire dans la timeline précédente. Maintenant c'est Takemicchou, mais Kenchin ça sera toujours quelqu'un de spécial pour moi.
Nanaka était surprise qu'il aborde le sujet de lui-même. Toutes ces histoires de voyage temporel lui semblaient toujours aussi incroyables.
– Je ne l'avais jamais rencontré avant, reconnut-elle. Ni lui ni Takemichi d'ailleurs.
Elle leva les yeux sur les bâtiments qui défilaient le long de la route, perdue dans ses pensées. Mikey ne répondit pas.
La veille, en quittant l'appartement de Riko, il était allé demander à Takemicchou de lui raconter plus de détails sur le Bonten.
Takemicchou lui avait déjà parlé de cette organisation, ce clan criminel qui s'était rendu coupable dans le futur de presque toutes les exactions, depuis le vol jusqu'au meurtre en passant par le chantage, le trafic d'armes et de drogues... Mais ça restait un futur que Mikey n'avait pas vécu personnellement, même si des bribes de souvenirs lui revenaient par moment.
Les détails que lui avait fournis Takemicchou ne l'avaient pas surpris, c'était plus ou moins le plan que Mikey avait en tête quand il avait disparu.
J'ai rencontré un Manjirō différent, avait-elle dit. Lui, il était le chef d'une organisation criminelle appelée le Bonten... et j'ai travaillé pour cette organisation.
Les mots de Nanaka ne cessaient de tourner dans son esprit.
Le Bonten était une organisation monstrueuse. À l'image de ses pulsions. Comment Nanaka s'était-elle retrouvée embarquée là-dedans ?
Mikey brûlait de lui poser la question, mais il ne voulait pas risquer de gâcher leur rendez-vous en ramenant à la surface des souvenirs désagréables.
De toute façon, c'est du passé, se dit-il. Qu'est-ce que ces vieilles histoires pourraient bien avoir comme importance aujourd'hui?
Parvenus à Harajuku, le quartier branché à l'est de Shibuya, Mikey se gara dans une petite rue à l'écart et il tendit la main à Nanaka pour l'aider à descendre. Le sourire qu'elle lui retourna était si radieux et sincère, si éloignée de l'expression qu'il lui avait vue durant ces quelques jours à Motegi, que Mikey se félicita d'avoir décidé de ne pas lui parler du Bonten.
C'est fini tout ça, se dit-il. Ça n'est plus la peine d'y penser.
– Une glace ça te dirait ? Lui proposa-t-il.
– D'accord, dit-elle. Mais tu n'engloutis pas la mienne comme la dernière fois !
Il haussa les épaules.
– Si tu la manges assez vite, lui rétorqua-t-il, ça devrait aller.
Elle rit et il lui prit la main pour sortir de la petite rue après avoir laissé casques et moto attachés.
Tous les deux gagnèrent l'avenue voisine, main dans la main, et ils s'immobilisèrent une seconde en bordure du boulevard. Le quartier, encombré par la foule du week-end et surplombé par le soleil de la fin de l'été, ressemblait à une plaque surchauffée. À cet endroit, aucun arbre ne venait ombrager le trottoir et ils avaient l'impression que le soleil leur cognait directement sur le crâne.
Nanaka leva les yeux, une main en visière.
– Il fait vraiment trop chaud, dit-elle. Une glace, c'est une bonne idée.
Mikey l'entraîna derrière lui.
– Je connais un endroit sympa, dit-il. On y va souvent avec Kenchin !
Il la conduisit dans une petite brasserie nichée dans une rue de traverse. Dès qu'ils quittèrent le boulevard, le tumulte de Harajuku ne leur parvint plus qu'étouffé. Ils entrèrent et une clochette tinta au-dessus de leurs têtes.
Un vieil homme leva les yeux et Mikey lui adressa un petit signe de la main.
Puis il emmena Nanaka près de la fenêtre d'où ils pouvaient voir la rue et les passants qui rejoignaient le centre de Harajuku.
Nanaka attrapa la carte posée sur la table.
La salle était petite, remarqua-t-elle, mais elle était chaleureuse. La déco était simple. Deux ou trois photos au mur et un vieux trophée posé sur une étagère, derrière le bar. Le reste était constitué d'écharpes de supporters bariolées accrochées en tous sens.
En les regardant de plus près, Nanaka s'aperçut que les noms qu'elles portaient étaient ceux d'écuries de motos de compétition et elle sourit. Elle comprenait mieux pourquoi Draken et lui venaient souvent ici.
– Tu adores vraiment les motos, pas vrai ?
Mikey sourit.
– Oui, dit-il. Mais pas autant que mon grand frère ! Lui il a les mains dans le cambouis presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si on ne lui disait pas de rentrer chez lui, il dormirait dans son garage !
Ils rirent tous les deux.
– Dis, reprit-il un instant plus tard, je peux te poser une question ?
Nanaka le regarda, étonnée.
– Vas-y.
Mikey hésita.
– Pourquoi tu as accepté ce rendez-vous, dit-il. Je veux dire, puisque tu connais l'ancien moi tu ne devrais pas plutôt partir en courant ?
Avec le recul, Mikey comprenait mieux la réaction qu'avait eu Nanaka à Motegi. N'importe quelle femme aurait pris la fuite à sa place.
– Je pourrais te poser la même question, lui retourna-t-elle.
Un silence gêné s'établit entre eux. Mikey se serait mis des claques.
Moi qui voulait éviter les sujets embarrassants, j'en ai mis un sur la table.
Il réfléchit et finalement il prit sa décision.
Autant jouer franc jeu, se dit-il.
– Je suis là, dit-il, parce que je sais mieux que personne à quel point on peut perdre pied dans certaines situations sans que cela ne change rien à celui que l'on est vraiment.
Nanaka ne répondit pas. Quand Mikey releva les yeux, il vit qu'elle le regardait, abasourdie.
Finalement, elle sourit.
– Tu le penses vraiment ? Dit-elle.
– Oui.
Elle parut rassurée par sa réponse.
Le serveur vint prendre leurs commandes et lorsqu'il les laissa avec leurs glaces, Nanaka reprit.
– C'était comment, dit-elle, là d'où tu viens ?
– Moche, reconnut-il. J'avais baissé les bras et j'avais accepté de me laisser envahir par les pulsions sombres. C'est là que Takemicchou a remonté le temps encore une fois pour me sauver.
Les pulsions sombres...
Mikey lui en avait parlé autrefois, de ces pulsions qui le poussaient à détruire tout ce qui l'entourait.
Ça doit être horrible de ne rien pouvoir contrôler comme ça, se dit-elle. Moi au moins, je gardais toute ma tête. Enfin presque...
Nanaka préféra repousser ces souvenirs désagréables. Elle aussi avait commis sa part d'actes effroyables. Mais à ce moment-là, il lui semblait toujours agir pour les meilleures raisons.
– Takemichi, ça a l'air d'être un garçon incroyable, dit-elle pour changer de sujet.
– Oui, lui c'est un vrai héros. Tu n'as pas idée du nombre de fois où il a recommencé, juste parce qu'il ne voulait laisser personne derrière lui. Même quand je lui ai dit de me laisser, il a refusé et il a tout risqué pour moi. Je lui dois absolument tout !
Il y avait de l'émotion dans sa voix quand il en parlait. Nanaka le regarda en silence.
Je peux le comprendre. Avoir un ami comme ça, ça doit être fantastique.
Mikey reprit.
– Tu n'en avais jamais parlé à personne avant, pas vrai ?
Nanaka secoua la tête en replongeant dans sa glace.
– Non, jamais, dit-elle. On m'aurait prise pour une folle et pour te dire la vérité, à un moment même moi je pensais que j'avais rêvé. Jusqu'à ce que je vois les vidéos de Sanzu... les vidéos de Haruchiyo.
Elle s'était corrigée à la fin.
– Ça n'a pas dû être facile toutes ces années, dit-il.
Mikey se demanda comment il aurait réagi, lui, s'il n'avait pas Takemicchou avec qui en parler.
Moi aussi j'aurais fini par croire que j'avais fait un cauchemar...
– C'est sûr, reconnut-elle. Mais c'est du passé maintenant.
Oui, se dit-elle avec fermeté, tout cela c'est derrière nous et désormais, je regarderai devant moi, vers l'avenir.
Une fois leurs glaces mangées, elle se leva et attrapa la main de Mikey.
– On va se promener ? Dit-elle, un grand sourire sur le visage.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top