13 - Fuite en avant
Nanaka ne savait plus où elle en était. Tout en elle lui criait de s'éloigner, de tenir Mikey à distance d'elle et du monstre qu'elle était. Mais une autre part, une part avec une toute petite voix, voulait rester près de lui. Elle voulait continuer à rire et à plaisanter avec lui. Continuer à goûter cette aura chaleureuse qu'il dégageait.
Je ne dois pas faire ça ! S'intima-t-elle, féroce, en rentrant dans l'hôtel. Si je le fais, je vais réduire à néant tout ce qu'il a bâti ces dernières années et je ramènerais la violence dans sa vie !
Elle avançait à grands pas sans regarder autour d'elle.
Cet homme N'EST PAS Manjirō Sano le boss du Bonten, se martela-t-elle avec fermeté. C'est Mikey ! C'est un autre homme ! Laisse-le tranquille !
Cette dernière partie pourtant, ne parvint pas à trouver d'écho dans son esprit.
C'était le même homme. Elle était obligée de le reconnaître. Son visage était le même, ses traits, sa voix, son côté gamin espiègle aussi...
Simplement, celui qu'elle avait connu autrefois était brisé. Il avait traversé des épreuves si effroyables qu'elles avaient laissé leur empreinte sur lui.
Raison de plus pour que je me tienne loin de lui. Hors de question qu'il redevienne celui-là à cause de moi. Tout, mais pas ça.
La course suivante eut lieu l'après-midi et, cette fois, Nanaka se tenait dans les gradins avec Makoto.
– Tu vois, lui dit-il en lui désignant des portions du parcours de la main, ce genre de circuits, avec de nombreuses lignes droites en sortie de virages, avantage les machines au moteur puissant avec une bonne reprise. Les pilotes doivent avoir des réflexes de fou pour embrayer au bon moment. Celui qui a le temps de réaction le plus court peut facilement mettre plusieurs secondes dans la vue de ses adversaires.
– Hmm.
Nanaka n'y comprenait pas grand-chose, elle lui demanda :
– Et tu dis qu'ils doivent faire combien de tours ?
Makoto la regarda, incrédule.
– Tu n'as absolument rien écouté de ce que je t'ai dit ces derniers jours, pas vrai ?
Elle plissa le nez.
– Bien sûr que si, répondit-elle. C'est juste que quand un sujet ne m'intéresse pas, ça rentre par une oreille et ça ressort par l'autre.
Il secoua la tête et souffla.
– Vingt-quatre, dit-il.
Nanaka ouvrit des yeux ébahis.
– Vingt-quatre ? S'étonna-t-elle. Mais ils ne s'ennuient pas à tourner en rond comme des poissons rouges dans un bocal ?
Sa remarque fit rigoler les spectateurs derrière eux à qui leur échange n'avait pas échappé.
Sans surprise, Mikey arriva premier avec un temps encore meilleur que celui qu'il avait fait le matin. En tribune, il commençait à se murmurer qu'il pourrait bien pulvériser le record de l'épreuve dans la troisième et dernière course qui aurait lieu le lendemain.
Nanaka et Makoto regagnèrent le salon qui leur servait de studio pendant le séjour pour poursuivre les interviews.
Nanaka se sentait secrètement rassurée. Ce pari n'était en fait qu'une plaisanterie, Mikey n'avait jamais eu l'intention de perdre volontairement.
Quelque part tout de même, une petite voix dans sa tête était déçue, mais Nanaka la fit taire rapidement. Tout se déroulait pour le mieux. Demain, elle interviewerait Manjirō Sano, le grand gagnant des épreuves préliminaires du championnat, et ensuite elle ne le reverrait plus que de loin en loin, lorsque sa carrière lui vaudrait l'intérêt de la chaîne NHK.
Et si j'arrive à me faire muter dans un autre service, je ne le reverrai plus du tout.
Son cœur se serra à cette idée, mais elle chassa cette sensation sans ménagement.
Nanaka était sûre d'avoir fait le bon choix. Elle n'avait pas le moindre doute.
Le lendemain, les deux journalistes prirent place dans les gradins pour la dernière épreuve. Makoto avait emporté sa caméra avec lui, prêt à aller recueillir à chaud les premières impressions du grand gagnant aussitôt que les coureurs regagneraient les stands.
Dans les tribunes, c'était l'excitation. Sano allait-il réussir à battre le record du tour détenu depuis des années par l'espagnol Jorge Lorenzo ?
(NDA : Le pilote Jorge Lorenzo détient effectivement le record du meilleur temps sur ce circuit)
Le départ fut donné et, sans surprise, Mikey se plaça immédiatement dans les premiers.
Les rugissements des moteurs montèrent jusqu'aux gradins et Nanaka se pencha pour suivre la course. Elle était plus tranquille maintenant qu'elle savait que Mikey n'allait pas jouer sa carrière de façon stupide.
Bien qu'elle n'y connaisse rien, elle devait admettre que c'était fascinant de le regarder faire. Il enchaînait les virages et les lignes droites avec une telle fluidité que c'était presque hypnotique.
J'ai toujours su qu'il avait des réflexes incroyables, mais le regarder faire c'est stupéfiant, on dirait que c'est le circuit qui s'adapte à sa moto !
Vers la fin de la course, Nanaka ressortit son bloc et elle commença à relire ses notes pour faire le point sur les questions qu'elle allait poser aux pilotes. C'est alors qu'une exclamation emplit les tribunes et lui fit lever les yeux.
Mikey venait de s'arrêter au bord de la piste.
Dans les gradins les remarques allaient bon train.
– Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi il s'arrête ?
– Tu crois qu'il a un problème mécanique ?
– Je ne vois que ça !
– Ça doit être une panne moteur... La poisse ! Dit une autre voix.
– C'est dommage ! Il était si bien placé ! Conclut un dernier tandis que les premières motos dépassaient Mikey à toute allure pour aller franchir la ligne d'arrivée.
À côté d'elle, Makoto examina lui aussi la silhouette de Mikey en contrebas.
Finalement, il se redressa et secoua la tête.
– Pas de chance, dit-il. C'est vraiment le pire truc qui pouvait lui arriver de tomber en panne si près de l'arrivée. Je connais une équipe de mécanos qui va se faire engueuler.
Nanaka ne répondit pas. Ton son corps semblait tendu et elle serrait les poings sur ses genoux au point de sentir ses ongles lui entailler la paume des mains.
Mikey... Non... Se dit-elle. Ne fais pas ça... je t'en supplie, ne fais pas ça... Laisse tomber, ça n'en vaut pas la peine !
Makoto tourna les yeux vers elle, étonné de ne pas avoir de réponse, et il la découvrit crispée sur son siège, les lèvres blêmes. Ses mains s'étaient même mises à trembler.
Plus bas, les coureurs finirent de doubler Mikey et lorsque le dernier eut franchi la ligne d'arrivée, Mikey remit enfin le contact.
Le cameraman se laissa aller contre le dossier en plastique de son siège.
– C'est fini le championnat pour lui, murmura-t-il. Il va se retrouver en dernière position. Dans ces conditions, ses chances de remporter le grand prix sont presque nulles. Il est bon pour retenter sa chance l'année prochaine.
Mikey termina la course au pas et les mécaniciens de son écurie se précipitèrent vers lui, Draken en tête, pour savoir ce qui s'était passé.
Quand il retira son casque, tous virent qu'il affichait un grand sourire très content de lui.
Personne ne comprenait plus rien.
Sauf Nanaka.
Elle se leva d'un mouvement brusque. Elle en avait assez vu.
– Makoto, dit-elle. On rentre.
Elle ramassa ses affaires et le cameraman se redressa, surpris.
– On rentre ? Dit-il. À l'hôtel ? On ne devait pas aller les interroger avant ? J'aimerais bien savoir ce qui lui est arrivé.
Il lui emboîta le pas tandis qu'elle remontait les escaliers en direction de la sortie sans un regard en arrière.
– Pas la peine, dit-elle, tu viens de le dire toi-même : le championnat c'est fini pour lui. Inutile de traîner ici plus longtemps. On a tout ce qu'il nous faut pour la chaîne. Va faire tes valises, on rentre à Tokyo.
Makoto jeta un œil vers la piste en contrebas où tout le monde se pressait encore auprès de Sano qui ne s'était pas départi de son sourire.
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