11 - L'art de la non-négociation
Shen Siwei ouvrit les yeux, regardant fixement le plafond inconnu.
Il lui fallut trois bonnes secondes pour se rappeler qu'il était en mission. Se tendant immédiatement après, il s’assit prudemment sur le canapé, son regard tombant sur sa cible, installée tranquillement à la table à manger, prenant son petit-déjeuner.
– Vous avez vraiment un grand cœur pur, déclara Klet. Vous pouvez dormir profondément, même chez moi.
Shen Siwei trouvait également cela étrange. Pourquoi s'était-il senti si somnolent ? Il s'était assoupi abruptement et avait dormi d'un sommeil de plomb. Ce n'était pas en accord avec son entraînement de militaire expérimenté. Après réflexion, il conclut que la seule explication plausible était les séquelles de la cryostase.
Klet tapota l'assiette devant lui avec une fourchette.
– Aliment ou complément nutritif ?
Le goût des aliments était meilleur que celui des suppléments nutritionnels, mais le contenu nutritionnel n’était pas nécessairement plus élevé. De plus, avec le prix élevé de la viande et le slogan de protection de l’écologie scandé depuis de nombreuses années, il valait mieux choisir cette dernière, sauf en cas de nécessité. Le soldat pensait que c'était une opinion partagée par tous les citoyens. Cependant, devant Klet se trouvait une grande assiette de ragoût de bœuf, suffisante pour deux ou trois personnes. Shen Siwei ne put s'empêcher de froncer les sourcils.
Si une crise énergétique se reproduisait à l’avenir, ce leader voyou aurait certainement sa part de responsabilité.
– Supplément nutritionnel, merci.
– Il y en a dans le frigo, servez-vous.
Apparemment, dans le dictionnaire de Klet, l'expression « hospitalité » n'existait pas. Shen Siwen chauffa le supplément nutritif en sachet au micro-ondes, puis trouva un bol et une cuillère propres dans le placard. En soi, le supplément nutritif réfrigéré pouvait être consommé directement, mais après avoir été congelé pendant tant d'années, l’agent en mission préférait la sensation de chaleur. Le bol en mains, il s'assit en face de Klet et ôta le masque à oxygène. L’air "authentique" dériva soudain vers ses narines et son regard tomba inévitablement sur l’assiette de ce dernier.
Pourquoi ça sentait si bon ?
N'ayant pas mangé de bons repas depuis de nombreuses années, Shen Siwei n'avait pas d'envie particulière, mais soudain, c'était comme s'il mangeait du pain ordinaire pendant que Klet savourait un festin, mettant ainsi sa maîtrise de soi à l'épreuve.
Le brun remarqua son regard.
– Vous en voulez ?
– Non.
Shen Siwei détourna les yeux avec indifférence et mit une cuillerée de supplément nutritif pâteux dans sa bouche. C'était aromatisé au poulet et pas trop mal.
– Est-ce que vous mangez aussi des suppléments nutritifs là-haut ? demanda Klet.
Par « là-haut», il entendait naturellement le niveau supérieur de l’Arbre de Vie.
Honnêtement, Shen Siwei n'avait jamais pris de repas au plus haut niveau, mais le peuple Marg, qui prônait la protection de l'écologie, montrait certainement l'exemple.
– Bien sûr.
Ne voulant pas que son hôte continue à s'enquérir du plus haut niveau, le blond changea de sujet.
– Quand pouvons-nous négocier ?
Mâchant sa nourriture, Klet ne répondit pas immédiatement à la question de Shen Siwei, avalant tranquillement.
– Nous pouvons le faire maintenant, finit-il par rétorquer.
L’un était un noble négociateur et l’autre le leader des réfugiés. Tous deux étaient sur le point de discuter de questions majeures concernant l'avenir de l'Arbre de Vie, mais la négociation se déroulait dans un appartement délabré. Pour être plus précis, autour de la table à manger de Klet.
Les publicités pour adultes à l'extérieur ne clignotaient plus, mais les corbeaux atterrissant sur le balcon croassaient parfois, ce qui affecterait inévitablement l'atmosphère de la négociation.
– En mangeant ? demanda Shen Siwei.
Klet haussa les épaules.
– Ça ne me dérange pas.
– Alors, allez-y, lança le faux noble, quelles sont vos demandes ?
Klet semblait préparé et laissa échapper :
– L’approvisionnement continu en énergie.
Shen Siwei haussa un sourcil.
– C'est impossible, répondit-il immédiatement.
Si l’énergie devait être utilisée sans contrôle, cela ne ferait que nuire aux intérêts de tous. Il pensait que les gens normaux comprenaient cette logique, c'est pourquoi la plupart des civils étaient prêts à accepter la gestion du peuple Marg.
– Dans ce cas, il n'est pas nécessaire de discuter, déclara Klet, je demanderai à quelqu'un de vous renvoyer chez vous, plus tard.
Shen Siwei resta sans voix.
Est-ce qu’il appelait ça une négociation ?
À en juger par l'expression du criminel, il ne semblait pas du tout surpris que ses demandes soient rejetées. En d'autres termes, il n'avait jamais eu l’intention de négocier et avait simplement lancé cette demande avec désinvolture pour se débarrasser rapidement de lui.
Posant sa cuillère, Shen Siwei, mécontent, insista.
– Je ne partirai pas tant que nous ne serons pas parvenus à un accord.
Klet l'ignora.
– C'est plus sûr pendant la journée, je n'ai donc pas besoin de vous escorter personnellement.
– Je ne crois pas que vous ayez poussé les réfugiés à attaquer sans rien vouloir en retour, continua le blond.
– Je ne peux vous accompagner que jusqu'à la barricade, vous devrez appeler quelqu'un pour qu'on vienne vous chercher, une fois là-bas.
– Argent, pouvoir ? Tant que vous vous exprimer, nous pouvons négocier.
Tous deux continuèrent à se parler sans s'écouter, jusqu'à ce que Klet s’impatiente. Regardant directement l’imposteur dans les yeux, fronçant légèrement les sourcils, il demanda :
– Alors, qu'est-ce que vous voulez de moi ? Négociateur.
Ayant enfin une brèche, Shen Siwei répondit immédiatement.
– La paix.
En entendant cela, Klet rit comme s’il avait dit quelque chose de drôle. Il croisa les bras devant sa poitrine, s'appuyant en arrière sur sa chaise et regarda le blond.
– Vous devriez vraiment jeter un œil à l'extérieur de l'Arbre de Vie.
Shen Siwei était déjà sorti de l'Arbre de Vie, mais pas trop souvent. De plus, vingt ans s'étaient écoulés et il ne savait pas si l'environnement à l'extérieur était devenu encore plus rude.
– Beaucoup de choses peuvent être résolues par le dialogue, répondit-il plus lentement, la guerre gaspillera une quantité importante d'énergie, ce qui peut être évité.
Klet pencha paresseusement la tête.
– Dois-je vous rappeler que ces ressources énergétiques ne nous appartiennent pas. Les déchets n’existent pas pour nous.
En d’autres termes, les Marg contrôlaient ces ressources énergétiques, et même si elles étaient gaspillées, ils n’en ressentiraient pas les effets.
– Vous ne devriez pas raisonner de cette façon.
Shen Siwei réalisait soudain que la communication était plus difficile qu'il ne l'avait imaginé. S'il avait su, il n'aurait pas répondu « paix » avec désinvolture.
– D'un point de vue environnemental, tout le monde devrait éviter de gaspiller.
– Environnement ?
Klet haussa un sourcil, appuyant son coude sur la table, se rapprochant du militaire.
– Votre raisonnement est étrange, négociateur. Êtes-vous vraiment sûr d'être un Marg ?
Shen Siwei pinça les lèvres, répondant calmement.
– Qu'y a-t-il de si étrange ?
– Si les Margs se souciaient réellement de l'environnement, déclara Klet, vos ancêtres n'auraient pas construit l'Arbre de Vie et laissé d'autres zones devenir des friches.
Ces derniers étaient très riches et avaient fourni un immense capital de départ. La plupart des gens ordinaires à l’intérieur de l’Arbre de Vie dépendaient des Margs car sans leurs ancêtres, ils vivraient dans des environnements extrêmement difficiles. Le désert de l’ouest était considéré comme « amical », tandis que les champs de glace du nord, les ruines des villes du sud et les eaux profondes de l’est étaient classés comme dangereux.
En tant que membre du groupe, Shen Siwei aurait dû utiliser « nous » au lieu de s’isoler et de faire référence aux Margs d’un point de vue extérieur. Bien que ces petits détails ne prouvaient pas qu’il n'était pas l'un des leurs, sa séparation inconsciente, indiquait qu'il avait déjà tracé une ligne entre lui et les Margs.
C'était étrange. Avant d'être cryogénisé, il n'avait jamais montré de telles tendances.
Assez logiquement du coup, au cours de cette conversation avec Klet, il semblait confus, comme s'il ne parvenait pas à déterminer sa propre position.
Un claquement de doigts interrompit ses pensées.
– Vous paraissait facilement distrait, remarqua le leader des réfugiés.
– Je me sens un peu stressé.
Shen Siwei ajusta ses pensées et essaya de jouer le rôle d'un Marg qualifié.
– Comme les négociations n'avancent pas, je n'irai nulle part.
Son entêtement parut irriter Klet, qui prit un ton impatient.
– Je n'ai pas le temps de vous protéger !
– Je n'ai pas besoin de votre protection.
– Êtes-vous sûr ?
Klet redressa brusquement le dos. Shen Siwei, sensible au danger, avait l'intuition qu'il était sur le point de bouger, mais contre toute attente, la première chose que fit ce voyou fut de lui prendre son masque.
– Je ne pense pas que vous mourrez si vous ne portez pas ce truc, déclara Klet.
– C'est parce que manger ne compte pas comme une activité.
Shen Siwei fronça les sourcils.
– Rendez-le-moi.
– Si vous pouvez me le prendre, le leader des réfugiés se pencha tranquillement en arrière sur la chaise, alors j'accepterai de vous laisser rester.
Tandis que Klet jetait son masque de sa main gauche vers sa droite, puis de nouveau vers sa gauche, Shen Siwei sentit une montée de colère dans sa poitrine. Glacial, il se leva et se dirigea vers lui, ne pouvant hélas pas faire de mouvements trop larges, donc jamais aussi rapide que lui.
– Vous… rendez-le-moi…
Après seulement quelques tentatives, il sentait déjà sa respiration faiblir, agacé par son propre corps.
Pourquoi était-il si essoufflé après seulement quelques mouvements ?
– Votre corps est-il vraiment si faible ? lui demanda Klet.
– Huff… huff…
Le militaire dut s'appuyer sur le bord de la table pour reprendre son souffle, mais à ce moment-là, il remarqua que sa cible avait arrêté de bouger, alors il décida de bondir directement. Il pensait pouvoir facilement maîtriser le réfugié et récupérer son masque, mais malgré tous ses efforts, il ne put même pas rivaliser avec un seul de ses bras. Le brun l’attrapa sans effort tandis qu'il se précipitait, le tenant fermement.
– Êtes-vous sûr que vous n'avez pas besoin de quelqu'un pour vous protéger ?
Sachant qu'il ne faisait pas le poids dans son état, Shen Siwei sentit ses yeux se remplir de larmes de colère. Haussant un sourcil, Klet en rajouta.
– Et ça, c'est assez pour vous faire pleurer ?
Le militaire garda le silence, encore plus furieux. S'appuyant dans l'étreinte de sa cible, sans remuer, son souffle s’apaisa progressivement. Il prit quelques respirations profondes, essayant de reprendre une expression digne.
– Je vous demande de me lâcher.
Klet, impassible, ses yeux profonds légèrement baissés alors qu'il regardait Shen Siwei dans ses bras, rétorqua d'une voix grave :
– Restez sage et je vous libérerai.
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