Partie deux.
Ce Lundi matin là, quand Harry vient chez Jeanne, Louis n'est pas là. C'est ce qu'elle lui dit quand il pose le colis, trop gros pour rentré dans la boite aux lettres, sur la table et qu'elle lui propose du thé. Il s'apprêtait à refuser poliment, pas peur de tomber sur lui justement. Mais elle semble deviner ses pensées, lui sourit et sort deux tasses du placard.
– Louis est parti se balader à la plage, ça doit faire une heure, mais il devrait y être encore un petit moment.
Harry ne répond pas, il espère que ses joues ne rougissent pas trop. Jeanne remplit les tasses, il s'assoit sur une chaise tandis qu'elle déballe le colis et admire ses nouveaux rouleaux de fils à broder, il y a plusieurs très jolies couleurs qu'Harry se prend à admirer. Elles les aligne sur la table avec un air satisfait puis prend place en face de lui.
– Comment va ta maman ? Et ta sœur ?
Coupé dans son élan par la question de Jeanne, Harry repose la tasse qu'il avait commencé à porter à ses lèvres. La fumée lui caresse les lèvres et le nez, il sourit poliment.
– Elles se portent à merveille, merci. Gemma a eu une promotion la semaine dernière.
– Oh mais c'est fantastique ! Ça ne m'étonne pas du tout, elle a toujours travaillé très dur d'aussi loin que je m'en souvienne. Quand tu venais ici pour jouer avec Louis, elle avait toujours son nez dans ses cahiers et ses devoirs. C'est une jeune fille très studieuse.
Le coeur comprimé de nostalgie, Harry baisse les yeux et hoche la tête, silencieusement. Cette fois, il boit une gorgée de thé qui lui brûle la langue. S'il a les larmes aux yeux, c'est certainement à cause de ça. Il n'aime pas qu'on lui rappelle Louis, il aurait préféré tout oublier d'un coup après son départ, mais ça n'a pas été aussi facile. Ça ne l'est toujours pas, il en a eu la preuve quand il l'a revu il y a quelques jours.
Jeanne prend un morceau de tissu où elle a déjà commencé des formes minutieuses de fleurs colorées, elle saisit son aiguille et continue son travail. Elle pose cependant son regard sur Harry en tirant sur son fil.
– Tu la féliciteras pour moi surtout.
– Ce sera fait.
– Et toi, mon grand, comment tu vas ?
Harry est légèrement décontenancé et surpris par cette question. Jeanne prend toujours de ses nouvelles et de celles de sa famille, mais son ton est différent aujourd'hui, plus inquiet peut-être.
– Bien, je vais très bien.
– Oui ? Comment ça se passe tes études ?
– Ça me plaît beaucoup, et j'ai de bonnes notes, alors c'est tout ce qui compte.
– Tu sais ce que tu veux faire après ? Je ne sais plus si tu me l'avais dit.
Faire de la broderie n'empêche pas à Jeanne de partager une conversation, elle est très concentrée mais relève parfois les yeux vers Harry pour lui sourire. Il l'a toujours beaucoup aimé, même plus jeune, et il se sent triste pour elle qu'elle doive vivre une grande partie de l'année toute seule.
Il a assisté, avec sa famille et celle de Louis, à l'enterrement de George, son mari, et elle ne cessait de verser des larmes. Son visage tiré par la fatigue et la tristesse. Pourtant, elle gardait aussi ses sourires rassurants pour les autres, pour ses enfants et petits enfants peut-être aussi et elle a rapidement repris sa vie en main. Louis avait disparu suite à ce fameux soir, Harry ne l'a revu pour la dernière fois qu'à l'enterrement, de loin. Son regard, infiniment triste et fatigué, n'a jamais croisé le sien.
Harry adore venir voir son jardin, toutes les belles plantes colorées qui y poussent et qu'elle entretient toute l'année. Jeanne lui offre toujours quelque chose à boire ou à manger, peu importe les saisons, et Harry hésite constamment à refuser. Elle lui fait la conversation plusieurs minutes, parfois une bonne heure, mais depuis qu'il a commencé à lui rendre des services, il n'a jamais arrêté. C'est comme un moyen de garder un contact distant et indirect avec Louis. Quand il ne se sent pas trop timide et qu'il pense à lui plus que d'habitude, il ose demander de ses nouvelles et Jeanne lui répond toujours avec un grand sourire.
– Je suis dans une école de journalisme, donc je vais très certainement être un journaliste.
Ils échangent un sourire amusé, Jeanne lève les yeux au ciel. Harry la regarde rentrer l'aiguille dans le tissu tendu et tirer dessus ensuite, il ne lui faut pas beaucoup de temps pour former le dessin d'une fleur.
– On a l'occasion de toucher à beaucoup de domaines et de rencontrer des professionnels. Je pense que j'aimerais me spécialiser dans les articles culturels et le design en général. Pouvoir mettre en forme le magazine et agencer les pages.
– Je suis certaine que tu vas y arriver et j'espère avoir l'occasion de voir ce que tu produis un jour alors.
Timide, Harry la remercie et termine son thé. Ils discutent encore quelques minutes des choses de la vie de tous les jours. Jeanne lui montre ensuite comment broder une fleur sur un tissu. Elle lui tend un vieux bout de tissu usé, et lui donne l'aiguille. Non sans mal et sans quelques erreurs, Harry parvient à faire une fleur à peu près ressemblantes, au bout de trois essais. A s'y méprendre, il pense un instant être retourné des années en arrière et il s'attendrait presque à voir un Louis de onze ans débarquer dans la cuisine avec ses figurines et sa bonne humeur.
S'asseoir ici, autour de cette table ou même traverser le salon lui rappelle sans cesse de nombreux souvenirs d'enfance. Des souvenirs qu'il partageait avec Louis, à l'heure du goûter. Quand ils buvaient un chocolat chaud l'hiver, plein de crème fouetté sur le bout du nez, ou des moustaches de lait. Quand ils dégustaient les tartines à la confitures de fruits rouges et que Louis s'en mettait tout le temps partout autour de la bouche. Ils riaient si fort qu'ils en avaient les larmes aux yeux. Ou lorsqu'il ne restait plus qu'un cookie, Louis le coupait en deux pour qu'ils aient chacun un bout. Jeanne était toujours là, quelque part, dans la cuisine ou au jardin, et les regardait s'amuser en souriant.
Ces simples pensées nouent la gorge d'Harry, il avale lourdement sa dernière gorgée de thé tiède, quasiment froid maintenant. Revoir Louis il y a quelques jours, pour la première fois depuis cinq ans a ravivé en lui des sentiments qu'il pensait éteints à jamais. Mais en réalité, ils attendaient juste, tapis dans l'ombre, l'occasion pour réapparaître et lui comprimer la poitrine.
Alors qu'ils entament une discussion sur la broderie, la porte d'entrée claque et bientôt la voix de Louis porte depuis le salon :
– Mamie j'ai réussi à écrire ! Bon ce n'est encore que quelques lignes mais je...
Harry a à peine le temps de se redresser et de tourner la tête, Louis s'est figé à l'entrée de la cuisine. Ses yeux passent de lui à sa grand-mère, il tient fermement un carnet contre sa poitrine et son sourire euphorique disparaît. Il porte un simple pull à capuche et une veste en jean, ses cheveux partent dans tous les sens et une jolie teinte rosée colore ses joues. Harry ne doute pas que c'est certainement à cause du vent et peut-être aussi parce qu'il a couru jusqu'ici pour annoncer à Jeanne la nouvelle.
– Ce n'est pas important, ment-il, je te dirais après.
Elle lance d'ailleurs un regard à son petit fils, laissant sa broderie de côté pour le moment, l'air de lui dire qu'il peut être un minimum poli. Que sa mère ne l'a certainement pas élevé ainsi. Louis marmonne un bonjour entre ses dents, ses yeux fuient Harry ou sa grand-mère, les deux certainement. Presque honteux d'être là, Harry lui répond d'une voix basse, les joues en feu.
Puis, il rend à Jeanne son morceau de tissu avec l'aiguille, il n'a réussi à faire que deux fleurs légèrement bancales. Il l'informe ensuite qu'il va s'en aller, la remercie pour le thé.
– Oh attends deux minutes avant de partir, j'ai quelque chose à te donner pour ta maman ! Louis, il y a de l'eau chaude si tu le souhaites.
Quasiment aussi rapide que l'éclair, Jeanne descend de son siège et file hors de la cuisine en souriant. Elle presse l'épaule de son petit fils au passage, puis laisse derrière elle un lourd silence. Pourtant, Harry a de nombreuses questions qui lui brûlent la langue. Il veut demander à Louis ce qu'il est allé faire à la plage, s'il écrit encor des heures entières dans son carnet, s'il dévore des romans à la lumière de la lune, s'il rentre bientôt chez lui, s'il joue toujours au foot, s'il peut le prendre dans ses bras une dernière fois, s'il l'aime, lui aussi. Mais il se tait, parce qu'il ne peut pas. C'est fini.
Il lui a dit lui même il y a quelques jours seulement : c'est mieux ainsi.
Louis s'avance finalement dans la pièce, toujours silencieux, passe près de la table pour aller se laver les mains et se servir une tasse de thé. Il sent l'océan, l'air marin et la cigarette. Harry réprime un frisson et baisse les yeux vers ses doigts.
Avant, ils avaient l'habitude de parler de tout. Ils se racontaient des blagues, des histoires et riaient aux éclats. Aujourd'hui, il n'y a plus que le silence. Insupportable et oppressant. Après plusieurs secondes, beaucoup trop longues à son goût, Harry s'éclaircit la gorge et demande d'une petite voix :
– Tu écris toujours ?
Harry ne sait pas si c'est une bonne idée de lui avoir posé cette question, mais sa curiosité le pique au vif. Elle est plus grande et forte que lui. Il se souvient à quel point Louis aimait écrire tout autant que lire durant l'adolescence. Pendant qu'Harry écoutait de vieux vinyles sur la platine, Louis remplissait les pages de son carnet. Il ne savait pas s'arrêter. Parfois, Harry s'endormait et quand il se réveillait d'une sieste un peu plus tard dans la journée, Louis écrivait toujours avec la même frénésie. Son imagination était débordante.
Souvent, il laissait à Harry l'occasion de lire ses mots, il était toujours nerveux, mais Harry l'admirait. Parce que, déjà à cet âge, Louis avait du talent. Il ne le savait juste pas encore et Harry a toujours cru en lui. Peut-être encore aujourd'hui, même après tout ce qui s'est passé.
Il ne doute pas, qu'un jour, il tombera sur un roman signé de son nom dans une librairie et que tout le monde sera ensorcelé par sa plume comme il a pu l'être lui-même. Et Harry est convaincu qu'il est tombé amoureux de ses mots avant de tomber amoureux de lui.
Une fois qu'il s'est versé son eau chaude dans sa tasse, Louis la prend entre ses doigts et s'appuie contre le mur. Il ne regarde pas Harry. D'une main, il serre toujours son carnet contre lui.
– Ouaip.
Louis répond sans même le regarder, il pose sa tasse et sort une cigarette. Discrètement, Harry le regarde. Il semble fatigué et changé. La première fois qu'il l'a revu dans cette même pièce après cinq ans, ça l'a frappé tout de suite. Cette différence.
Il n'est plus aussi lumineux et souriant qu'avant. Il n'est plus cet adolescent farouche qui n'a peur de rien et dont le rire anime le monde. Il a perdu son étincelle. La vie, après laquelle il passait son temps à courir, semble lui avoir échappé.
Mais Louis n'a pas le temps d'essayer d'allumer sa cigarette que Jeanne revient dans la cuisine, un livre sous le bras, et s'exclame :
– Pas à l'intérieur jeune homme !
Après avoir levé les yeux au ciel, Louis embrasse la joue de sa grand-mère et sort de la pièce. Sans accorder aucune attention de plus à Harry. Harry, lui, le regarde partir, observe le coin vide où il se tenait et respire la dernière trace de son odeur. Il ne lui reste plus aucun souvenir de Louis, ils s'étiolent lentement. Il a disparu de sa vie il y a cinq ans, et il repartira sans laisser à Harry rien d'autre que son coeur brisé.
Jeanne lui donne un livre de recettes pour sa mère qu'elle devait lui rendre, Harry la remercie poliment et s'excuse. Il sort de la maison le plus rapidement possible après avoir posé sa tasse dans l'évier. Il n'était pas rendu compte qu'il avait retenu son souffle si longtemps. Un instant, avant d'atteindre sa voiture garée devant le portail, il se retourne en espérant peut-être voir Louis. Il n'est pas là et Harry essaie de ne pas être trop déçu.
*
Allongé dans son lit, Harry fixe le plafond et pousse un profond soupir. Cela fait une heure et demie qu'il tente d'écrire un article pour son prochain devoir. Il doit le rendre dans deux jours. Mais il n'a aucune envie et aucune inspiration. L'écran de son ordinateur est en veille, Harry tient contre son torse les feuilles de brouillon.
Il est presque vingt deux heures et il veut déjà se mettre les couvertures et dormir jusqu'au lendemain matin. Ne plus penser à rien. En ce moment, il est épuisé. Ses journées se ressemblent et se confondent. Il se lève et se prépare, il pense à Louis, il va en cours, il pense à Louis, il fait ses devoirs, il pense à Louis, il dîne, il pense à Louis, il s'allonge dans son lit et il pense à Louis. Il rêve de Louis parfois aussi. Louis rythme ses journées, même s'il tente de l'oublier au maximum.
Mais c'est une tâche plus compliquée qu'il n'y paraît. Il regarde son tapis et pense aux heures, qu'ilsont passées allongés dessus, à lire des bandes dessinées, Louis écrivait son carnet à même le sol, Harry parcourait un roman et se perdait parfois à l'admirer dans son travail. Son lit, Louis y jouait à la console, Harry tout près de lui, épaule contre épaule, riait et l'encourageait à terrasser l'ennemi. Ils s'allongeaient et regardaient des films sur son ordinateur, sous les couvertures, blottis l'un contre l'autre. Parfois, Louis s'endormait avant la fin, son souffle chaud caressait la peau d'Harry et il se mettait à rougir, à le regarder pendant plusieurs minutes à la lumière faible de l'écran posé entre leurs genoux, il souriait et fermait les yeux à ses côtés, personne n'avait besoin de savoir qu'il tombait éperdument amoureux.
Trois coups à sa porte le font sursauter, elle s'ouvre sur sa sœur. Gemma tient une assiette avec une part de gâteau, sa mine est resplendissante et son maquillage est toujours intact malgré cette longue journée. Elle travaille dans un cabinet d'avocat, ses journées ne doivent pas être de tout repos et Harry se sent toujours mal de se plaindre de ses cours en master et sa vie plutôt simple.
– Je t'en ai rapporté un morceau. Maman l'a préparé toute l'après-midi et je crois qu'elle va être déçue si on ne lui dit pas tous les deux que c'est délicieux.
– Elle sait qu'elle réussie toujours ce qu'elle prépare.
Gemma sourit en acquiesçant, elle entre dans la chambre et pose l'assiette sur la table de chevet où il y a déjà une lampe, une pile de livres et une gourde transparente à moitié vide. Elle observe son petit frère un moment, affalé dans son lit, et s'assoit finalement au bord, une jambe rempliée sous sa cuisse pour lui faire face.
– Ça va ?
– J'ai connu mieux, soupire Harry, ce devoir me prend la tête. Je dois le rendre après demain et je n'ai rien avancé du tout. C'est bien la première fois que je n'ai aucune inspiration et pourtant le sujet me plaît.
Harry se redresse un peu dans son lit et appuie son dos contre le rebord, il pose ses feuilles à côté de lui et lève les yeux vers sa sœur. Elle le regarde avec un air qui ne lui annonce rien de bon, ses yeux pétillent d'une forme de malice qu'elle a du mal à cacher et le sourire qui se forme sur ses lèvres n'a rien d'anodin. Harry n'a qu'un envie, se cacher sous ses couvertures.
– Et tu sais aussi bien que moi pour quelle raison.
– Je ne vois pas de quoi tu parles...
Il parle dans sa barbe, les dents serrés et le regard fuyant, à présent. Quand elle se met à parler de lui, Harry souhaite disparaître, être invisible ou ne plus jamais rien ressentir.
– Donc, ça n'a rien à voir avec le fait que Louis soit revenu et que tu aies encore le béguin pour lui ?
Si les joues d'Harry se mettent violemment à rougir, Gemma n'en fait aucune remarque, ou peut-être fait-il assez sombre dans sa chambre pour qu'elle ne le remarque pas. Mais, elle sent bien que son frère est tout aussi gêné qu'il l'était cinq ans plus tôt. Elle sait qu'il n'a jamais pu oublier son premier amour et son premier coeur brisé aussi.
Honnêtement, quand elle a revu Louis chez Jeanne il y a quelques jours, elle a eu envie de lui sauter au cou et le secouer jusqu'à ce qu'il avoue pourquoi il a eu un tel comportement. Il y a encore deux ou trois ans, elle l'aurait fait. Mais cinq années sont passées, ils ne peuvent pas vivre constamment dans le passé. Elle a senti en le voyant, tout timide et perdu dans cette cuisine, qu'il voulait se rattraper, qu'il souhaitait peut-être même s'expliquer.
Et même s'il a brisé le coeur de son petit frère et qu'elle a encore envie de lui passer un savon, elle pense aussi que tout le monde a le droit à une seconde chance. Mais Harry ne semble pas voir les choses ainsi.
– Premièrement, plus personne aujourd'hui n'utilise le mot « béguin », répond platement Harry, deuxièmement non Louis ne représente plus rien pour moi.
La seconde qui suit, Gemma se perd dans un rire. Harry grogne et lui lance un coussin, elle l'attrape entre ses mains après qu'il soit tombé sur ses genoux. Une fois qu'elle est calmée, elle secoue doucement la tête en le regardant. Il a les bras croisés sur sa poitrine et une mine sérieuse. Mais il sait lui même que c'est le pire mensonge qu'il ait pu inventé.
– Désolée... Mais je t'en prie Harry, tu crois réellement que ça va fonctionner avec moi ? Je ne suis pas née de la dernière pluie. Tu es un piètre menteur et tu sais aussi bien que moi que c'est faux.
Gemma a raison, c'est ça le pire dans l'histoire. Évidemment qu'Harry le sait. Il s'en cache simplement parce qu'il ne veut pas avoir le coeur brisé une deuxième fois. Louis lui a tout donné pour tout lui arracher du jour au lendemain.
Si Harry a réagi ainsi ces derniers jours en le voyant, après un si long moment loin de lui, c'est parce qu'il voulait se protéger. Le repousser pour se préserver. C'est ce que sa mère lui a toujours répété, penser à lui et son bien-être avant celui des autres. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Harry a toujours placé Louis avant lui, sur un piédestal et quand Louis s'est écroulé, il l'a emmené dans sa chute.
Harry n'est pas certain qu'aujourd'hui il s'en soit totalement relevé.
Il baisse la tête, joue avec ses doigts, tire doucement sur le bord de son pull. Après plusieurs secondes de silence, il souffle :
– Je devrais le détester, je devrais le haïr et ne plus jamais vouloir lui adresser la parole après ce qu'il m'a fait, Harry reprend son souffle et fronce les sourcils en regardant ses mains. Et je crois que pendant un temps je lui en ai énormément voulu. Mais je... quand je l'ai revu, j'ai simplement eu envie qu'il me prenne dans ses bras et qu'il reste pour toujours.
– Harry...
La voix de Gemma se fait douce et compatissante, elle bouge dans le lit afin de venir à ses côtés, elle aussi appuyée contre le rebord. Elle passe un bras autour de ses épaules et le serre contre elle. Harry ferme les yeux, laisse le contact de sa sœur le rassurer.
Il a la vive impression de retourner cinq ans en arrière quand, quelques jours après le départ de Louis sans avoir aucune de ses nouvelles, il pleurait à chaudes larmes dans les bras de sa soeur et lui avouait qu'il était tombé amoureux de son meilleur ami. Elle l'avait consolé des semaines durant, il avait fini par en parler à sa mère qui se doutait aussi que quelque chose n'allait pas.
– Pourquoi tu ne lui laisses pas une chance de s'expliquer ? Peut-être qu'il a des choses à t'avouer, peut-être qu'il veut te dire la vérité ?
– C'est trop tard...
– Comment ça ?
Gemma cesse de caresses ses boucles et recule la tête pour le regarder, Harry n'a pas besoin d'ouvrir les yeux pour le savoir. Il le fait quand même et face à l'expression interrogatrice de sa sœur il lâche un soupir.
– La semaine dernière, je l'ai raccompagné chez sa grand-mère parce qu'il pleuvait et je... il a tenté un pas vers moi, je lui ai dis qu'on était plus rien l'un pour l'autre, que... que j'étais passé à autre chose et que j'avais un copain.
– Harry Styles dis moi que tu plaisantes !
Elle se détache de lui pour lui faire face, ses yeux sortent presque de ses orbites. Harry n'ose pas vraiment affronter son regard, il se sent déjà assez misérable comme ça. Mais il ne peut plus échapper à la conversation maintenant. Et, malgré tout, Gemma donne les meilleurs conseils.
C'est sa grande sœur, elle le connaît mieux que personne et sait que Louis était son rayon de soleil, son monde entier et que suite à son départ, l'univers d'Harry a cessé de briller et d'exister. Il s'est éteint petit à petit en même temps que le souvenir de Louis s'effaçait, que les années passaient.
Il tire nerveusement sur ses doigts, les passe dans ses boucles et répond :
– Non, je... j'ai paniqué d'accord ? Il voulait qu'on continue à se voir et à se parler, qu'on reprenne contact je ne sais pas et j'ai... j'ai eu peur. Je ne veux pas m'attacher à nouveau à lui de cette manière et qu'il m'abandonne une seconde fois. Je sais... je sais que je n'aurais jamais dû inventer ce mensonge parce que ce n'était pas la meilleure façon de régler nos problèmes....
Harry sait qu'il a fait une erreur et il la regrette. Personne n'est parfait. Louis devait avoir ses raisons d'être parti sans le prévenir, sans chercher à le contacter ou répondre à ses messages. Harry l'a détesté pendant un long, très long moment, mais il n'a jamais souhaité une seule seconde qu'ils ne se soient jamais rencontrés. Louis a été la plus belle partie de sa vie, il veut se souvenir de lui pour toujours.
– Je te le fais pas dire, Gemma hausse un sourcil.Et il t'a cru ?
– Vu la façon dont il s'est échappé ensuite et dont il m'ignore maintenant, je crois oui.
– Il n'y en a vraiment aucun pour rattraper l'autre ma parole... soupire-t-elle en levant les yeux au ciel. Écoute-moi Roméo, tu vas bouger tes belles fesses et tu vas aller le voir et lui dire la vérité toi aussi. Vous allez vous expliquer, vous écouter et ensuite tu aviseras, d'accord ? Mais c'est important que vous communiquiez.
Elle pose la main sur le bras de son petit frère, il ne dit rien. Il hoche simplement la tête, plongé dans ses pensées et réflexions. Gemma doit sentir qu'il est ailleurs, car elle se penche pour mieux capter son regard triste.
– Harry... Vous étiez les meilleurs amis du monde et ce qui s'est passé entre vous vous concerne tous les deux uniquement, mais... même si vous ne vous réconciliez pas et décidez de votre vie chacun de votre côté, vous vous devez au moins des explications. Parce que vous ne pouvez pas avancer si vous regardez toujours en arrière dans le passé. Ça vaut le coup d'essayer, non ? Louis a fait un pas vers toi, tu peux lui laisser la chance de t'approcher. Dans tous les cas, je serais là pour toi et maman aussi, tu n'es pas tout seul.
Il la regarde, les petits tâches de rousseur sur son visage, ses cheveux détachés et toujours lisses qui tombent sur ses épaules, son sourire chaleureux et rassurant. Il la regarde et il se dit qu'elle n'a pas tord. Louis et lui se doivent bien ça, la vérité et une conversation. Ça lui briserait le coeur à jamais si leurs chemins doivent se déparer pour toujours, mais au moins il pourra avancer en sachant qu'ils se sont tout dit.
Un sourire en coin apparaît sur ses lèvres, il donne un coup de coude à sa sœur et lui demande pour la taquiner :
– Quand est-ce que tu es devenue philosophe exactement ?
Elle lève les yeux au ciel et le frappe gentiment avec un coussin. Leurs rires se mêlent calmement dans la pièce. Harry tend la main et prend celle de Gemma dans la sienne, il la serre avec tendresse. Ils échangent un sourire, car ils se comprennent sans avoir besoin de mots. Mais Harry les dit quand même.
– Merci Gemma, j'irai le voir demain après les cours.
– Tu as intérêt oui !
Elle sait aussi qu'elle sera la première au courant de la tournure de leur conversation. Au fond d'elle, Gemma espère qu'ils puissent parvenir à s'entendre comme avant. Peut-être pas tout de suite, mais elle souhaite voir son petit frère heureux, et il ne l'est plus depuis le départ de Louis. S'ils peuvent tout arranger, ils le feront, avec du temps et de la volonté, mais elle doute qu'une telle amitié, qu'un tel lien puisse se briser totalement un jour.
– Allez, mange ta part de gâteau et essaie de ne pas trop t'inquiéter pour ton devoir, d'accord ? Je suis certaine que tu vas y arriver.
Harry hoche la tête. Gemma lui embrasse le front et s'éclipse. Il déguste le gâteau en lisant ses notes, il rédige quelques phrases qui lui semblent correctes et, plus tard dans la soirée, il s'endort avec le ventre plein et le coeur gonflé d'espoir.
*
C'est légèrement stressé et appréhensif qu'Harry remonte la rue pour arriver chez Jeanne. Il est allé en vélo à l'université ce Mercredi matin et a décidé de rouler jusqu'ici. Même si l'air est glacial, il est soulagé de constater qu'un soleil brille depuis le lever du jour. Le trajet lui a laissé le temps de peser ses mots, de mettre en place une approche.
Mais il se sent stupide, parce qu'il n'a jamais eu besoin de réfléchir avec Louis. Tout se faisait naturellement, avec instinct. Ils se comprenaient sans avoir besoin de se parler, par le biais d'un regard ou un sourire, parfois même un geste. C'était simple. Aujourd'hui, tout semble si compliqué et hors de portée. Différent. Forcément, ils ont grandi et changé, évolué. Cinq ans, c'est à la fois rapide dans l'espace d'une vie et affreusement long quand on attend de revoir une personne à qui l'on a donné son coeur.
Harry pense à sa discussion hier soir avec Gemma, elle l'a convaincue plus que jamais d'aller voir Louis et régler cette histoire une bonne fois pour toute. S'il doit ressortir de là avec un coeur brisé, il aura au moins eu le droit à la vérité. Mais Harry n'a pas perdu tout espoir. La semaine dernière encore, dans sa voiture, sous une pluie de Novembre, Louis semblait prêt à leur donner une seconde chance. Pétrifié par la peur de le perdre et de souffrir une nouvelle fois, Harry l'a repoussé sans réfléchir aux conséquences.
Lundi, Louis l'ignorait, peut-être blessé lui aussi. Mais Harry refuse de croire que tout espoir soit encore perdu.
Seulement, quand il est arrive à la hauteur de la maison, il entend un rire. Un rire qu'il peut encore reconnaître entre mille. Il se fige, le coeur battant la chamade. Louis est là. Il est devant le portail. Il porte un ensemble de jogging, un haut rouge vif et blanc et bas noir et blanc. Harry est frappé par sa beauté, il rayonne.Mais il n'est pas seul. Il y a un autre garçon avec lui, il est de dos mais Harry devine facilement que c'est Liam. Sa carrure musclée sous son pull, ses cheveux rasés de près derrière et sur les côtés.
Louis tient entre son coude et sa hanche un ballon de football, il sourit tellement que le coin de ses yeux se plisse. Harry retient son souffle, il avait presque oublié à quel point il était beau quand il souriait ainsi. Liam lui parle en remuant un peu les mains, Louis l'écoute attentivement en opinant de temps en temps de la tête. Harry ne peut pas suivre leur conversation d'ici, à moitié caché derrière un buisson, mais ça ne l'empêche pas de regarder.
Puis Liam donne soudainement un coup de poing dans le ballon qui vole et termine au sol derrière Louis. Son rire grave résonne, Louis prend une fausse mine offusquée et s'avance vers Liam, il semble le chatouiller ou le taquiner, car Liam rit aux éclats et tente de s'enfuir. Un instant, Harry croit avoir sous ses yeux le Louis adolescent, le Louis qui faisait des farces, racontait des idioties pour amuser la galerie et vivait pleinement. Le Louis solaire dont il est tombé amoureux. Sa gorge se noue.
Durant plusieurs secondes, les deux jeunes hommes se taquinent. Harry ne préfère pas avancer, il n'a jamais aimé interrompre les autres. Même quand il voulait passer sa soirée non pas en compagnie du reste de la bande, dont il n'a jamais fait partie d'ailleurs, mais avec Louis uniquement, Harry restait en retrait et attendait qu'il vienne vers lui, seul à seul, pour lui demander timidement. Louis acceptait toujours.
Finalement, ils reprennent leur discussion quelques instants puis se serrent dans les bras l'un de l'autre. Louis presse affectueusement l'épaule de Liam et à la vue du sourire étincelant qu'il porte sur son visage, Harry sent son coeur se serrer dans sa poitrine. Quand ils se séparent, Liam ébouriffe les cheveux de Louis qui râle un peu, les sourcils froncés. Il lui donne un léger coup de poing dans le torse, et Liam s'éloigne en riant. Il part, mains dans les poches de son jean.
Harry regarde Louis, son air heureux et décontracté qui tranche vivement avec le regarde qu'il lui lançait il y a quelques jours encore. Il porte toujours ce sourire lumineux sur son visage, et observe Liam qui s'éloigne plusieurs secondes. Les doigts serrés autour de son guidon de vélo, Harry tourne le dos et repart en silence avant que Louis ne rentre dans la maison. Il en assez vu pour aujourd'hui.
La poitrine comprimée par un sentiment qu'il sait être de la jalousie, Harry monte sur la selle une fois qu'il est en haut de la rue. Il se remet en route et rentre chez lui. Pendant tout le trajet, il rumine. Il se demande pourquoi Louis a gardé contact avec Liam tout ce temps et a décidé de couper les ponts avec lui, pourquoi ils sont si proches maintenant, pourquoi il ne lui a rien dit.
Ou alors, Louis a déjà une copine chez lui et Liam est simplement son nouveau meilleur ami. Harry n'a jamais su comment Louis se définissait sexuellement, il n'a jamais eu le temps de demander non plus. Ils se sont embrassés il y a cinq ans, certes, mais ce baiser ne voulait certainement rien dire pour Louis. Lui qui a embrassé tellement de filles, lui qui passait son temps à raconter ses conquêtes aux autres garçons de la bande, lui qui à flirté avec Rachel à la soirée jusqu'à ce que leurs bouches finissent pas se retrouver. Mais ça ne veut pas dire que ça ne lui fait pas moins mal d'être oublié et remplacé.
Gemma n'est pas à la maison quand il y arrive. Harry en est quelque peu soulagé. Il n'avait pas envie de lui expliquer à quel point cette idée a été un échec cuisant, à quel point il se sent misérable, jaloux et triste. Il espère qu'elle ne lui posera pas trop de questions ce soir. En attendant, il a le temps de trouver un mensonge à lui raconter.
– Harry ? C'est toi mon chéri ?
Il accroche son manteau et son écharpe dans l'entrée, retire ses chaussures. Anne, sa mère, est assise dans le canapé du salon. La télévision est allumée sur une chaîne de documentaire géographique, elle parcourt un magazine qu'elle pose sur la table basse quand il entre dans la pièce. Elle se tourne vers lui, mais son sourire s'efface alors ses sourcils se froncent d'inquiétude.
– Mais, tu pleures... ?
Harry porte le dos de sa main contre une de ses joues gelée et humide. Il ne s'en était même pas rendu compte. Il force un faux sourire et hausse les épaules, avant de préparer son premier mensonge.
– Le vent est froid dehors.
– Oh, tu devrais partir en bus ou en voiture maintenant. Ce n'est pas parce que le soleil est là qu'il fait chaud. Tu veux une bonne tasse de thé pour te réchauffer ?
Son premier réflexe aurait été de refuser et d'aller s'enfermer quasiment toute la soirée dans sa chambre pour écouter des musiques tristes qui lui rappellent Louis et pleurer jusqu'à l'épuisement. Mais il n'en a pas la force, pas maintenant. Il sent que ce ne seront pas les dernières larmes qu'il versera.
Les doigts et le bout du nez encore frigorifiés, Harry s'installe dans le canapé à côté de sa mère et hoche la tête. Il prend un coussin pour le serrer contre son torse.
– J'aimerais beaucoup oui, merci, et une part de ton gâteau d'hier s'il en reste... ?
– Bien sûr ! Elle se lève en souriant. Gemma et ton père n'ont pas encore tout mangé.
Même s'il est loin d'être enjoué, son rire faible se mêle à celui de sa mère. Elle disparaît en cuisine plusieurs minutes, Harry vérifie sur son téléphone s'il n'a pas reçu des mails de l'université et fait ensuite un tour sur les réseaux sociaux. Par curiosité mal placée et une envie de se faire plus de mal encore peut-être, Harry termine sur le profil Instagram de Liam. Il a l'air d'être plutôt reconnu, en tout cas pas mal de personnes le suivent. C'est principalement un compte alimenté de photos et de vidéos sur la fitness et le sport, mais la dernière publication lui fait sursauter le coeur.
Il clique dessus et l'image s'affiche en grand, presque sur la totalité de son écran. Elle a été postée il y a une heure. La première chose sur laquelle son regard se pose c'est le visage de Louis. Souriant, heureux et éblouissant. Liam a pris la photo, le bras tendu, afin qu'ils soient tous les deux dessus. Ils portent la même tenue qu'aujourd'hui et si Harry en croit le fond de verdure, cela ressemble beaucoup au jardin de Jeanne. Le ballon de football est aux pieds de Louis, on le voit dans le coin gauche, il a le soleil à moitié dans les yeux et un de ses bras entourent l'épaule de Liam, même s'il plus grand que lui.
Harry se mord la lèvre, ses joues chauffent. Liam a identifié Louis dans la publication. Harry hésite un instant, mais clique sur le lien. La page charge et s'affiche. Ses espoirs s'écroulent, et c'est peut-être mieux ainsi. Son profil est en privé, Harry ne va certainement pas demander à le suivre. Il n'a à sa disposition qu'une petite photo de Louis dans l'encadrée en haut à gauche, où on le voit appuyé contre une barrière en train de fumer, puis le fait qu'il a trente trois publications et un nombre plutôt bas d'abonnés.
Après son départ il y a cinq ans, Louis a effacé tous ses comptes sur les réseaux sociaux. Il s'est coupé d'Harry et du reste du monde de la façon la plus radicale. Harry ne doute pas qu'il a certainement dû s'en recréer des nouveaux depuis le temps, tous privés eux-aussi. Il n'ira pas vérifier pour autant, même si sa curiosité l'y pousse. Il soupire et retourne en arrière sur la photo de Liam. Afin de mieux voir, il zoome sur le visage de Louis.
Mais il sursaute, pousse un cri étouffé et manque de faire tomber son téléphone quand derrière lui, sa mère demande soudaine d'une voix douce mais trop proche à son goût :
– C'est Louis ?
Pris sur le fait, Harry ferme l'application rapidement, verrouille son téléphone et rougit violemment en évitant le regard de sa mère. Elle sourit, pose la tasse fumante et l'assiette avec le gâteau sur la table basse devant son fils.
Le coeur d'Harry bat encore à toute allure dans sa poitrine, animé par la surprise et d'avoir été pris sur le fait. En soit, il n'a rien fait de mal. Et Anne sait qu'il n'a jamais oublié Louis, qu'il ne l'oubliera certainement jamais. Il serre ses doigts autour du coussin et reprend son souffle avant de bafouiller quelques mots incohérents tandis qu'Anne reprend place à sa gauche.
– Je... euh... oui, oui c'est lui.
– Il n'a pas l'air d'avoir changé d'un pouce !
Harry baisse les yeux vers le tissu du canapé et hausse les épaules. Il ne préfère pas répondre à ça, il ne veut pas dire à sa mère à quel point Louis est différent. Physiquement, il est à peu près le même. C'est mentalement qu'il a le plus changé. Comme s'il était devenu une toute autre personne.
Anne prend une tasse qu'elle s'est préparée pour elle aussi, elle lance un regard à son fils qui ne dit toujours rien et boit une gorgée de thé.
– Jeanne m'a dit qu'il était revenu chez elle, il y a un peu plus de deux semaines de cela maintenant.
– Jeanne ?
Il relève la tête vers sa mère et ne cache pas sa surprise, mais en même temps Anne et Jeanne se connaissent bien. Louis et Harry ont grandi ensemble et leurs familles ont appris au fil des années à s'apprécier et ils sont sans aucun doute encore tous en contact les uns avec les autres.
L'été, ils organisaient souvent des barbecues à l'arrière du jardin de la maison de Jeanne ou celle d'Anne et Robin. Ils partaient tous ensemble, Harry et Gemma, Louis et ses sœurs, leurs parents et grands-parents, à la plage. Ils y passaient des heures. Harry jouait avec les sœurs de Louis, avec Charlotte qui était un tout petit peu plus jeune que lui, ils construisaient des châteaux de sable ensemble et allaient se jeter entre les vagues. Une bouffée de nostalgie envahie le coeur d'Harry.
– Oui oui, je l'ai appelé hier pour la remercier pour le livre. Je lui ai demandé de ses nouvelles et elle m'a dit qu'elle était très heureuse que son petit fils soit de retour.
Encore une fois, Harry ne dit rien. Il préfère rester silencieux dans ces moments là. Sa mère sait presque mieux lire en lui que sa sœur. Honnêtement, il ne sait pas laquelle des deux il redoute le plus quand ils viennent à discuter de sa vie amoureuse.
– Je suppose que si tu regardais cette photo, c'est parce que tu l'as rencontré aussi ?
– Maman...
Un soupir lui échappe, il regarde sa tasse encore fumante sur la table basse. Anne pose la sienne, elle ne presse pas son fils à répondre, elle cherche simplement à ce qu'il allège le poids sur sa poitrine. Bien sur qu'elle est courant, Gemma a dû lui dire quand ils sont allés à deux chez Jeanne, mais Anne préfère qu'il en parle de lui-même, à son rythme.
– Oui, dit-il finalement, je l'ai croisé une ou deux fois. Rien d'exceptionnel je t'assure. On s'est à peine adressé la parole.
C'est un mensonge, bien sûr, mais Harry ne va pas lui raconter qu'il a certainement gâché leur seule chance d'être à nouveau des amis et qu'en plus Louis l'oublie dans les bras d'un autre homme. Il n'a pas envie de parler de ça.
– Il te manque ?
– Non.
Sa réponse est immédiate, prononcée sur un ton dur et déterminé. Mais, il sait lui même que ce n'est pas la vérité. Sa mère lui lance un regard qui lui confirme qu'elle aussi le connaît mieux que personne, elle l'a mis au monde et élevé après tout.
Harry soupire lourdement et baisse les yeux, il ne peut pas mentir. Ni à sa famille ni à lui même.
– Terriblement.
– C'est normal mon coeur, tu sais, c'était... c'était ton meilleur ami depuis l'enfance et puis ton premier amoureux.
– Maman... !
Un sourire amusé et doux à la fois habille les lèvres d'Anne qui tend la main pour remettre les cheveux de son fils en place. Elle passe ses doigts contre sa joue et hausse les épaules. Elle sait qu'Harry est toujours amoureux de Louis, il a peut-être toujours été. Même si Louis était son modèle et son meilleur ami avant tout.
Certes, il a fait du mal à son fils et elle devra avoir une discussion sérieuse avec lui elle aussi. Mais, elle est certaine qu'une si belle relation ne peut pas prendre fin ainsi. Elle ne s'est toujours pas habituée à voir Harry seul l'été, il ne sort plus beaucoup, il passe son temps à lire des romans dans la maison, sa chambre ou le jardin quand il fait beau, il se renferme sur lui-même et voit rarement ses quelques amis en dehors de l'université.
Elle a l'impression que, sans Louis, il ne peut plus exister et Anne ne veut pas qu'il devienne l'ombre de lui-même et qu'il oublie de vivre.
– Tout ça pour dire, reprend-elle avec ce même sourire rassurant, vous avez vécu énormément de choses ensemble. Vous avez pratiquement grandi côte à côte et je me souviens que tu l'appelais tard le soir, pendant des heures, même si je te demandais d'aller te coucher tôt pour les cours. Mais je finissais toujours pas te retrouver endormi avec ton téléphone contre ton oreille, l'appel toujours en cours. Et de l'autre côté de l'appareil, Louis dormait aussi.
Ce souvenir réveille quelque chose en Harry, un pincement à sa poitrine et le fantôme d'un sourire sur ses lèvres. Sa mère prend sa main dans la sienne et serre affectueusement ses doigts. Harry se rappelle qu'ils pouvaient passer des heures au téléphone, à se raconter leurs journées et parler de rien, simplement pour être en présence l'un de l'autre. S'entendre respirer. Des kilomètres les séparaient et ils avaient besoin d'être proches.
– Louis ne voulait jamais raccroché en premier, souffle Harry la gorge nouée, et moi non plus.
– Tu vois donc ce que je veux dire, tu ne peux pas vraiment oublier totalement ce qui vous unissez. L'amitié, l'amour, peu importe, vous étiez inséparables. Jay disait souvent que c'était quelque chose d'unique et je suis d'accord, tu ne vas pas rencontrer beaucoup de Louis dans ta vie.
– Je ne veux pas l'oublier.
– Personne ne t'y oblige, Harry.
– Mais ça fait mal. Ça fait mal de penser à lui tout le temps, encore plus quand il est là.
Les lèvres d'Anne forment une petite moue, Harry baisse la tête, elle s'approche et le prend dans ses bras. Elle le serre fort contre elle. Il soupire, pose sa tête sur son épaule et respire son parfum de fleurs. C'est rassurant. Il sait qu'il n'a pas tout perdu. Qu'il lui reste sa famille. Mais l'absence de Louis creuse un trou béant dans sa poitrine.
Anne caresse ses cheveux, il ferme les yeux et respire lentement. S'il se met à pleurer silencieusement, elle n'en dit rien, elle l'enlace davantage et chuchote contre son front :
– Je sais mon chéri, je sais.
Anne sait, parce qu'il y a pas si longtemps encore, elle le voyait ou l'entendait pleurer parfois. Anne sait parce qu'elle est maman et elle devine quand quelque chose se passe. Son instinct peut-être. Mais elle sera toujours présente pour protéger sa famille. Elle ne souhaite que le meilleur pour ses enfants et elle sait que le meilleur pour son fils, malgré la situation actuelle, c'est Louis.
Cependant, elle n'en parle pas plus. Ils s'étreignent dans un silence calme et reposant. Elle caresse les cheveux et la nuque d'Harry jusqu'à ce que sa respirations se fasse plus régulière. Elle attend que ce soit lui qui se recule, et quand il le fait, ses yeux sont un peu rouges, il les frotte et renifle.
D'une voix basse et rauque, Harry la remercie, elle lui sourit et embrasse son front. Il boit ensuite une longue gorgée de thé puis s'emmitoufle confortablement entre les coussins et les couvertures.
– Que dirais-tu qu'on passe la soirée à regarder des films toi et moi ? Ton père ne rentre pas avant vingt heures et Gemma dort chez son copain ce soir.
– Oui, s'il te plaît.
Anne lui tend la télécommande et lui laisse le choix du premier programme de la soirée. Ils sont installés l'un contre l'autre et regardent une série humoristique en mangeant des restes jusqu'à tomber de fatigue. Le temps de quelques heures, Harry s'autorise à rire et à oublier Louis.
*
Prit par les examens et de nombreux devoirs à rendre, Harry ne revient pas chez Jeanne avant le Lundi de la semaine suivante. Quand il n'est pas à la maison ou à l'université pour suivre les cours, il s'installe dans la bibliothèque pour étudier avec ses amis. Ils ont une présentation orale à faire en groupe pour la fin de semaine et il déteste ça, même s'il est rassuré de ne pas devoir se tenir seul devant le reste de la classe.
Après une séance de révisions de deux heures et demi, Harry prend quitte le parking universitaire avec sa voiture et passe au bureau de poste. Il n'est qu'un peu plus de dix sept heures, mais le ciel est déjà sombre. On pourrait facilement se croire en pleine nuit.
C'est avec deux petits colis sous le bras qu'il arrive chez Jeanne, sa boîte aux lettres n'est jamais assez grande pour les accueillir mais le facteur sait qu'Harry vient les chercher à sa place. Elle sait conduire, et aurait été capable d'aller là-bas par ses propres moyens, seulement Harry lui a expliqué plusieurs fois que ça ne le dérangeait pas de rendre service.
Jeanne vient lui ouvrir une dizaine de secondes après, elle lui sourit et le laisse entrer. Une bonne odeur de légumes mijotés vient caresser ses narines. Il va déposer les cartons sur la table de la cuisine, regarde autour de lui et se mord la lèvre. C'est l'occasion pour avoir une discussion avec Louis, même s'il risque d'être encore plus blessé quand il va probablement lui annoncer que Liam est son nouveau petit ami, ou qu'il est passé à autre chose. Ou peut-être que c'est le cas depuis un moment, depuis des mois et que, dans la voiture l'autre fois, il voulait simplement qu'ils se pardonnent et restent de simples amis.
Mais Harry doit en être certain. Sa mère et sa sœur ont raison, il doit connaître la vérité pour pouvoir avancer. Même si elle lui brise le coeur, même s'il ne trouvera jamais quelqu'un d'autre comme Louis. Il était unique, comme Anne lui a dit.
Ils échangent des politesses avec Jeanne, prennent des nouvelles pendant qu'elle déballe ses colis. Un livre sur le crochet et un bac à monter pour ses fleurs. Harry joue avec ses bagues, les serre et les fait tourner entre ses doigts. Il se racle doucement la gorge et demande :
– Est-ce que... est-ce que Louis est là ? Il faut que je lui parle.
Jeanne pose le plan de construction du bac qu'elle était en train d'observer puis lève les yeux vers Harry. Son sourire est un tantinet plus crispé et il sait alors ce qu'elle va dire avant même qu'il ne prenne la parole.
– Oh, mon chéri... je suis navrée mais Louis est rentré chez lui Vendredi. Je pensais qu'il allait te prévenir d'une manière ou d'une autre, j'aurais dû t'appeler pour t'en informer.
– Ce n'est rien, ne vous en faites pas.
Harry force un sourire, pour rester poli. Mais ce qu'il pense tout bas c'est : j'ai l'habitude maintenant. Il s'excuse auprès de Jeanne et lui dit au revoir avant de s'échapper de la maison le plus vite possible. Même une fois dans sa voiture, il a l'impression d'étouffer. Les larmes lui montent aux yeux, il pose son front contre le volant un instant et inspire, expire plusieurs fois.
Une fois calmé, Harry frotte ses yeux encore humides et roule jusqu'à chez lui. Il se demande si c'est comme ça que ça se passera maintenant. Louis disparaît pendant des mois, des années, laisse un vide immense dans la poitrine d'Harry avec lequel il doit apprendre à vivre et revient quelques semaines, tout chambouler à nouveau, tout réanimer en lui.
Il ferme la porte derrière lui, retire son manteau, son écharpe et ses chaussures. Anne est en cuisine, mais il croise Gemma qui descend de l'étage, son portable entre ses mains. Il ne l'a pas revu depuis Mercredi, elle est revenue de chez son copain ce matin après qu'il soit parti pour l'université. De ce fait, il n'a pas encore eu l'occasion de lui raconter à quel point ce fut un échec. Elle lui sourit, seulement son air heureux disparaît quand elle voit l'expression de son petit frère. Immédiatement, elle s'approche de lui et demande d'une petite voix inquiète :
– Qu'est-ce qui se passe, H ?
Sa réponse est simple et sa voix rauque, il ne lève pas la tête de ses chaussures qu'il place correctement au sol. Il n'a plus envie de faire semblant et de mentir.
– Il est parti.
Le dire à voix-haute est davantage douloureux, peut-être même plus que la première fois. Ça lui fait l'effet d'une claque. Il ravale, malgré la boule en travers de sa gorge, mais il n'a pas le temps d'ajouter autre chose ou de s'enfuir dans sa chambre que déjà Gemma le prend dans ses bras. Ce n'est plus assez rassurant.
– Oh... Harry, non, je suis désolée...
Elle est sincère, elle voulait que ça fonctionne elle aussi. Que son petit frère ait une autre chance d'être heureux. Parce que son bonheur dépend principalement, depuis leur enfance, de Louis. Même lorsqu'ils étaient éloignés par la distance, c'était toujours Louis par ci Louis par là. Et quand ils se retrouvaient, ils ne se quittaient plus. Il était rare que l'un aille quelque part sans l'autre et ils passaient la plupart des nuits ensemble.
– Depuis quand ?
– Vendredi. Je suis passé chez Jeanne, c'est elle qui me l'a dit.
– Mais... vous avez parlé Mercredi ?
Gemma brise l'étreinte et se recule pour le regarder, l'expression sur le visage de son frère lui suffit à comprendre que les deux garçons n'ont pas encore eu de discussion. Elle fronce les sourcils et pose ses mains sur ses propres hanches en soupirant.
– Harry... !
– J'étais devant chez lui Mercredi, mais... il n'était pas seul, il y avait Liam et ils étaient... ils étaient proches et j'ai paniqué... je suis rentré, ensuite je n'ai pas eu le temps d'y retourner.
Louis est parti Vendredi, il n'aurait de toute façon pas eu le temps de le voir avant le week-end. Il s'est en allé dans un coup de vent, aussi vite qu'il est arrivé, sans prévenir. Ne laissant que le vide derrière lui. Harry a la vive impression de revenir cinq ans en arrière, et il ne veut pas connaître et subir la même douleur.
– Qu'est-ce que tu comptes faire alors ?
– Louis continue sa vie sans moi, il y a rien à faire à part... essayer de continuer la mienne.
– Tu laisses tomber ?
– Il me laisse tomber.
La voix nouée, Harry insiste sur le deuxième mot de sa phrase en levant enfin les yeux vers sa sœur, elle laisse retomber ses bras le long de son corps et tend une main vers la sienne. Harry ne résiste pas quand elle lie leurs doigts ensemble.
– Harry...
– Je vais aller dans ma chambre, j'ai des devoirs et j'aimerais me reposer.
– Si tu as besoin de quoi que ce soit, on est là d'accord ?
– Oui, je sais, merci.
Sur ces mots, à peine murmurés, Harry passe à côté de sa sœur et file dans sa chambre. Il ferme la porte derrière lui, met un vinyle sur sa platine et s'allonge au milieu de son lit.
Pendant toute la soirée, il pleure dans son coussin. Il se l'autorise.
Pour ce soir seulement, il s'autorise à craquer.
Demain, il devra se prendre en main et avancer. Continuer à vivre comme il l'a fait avant ces trois dernières semaines.
Harry se sent vide, Louis l'a abandonné une seconde fois.
*
Ce sont des jours, des semaines qui passent dans une même routine. Le mois de Décembre a commencé, ainsi que les décorations dans les rues, les maisons, les façades de magasins. Noël approche, Harry n'a pas le coeur à faire la fête, il veut pas commencer une autre année sans Louis. Il est entouré et pourtant il ne s'est jamais senti aussi seul.
Harry essaie de l'oublier. Il y a des jours où il y parvient presque et ne pense à lui que le soir, la nuit, dans la pénombre de sa chambre silencieuse. Puis des jours où son souvenir l'étouffe tellement qu'il suit la moitié des cours. Il est demande alors à son amie de lui envoyer ses notes, elle fronce les sourcils mais ne lui pose pas plus de question et il l'en remercie. Mais mis à part ça, il s'en sort plutôt bien. Il n'a plus pleuré, il essaie de sortir plus souvent et joindre ses amis pour un café ou un verre. Anne est contente de le voir rebondir ainsi, Gemma craint le jour où ses émotions vont prendre le dessus sur sa carapace.
Les jours passent, les semaines passent. Une, deux puis trois. Noël est dans quatre jours seulement. Il n'y a pas encore de neige. Harry est en vacances, une de ses amies est partie en vacances en montagne chez ses grands-parents et un autre passe une semaine au ski. Harry se retrouve seul et il s'ennuie. Il a passé le week-end à écouter de la musique sur sa platine, lire et se mettre en avance sur ses devoirs.
Ce Lundi après-midi, Gemma n'est pas là. Elle reste quelques jours chez son copain. Anne met en route une machine, Robin passe l'aspirateur au salon. Harry sort de sa chambre et se décide à aller faire un tour dehors. Il ne supporte pas d'être enfermé en ce moment. Il a déjà tous ses cadeaux depuis le début du mois, mais il a besoin de prendre l'air.
Harry met ses chaussures, son écharpe qu'il enroule méticuleusement autour de son cou, un bonnet et son long manteau noir. Anne passe sa tête dans le couloir et lui demande s'il peut aller lui acheter de la farine et du sucre vanillé pour un de ses gâteaux par la même occasion.
Une petite vingtaine de minutes après, Harry se retrouve entre au supermarché. Il n'y avait pas encore trop de monde, malgré l'approche des fêtes. Il prend les courses pour sa mère et se balade entre les rayons, se prend un paquet un de gâteau et hésite finalement avec un deuxième. Son questionnement est interrompu par une voix, à sa gauche :
– Salut...
Harry lève les yeux des paquets et les pose sur la personne qui vient, visiblement de lui adresser la parole car il n'y a personne d'autre que lui dans l'allée. Et il a dû mal à cacher sa surprise en voyant Liam. Il porte un pull à capuche en-dessous d'un manteau beige, ses cheveux sont un peu plus courts que la dernière fois, il tient à chariot à roulettes de sa main gauche et offre à Harry un sourire timide.
De son côté, Harry se contente de froncer les sourcils. Liam ne lui a jamais vraiment parlé, même pendant l'adolescence, même quand Louis faisait tout pour l'introduire parmi leur bande. Il lui souriait, il lui donnait une bière et c'était tout. Ils n'ont jamais échangé plus de trois mots. Alors, Harry ne comprend vraiment pas pourquoi il vient vers lui en plein milieu d'un supermarché.
Liam, les joues un peu rougies, se racle la gorge face au manque de réponse. Mais il ne fait aucune remarque, s'il est blessé, il ne le montre pas. Il lui demande d'abord comment il va, Harry hausse les épaules et détourne le regard vers les étagères en face lui. Liam enchaîne simplement :
– En fait, je voulais te parler, justement... à propos de Louis.
Silencieux, Harry repose les paquets de gâteaux et retient un soupir. Il n'est même pas étonné. Pourquoi Liam serait-il venu le voir pour aborder un autre sujet ? Harry a l'impression que tout tourne autour de Louis, que son monde n'est composé que de lui, partout.
Il le voit dans sa maison, dans son jardin, au parc, à la mer étendu sur le sable pour laisser sa peau bronzer au soleil, ou à nager entre les vagues à la couleur de ses yeux, entre les rayons de la librairie quand il se choisissait un roman même s'il en avait déjà pleins. Le souvenir de Louis est ancré partout dans la ville, Harry ne sait pas comment lui échapper. Un fantôme qui le poursuit.
– Je sais.
– Tu sais ?
C'est au tour de Liam de froncer les sourcils, Harry le regarde. Il peut comprendre que Louis soit intéressé, parce qu'il est tout de même assez charismatique et attirant, en plus de sa carrure musclée. Et ils ont toujours été assez proches tous les deux, du moins ils s'entendaient bien à l'époque.
Harry ravale difficilement sa salive, il a du mal à se faire à l'idée, il a du mal à le dire à voix haute, mais il se force parce qu'il doit aller de l'avant, il doit accepter que Louis soit heureux sans lui. Que leur histoire fait maintenant partie du passé.
– Oui, enfin... pour vous deux, je veux dire, je sais que vous êtes proches, c'est ça ce dont tu voulais me parler ?
Deux secondes de flottement passent puis Liam se met à rire, un vrai fou rire, au milieu du rayon des biscuits. Une personne âgée arrive avec un chariot à quelques mètres et le regarde avec un air perdu. Harry est dans la même état, il ne comprend pas ce qu'il y a de si drôle.
Liam retrouve son calme peu de temps après cependant, il regarde Harry dont les sourcils sont froncés d'incompréhension. Un léger sourire encore présent sur le coin des lèvres, comme s'il plaisantait, il demande :
– Qu'est-ce que tu racontes ?
– Eh bien, vous êtes ensemble non ?
S'il le pouvait, Liam aurait rigolé à nouveau, mais il lit parfaitement sur son visage que la situation n'amuse pas du tout son interlocuteur. Les traits d'Harry sont tendus et il n'a envie que d'une seule chose, fuir Liam et cette situation embarrassante, douloureuse, au plus vite.
– Mon dieu Harry... qu'est-ce qui t'as fait penser ça ?
A son tour, Liam perd petit à petit son sourire et fronce les sourcils. Il ne comprend pas, et Harry non plus. Ils sont tous les deux perdus et silencieux plusieurs secondes, au milieu de l'allée vide de ce supermarché. C'est la situation la plus improbable qui pouvait se produire.
Harry ne sait pas comment répondre, il n'ose pas dire qu'il les a vu et observé devant chez Jeanne. Il ne veut pas avouer que ça lui a fait du mal de voir Louis aussi heureux et rayonnant et proche avec une autre personne que lui. Il ne veut pas avouer que, aujourd'hui encore, peut-être même plus, Louis lui manque atrocement et il voudrait cinq ans en arrière, lui prendre la main et l'empêcher de fuir, l'empêcher de mettre fin à tout ce qu'ils avaient.
Et il n'a pas besoin de chercher une excuse ou de se torturer l'esprit trop longtemps, c'est presque comme si Liam savait, pouvait lire en lui. Les plissements sur son front s'adoucissent et il reprend la parole, d'une voix calme et posée :
– Déjà, j'ai une copine depuis presque quatre ans, je l'aime énormément, on va certainement se fiancer dans quelques mois, il sourit avant d'ajouter, et je préfère uniquement les filles. Mais surtout, Louis n'est définitivement pas attiré par moi. Je ne crois pas que je sois son genre non plus. Enfin, nous sommes de simples amis.
Malgré la honte qu'il ressent et le rouge qui lui monte aux joues, Harry ne peut pas s'empêcher de se sentir soulagé, d'avoir un semblant d'espoir qui naît au creux de sa poitrine. La lumière au fond du tunnel noir, humide et froid.
Gêné d'avoir tiré une conclusion aussi hâtive, Harry baisse la tête. Il tient encore les deux paquets de farine et les petits sachets de sucre vanillé entre ses doigts, qu'il serre doucement contre sa poitrine. Pendant toutes ces semaines, il s'est rendu malade de jalousie pour une raison qui n'en était, au final, même pas une.
– Désolé...
Il ne sait pas s'il le dit plus à Liam ou à lui même. Parce qu'au fond il aurait pu s'épargner toutes ces larmes, toutes ces heures allongé dans son lit à fixer le plafond en se demandant si un jour il aurait le droit à un autre regard de la part de Louis.
– C'est rien, disons tu m'as bien fait rire. Mais je comprends mieux maintenant.
– Comment ça ?
Sans hésiter, Harry relève le visage vers Liam qui lui sourit de manière presque amusée.
– Louis t'évitait parce que tu lui as dit que tu avais un copain, et toi tu faisais pareil parce que tu pensais qu'on était ensemble. Je dois dire que vous faites bien la paire.
Ils se sont repoussés et évités à cause de mensonges et malentendus, Harry a l'impression d'avoir gâché tout ce temps si précieux qu'il aurait pu passer à réparer les morceaux brisés de leur relation.
Louis a essayer de leur donner une chance et il l'a rejeté en prétextant avoir quelqu'un dans sa vie, alors qu'il ne pense qu'à lui depuis toutes ces années. Harry attendait son tour, il ne vivait que pour ça, leurs retrouvailles. Et elles lui font encore plus mal que son départ imprévu.
– Si je voulais te parler, c'était pour t'informer que Louis arrive demain. Avec le reste de sa famille, ils viennent passer Noël chez Jeanne.
Harry retient son souffle, c'est son opportunité. Il le sait. Il ne peut la laisser lui filer entre les doigts, il va la saisir.
– Je crois que vous avez des choses à vous dire, je me trompe ?
Liam lui sourit amicalement, Harry ne répond pas parce qu'il a raison. Ils doivent se parler. Anne l'a dit, Gemma l'a dit, Liam le dit. Ils ne peuvent pas se tourner autour et s'ignorer, se frôler comme des ombres du passé.
Si on lui avait demandé ça il y a cinq ans, Harry aurait sûrement ris. Pendant un temps, quand Louis a effacé tous ses réseaux sociaux et n'a plus répondu à ses messages ou ses appels, il l'a haït au point de ne plus jamais vouloir le revoir. Mais ça lui est vite passé. Parce qu'il était tombé éperdument amoureux de lui, le genre de chute qui lui a écorché les genoux à sang et brûlé les mains, qui lui a fait battre le coeur à des pulsations encore inconnues, intenses. Parce qu'il l'aimait et qu'il l'aime encore, peut-être plus fort qu'avant même.
Le temps et la distance aurait pu les séparer, les éloigner, les faire s'oublier mutuellement. Mais ce creux, cette absence, n'a fait que les rapprocher davantage. Ils ont simplement besoin d'en parler et de le reconnaître. De reconnaître qu'ils étaient trop jeunes et que les erreurs sont humaines. Ils ne savaient pas encore.
– Louis est une sacrée tête de mule, je ne t'apprends rien, je crois même que c'est pire avec l'âge, sourit Liam, et franchement j'ai dû le pousser pour qu'il aille te voir avant de partir. Il a failli le faire, mais il s'est défilé au dernier moment parce qu'il te pensait avec un autre. Et au fond je comprends, il ne voulait pas que ce soit la dernière chose qu'il voit en quittant la ville.
Harry se sent véritablement honteux et en colère contre lui-même d'avoir inventé ce mensonge sous le coup de la panique. Il voulait se protéger de Louis, d'une nouvelle blessure, mais il n'a fait qu'empirer les choses. Il les a brisé tous les deux.
– Écoute, Harry, je ne sais pas vraiment ce qui s'est passé entre vous, Louis ne m'a raconté que vaguement et ça ne regarde que vous d'ailleurs. Seulement, il ne faut pas être un génie pour voir que cette situation vous affecte tous les deux et que vous avez besoin d'une vraie discussion. Je devine qu'il t'a fait du mal il y a cinq ans, mais il aimerait juste s'expliquer et se faire pardonner.
C'est tout ce que Louis demandait, mais Harry n'a pas su lui donner. Il a préféré s'enfermer dans sa carapace, se cacher, parce qu'il a encore peur de tout ce que représente Louis à ses yeux. Un monde entier et inconnu. Immense, coloré, vibrant de couleurs et de vie. Une mer agitée, claire, d'un bleu intense et changeant, plus ou moins sombre, qui ne s'épuise jamais.
Pourtant, il ne devrait pas avoir peur. Louis ne l'a jamais forcé à faire ce qu'il ne voulait pas. Goûter un parfum de glace différent, faire du vélo sans se tenir au guidon, voler des bonbons au supermarché, prendre un insecte dans ses mains, fumer un joint, partager une bouteille d'alcool volé dans la réserve des parents, cacher les vêtements des filles quand elles se baignaient, escalader les barrières des endroits interdits ou en construction, sauter d'une falaise pour nager dans un coin perdu de l'océan, se jeter nu au milieu des vagues.
Les joues d'Harry rougissent à ce souvenir, il se souvient de la première fois qu'il a vu le corps de Louis. Il avait quatorze ans et il était, sans vraiment le savoir, déjà en train de tomber désespéramment sous le charme du Louis de seize ans, ses courbes généreuses, ses hanches creusées, son premier tatouage, sa peau bronzée à la couleur du sable, ses cheveux qui lui tombent devant ses yeux du même bleu que celui du ciel d'été, sans nuages.
Ce début de soirée là, il était vingt et une heure et quelques, les autres garçons de la bande couraient déjà, nus ou en train de jeter leur short de bain en l'air pour aller se jeter entre les vagues. Harry était resté assis sur la serviette, les genoux pliés près de son torse, entourés de ses bras. Louis riait, un son clair et mélodieux, puis il s'était levé. Il avait regardé Harry, tout timide et gêné, qui lui disait qu'il allait l'attendre là. Louis lui avait demandé plusieurs fois s'il était sûr, puis il avait retiré le nœud de son short.
Harry, en le voyant faire, avait détourné le regard précipitamment. Ses joues viraient au rouge. Louis était nu plusieurs secondes après, il le savait, parce qu'il riait, il sentait la mer et il avait demandé à Harry de lui garder son short car il redoutait que les autres soient capables de le cacher. Harry l'avait entendu courir sur le sable, puis un bruit plus loin dans l'eau. Lorsqu'il avait enfin osé relever la tête, Louis s'amusait avec les autres. Harry n'avait jamais retenu sons souffle aussi longtemps.
Il n'a jamais eu peur avec Louis, au contraire, il était le seul dont la simple présence le rassurait. Il était le seul à savoir trouver les bons mots, les bons gestes pour lui redonner confiance. Il était le seul à le voir et le connaître.
– Je ne sais pas si vous allez redevenir les meilleurs amis du monde, Harry et Louis qui ne se quittaient jamais, je pense simplement que vous devez mettre ça derrière vous. La vie est trop courte pour s'arrêter sur les erreurs du passé. Tout le monde grandit et change, non ? Pour l'avoir revu quelques jours, je peux t'assurer que Louis n'est plus vraiment pareil. Ce n'est plus totalement le Louis adolescent de l'époque, il y a encore certains traits qui restent, mais il a évolué. Enfin, c'est toi qui le connaissait le mieux de nous tous, tu t'en rendras encore plus compte.
C'est vrai, c'est une réalité, Harry a tout connu de Louis, les rires, les nuits blanches à se murmurer des secrets, les après-midi à le regarder écrire, les peurs, les pleurs, les longues balades en vélo et la glace ou le sorbet au centre ville, sa voix endormie le matin, la couleur de son rire, l'odeur sur sa peau, la douceur infinie de ses mots, l'intensité dans ses yeux, les genoux qui se frôlent, les regards en coin, les sourires volés, son premier baiser.
Harry a tout connu de Louis et il sait qu'il a changé, il l'a su dès qu'il a posé les yeux sur lui au début du mois de Novembre chez Jeanne. Il a l'a vu dans sa manière de se tenir, de réagir, même de parler. Il n'occupait plus l'espace avec son rire ou ses mots, l'espace se refermait sur lui et l'étouffait. Peut-être qu'il reste encore des fragments de ce Louis enfant, adolescent, mais Liam a raison il n'est plus tout à fait le même.
Quelque chose l'a changé.
Quelque chose en lui s'est éteint.
– Pour être sincère avec toi, reprend Liam, si j'avais vécu la même chose que vous, j'aurais tout donné pour que l'on ne m'arrache jamais cette personne. Je sais que c'est compliqué, que je ne connais même pas la moitié de votre histoire, mais... Disons que ça m'échappe, vous tenez encore l'un à l'autre, vous vous n'avez certainement jamais cessé de vous aimer et vous avez l'opportunité de vous laisser une seconde chance, pourquoi la gâcher ?
Toutes ces années, Harry s'est toujours demandé pourquoi il n'est jamais allé voir Louis par lui-même. Pourquoi il n'est jamais allé directement chez Johannah, demander des explications en personne, avoir cette conversation bien avant.
Il y avait les cours, le lycée et l'université, le fait qu'il n'avait pas d'argent pour se payer le trajet, même si sa mère lui aurait donné volontiers s'il avait ne serait-ce qu'aborder le sujet. Mais ce n'était que des fausses excuses. Puis le temps est passé. Louis n'est jamais revenu, sauf cette fois là, à l'enterrement, quelques mois après qu'il avait fui cet été là.
Et au fond, Harry sait de quoi il avait peur à l'époque et de quoi il a encore peur maintenant. Il sait pourquoi il n'a jamais franchi ce pas. Il craignait ne plus représenter assez pour Louis, qu'il se soit lassé de sa compagnie, qu'il le pense ennuyant et banal. Trop timide, trop réservé, trop silencieux, trop extraverti, trop ordinaire, pas assez courageux, pas assez détendu, pas assez expressif, pas assez intéressant.
Parce que même s'il a commencé à prendre doucement confiance en lui, en ce qu'il fait, en ce qu'il dit ou pense, Harry, de son côté, n'a pas véritablement changé. Il est toujours cet adolescent maladroit et renfermé. Et peut-être que Louis n'a plus envie d'une personne comme lui dans sa vie.
– J'ai tenu le même discours à Louis, mais promets moi que tu vas au moins essayer d'avoir cette discussion, maintenant que tu sais qu'on est pas ensemble ?
Bouleversé par les mots de Liam et toutes les pensées qui lui traversent l'esprit, Harry ne parvient qu'à hocher la tête, mais ça semble lui convenir car il sourit. Liam lui dit qu'il doit y aller, il lui souhaite de bonnes fêtes et Harry lui répond sur un ton plus timide, plus évasé.
Il passe quelques secondes, figé au milieu du rayon, à ressasser tout cette conversation. Ou plutôt le monologue de Liam, parce qu'il n'a pas vraiment parlé ou répondu.
Puis, il inspire une grande bouffée d'air. Ses poumons se gonflent, son coeur s'emballe. Il s'avance vers la caisse, donne la monnaie, sort avec les courses sous le bras. L'air frais lui frappe le visage, sa peau frisonne. Mais, à présent, il sait ce qu'il doit faire.
*
Cela fait dix minutes qu'Harry est dans sa voiture, garée à deux places de la maison. Ses mains sont encore serrées autour du volant, même si le contact est arrêté depuis un moment. Il commence à avoir froid. Il se mord la lèvre, fixe le toit du véhicule en face du sien, l'arbre sans feuilles, puis le ciel gris du milieu d'après-midi.
Dans un élan de courage, Harry détache sa ceinture, ouvre la portière et sort. Quand il respire, l'air s'échappe de sa bouche en un petit nuage de fumée blanche. La température est en dessous de zéro. Il va certainement neiger bientôt. Demain, peut-être.
Un instant, il reste debout, immobile. Il tourne légèrement la tête sur la gauche et son regard tombe sur la maison de Jeanne. Une boule se forme en travers de sa gorge. Mais il ne fait pas marche arrière. Il ne peut pas laisser passer cette chance. Il ferme la voiture à clef, la range dans la poche de son manteau noir et s'avance vers la maison.
Quinze heures, Harry s'est dit que c'était un bon moment pour arriver, non pas qu'il soit attendu par qui que ce soit. Même si Liam est courant, il doute que Louis le soit, lui aussi. Harry parcourt les derniers pas que le séparent du perron, tend le bras, inspire et appuie sur la sonnette. Il l'entend retentir dans la maison, puis des voix lointaines, féminines.
La porte s'ouvre sur Jeanne, elle lui offre un grand sourire. Il a presque l'impression de revenir plusieurs années en arrière, quand Louis venait fêter son anniversaire et Noël chez elle, et qu'Harry, bien entendu, venait se joindre à eux avec sa famille. Aujourd'hui, l'ambiance n'est plus vraiment la même. Mais Jeanne vient quand même lui embrasser les joues pour le saluer, et dit quand elle se recule :
– Je ne pense pas que je dois recevoir de colis prochainement, donc je suppose que tu viens pour Louis ?
Timidement, Harry hoche la tête. Il sent ses joues chauffer sous le regard de Jeanne, mais elle l'invite à entrer, toute souriante. Elle ferme la porte derrière lui et lui fait signe de la suivre. Harry retire son bonnet, et il s'avance doucement, timide. Jeanne appelle Louis depuis le bas de l'escalier et informe Harry que ses sœurs et son frère sont sortis voir le marché de Noël avec leur mère. Il ne sait pas vraiment quoi répondre, alors il hoche la tête et serre son bonnet entre ses doigts.
Des pas se font ensuite entendre dans l'escalier, puis Louis apparaît. Il porte un simple pull à capuche gris un peu trop grand pour luii, un jean, il est en chaussettes et ses cheveux tombent sur son front. Harry retient son souffle, Louis plisse les yeux. Il n'a pas besoin de demander, d'expliquer pourquoi il est là. Il s'arrête à la dernière marche, Jeanne les regarde tour à tour et dit :
– Je vais continuer ma broderie dans la chambre, je vous laisse les garçons. Il y a du thé et des biscuits si vous le souhaitez.
Et elle s'éclipse aussi vite, non sans lancer un coup d'oeil derrière elle une fois en haut des escaliers. Louis s'avance finalement et va vers la cuisine, Harry le suit. Ils restent silencieux. La tension est pesante, palpable.
Louis s'occupe de remettre la bouilloire à chauffer, il lui tourne le dos. Harry retire son manteau qu'il accroche à une chaise, pose son bonnet et s'appuie contre la table. Ils se rendent compte tous les deux à quel point cette scène est familière.
– Tu veux du thé ?
La voix de Louis est plus douce, il ne le regarde pas, ses yeux d'un bleu glacé sont fixés sur le placard qu'il vient d'ouvrir. Toujours dos à lui.
– S'il te plaît, oui.
Harry trouve sa voix étrange, rauque et frêle. Il ravale sa salive, la gorge nouée et le regarde sortir deux tasses, mettre un sachet de thé dans chaque. Il ne demande pas lequel Harry préfère, ni s'il prend du sucre ou du lait, il sait. Pendant qu'il prépare leurs boissons, ils ne parlent pas. Ils s'entendent presque respirer. Harry aimerait que son coeur cesse de battre aussi fort.
Après quelques courtes minutes, Louis ramène les tasses fumantes à table. Il jette un regard à Harry, s'assoit sur une chaise en face de là où il s'installe ensuite. Harry le remercie, il met ses doigts autour de la tasse et pourrait presque soupirer tant la chaleur lui fait du bien. Il se mord la lèvre.
Louis n'a jamais été très frileux. Au contraire, il n'était pas rare qu'Harry se serve de lui comme bouillotte. Il se souvient de ses pieds froids, même l'été, qu'il collaient à la cheville de Louis, ça les faisait rire et Louis le laissait prendre toute la couverture la nuit.
Du coin de l'oeil, il voit Louis prendre un paquet de cigarettes posé sur le coin de la table. Harry se pince les lèvres, s'attendant à le voir fumer devant lui. Il l'ouvre, à l'intérieur il en reste deux. Louis les observe un moment, fronce les sourcils, referme le couvercle et jette le paquet dans la poubelle près du plan de travail. Harry ne peut pas s'empêcher de demander :
– Pourquoi tu as fait ça ?
Louis repose les yeux sur Harry brièvement, puis sur sa tasse, fait tourner le sachet de thé dans l'eau chaude, il regarde sa couleur changer et hausse les épaules.
– Un jour, un grand sage m'a dit que fumer me détruisait la santé, je n'ai pas envie de disparaître sans avoir eu le temps de voir mes sœurs et mon petit frère grandir.
Un silence passe. Harry sait qu'il parle de lui. Harry lui disait sans cesse que fumait n'était pas bon pour lui. Louis le regarde à nouveau.
– De toute façon, je n'y avais pas touché depuis quelques jours et j'en fumais de moins en moins. Je me suis rendu compte que ce n'est pas ça qui va m'aider.
– C'est... c'est une très bonne chose, Louis.
– Je sais.
Un silence s'installe après ce murmure. Ils détournent tous les deux les yeux vers leurs tasses et brisent le contact visuel. Harry est fier de lui, il ne le dit pas, mais Louis le sait. Il le sent dans la manière dont sa voix se fait plus douce, dans son ton attentionné.
Harry a toujours prêté plus attention à la santé de Louis que ce dernier, quand il sortait l'hiver avec une simple veste sur les épaules, quand il se baignait au début de la nuit avec les autres garçons dans la mer, quand il se mettait à tousser après avoir inhalé une trop grosse bouffée de cigarettes. Harry a toujours été là pour lui apporter un pull, une serviette sèche ou un verre d'eau. Pour prendre soin de lui.
Louis se demande encore ce qu'il a fait pour lui en retour. Si ce n'est l'abandonner et lui briser le coeur.
En réalité, Harry ne lui a jamais avoué, mais Louis a changé sa vie. Il lui a appris à respirer et voir le monde en couleurs, que l'existence ne s'arrêtait à ce que l'on avait devant nous mais s'étendait au-delà des vagues, au-delà des nuages, au-delà de tout ce qu'ils connaissent déjà, qu'il ne fallait pas avoir peur de sauter d'une falaise et de se lancer dans le vide, qu'être vulnérable ne voulait pas dire montrer ses faiblesses mais ouvrir son coeur, qu'il ne devait pas avoir honte de ressentir, de pleurer ou d'avoir des craintes, qu'il fallait embrasser sa personnalité toute entière, coexister avec ses qualités et ses défauts. Qu'il fallait vivre chaque journée comme si c'était la dernière. C'est ce que Louis faisait, il vivait et repoussait ses limites, il n'avait peur de rien, du moins il ne le montrait pas. Pas devant les autres.
Mais surtout, Louis lui a appris l'amour.
Il lui a montré ce que voulait dire aimer : des petites attentions anodines, des bras qui se frôlent, des genoux qui se touchent, des rires qui se répondent, des regards en coin, des sourires timides, des murmures les soirs chauds d'été à la lumière pale de la lune. Tous ces gestes qui parlent à la place du coeur, qui suffisent à faire tomber amoureux.
Ils restent dans un silence plusieurs minutes. Au milieu de cette pièce qui retient tant de souvenirs. Trop de souvenirs. Bon et mauvais à la fois. Et pourtant, ils ont l'impression de revenir en arrière, cinq ans en arrière et que rien n'a changé.
Et, en un seul regard, ils remontent tous à la surface. Harry serre ses doigts autour de la cuiller, la gorge serrée. Louis ne détourne pas les yeux, il retient son souffle ou peut-être que son coeur bat tellement fort qu'il l'empêche de respirer correctement.
Toujours silencieux, ils se lancent un regard à la fois timide et nostalgique, remplit de souvenirs et de mots qu'ils n'ont jamais dit. Avant aujourd'hui. C'est le moment. Ils le savent.
– Louis je...
– Écoute Harry...
Leurs voix et leurs prénoms se mêlent dans le silence, ils commencent à parler en même temps et se tournent pour se regarder. Le visage de Louis affiche la surprise, Harry retient son sourire.
Ils se taisent, s'interrogent du regard. Louis secoue la tête et lui fait signe de commencer. Harry ravale sa salive, joue avec le bout de ses doigts. Tout bas, il avoue :
– Louis, je t'ai menti. Je n'ai pas de petit ami.
Quand il dit cela, il ne regarde pas Louis. Il n'ose pas. Il ne veut pas voir la déception dans ses yeux. Harry ne lui a jamais menti avant et le fait d'être blessé n'excuse pas son comportement. Il n'est pas fier du tout d'avoir fait souffrir Louis en retour pour avoir sa vengeance, parce que c'était ça au fond. Il voulait lui faire mal comme Louis a pu lui faire mal dans le passé. Harry se sent misérable, il n'a jamais été cette personne là. Et Louis non plus.
Sur le même ton, Louis demande :
– Pourquoi tu m'as dit ça alors ?
Mais son ton n'est pas froid ou distant, il est plutôt calme, il se pose réellement la question. Louis sait, qu'au fond, c'est de sa faute si Harry a inventé ce mensonge, qu'il ne l'aurait jamais fait s'il ne l'avait pas abandonné en premier lieu.
Une seconde passe. Pour l'instant, ils ne se regardent pas vraiment. Ils attendent le bon moment, mais leurs mots n'en sont pas moins sincères. Harry prend une inspiration avant de parler.
– Parce que j'avais peur... J'avais peur que tu reviennes dans ma vie et que tu chamboules tout à nouveau. J'avais peur de te perdre une seconde fois. Je... la première fois m'a complètement brisé Louis, je ne sais pas ce que j'aurais fait si je te perdais encore.
Il soupire lentement, Louis sent son coeur battre la chamade à l'intérieur de sa poitrine. Parce qu'Harry a osé le dire à voix haute, à quel point cette absence a laissé un vide immense dans sa vie, à lui aussi.
Des larmes salées montent aux paupières de Louis, il retient son souffle, il se sent moins seul, il sait alors qu'il y a un espoir. Un espoir pour eux. Un espoir de reconstruire ce qui s'est écroulé.
– Mais il y a jamais eu de petit ami Louis, il y a jamais eu personne d'autre.
Personne d'autre que toi. Harry le pense très fort, il ne le dit pas, c'est peut-être trop tôt. Mais il tourne la tête et regarde Louis. Ils laissent le silence les entourent pendant de longues secondes. Louis plonge ses yeux dans ceux d'Harry, il l'a compris. Il a compris son silence. Personne d'autre que toi. C'est assez pour eux.
Harry a envie de tendre la main et toucher Louis, son bras, sa main, sa joue. N'importe où. Sentir sa peau chaude sous ses doigts. Il a besoin d'un contact. C'est tout ce qu'il demande. Un seul contact après toutes ces années de vide. Mais il ne peut pas. C'est encore trop tôt. Il serre les doigts, ravale la boule en travers de sa gorge. Le regard de Louis s'accroche au sien.
– Je suis vraiment désolé d'avoir inventé ce mensonge. Et tous les autres, tout ce que je t'ai dis ce jour là dans la voiture, Louis...
Il ne parle pas directement de seconde chance, il ne le dit pas à voix haute, mais ils lisent sur le visage de l'autre qu'ils pense tous les deux à la même chose. Harry le sous entendait, seulement il préfère attendre que Louis s'explique, que Louis lui dise clairement ce qu'il voit comme avenir – ou non – pour eux.
Louis détourne le regard, il baisse la tête vers la table. Harry sent sa poitrine trembler, ou peut-être son corps entier. C'est difficile avec toutes les émotions qui le submergent d'un coup. Il n'a plus ressenti autant de choses contradictoires depuis un moment. L'envie de pleurer dans les bras de Louis, de lui demander pardon, de l'embrasser, de le serrer contre lui jusqu'à la tombée de la nuit, s'accrocher à lui pour ne plus qu'il parte et le laisse seul, le supplier de rester, poser sa tête sur son torse et écouter son coeur battre.
– Harry, souffle Louis d'une voix enrouée, je ne peux pas t'en vouloir d'avoir voulu me garder loin de toi. A ta place, je crois que je me serais haïs depuis longtemps. C'est peut-être trop tard pour le dire mais... Si tu savais comme je regrette, ça me bouffe réellement, ça me ronge je... j'y pense tous les jours. J'ai passé... j'ai passé ces cinq dernières années à ne penser qu'à toi, à nous et au fait que j'ai tout gâché.
Il ne pensait pas que ce serait si dur à raconter. Sa voix tremble et se dérobe à la fin de ses mots, parce que les larmes commencent à le rattraper. Nerveux, il joue avec le fil de son sachet de thé. Il sait que s'il regarde Harry, il va irrémédiablement se mettre à pleurer.
C'est déjà ce qu'il a passé son temps à faire ces dernières semaines. Seul dans son petit appartement ou pendant ses heures de pause au travail. Il parcourait les albums photos de son téléphone ou les réseaux sociaux d'Harry et fixait des photos d'eux deux ou d'Harry tout seul, jusqu'à ce que les larmes sèchent sur ses joues par elles-mêmes.
C'est aussi ce qu'il a fait pendant des mois en pensant à ce moment là, à cet endroit même où ils se trouvent aujourd'hui, à la manière dont Harry a répondu au baiser, s'est accroché à lui comme si sa vie en dépendait et dont Louis l'a laissé tomber ensuite. Seul et fragile et brisé.
– Je sais que j'ai fait la pire erreur de ma vie en partant et je sais que... que tu ne pourras certainement jamais me pardonner mais... j'ai besoin que tu entendes ce que j'ai à dire, au moins. Ensuite, tu pourras me demander de partir si tu veux, je ne veux plus être un poids dans ta vie...
Harry ouvre la bouche comme pour l'interrompre, pour lui répondre que jamais il n'a été un poids, jamais il n'a voulu qu'il disparaisse de sa vie. Mais Louis secoue la tête et le regarde enfin, son regard éteint déborde de larmes. Le souffle coupé, Harry réalise que c'est la première fois peut-être qu'il le voit pleurer devant lui.
– Avant de parler, laisse moi finir s'il te plaît. Je préfère tout te dire d'un coup.
Il le supplie presque, Harry se mord la lèvre même si les mots lui brûlent la langue. Il y a tellement de choses qu'il aimerait lui avouer encore, des choses dont il n'a jamais osé parler encore, mais il hoche la tête.
– Je n'aurais jamais dû partir. Je n'ai jamais voulu te laisser, Harry. Tu es... tu es la plus belle chose qui me soit arrivée. Vraiment, il y a rien ni personne qui ne t'arrive à la cheville. Et je m'en veux tellement de t'avoir laissé, de t'avoir abandonné si lâchement... je m'en voudrais toute mon existence parce que tu as toujours été à mes côtés peu importe mes décisions et tu étais tout ce que j'avais...
Sa poitrine tremble quand il reprend son souffle. Il cligne plusieurs fois des paupières pour chasser ses larmes, s'il pleure il sait qu'Harry ne le jugera pas. Il lui tiendra la main ou lui dira les mots qu'il faut pour le rassurer.
Harry a toujours été doué pour ça, pour parler. Louis se contentait de combler les silences par des blagues idiotes et notait ses pensées les plus profondes et vraies dans son carnet. Il n'exprimait jamais à voix haute ce qu'il avait sur le coeur, c'est ce qui lui a causé du tord. Malgré les apparences qu'il se donnait, Louis n'a jamais eu cette assurance. Ce n'était qu'une grande mascarade pour tromper les autres. Tous sauf Harry.
– Au point que je... J'ai arrêté d'écrire après mon départ. Je n'arrivais plus à écrire sans toi, tu n'étais plus à mes côtés pour me regarder, pour lire mes mots et me sourire, me dire que c'était sublime même si ça n'avait rien d'exceptionnel. C'était trop vide et triste et... ça n'avait plus de sens. Plus rien n'avait de sens sans toi.
Cet aveu le fait penser aux nuits blanches qu'il passait à la fenêtre de son appartement ou dans sa chambre d'adolescent lorsqu'il habitait encore chez sa mère. Les longues heures où il restait devant les pages vides de son carnet, ou éclairé par la lumière blanche de son ordinateur, incapable de produire la moindre phrase.
Incapable d'écrire.
Incapable de respirer correctement sans Harry.
Il serrait ses doigts autour de son stylo ou en poings contre le bureau et il pleurait, il fondait en sanglots silencieusement. Jusqu'à sentir épuisé, jusqu'à ce qu'il s'endorme sans lutte et sans rêve.
– Mais j'avais peur, avoue Louis en baissant la tête, je sais que ce n'est pas une excuse valable, seulement c'est la vérité. Celle qui m'a poussé à partir malgré tout. J'étais mort de peur. Pour moi, pour nous, pour toi aussi.
Lentement, Louis relève le regard vers Harry. Il voit les larmes qu'il retient et ses traits tendus. Mais Harry ne dit rien, il n'ouvre pas la bouche, parce que Louis lui a besoin de raconter son histoire. Celle qu'il a retenu au fond de lui pendant trop longtemps déjà.
– Et je sais que tu avais peur du vide, de voler des paquets de biscuits au magasin, de t'introduire dans des endroits interdits, de fumer des joints ou toutes ces bêtises dans lesquelles je t'entraînais. Mais je t'admirais tellement, si tu savais Harry... Parce que malgré tout ça, tu n'a jamais eu peur d'être toi même. Tu n'as jamais eu peur d'être différent ou de ne pas faire comme les autres. Peut-être que je n'avais pas peur du monde et de ses dangers, mais j'étais effrayé par moi-même, par... ce que je commençais à réaliser et à ressentir. J'aurais tout donné pour être comme toi et avoir ton courage.
Harry fronce les sourcils, il secoue la tête. Louis, à travers ses yeux humides, lui sourit tristement. C'est un sourire brisé, qu'Harry ne lui connaît pas. Louis n'a jamais sourit de cette façon, comme s'il lui manquait une partie de lui, comme s'il était à moitié vivant, éteint. Harry n'a jamais vu cette facette de Louis, celle d'un être qui manque cruellement de confiance en lui, un être brisé et apeuré que le reste du monde ne l'écrase.
– J'avais peur et j'avais honte aussi, je n'assumais pas. Je n'assumais pas qui j'étais. Quand les gars de la bande se mettait à balancer des insultes homophobes, je ne disais jamais rien parce que j'étais effrayé, parce que je savais que ça me concernait et que je ne devais pas en rire. J'aurais dû me lever, leur faire face et m'y opposer. J'aurais dû réagir.
Sa poitrine se serre, Harry ne réfléchit pas, c'est plus fort lui. Il tend la main lentement, au-dessus de la table, vers celle de Louis, il cesse de jouer avec le sachet et le regarde. Cette grande main qu'il a si longtemps souhaité tenir et sentir sur sa peau. Puis il pose la sienne dedans, elle est glacée, et Harry la serre. Tous les deux retiennent leur souffle. Harry ne le laisse pas tomber. Il ne le laisse pas seul. Louis n'a pas à affronter ça par lui-même.
– Mais je n'ai jamais eu ce courage là. J'avais peur que le monde entier se retourne contre moi, que toi aussi tu me te mettrais à me trouver repoussant, à me regarder autrement, à m'ignorer et je... je sais que c'était totalement débile mais je n'ai jamais su surmonter cette peur à l'époque. Pendant si longtemps je me suis convaincu que ce n'était pas vrai, je me suis renfermé sur moi même, j'ai repoussé ces sentiments et j'ai essayé de jouer au parfait petit hétéro, pour me fondre avec les autres.
Un léger sourire ironique prend place sur le coin des lèvres de Louis, il secoue la tête et hausse les épaules. Harry en a le coeur qui se serre, parce qu'il n'y a rien d'amusant. Parce que Louis craque et ses barrières cèdent. Une première larme roule finalement sur sa joue. Il ne cherche pas à l'essuyer ou à retenir les prochaines. Il n'a plus envie de se cacher. Il n'a plus honte.
Pas devant Harry. Il lui tient toujours la main, et s'est même lentement rapproché de lui.
– Et pourtant, malgré tout ce que j'ai pu faire pour renier cette partie de moi même, ça n'a jamais fonctionné. Je me suis fait du mal pour rien pendant toutes ces années. Parce que je ne pouvais pas fuir qui j'étais et encore moins ce que je ressentais.
Louis se sent encore stupide et honteux d'avoir essayé d'échapper à celui qu'il était vraiment. Il se conformait à l'image que les autres avaient de lui, un coureur de jupon, un briseur de coeur – ce qui ne s'est pas avéré totalement faux – un garçon sans attache, sans peur, sans sentiments, sans limite et le petit comique de la bande. Il n'a jamais été tout ça. Il n'a jamais été cette personne là.
C'est ce qu'il montrait au reste du monde, mais avec Harry il était différent. Plus calme, plus posé, réfléchit et humain. Il n'avait pas de mal à lui parler de ses pensées, de sa famille, de ses histoires qu'il inventait sans arrêt dans sa tête. Ils commencent tous les deux à réaliser que ces histoires étaient là pour agir comme barrière contre le reste du monde. Un univers fictif alternatif dans lequel Louis vivait pleinement et était lui-même sans aucune honte et aucune peur. Il passait des heures à remplir les feuilles de son carnet pour ne pas avoir à affronter le monde réel qui l'étouffait.
Harry avait remarqué cette différence chez lui, mais il n'y avait jamais prêté plus d'attention, il pensait que Louis était simplement toujours comme ça. Un peu changeant et indéchiffrable. Un secret qu'il ne saurait jamais percé à jour.
– Harry, je...
Le visage de Louis devient plus sérieux, plus tendu. Il serre brièvement la main qui tient la sienne, Harry le sent, les doigts de Louis qui se referment autour des siens et cherchent un contact. Peut-être pour se rassurer. Harry passe son pouce contre la peau de son poignet, il forme de légers cercles minuscules, une caresse à peine perceptible.
Mais Louis le ressent dans tout son corps. Il soupire lourdement, ferme les yeux de longues secondes. Dans sa tête, il compte les battements incessants de son coeur et se concentre sur le geste d'Harry. Puis, il ouvre les yeux et avoue d'une voix tremblante :
– Je suis tombé amoureux de toi il y a des années déjà, et j'ai eu tellement peur de ce que ça voulait dire. J'ai eu tellement du regard des autres, de ce qu'ils allaient pouvoir dire comme horreurs sur toi et moi, ce qu'ils allaient pouvoir t'infliger quand je ne serais pas là à tes côtés tous les jours... je les connais Harry, je sais exactement de quoi ils auraient été capable et je voulais t'épargner tout ça et je... j'étais si effrayé de t'aimer, d'aimer un autre homme que j'ai fui après ce baiser. Parce qu'il voulait dire tant de choses pour nous deux. Et si tu savais... si tu savais comme je regrette chaque putain de seconde ce que j'ai fait il y a cinq ans... pas une journée ne passe sans que je ne pense à ça, à l'erreur que j'ai faite.
Fébrile, Louis reprend son souffle. Ses épaules tremblent et sur ses joues perles de nouvelles larmes, silencieuses. Pourtant, sa voix est gorgée de tristesse et de regrets, de choses et d'actes qu'il ne pourra jamais se pardonner.
Encore silencieux, Harry continue de caresser le creux de son poignet, il ne détache pas ses yeux de lui, de son visage. Ça le frappe davantage, le fait que Louis n'est plus le même. Il a laissé tomber son masque, ses barrières. Il est devenu la plus fidèle et réelle version de lui-même. Harry sait que quand il se mettra à briller, le monde entier sera éblouie par sa beauté.
– Et le pire c'est que je le sais. J'ai regretté chaque seconde ma décision. J'aurais dû rester Harry, j'aurais dû rester et te tenir la main, me battre pour toi et pour nous, t'embrasser encore et encore jusqu'à ce que tu en ai assez et te dire que je ne te laisserais jamais. Que j'abandonnerais tout le reste du monde pour toi. C'est ça que j'aurais dû faire et pas le contraire. Pas te quitter parce que j'avais peur des autres. J'en ai rien à faire d'eux, des ces idiots ou de ceux qui nous veulent du mal. Et j'aurais tellement aimé me rendre compte de ça avant.
Louis sait qu'on ne refait pas le monde, mais il peut au moins s'imaginer que le sien aurait été plus beau s'il n'avait pas agit d'une manière aussi lâche et égoïste. Il se met parfois à rêver d'une vie, d'un futur avec Harry. Ils se baladeraient main dans la main sur la plage, ils n'auraient peur de rien, ou peut-être de tout mais ils n'en auraient rien à faire, Louis écrirait des pages entières sur cet amour, Harry en lirait chaque ligne et l'embrasserait jusqu'à en avoir le vertige.
Parce c'est ça aimer, perdre le repère de ses sens et s'enivrer de l'autre au point de ne plus pouvoir s'en passer.
Ils n'ont jamais su se passer l'un de l'autre.
– Tu sais que... que je les ai vu quand je suis revenu en Novembre ? J'ai revu toute la bande. J'ai croisé Liam dans la rue, et il m'a invité à prendre un verre avec tout le monde. Pendant une seconde, j'ai vraiment cru qu'ils auraient pu changer, qu'ils avaient grandi. Mais ils sont tous restés les mêmes minables immatures. On a à peine passé une heure ensemble et ils ont commencé à parler de toi et à t'insulter, je n'ai pas... je n'avais plus peur d'être moi même Harry. J'ai craqué. J'ai dit tout ce que j'avais gardé enfermé en moi toutes ces années. J'ai pris ta défense et j'ai fait mon coming-out en plein milieu du bar. Puis je suis parti comme ça, après avoir tout déballé. Et je me suis senti tellement puissant et libéré.
Comme s'il revivait ce moment, Louis inspire une grande bouffée d'air. Ses joues sont encore humides, il ne pleure plus. Il se mord la lèvre. Il sait que partager cela avec Harry ne va rien changer ou arranger à leur relation, mais il sentait qu'il devait au moins en parler. Harry a le droit de savoir. Parce qu'il est concerné lui aussi par cette histoire. Ce n'est pas que Louis. Ça n'a jamais été que Louis.
Harry se sent fier. Fier de lui pour avoir su leur faire face. Il a envie de lui dire. Mais il reste silencieux, il ne sait pas si Louis a terminé son récit. Mais il sait déjà tout ce qu'il veut lui répondre et lui dire, tout ce qu'il a gardé au creux de sa poitrine pendant des années. Avant même ce baiser.
Louis a une manière de manier les mots qui lui a retourné le coeur, Harry se sent triste et coupable. Et en même temps il se dit que Louis parle au passé de ces instants, donc qu'il doit avoir vaincu toutes ses peurs et qu'il doit se trouver à une meilleure place à présent.
– Oh Harry tu aurais dû voir leur tête à tous, ajoute Louis en riant doucement, j'ai cru qu'ils allaient avoir une crise cardiaque à tour de rôle.
– J'aurais adoré assister à la scène.
Quand ils se regardent à nouveau, ils échangent un sourire. Un vrai. Louis fronce les sourcils parce qu'Harry a les larmes aux yeux lui aussi. Il a envie de tendre la main et de passer ses doigts contre sa joue, d'embrasser son front, le coin de ses lèvres et lui dire que tout va mieux, lui présenter ses excuses encore et encore et le supplier de ne plus le laisser partir.
A la place, il serre sa main entre la sienne. Ils se comprennent. Louis hoche la tête, Harry frotte son œil humide et souffle tout bas :
– Louis... Louis je suis tellement désolé que tu aies dû traverser cela tout seul. J'aurais dû le voir, j'aurais dû remarquer que tu n'allais pas bien...
– Tu ne pouvais pas savoir, je n'ai jamais rien dit à personne.
– Mais j'étais ton meilleur ami, je te connaissais par coeur et tu... rien que le fait de penser que pendant toutes ces années tu as souffert en silence, alors que j'étais à tes côtés et que je ne voyais rien je...
Louis sent qu'Harry est au bord du sanglot, alors il se tourne légèrement pour mieux le regarder et attend qu'il le regarde. Harry reprend son souffle, s'interrompt, ses épaules tremblent. Il pensait que Louis était invincible et inatteignable. Au final, c'est celui qui a certainement le plus souffert.
– Harry... C'est du passé maintenant, ce n'est rien.
– Tu ne méritais pas cela.
– Tu ne méritais pas que je t'abandonne pour autant.
Sa dernière phrase est murmurée pour eux deux uniquement. Un secret qu'ils partagent, qui leur appartient. Même si personne ne peut les entendre. Ils veulent quelque chose pour eux deux uniquement. Harry maintient son regard. Un bleu d'acier. Louis ne baisse pas les yeux non plus. C'est Harry qui reprend la parole en premier, mais Louis ne s'attend pas à entendre ces mots.
– Je suis désolé...
– Arrête de t'excuser, c'est moi qui doit me faire pardonner.
Mais Harry secoue la tête, il serre ses doigts plus fort autour des siens. Il ne veut pas le laisser partir. Il ne peut pas. Pas après tout ce qu'il a entendu.
– Tu l'es déjà.
Louis ne lui dit pas merci, peut-être qu'il est trop touché ou surprit pour lui répondre, peut-être qu'il a encore du mal à y croire aussi, mais Harry a juste besoin de croiser son regard pour le lire dans ses yeux. Il lui sourit, timidement.
– J'ai quelque chose à te demander.
D'un hochement de tête, Louis lui indique qu'il peut poser sa question. Ils sont plus proches que tout à l'heure. Leurs genoux se frôlent sous la table. Ils se tiennent toujours la main, Harry a cessé de caresser son poignet avec son pouce, mais il est toujours là pour l'écouter et le rassurer. Sa présence suffit à Louis pour se sentir compris et en sécurité.
– Pourquoi tu as décidé de revenir en Novembre et pas avant ?
– La vie chez moi était devenu... étouffante, j'étais perdu et vide. Je n'arrivais plus à rien écrire, je me noyais dans le travail et je ne sortais plus. Ma famille s'inquiétait, alors j'ai fait une pause et je suis venu voir ma grand-mère. Je savais qu'ici j'allais pouvoir me ressourcer. Si je ne suis jamais revenu en cinq ans, c'est parce que je me suis dit que tu ne voudrais plus de moi après ça. Je savais que j'avais brisé notre amitié et ton coeur. J'avais peur d'affronter ton regard et d'y lire de la haine et du dégoût. Quand je t'ai vu dans la cuisine Harry, j'ai cru... j'ai cru que j'allais me mettre à fondre en larmes, et tu m'ignorais et tu avais tous les droits de me détester.
– Je ne pourrais jamais te détester, Louis.
Et Louis avait besoin d'entendre ça depuis des années, pour savoir qu'il ne s'est pas battu pour rien, qu'il y a de l'espoir, qu'Harry ne l'aurait jamais rejeté. Qu'il n'a pas perdu son meilleur ami. Il peut respirer, il n'a plus cette impression constante d'étouffer.
Son corps tremble quand il reprend son souffle, Harry serre ses doigts davantage. Il ne les lâche pas. Aujourd'hui les rôles s'inversent, c'est Louis qui a besoin de soutient. Harry se dit que c'est le bon moment pour parler, pour se lancer à son tour. Avouer tout ce qu'il retient au creux de sa poitrine.
– Je ne suis jamais passé à autre chose tu sais, jamais, tu... tu m'as demandé dans la voiture tu te souviens ? Si j'avais pensé à toi une seule fois ces cinq dernières années, et je... je t'ai menti, parce que j'étais blessé et en colère contre le monde entier, contre moi même aussi. Pour ne jamais avoir eu la force de te retenir, de te chercher. Alors oui, c'est vrai, je t'ai maudit pendant un temps, après ton départ, je me suis demandé ce que j'avais pu faire de mal, si ce baiser était une erreur, si j'avais tout gâché entre nous en t'embrassant en retour... mais Louis, je peux te le jurer, j'ai pensé à toi chaque seconde de ma vie, je n'ai jamais cessé de penser à toi et à nous et tout ce qu'on a vécu ensemble... tout ce qu'on aurait pu avoir aussi. Et mon dieu, ce que je suis fier de toi, si tu savais.
Ils se regardent. Ils se regardent un moment, entourés par un silence presque complet. Harry ferme brièvement les yeux, à peine quelques secondes, quand il les ouvre à nouveau, Louis ne l'a pas quitté du regard. Il a toujours su le voir. Les autres n'ont jamais fait que le regarder, l'observer de loin, mais Louis, lui, l'a toujours vu, l'a toujours compris. Au point où les mots n'étaient pas forcément nécessaires.
Quand il se sentait triste, Louis venait s'allonger dans le lit avec lui et l'entourait de ses bras, il le serrait et le berçait jusqu'à ce qu'il s'endorme, parfois Harry se réveillait et Louis était encore là, assoupi ou dans ses pensées. Quand il était de mauvaise humeur, morose, Louis lui racontait des blagues pour le faire rire ou l'emmenait à plage, là-bas ils mangeaient des glaces et se prélassaient au soleil, la peau de Louis était toujours gorgée de la même couleur dorée de ses rayons, et ses yeux d'un bleu perçant lui rappelaient les vagues qui s'échouaient sur le sable et venait lécher leurs chevilles nues. Quand il était heureux, Louis faisait tout pour qu'il ne perde jamais son sourire, l'éclat dans son regard. Il lui montrait le monde, ses couleurs, ses odeurs, ses musiques et ses saveurs. Il lui donnait la vie.
Mais aujourd'hui, ils savent tous les deux que les mots sont importants et doivent être prononcés. Que des fois, les regards ou les gestes ne suffisent pas à tout réparer et qu'il faut libérer le poids sur sa poitrine pour pouvoir respirer.
– J'ai dis n'importe quoi ce jour là, et je m'en veux parce que... parce que je ne veux pas que ce soit du passé, nous ne sommes pas du passé, ce n'est pas fini. Je suis désolé, je suis tellement désolé, Louis... c'est moi qui aurais dû te retenir il y a cinq ans. J'aurais dû te courir après, remuer le monde entier pour te retrouver et te dire que j'étais terriblement amoureux de toi depuis trop longtemps déjà. Et que je le suis toujours.
Le souffle de Louis se coince dans sa gorge, il le retient pour tenter de se souvenir à jamais de ces mots là. Parce qu'il croyait ne jamais pouvoir les entendre. Il s'y accroche comme son dernier espoir, son dernier bol d'air qui entre dans ses poumons. Ils tournent dans sa tête. Ils se répètent et s'ancrent là, quelque part où il ne pourra jamais les oublier.
Je le suis toujours.
Terriblement amoureux de toi.
Depuis trop longtemps déjà.
Il serre ses doigts autour de ceux d'Harry, les yeux baignés de larmes. Louis a l'impression qu'il entend parler son propre coeur, son coeur qui bat la chamade à cet instant. Et pourtant ce sont les lèvres d'Harry qui bougent, qui prononcent ces paroles percutantes, inattendues.
– Tu sais, c'est toi qui a raison, on peut s'offrir cette seconde chance et je la veux. Je te veux Louis, je te veux à mes côtés, je te veux tout entier. Je ne peux pas faire ça sans toi, je ne suis pas capable de continuer loin de toi.
– Harry...
C'est Louis qui fait le premier pas, il descend de la chaise pour venir en face de lui, il se tient debout, leurs genoux se frôlent. Il lâche la main d'Harry, qui se redresse un peu et se tourne vers son corps, Louis la glisse sur son visage pour caresser sa joue du bout des doigts. Son geste est lent et délicat, il le regarde avec une telle douceur qu'Harry en a le souffle coupé. Ses yeux ont la couleur de l'eau de la mer lors d'une journée orageuse, un bleu gris profond.
Puis, il l'attire à lui et ils s'enlacent. Ils se serrent fort. Louis passent ses doigts dans ses cheveux et les agrippe doucement. Harry ferme les yeux, respire l'odeur dans son cou, sur ses vêtements, l'odeur qu'il avait oublié pendant si longtemps, l'odeur qu'il a essayé de retrouver partout. Son souffle tremble et il sent une larme rouler sur sa joue.
Louis niche son nez entre ses boucles, sur le haut de son front, il embrasse cet endroit. Il est certain qu'Harry peut sentir, entendre son coeur pulser contre sa cage thoracique. Sa gorge est nouée, il doit s'y prendre à plusieurs fois pour parler, mais ces mots il les connaît par coeur. Il a passé des années à se les répéter.
– Je n'ai jamais cessé de t'aimer.
A son tour, le coeur d'Harry s'emballe. Il répond en serrant ses doigts tremblants autour de sa veste, son souffle brûlant et frêle s'écrase contre la peau du cou de Louis. Il ferme les yeux lui aussi. Ils restent dans les bras l'un de l'autre un long moment. Jusqu'à ce que les larmes sèchent, jusqu'à ce que Harry commence à sentir son corps se réchauffer entièrement et que Louis sente des picotements dans ses membres immobiles.
Ils se détachent, se regardent, posent un moment leur front l'un contre l'autre. Leur respiration est lente et lourde, leurs lèvres se frôlent mais ils ne s'embrassent pas. Ce n'est peut-être pas le bon moment. Du moins, ils le ressentent ainsi. Cependant, Louis pose délicatement sa bouche sur la joue d'Harry, près de sa pommette, là où une dernière larme coule encore et meurt.
Ce sont de longues de longues minutes qu'ils passent proches l'un de l'autre. Ils en ont besoin. Puis Louis demande tout bas :
– Viens ici demain, j'aimerais que tu sois là pour mon anniversaire.
– Tu es sûr ?
– Je ne te le demanderai pas sinon.
– Seulement si ça ne dérange pas ta famille. Je ne voudrais pas m'imposer.
– Tu rigoles ? Ils vont tous être heureux de te revoir Harry, ils t'adorent tu le sais. Surtout ma mère elle n'attendait que ça.
Un sourire prend forme sur les lèvres d'Harry, aussi, il hoche la tête et il peut jurer voir les yeux de Louis s'illuminer et prend la couleur éclatante d'un ciel d'été. Harry a du mal à regarder autre chose que lui. Sa poitrine est si légère qu'il pourrait s'envoler, il se sent renaître.
Harry se décide à rentrer, il ne veut pas déranger plus Jeanne et il aura le temps de voir Louis demain. La tempête est passée, ils n'ont plus rien à craindre maintenant. Ils savent qu'ils ne vont plus se perdre.
Louis le raccompagne à la porte, Harry met son manteau et son bonnet. Louis passe ses doigts contre les boucles qui dépassent et souffle :
– A demain alors ?
– Oui, à demain.
– Oh attends, il met sa main dans la poche de son jean en fronçant les sourcils, je vais te donner mon numéro comme ça je pourrais te dire à quelle heure tu dois venir.
Louis tient son téléphone de sa main quand il la ressort, Harry sort le sien. Il tape attentivement chaque chiffre dans son répertoire, sous le nouveau nom de contact Louis. Il ne dit pas à quel point ce simple geste lui donne envie de pleurer de soulagement, mais Louis le sait. Quand il relève les yeux vers lui, ils sont plein d'espoir.
– Envoie moi un message, d'accord ?
Harry sourit, une fossette se creuse sur le coin de chacune de ses joues. Louis donnerait sa vie entière pour voir cette même expression sur son visage tous les jours, pour pouvoir les embrasser. Mais il n'a pas besoin, parce que ça ne lui est pas interdit.
Louis reste quelques secondes perdu dans ses pensées, si bien qu'il sursaute presque quand son téléphone vibre entre ses mains. Un nouveau message apparaît sur l'écran d'un numéro inconnu. Juste un seul mot.
Promis.
Quand il redresse le visage, Harry lui sourit toujours. Son portable entre ses mains. Un souffle fébrile s'échappe des lèvres de Louis, puis il comble la faible distance entre deux et le serre dans ses bras. Il le serre si fort qu'il pourrait l'étouffer, mais Harry l'enlace davantage. Il respire son odeur, sent son corps trembler contre le sien. Tout bas, Louis murmure à son oreille :
– Tu m'as tellement manqué.
– Toi aussi, Louis.
Ils restent plusieurs minutes ainsi, au milieu de l'entrée, dans les bras l'un de l'autre. Ils ne comptent pas le temps, il n'a plus d'importance, ils en ont déjà assez perdu. Cinq ans. Ils peuvent bien s'enlacer cinq minutes de plus.
Quand ils se reculent et se lâchent, ils rangent leurs téléphones. Harry cherche les doigts de Louis, entre leurs corps proches, alors que Louis dit d'une voix brisée :
– Je suis désolé...
– Arrête de répéter ça, tu es pardonné je t'ai dis.
Pour appuyer ses paroles, Harry serre les doigts de Louis entre les sien. Ils prennent un souffle en même temps, Louis lui sourit faiblement.
Ils se disent au revoir, du bout des lèvres. Là non plus, ils ne s'embrassent pas. Harry fait un signe de main à Louis quand il s'éloigne. Ils échangent un sourire et Harry part seulement quand la porte se referme derrière lui.
Le regard de Louis croise une dernière fois le sien et il sait, ils savent tous les deux, qu'ils ont fait le meilleur choix.
*
Harry ne s'attendait pas à avoir un tel accueil en arrivant. Il est venu avec le reste de sa famille, après avoir demandé à Louis s'il était d'accord par message. Ils ont toujours eu l'habitude de faire ça pour l'anniversaire de Louis. Une grande fête. Parce que Louis est un être tellement spécial qu'il est né la veille de Noël.
Un cadeau acheté quelques heures avant sous le bras, Harry entre au salon, suivit de ses parents et sa sœur. Tous les regards se tournent vers eux, vers lui. Pendant une seconde, il se sent tout petit. Mais ensuite, il croise le regard de Louis qui s'illumine et lui sourit. Ensuite, tout le monde se lève et s'approche pour dire bonjour. Ils s'enlacent et se font la bise comme si rien n'avait jamais changé, comme si rien ne s'était passé.
Jeanne offre un sourire éblouissant à Harry, elle le serre un peu plus fort contre elle et caresse affectueusement son dos. Elle ne le dit pas tout haut, mais elle est heureuse pour lui, pour Louis et lui. Johannah l'enlace à son tour et ne le lâche pas avant plusieurs secondes, elle embrasse ses joues et lui fait remarquer qu'il a beaucoup grandi. Ils ne se sont vus que deux ou trois fois en cinq ans. Harry constate que les sœurs et le frère de Louis ont changé eux aussi. Les plus petits, les jumeaux, ne se souviennent pas forcément de lui, il les a rencontré une fois, quand ils étaient plus jeunes encore.
Enfin, après avoir pris Charlotte un long moment dans ses bras, il était très proche d'elle aussi et ils ont continué à échanger par messages malgré tout, Harry se retrouve face à Louis. Ils se sourient, leurs yeux brillent. Puis Harry murmure, juste pour lui :
– Joyeux anniversaire Louis.
Louis le remercie et l'attire contre lui. Ils s'enlacent, c'est plus fort et plus significatif. Peut-être que leurs familles les regardent, avec émotions et fierté, soulagement, avant de s'éloigner pour leur laisser de l'intimité. Mais ils n'y accordent aucune attention. Ils sont dans leur monde, dans leur bulle. S'ils s'accrochent l'un à l'autre un peu plus, personne n'est là pour le remarquer sauf eux.
Ils se détachent après plusieurs secondes et rejoignent les autres au salon. La pièce est amplement décorée pour l'occasion, déjà pour les fêtes de fin d'année avec un sapin qui trône et brille grâce aux jeux de lumières près de la fenêtre, les guirlandes accrochées aux murs, une réplique fidèle d'un minuscule village de Noël sur un meuble. Puis il y a les décorations pour l'anniversaire de Louis, une guirlandes sur le mur du fond, des ballons gonflés à l'hélium qui amusent grandement les deux plus jeunes enfants et des cadeaux sur la table du salon.
Harry pose le sien avec les autres, il n'en est pas très fier mais il n'avait pas vraiment de choix les magasins étaient dévalisés à cause des fêtes. Louis s'assoit en tailleurs sur un coussin au sol, Harry prend place à ses côtés. Leurs genoux se frôlent, ils se sourient discrètement entre les conversations qui fusent autour d'eux, les retrouvailles. Tout semble être comme avant.
Après avoir mangé un généreux gâteau préparé par Johannah et Jeanne, Louis ouvre ses cadeaux. Il sourit tellement qu'Harry se demande s'il ne finira pas par avoir la mâchoire figée. Entre des livres, des pulls et un nouvel ordinateur portable, il se sent comblé. Il ouvre celui d'Harry en dernier, il à peine plus grand que sa main et pas très épais non plus, l'emballage est soigné. Louis lui lance un regard, un sourire, avant de défaire le papier.
C'est un carnet à l'aspect ancien que Louis tient entre ses mains, comme s'il avait utilisé mais qu'on avait jamais rempli ses pages. Il caresse la couverture un peu gondolée, puis l'intérieur lisse et froid. Harry se mord la lèvre, il aurait aimé trouver autre chose de plus personnel, mais Louis a les yeux qui brillent quand il le regarde. Ils pétillent, même. Harry n'a pas le temps de s'attarder dessus, parce que ses bras passent autour de son cou, il le serre fort puis lui répète plusieurs fois ses remerciements.
Ils discutent ensuite tous autour d'une tasse de thé, les jumeaux jouent avec des legos sur le tapis. Louis ne lâche pas le carnet, il le tient entre ses doigts, parfois le serre contre sa poitrine. Harry a envie de fondre en sanglots, parce qu'il ne pensait plus jamais pouvoir vivre ce genre de moments, qu'ils n'auraient plus rien à partager. Mais aujourd'hui Louis le regarde comme s'il était son monde entier.
Un moment, ils s'éclipsent dans la chambre où Louis dort chez sa grand-mère. Les volets sont ouverts et au loin, dehors, le jours se couche. Louis repousse la porte, allume la lampe et pose tous ses cadeaux sur une chaise près de la fenêtre, garde le carnet dans ses mains, observe à nouveau la couverture comme s'il n'avait pas passé toute la dernière heure à la détailler. Il n'y a pourtant rien dessus. Harry s'assoit sur le lit, il est moelleux et dans la pièce ça sent Louis partout autour de lui, même s'il n'est là que depuis quelques heures. Louis le rejoint, prend place à ses côtés puis pose le carnet sur la table de chevet.
– Je suis désolé, je n'ai pas eu le temps de te trouver un autre cadeau.
– Harry, je l'adore. Tu sais que j'utilise toujours des carnets.
Harry le sait. Il se souvient des soirs où Louis pouvait remplir des pages entières, parfois il terminait un carnet en à peine une semaine et allait s'en acheter un nouveau à la librairie qui servait aussi de papeterie. Même s'il a maintenant le moyen d'écrire plus rapidement et efficacement sur un écran, Louis n'a jamais cessé de collectionner les carnets. La sensation d'écrire avec un stylo, de sentir l'odeur de l'encre et en avoir les doigts tâchés, la légère douleur au poignet et les pages qui se courbent.
– Je t'en achèterai un autre quand même.
En réalité, Harry ne sait pas si Louis aime toujours les mêmes choses qu'il y a cinq ans. Les mêmes auteurs, les mêmes poèmes, les mêmes musiciens, le foot, les jeu vidéo, les films d'action. C'est tout un monde qu'il doit apprendre à redécouvrir.
Louis lève son regard du carnet et le pose sur Harry. Il s'attarde sur sa boucle qui tombe sur le haut de son front, la légère moustache au-dessus de sa lèvre, ses traits plus dessinés et définis, sa mâchoire saillante, la couleur rosée de sa bouche.
– Non, j'ai une meilleure idée.
– Laquelle ?
A son tour, Harry tourne la tête pour le regarder. Un silence passe. Presque total, il n'entende que leurs respirations et des rires, des bribes de conversations en bas. Harry retient son souffle, il met tout son corps en pause, Louis inspire.
– Il y a quelque chose que je veux depuis très longtemps et qui me ferait plus plaisir que n'importe quel cadeau que tu pourrais m'offrir.
– Dis moi...
Ces derniers mots sont à peine murmurés, ils sont tous les deux dans la confidence et une intimité sans nom. La tension est montée dans l'atmosphère de la pièce, Harry a l'impression de sentir ses joues chauffer à la manière dont Louis le regarde. Ses yeux d'un bleu profond, plus intense encore que le fond de l'océan, d'où coule un feu ardent. Il veut s'y laisser brûler, se faire consumer par son amour.
Louis tend sa main, cherche les doigts d'Harry du bout des siens. Ils se frôlent, se superposent, s'entrelacent et ne se lâchent plus. Un sourire naît sur les lèvres de Louis, un sourire qu'ils croyaient tous les deux à jamais disparu.
– Est-ce que tu veux bien m'embrasser, Harry ?
Harry ne lui demande pas s'il est sûr, si c'est le bon moment, ils se regardent et ils le savent. C'est évident, c'est naturel. Harry se penche, comble la distance entre eux, très lentement, leurs yeux ne se quittent pas avant que leurs bouches ne se retrouvent. Chaque petite seconde compte. Au début, c'est une simple pression, ils se respirent plus qu'autre chose. Ils ont besoin d'un temps pour réaliser que c'est bien réel.
Puis, ils reprennent vie, en même temps. Louis commence à bouger ses lèvres, Harry entrouvre les siennes en soupirant. C'est un moment qui leur appartient. Il peut durer une éternité, ils ont l'impression de ne pas pouvoir perdre leur souffle, d'être invincibles. Louis glisse une main sur la nuque d'Harry. Le baiser s'intensifie légèrement. Il devient moins timide. Ils l'attendaient depuis cinq ans, ils attendaient leur seconde chance.
Quand ils se détachent, Louis respire doucement, les lèvres d'Harry tremblent et forment un sourire.
– Ce cadeau me plaît beaucoup.
– Joyeux anniversaire, Louis.
Louis rit. Il rit vraiment. Un son clair et limpide. Un son oublié qui renaît. L'écho d'un souvenir qui revient à la vie. Harry regarde le pli aux coins de ses yeux, le bonheur éclatant sur son visage et il a envie de l'embrasser, Louis le devance. Il l'embrasse à en faire vibrer son coeur, à lui donner des ailes dans le dos et le vertige un petit peu aussi. La langue de Louis a le goût des fruits du gâteau, c'est agréable parce que c'est familier.
– Harry... Je te promets que je ne t'abandonne pas cette fois, plus jamais.
– Comme si j'allais te laisser l'occasion de le faire. Je ne ferais pas cette erreur deux fois.
Bientôt, ce sont leurs deux rires qui se mêlent dans la pièce, qui vibrent l'un contre l'autre tellement leurs visages sont proches. Ils s'apprêtent à s'embrasser à nouveau, à s'embrasser toute la fin de la journée et la soirée s'il le faut, ils ont cinq ans à rattraper, mais la porte de la chambre s'ouvre à la volée. Harry sursaute, il se recule. Leurs doigts se détachent mais se frôlent encore, et leurs corps restent très proches sur le lit. Louis tourne la tête et foudroie du regard sa sœur qui se tient dans l'entrée, un sourire victorieux sur les lèvres.
– Tu peux aussi frapper avant d'entrer.
– Oh ça va, on sait très bien ce que vous étiez en train de faire !
Harry rougit et détourne le regard en se mordant la lèvre, il se retient de rire. Louis garde les sourcils froncés. Charlotte n'a pas tord, ça se lit sur leurs visages qu'ils ne faisaient pas que discuter. Elle croise les bras sur sa poitrine et garde son air fier. Il n'y a aucun doute, elle ressemble à Louis comme deux gouttes d'eau. Le même caractère, le même regard malicieux,
– Je venais juste vous appeler parce que mamie veut faire une photo de nous tous devant le sapin.
Dans un mouvement aisé, Harry se lève du lit, il évite soigneusement l'attention particulière que Charlotte leur porte et sort de la pièce. Louis ne tarde pas à suivre ses pas sous les yeux pétillants de sa sœur. Elle lui donne un coup de coude quand ils quittent côte à côte la pièce. Il grogne en levant les yeux au ciel et elle rit de plus belle. Elle est fière de pouvoir le taquiner au moins sur une chose.
Les deux familles se réunissent devant le sapin. Ernest insiste pour que son grand frère porte un chapeau d'anniversaire, Louis ne peut pas lui refuse quoi que ce soit. Les plus jeunes se mettent devant, sur leurs genoux et assit sur le tapis. Ils tiennent tous dans le cadre, Jeanne est au milieu de tout le monde.
Louis est debout à côté d'Harry, il passe une main autour de sa hanche pour le rapproche de lui. Harry trouve que cet air heureux qui ne quitte pas son visage depuis tout à l'heure le rend plus jeune et plus beau encore. Il s'apprête à lui dire, mais Louis l'interrompt.
– L'objectif est en face de toi, Harry.
Sa voix est douce, comme son sourire. Harry laisse échapper un rire, Louis serre ses doigts affectueusement sur sa hanche. Ils se regardent un petit moment en se souriant. Ils tournent la tête quand la voix de Charlotte retentit, elle actionne l'appareil photo posé sur un trépied, profite des quelques secondes de retardement du chronomètre pour se mettre à la droite de son frère. Le flash se déclenche, ils sourient tous pour le premier cliché, suivit de deux autres qui s'enchaînent. Certains font des grimaces, Louis tire la langue et Harry fait des oreilles de lapin à sa sœur, devant lui.
Il ne fait pas encore tout à fait noir quand les jumeaux demandent à aller jouer avec la neige dans le jardin. Louis et Harry se joignent à eux, ils enfilent leurs vêtements d'hiver et fabriquent un bonhomme de neige. C'est surtout Louis qui fait tout le travail, parce qu'Harry a les doigts gelés malgré ses gants et il préfère prendre, plus ou moins discrètement, Louis en photo avec son frère et sa sœur. Immortaliser ce moment.
Harry sursaute quand il reçoit une boule de neige sur son épaule, il lève les yeux et range son téléphone. Les jumeaux rient au l'unisson et Louis, debout à côté du bonhomme de neige terminé, a du mal à contenir son amusement. Il se frotte les gants et Harry remarque la neige encore accrochée dessus, il hausse un sourcil et n'attend pas une seconde pour se venger. C'est une féroce bataille de neige qui s'engage alors. Louis et Harry l'un contre l'autre, rapidement rejoint par les jumeaux. Ernest se lie avec Louis et Doris avec Harry, leurs rires emplissent l'air. Louis n'a jamais passé un aussi bel anniversaire.
*
Un fond de musique résonne dans la pièce depuis la platine. C'est un vieux vinyle du grand-père à Louis qui tourne en boucle depuis une heure, il n'y a que trois chansons dessus, mais il l'écoutait tout le temps. Harry l'adore aussi. Ça lui rappelle toujours ces étés où il venait dans cette maison et jouait avec Louis, où ils passaient leurs journées ensemble, collés l'un à l'autre, et que son grand-père écoutait ces titres pendant des heures entières tandis qu'il lisait le journal ou sculptait sur la terrasse.
Allongé sur le ventre, Louis relit les plus récentes pages noircies de son carnet. Harry est étendu sur le dos à sa droite, son portable posé sur son torse, il ne le quitte presque pas des yeux. Il pourrait se perdre à l'admirer pendant des heures. Ses sourcils sont légèrement froncés, il a un air concentré sur le visage, ses lèvres bougent mais ne laissent échapper aucun mot et son regard scrute minutieusement les lignes qu'il a écrites. Louis, toujours plongé dans sa lecture, fait remarquer d'une voix douce :
– Tu me regardes beaucoup.
– Tu es très beau.
Harry murmure ces mots en retour, il tend la main pour toucher son bras, puis la peau de son poignet sous les manches de son pull un tantinet trop grand pour lui. Il caresse cet endroit où il peut sentir les pulsations de son coeur sous la pulpe de ses doigts. Au bout d'un moment, Louis lève les yeux de son carnet et les pose sur Harry. Certaines de ses boucles tombent sur le haut de son front et en halo autour de son visage souriant et apaisé.
Louis passe ses doigts dans ses cheveux, contre sa joue et le creux de ses joues où sont dessinées des fossettes. Il se penche et les embrasse, ce qui fait sourire Harry davantage, puis il pose ses lèvres sur les siennes. Louis se dit qu'il pourrait passer sa journée à l'embrasser, à ne faire que ça, ça ne le dérangerait pas. Harry glisse ses doigts sur sa nuque, son portable tombe entre eux, mais il ne pense qu'au baiser. Qu'à la bouche de Louis sur la sienne, son odeur partout autour de lui et son sourire quand il murmure ensuite :
– Je te retourne le compliment. Et j'adore ça aussi.
Délicatement, Louis touche les doigts d'Harry qui étaient enroulés autour de son poignet quelques secondes avant. Ses ongles sont colorés d'un joli bleu pastel, la nuance l'a fait penser aux yeux de Louis et principalement la raison pour laquelle il l'a appliqué hier soir. Harry rougit, mais sourit tellement que ses yeux se mettent à briller. Il n'avait pas remis de vernis à ongles depuis un moment, même s'il en a une petite collection dans sa chambre, et il se sent tellement heureux de savoir que Louis aime ce nouveau détail.
En vérité, Louis se sent fier de lui. Fier qu'Harry ait réussi à acquérir cette confiance en lui-même. Il y a quelques années, il aurait eu peur rien qu'à l'idée de s'exprimer devant les garçons de la bande. Louis prend ses doigts entre les siens, les porte à ses lèvres et embrasse le dos de sa main. Harry sourit, son coeur ne s'est jamais emballé à cette vitesse avec une autre personne que Louis.
– Je n'ai pas envie que tu partes.
Louis rentre chez lui ce soir avec sa famille. Ils ont passé le premier de l'an ensemble, ils n'ont rien fait d'extraordinaire. Ils sont restés à la maison de Jeanne avec tout le monde et ils ont célébrer le fait de passer cette nouvelle année ensemble. Harry et Louis se sont enfermés dans la chambre vers minuit et ils ont regardé des séries humoristiques en mangeant des chips jusqu'à tomber de sommeil. Ils ont parlé, longtemps, ils avaient encore de nombreuses choses à se dire. Ils se sont embrassés aussi, beaucoup. Des baisers salés et intimes, bouches souriantes, collantes, l'une contre l'autre.
Un moment, Louis a cru qu'il rêvait et qu'il allait se réveiller seul, dans le lit froid de son appartement. Seulement Harry était bien là, contre lui, il lui touchait le ventre, volait des bouts de chips dans le paquet et riait la tête contre son épaule. Louis peut encore se souvenir à quel point son coeur vibrait de bonheur.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin, Louis doit retourner au travail, doit rejoindre la partie de sa vie qui n'est pas ici, qui est loin d'Harry. Ce n'est pas définitif, ils le savent tous les deux. Mais l'idée de se quitter si vite après s'être à peine retrouvés leur serre la poitrine.
– Mais je reviendrais cette fois, je te le promets, souffle Louis en liant leurs doigts. Et je passerais autant de week-ends que je peux ici.
– Ou je pourrais te rendre visite aussi, je ne suis jamais venu chez toi. Et mes horaires à l'université sont plus allégés que les tiens et je peux bien sécher un ou deux cours.
– Et moi qui croyait que tu étais l'étudiant modèle. Finalement, c'est peut-être toi le plus rebelle de nous deux...
Harry rit, il le trouve chaque jour plus adorable et en fait il n'a jamais perdu son humour d'avant, il le cachait simplement en-dessous d'une lourde tristesse. Il redresse un peu la tête et embrasse son menton, Louis lui sourit. Ils passent un moment à discuter de la future visite d'Harry, Louis l'imagine déjà prendre ses marques dans son petit appartement, lui dire qu'il est toujours aussi désordonné qu'avant en remarquant ses chaussures, ses livres, ses vêtements qui traînent partout, la vaisselle sale qu'il laisse s'entasser dans l'évier ou son réfrigérateur qu'il ne remplit qu'au dernier moment.
– On peut alterner sinon ? On se voit un week-end sur deux et chacun son tour on va chez l'autre.
– Seulement si tu veux et si tu le peux Harry, les tickets restent assez chers et je ne voudrais pas non plus que tu rates ton année à cause de moi.
En réalité, la distance n'est pas si longue et en train ils n'ont que deux heures de trajet. C'est relativement rapide, mais il faut essayer de s'y prendre à l'avance pour avoir des places plus abordables. Harry a une voiture, mais le temps de route est doublé, il ne se voit pas lui demander de conduire au moins quatre heures pour venir le voir. Louis propose à Harry de lui payer ses tickets pour le moment, mais il ne veut rien entendre, il est assez têtu lui aussi quand il le veut.
– Louis, j'ai une bourse et à part pour ma voiture et des livres pour les cours ou pour moi, je n'achète rien. J'ai la chance de ne pas avoir d'autres dépenses à faire, alors je crois peux me permettre de me payer un billet de train pour aller voir mon copain.
La fin de sa phrase résonne dans la pièce, accueilli par un lourd silence et il lui faut quelques secondes pour s'en rendre compte. Son coeur rate un battement, il ouvre grand les yeux. Louis le regarde d'abord avec un visage impassible, puis il se met à sourire en coin à peine quelques secondes après.
– Ton copain hm ?
– Je... enfin, si tu... c'est pas... pardon, j'ai dis ça sans réfléchir je...
Harry bafouille, il se sent tout d'un coup plus timide et jeune. Les yeux bleu azur de Louis lui brûlent la peau, il sent ses joues chauffer. Mais il n'a pas le temps de finir de mettre de l'ordre dans ses pensées confuses.
Parce que ses derniers mots meurent contre les lèvres de Louis, il l'embrasse avec une telle tendresse que son coeur tremble. Harry le sent sourire contre sa bouche, il se détend et pose sa main dans le creux de son dos. Il ne peut pas s'arrêter de le toucher.
– J'aime quand tu ne réfléchis pas. Et moi ça me plairait bien, d'être ton copain. Vraiment bien. Tu en penses quoi ?
– Moi aussi, cette idée me plaît beaucoup.
A cet instant, Harry pourrait pleurer de joie. Louis lui sourit encore, il ne s'arrête jamais. Il glisse ses doigts entre ses boucles, le regarde un long moment. Harry a peur de respirer trop fort et de se réveiller pour réaliser que tout ça n'est qu'un rêve. Il a du mal à y croire, même quand Louis est si proche de lui qu'il peut sentir son souffle sur sa joue ou ses lèvres, tout son corps pressé contre le sien.
– Louis, juste je n'ai jamais eu de... je n'ai jamais été en couple avant et...
– Ne t'inquiète pas, on va tout découvrir ensemble.
– Mais... tu n'as pas déjà eu des copines ?
Le sourire de Louis s'efface lentement. Ces mensonges qu'il racontait pour se sentir comme les autres garçons du groupe, pour cacher qui il était vraiment. Il s'en sent tellement honteux aujourd'hui, il a gâché une grande partie de son adolescence à vouloir plaire à tout le monde en s'enfermant dans une personnalité qui n'avait jamais été la sienne. Harry est le seul, à l'époque, à l'avoir vu sous son vrai jour. Des fragments de sa lumière naturelle. Il en a aimé chaque rayon.
– Harry, je voulais que tu sois toutes mes premières fois. Tu n'as pas été mon premier baiser, mais tu peux être tout le reste si tu le veux.
Sans avoir besoin de réfléchir, Harry hoche la tête, il n'a jamais désiré autre chose que ça. C'est une évidence. Ils échangent le même sourire. Louis embrasse le coin de ses lèvres, puis le regarde.
– Évidemment, on ira à ton rythme et je me fiche de ce que tous les autres pensent et disent sur nous. Je sais qui je suis maintenant et je sais aussi que je ne veux pas te perdre une seconde fois.
– Moi non plus, je n'ai jamais voulu personne d'autre que toi.
Comme pour sceller leurs paroles, Louis tend son petit doigt entre eux, à quelques mètres du visage souriant d'Harry. Leurs rires légers se mêlent quand Harry enroule le sien autour de celui de Louis. Puis ils s'embrassent à nouveau, plus longtemps, plus lentement. Ça semble durer une éternité.
Ils profitent du reste de l'après-midi ensemble, ils écoutent de la musique, ils discutent, Louis écrit encore mais Harry ne lui demande pas s'il peut lire – même s'il en a très envie parce que ses mots lui manquent – car il sait que Louis lui en laissera l'occasion quand il sera prêt. Ils s'enlacent dans le lit. Ils restent un moment comme ça, dans le silence de la chambre. Louis, sa tête posée sur le torse d'Harry, il écoute les battements de son coeur pendant qu'Harry baladent ses doigts dans ses cheveux, contre sa nuque et son dos.
Le sommeil les attrape presque, quand la porte de la pièce s'ouvre sur Charlotte. Un sourire mesquin et tendre à la fois se dessine sur ses lèvres. Louis grogne, enfonce son visage contre l'épaule d'Harry qui se contente de rire. Elle les informe qu'ils vont partir dans dix minutes. Johannah prend les quatre plus jeunes dans sa voiture et Louis, Charlotte et Félicité vont rentrer en train. Louis se dit vraiment qu'il doit passer le permis, rien pour pouvoir venir rejoindre Harry plus facilement.
Johannah s'éloigne en voiture après qu'ils aient tous dit leur au revoir, elle répète à ses enfants d'être prudents dans le train, même si ce sont des adultes maintenant. Jeanne les accompagne en voiture à la gare avec Harry. Félicité est sur le siège passager, Harry et Louis se tiennent la main sur la banquette arrière. Charlotte n'a jamais vu son frère si heureux, si vivant. Il respire le bonheur, elle est presque jalouse.
Ils attendent l'annonce du train, les sacs à leurs pieds. Harry a toujours eu l'habitude de raccompagner Louis jusqu'au quai. Aujourd'hui, ça ne change pas. Quand la voix annonce le numéro, ils se serrent tous affectueusement dans les bras les uns des autres. Une grande famille. Jeanne embrasse son petit fils et lui fait promettre de prendre soin de lui et de revenir bientôt. Louis a les larmes aux yeux, mais ce n'est pas de la tristesse.
C'est avec un arrière goût amer dans la bouche qu'Harry et Louis se disent au revoir. Ils savent que ce n'est pas un adieu, qu'ils se reverront dans peu de temps. Mais ça ne les empêche pas d'être tristes à l'idée de se quitter. Ils échangent un long baiser, ils ont la poitrine qui gonflent parce qu'ils font ça devant tout le monde, au milieu d'une gare, et ils n'y accordent aucune importance. Louis n'a plus peur, c'est un temps révolu. Il n'est plus cet adolescent effrayé par son attirance sexuelle, par ce que tous les autres peuvent penser de lui. Il est enfin lui-même.
Harry tremble de bonheur, il lui dit d'être prudent et de le prévenir quand il arrive chez lui, Louis passe ses doigts dans ses cheveux, hoche la tête, puis ils s'enlacent. Il doit quand même partir, de peur de louper son train, ils se détachent à contre coeur. Mais, il sort de la poche de son jean un papier plié qu'il glisse dans sa main il murmure près de son visage :
– Lis ça quand je serais parti.
– Qu'est-ce que c'est ?
– Ce que j'ai écris dernièrement, pour toi.
Louis ne dit rien de plus et Harry ne demande pas, il le remercie simplement. Il boira chacun de ses mots. Leurs bouches s'effleurent une dernière fois, rapidement, parce que Charlotte est presque sur le point de traîner son frère par le col. Harry se mord la lèvre pour ne pas rire. Ils savent tous les deux qu'ils ne s'oublieront pas. Ils ne peuvent pas.
En s'éloignant, il agite sa main et un sourire lumineux fait rayonner son visage. Harry lui rend la même expression, son coeur bat la chamade. Il n'a pas peur, il est heureux, il serre le bout de papier entre ses doigts. Louis grimpe à la suite de ses sœurs après un dernier regard lointain et remplit d'espoir. Jeanne et Harry ne partent que lorsque le train s'éloigne.
Sur la route du retour, la voiture est silencieuse. Jeanne ne dit rien, mais elle remarque le sourire qui illumine les lèvres d'Harry quand il déplie le papier et lit les mots griffonnés dessus. Sa gorge se serre, alors qu'il lit que les lignes tout en haut : « c'est mon tout premier poème, j'espère que tu aimeras » puis le titre « Too Young ».
Son coeur s'emballe à l'idée que Louis ait écris un poème pour lui, pour eux, sur eux. Quand il se met à lire le premier vers, sa poitrine se serre et il retient son souffle tout le long.
« We were too young to know we had everything
Too young, I wish I could've seen it all along
I'm sorry that I hurt you darling
We were too young
I've been looking back a lot lately
Me and you is all I've ever known
Its' hard to think you could ever hate me
But everything's feeling different now
Oh, I can't believe I gave in to the pressure
When they say a love like this would never last
So I cut you off 'cause I didn't know no better
Now I realise, yeah, I realise
We were too young to know we had everything
Too young, I wish I could've seen it all along
I'm sorry that I hurt you, darling
We were too young
It's been five years since I've seen your face*
Tryna find some better words to say
Before I let this moment slip away
'Cause now I realise
We were too young to know we had everything
Too young, I wish I could've seen it all along
I'm sorry that I hurt you, darling
We were too young... »
Sans qu'il ne puisse les retenir, des larmes s'échappent des yeux d'Harry et glissent le long de ses joues. Ce n'est pas de la tristesse, pas seulement du moins, c'est surtout son amour pour Louis qui déborde de lui.
Louis lui a écrit un poème pour s'excuser.
Louis lui a adressé ses plus beaux mots.
Un sourire, sans aucun doute extrêmement niais, apparaît sur ses lèvres. Il sèche ses larmes et envoie un message à Louis.
(17h44) Tu me fais pleurer devant ta grand-mère...
Ses doigts tremblent autour de son portable, il respire très lentement.
(17h46) Alors, tu as aimé mon poème ?
Il n'hésite pas une seule seconde quand il répond en retour :
(17h46) Je t'aime.
(17h47) Mon dieu Louis... Je l'ai adoré. Je peux le garder ?
Le message de Louis ne tarde pas à arriver, et le coeur d'Harry n'a jamais battu aussi fort, aussi intensément.
(17h49) Je t'aime.
(17h50)Il est à toi. Je t'en donnerai d'autres quand tu viendras.
Harry sourit davantage en regardant son écran, il relit les mots en boucle.
Louis l'aime.
Ils n'ont jamais cessé de s'aimer.
*
Deux ans plus tard.
Sa chemise encore ouverte et ses cheveux humides, Harry entre dans la cuisine. Il s'arrête devant la casserole pour vérifier la cuisson et soupire en voyant l'état de l'évier.
– Louis ! Tu n'as pas fait la vaisselle ?
Après avoir haussé la voix pour se faire entendre, Harry perçoit du bruit depuis le couloir et se retient de rire quand un juron de Louis lui parvient aux oreilles. Il apparaît alors à l'entrée de la pièce, vêtu d'un jean et d'un pull gris. Son visage se fend en une légère grimace coupable et il se mord la lèvre.
–Désolé... J'étais en train d'écrire et j'ai totalement oublié.
– Nos familles arrivent dans, Harry jette un coup d'oeil à l'horloge au-dessus du plan de travail, dix minutes.
– Mince... mince, d'accord, souffle Louis en regardant partout autour de lui, tu vas terminer de te préparer, moi je m'occupe de la vaisselle et je surveille la cuisson du plat.
Harry s'avance jusqu'à lui, un sourire amusé aux lèvres, il le regarde avec tendresse et lui vole un baiser. Pour sa gouverne, Louis a l'air totalement paniqué à l'idée qu'il ait oublié la vaisselle d'hier soir.
– Ne laisses le laisse pas brûler.
– Eh ! Je suis peut-être totalement nul en cuisine, mais je suis capable d'arrêter un feu. Merci bien.
– Louis, est-ce que je dois te rappeler que tu as laissé les hamburgers vingt minutes en trop au four rien que la semaine dernière ?
– Non non ça ira monsieur le chef, il lève les yeux au ciel, je t'aime aussi.
C'est accompagné d'un rire chantant qu'Harry sort de la pièce, il retourne dans la salle de bains pour terminer de se préparer. Rapidement, Louis se retrouve les bras dans l'eau jusqu'aux coudes. Il déteste faire la vaisselle, Harry le sait mieux que personne et c'est pour ça qu'il lui demande de le faire le plus souvent. Depuis qu'ils ont emménagé ensemble, Harry prend un malin plaisir à le taquiner sur son côté fainéant et désordonné.
Louis laisse traîner ses vêtements dans la chambre, il oublie parfois où il range ses clefs et court dans la maison un matin sur trois à la recherche du trousseau, sa brosse à dents coincée entre ses lèvres, son jean à moitié enfilé et ses cheveux à peine coiffés. Harry est toujours amusé de le voir parcourir à toute vitesse l'appartement, poser ses affaires n'importe où quand il rentre le soir du travail, et même s'il râle Harry aime ce désordre.
Il aime quand Louis empile les livres sur la table de chevet et oublie de ranger dans la bibliothèque ceux qu'il a déjà lu. Il aime que sa tasse avec un fond de thé froid soit posé dans l'évier parce qu'il n'a pas eu le temps de la laver le matin. Il aime retrouver des affaires à lui un peu partout dans l'appartement. Louis s'approprie totalement l'espace, il n'a eu aucune difficulté à prendre ses marques après avoir déménagé ici, et Harry est si heureux. Pas à l'idée de devoir ranger et nettoyer derrière lui, mais de constater que leurs deux personnalités, leurs deux mondes se complètent et coïncident.
Quand Harry revient en cuisine, le gaz est arrêté et Louis termine de disposer la table. Il passe derrière lui, l'entoure de ses bras et embrasse sa nuque en souriant. Louis essaie de prendre une mine boudeuse, mais il ne peut pas cacher son amusement bien longtemps. Il a du mal à résister à son charme, et malgré ses airs sages, Harry sait en jouer. Au moment où Louis se retourne pour demander un baiser, la sonnette d'entrée retentit.
Louis râle, mais il se charge d'aller accueillir leurs invités. Ce sont les parents et la sœur d'Harry qui arrivent en premier. Ils sont déjà tous venus à l'appartement une fois, étant donné que Louis et Harry ont emménagé pas très loin de la ville où ce dernier habitait depuis son enfance. Mais aussi pour les aider à déménager il y a trois mois de cela. Louis est content de pouvoir rendre souvent visite à sa grand-mère et il est plus proche du reste de sa famille aussi.
Cinq minutes après, c'est justement Johannah et ses cinq sœurs et son petit frère qui font leur entrée. L'appartement semble plus étriqué, mais tout le monde trouve sa place et discute joyeusement. Ils sont tous là aujourd'hui pour fêter l'anniversaire de Jeanne qui arrive en dernière Elle ne sait rien de la surprise, elle pense simplement venir pour partager un bout de gâteau avec le jeune couple.
Les murs sont décorés avec quelques guirlandes, il y a quelques ballons accrochés aussi et des cadeaux qui sont empilés sur la table basse. Jeanne arrive peu de temps après, et quand tout le monde lui chante un joyeux anniversaire, elle porte ses mains à sa bouche et termine les larmes aux yeux. Louis pourrait presque pleurer lui aussi en la voyant si émue et surprise.
Elle vient prendre chacun dans ses bras et le remercier. Quand elle arrive en face de Louis, elle prend son visage entre ses mains frêles et légèrement tremblantes, elle embrasse son front et ils s'enlacent un long moment. Harry a le droit à la même étreinte.
Johannah sort le gâteau du réfrigérateur, elle le coupe et donne une part généreuse à tout le monde. Ils sont tous réunis dans le canapé ou autour de la table. L'appartement n'est pas grand, ils sont un peu à l'étroit mais la joie et l'amour déborde des murs.
– Au fait Harry, comment ça s'est passé ton entretient avec le journal ?
Harry tourne le regard vers Johannah, elle lui sourit, assise entre Jeanne et Charlotte. Il a du mal à retenir sa joie, alors qu'il répond :
--Très bien, plus que bien même, j'ai été pris.
--Mais c'est formidable ! Pourquoi tu ne nous l'a pas dit tout de suite ?!
Euphorique, Jeanne se lève pour venir prendre le jeune homme dans ses bras. Il se lève de la chaise où il était assis, près de Louis, pour la serrer contre lui.
– Ils ne m'ont rappelé qu'hier et j'attendais de commencer pour vous l'annoncer, explique-t-il lorsqu'ils se séparent, mais je vais signer mon contrat Lundi et je commence Mercredi.
– Je t'avais dit que tu allais réussir.
– C'est ce que j'arrêtais pas de lui répéter aussi, intervient Louis en levant les yeux au ciel, il était tellement stressé de passer cet entretient. Mais je savais qu'il allait l'avoir.
Jeanne ne peut pas s'empêcher de rire, Harry se tourne pour rencontrer le regard scintillant de Louis, ils se sourient. Quand Harry retourne à sa place, après avoir remercié Jeanne et les autres qui le félicitent, Louis se penche vers son oreille et murmure qu'il est fier de lui. Harry le sait déjà, Louis n'a cessé de lui dire depuis hier, mais il aime l'entendre.
Après le gâteau, Jeanne ouvre ses cadeaux et elle est encore sur le point de fondre en larmes. Johannah lui presse affectueusement l'épaule, Louis sourit en regardant la scène tandis qu'Harry lui rapporte une coupe de champagne et passe un bras autour de sa taille. Il lui embrasse la tempe et Louis sait qu'il ne peut pas être plus heureux qu'à cet instant là.
Quelques minutes après, Charlotte s'occupe de choisir de la musique à mettre sur l'enceinte avec Félicité. Elles lancent un premier morceau et se mettent à danser avec les jumeaux, Harry les observe en souriant et se joint à eux. Il prend Doris dans ses bras et la fait tourner, le rire de la petite fille résonne dans le salon. Louis débarrasse les assiettes avec l'aide de Anne, elle met le reste du gâteau au frais et s'appuie contre le plan de travail.
– Vous avez vraiment bien décoré l'appartement, c'est une belle opportunité de l'avoir trouvé.
Son regard englobe la petite cuisine et la pièce principale à côté. Louis acquiesce en souriant, ce n'est pas bien grand, mais ils n'ont pas hésité une seconde en le voyant. Il y a un petit balcon, une grande chambre, une salle de bains avec une baignoire douche et une deuxième chambre qui leur servira à tous les deux de bibliothèque et de bureau pour travailler ou écrire.
– Oui, je ne suis pas très loin de la bibliothèque où je travaille et Harry n'a que quinze minutes de voiture jusqu'aux locaux du journal. Puis on est pas très loin de nos familles, nos proches et de la mer. C'est parfait pour nous.
Anne hoche la tête, Louis se lave et s'essuie les mains. Quand il se tourne vers elle, il fronce les sourcils en voyant les larmes perler dans ses yeux. Il ne demande pas, il la prend dans ses bras et ils s'étreignent un long moment. Elle lui caresse affectueusement le dos, puis s'essuie la joue quand ils se détachent.
– Tu sais... je suis vraiment heureuse. Pour Harry, pour vous deux. C'est ce que j'ai toujours voulu, qu'il trouve quelqu'un qui l'aime et lui apporte le bonheur. Cinq ans c'est long, mais je pense que ça vous a permis de grandir et de comprendre beaucoup de chose. Et je le vois que tu as changé Louis, et Harry aussi, mais c'est pour le mieux.
Louis baisse le regard vers le sol, il se sent toujours honteux et coupable quand il repense à cette époque de sa vie. A la manière dont il a fui, lâchement, et dont il a abandonné la seule personne qu'il aimait et qui l'aimait en retour.
Aujourd'hui, il se sent chanceux. Parce qu'il aurait pu tout perdre. Il aurait pu perdre Harry. Ne jamais le revoir. Ne jamais se voir accordé cette seconde chance. Ne jamais être heureux.
– Au fond, je me suis toujours dit que c'était et ce serait toi. Je n'ai jamais rien dit parce que c'est une chose dont vous devez vous rendre compte par vous même, mais l'ai toujours su... J'ai vu comment vous vous regardiez, vous passiez tout votre temps ensemble et il ne parlait que de toi Louis. Tout le temps, même quand tu étais chez toi, même quand on t'avait vu la veille. Je n'ai jamais douté une seconde de ce qui vous unissez.
--Je l'ai toujours aimé et je veux simplement le rendre heureux.
--Je sais, et je te remercie pour ça. Vraiment.
Une larme s'échappe de l'oeil de Louis et roule contre sa joue, il n'essaie pas de la cacher ou la retenir. Anne lui sourit mais n'a pas le temps d'ajouter que quoi ce soit d'autre, parce qu'Harry entre dans la cuisine avec quelques coupes vides entre les doigts. Il s'avance et fronce les sourcils. Louis s'essuie la joue en souriant, Anne se tourne vers lui, les yeux humides.
--Qu'est-ce qui se passe ?
--Rien mon chéri ne t'en fais pas, on discutait.
Elle s'approche de son fils et lui embrasse le front, passant ses doigts fins entre ses boucles. Après avoir lancé un dernier regard à Louis, elle décide de s'éclipser au salon avec les autres et les laisser ensemble.
Les sourcils toujours froncés, Harry rejoint Louis et pose les coupes dans l'évier. Il pose les yeux vers le salon et de nouveau sur Louis qui passe ses bras autour de sa taille pour l'attirer contre son corps.
– Elle ne t'a pas fait la leçon ?
– Non, rit Louis en secouant la tête, elle m'a juste dit qu'elle était très contente pour nous.
– Et c'est pour ça que vous pleuriez tous les deux ?
Un nouveau rire s'échappe de la bouche de Louis, il se contente d'embrasser le menton d'Harry et de se poser sa tête contre sa poitrine plusieurs secondes. Harry sait qu'il y a plus que cela, mais il ne pose aucune question, parce qu'il pense deviner ce dont ils parlaient tous les deux en son absence.
Ils se détachent, Harry prend les mains de Louis dans les siennes, les serre doucement. Il le regarde dans les yeux, puis demande :
– Danse avec moi ?
Le sourire qui se dessine sur les lèvres de Louis rendrait jaloux le soleil. Harry a envie de l'embrasser jusqu'à en perdre le souffle, jusqu'à en avoir la tête qui tourne. Il noue ses doigts à ceux d'Harry et se décale pour l'emmener au salon avec leurs familles. Mais Harry retient son bras, le coeur battant et ajoute :
– Non, ici. Dansons ici.
Parce qu'il y a un peu plus de sept ans, une scène similaire se jouait dans une autre cuisine.
Louis n'hésite pas. Il revient contre Harry. Leurs regards ne se lâchent pas. Ses grandes mains se posent sur ses hanches, Louis passe les siennes autour de sa nuque et ils se balancent doucement au rythme de la musique plus lente et douce. Ils se fixent, sans rien dire, ils n'ont pas besoin de mots.
Puis ils s'embrassent, au milieu de la cuisine. La scène est familière. Mais quand ils se détachent, Louis ne part pas. Pas cette fois. Plus jamais. Il regarde Harry dans les yeux, il lui sourit. Leurs fronts se retrouvent et ils restent comme ça de longues minutes.
Jusqu'à ce que le rythme de la musique change, plus énergique. Harry prend la main de Louis et l'entraîne dans des pas incohérents et maladroits. Ils rient aux éclats, Louis manque de trébucher quand il le fait tourner sur lui-même, Harry lui écrase encore le pied, il ne pense pas à s'excuser parce qu'il est trop obnubilé par la bouche de Louis sur la sienne et son sourire. Son sourire lumineux.
Depuis le salon, Jeanne pose une dernière assiette qu'ils avaient oublié sur la table. Elle s'arrête et les observe un instant. Elle n'ira pas les déranger, ils sont dans leur monde. Un monde qui n'appartient qu'à eux.
Et, au fond d'elle, elle a toujours su qu'ils se retrouveraient et qu'ils étaient fait pour exister ensemble.
Fin.
* pour ceux qui ne l'auraient pas remarqué, j'ai changé une parole de la chanson. Pour remplacer le "two years" original par "five years" afin de coller à la temporalité dans l'histoire. Comme vous l'avez vu au titre et au poème de Louis dans cette partie, l'os est en grande partie inspiré de la chanson "Too Young".
Je voudrais dire un grand merci encore à tout.es celles et ceux qui me lisent et me suivent. Ça me va droit au coeur de recevoir autant de retour.
A bientôt pour du nouveau et n'hésite pas à laisser votre avis, ça me ferait très plaisir !
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