Les deux Perles de l'Occident
Dans le char d'assaut qui roule à tout berzingue direction le rempart sud, ça s'ambiance sacrément. Toni Pal passe des gros classiques RnB sur un ghetto-blaster récupéré à Emmaüs : Elle te rend dingue (dans son poom poom short) de Nuttea, C'est chelou de Zaho et puis surtout RnB de rue de Matt Houston. Thomas Ngijol entame une petite phase dont il a le secret, genre trap coupé-décalé avec des moves d'inspiration hardtek, sans lâcher les commandes. C'est chan-mé, se dit l'agent temporel au service des présidents Hollande et Obama. Il pose sur son fidèle acolyte des yeux pleins d'une débonnaire sollicitude. On a beau dire, c'est quand même charmant la nature ! Thomas, c'est un peu le fils qu'il n'a jamais eu. En tout cas, c'est pas un des fils qu'il a déjà eu. Oui, parce que Toni Pal a déjà eu une chiée d'enfants dans le cadre de ses missions (et parfois dans le cadre de rapports non-protégés - on pense forcément à la comtesse de Lafayette ou à Rachida Dati), mais c'est une autre histoire. L'heure est plutôt au flashback nostalgique de la rencontre avec Thomas Ngijol et ces pensées remontent à la surface chez Toni dans un remugle sucré cependant que le shit sature ses réceptacles neuronaux.
Est-ce que ça vous est jamais arrivé de vous réveiller un midi et de vous dire que vous avez une putain de chance d'être français ? D'appartenir à l'élite culturelle, artistique, gastronomique, diplomatique, scientifique, militaire, atomique, amoureuse mondiale ? D'être plus balaise que les Portugais, les Irlandais, les Lituaniens et les Burkinabés réunis, sans forcer ? Le pays des droits de l'Homme, de Jean Dujardin, de Footix, des rillettes du Mans, de Katsuni... Hé bien contrairement à ce qu'on pourrait croire, tout cela n'est pas tombé du ciel ! Ça a été arraché de haute lutte. Le fruit d'un travail ambitieux, insatiable, minutieux. Car à l'époque, enfin celle où le retour temporel n'avait pas encore été inventé, la France n'était qu'une moins-que-rien, un sub-duché miséreux niché en Corrèze, vassal de la couronne du Gévaudan, elle-même soumise à l'autorité suprême du Saint Empire Roumain Germanique. Elle était peuplée de dégénérés agressifs et stériles qui ne vivaient que pour les flingues et les putes. Pour un regard en biais, on se prenait un coup de flamberge dans le plexus solaire. La terre était pauvre en nutriments et il pleuvait pendant tout novembre ; la France, c'était le zbeul. En 2017 ! Puis Toni Pal a remonté le temps. Une fois, deux fois, cent fois. Pour réécrire l'Histoire, inlassablement, et faire de ce pays maudit la putain de sur-puissance mondiale qu'elle est aujourd'hui.
Quelques petits faits marquants parmi tant d'autres, lorsque la main virile du destin a broyé dans sa paume telle une canette de Gini le fil du temps, docile et impuissant. En 488, Toni Pal travaille longuement Clovis au corps pour lui expliquer qu'il peut pas se laisser déféquer dessus par un sale petit connard de soldat qui lui pète ses affaires en ricanant, que ça fait pas très royal tout ça, et qu'il vaut mieux pour son image future que le crâne de l'impétueux finisse en autant de morceaux que le vase de Soissons. En 1190, notre agent temporel favori négocie un deal à long terme avec Saladin : celui-ci n'attaque pas la France en représailles de la Troisième Croisade, mais en contrepartie reçoit le territoire de Béziers pour son peuple à partir de l'an deux mil. En 1610, habilement déguisé en régicide, Toni Pal sectionne sa race à Henry IV deux mois avant que celui-ci ne promulgue un édit conduisant à l'annexion de la France par la république florentine sous l'influence des machiavéliques Médicis. En 1895, il défonce Maria Skłodowska à l'ecstasy et, au petit matin, la brillante physicienne polonaise se retrouve mariée de façon assez floue à un prête-nom pour lui obtenir la nationalité française, Pierre Curie. En 2001, sous l'impulsion du stratège en communication Philippe de Villiers, le soldat d'élite temporel est mis à contribution pour parachever le projet Protubérance Nationale en visitant régulièrement dans son sommeil un certain Jimmy Wales, lui suggérant par l'ASMR de créer une plate-forme mondiale favorable au révisionnisme : c'est ainsi que naît Wikipédia. 600 000 employés des services secrets travaillent pendant dix ans à éditer un nombre incalculable d'entrées pour renforcer la cohérence et recomposer le nouveau roman national français.
En 2006, le pays des Droits de l'Homme a la gueule de bois. Malgré des centaines de retours temporels, l'opération Flammekueche est un échec et les Bleus sont incapables de battre l'Italie en finale de Coupe du Monde. Toni Pal a pourtant été jusqu'à se grimer en Zinédine Zidane pendant la compétition - l'authentique n'étant plus que la traîne vieillissante de la comète qu'il était jadis - pour sauver une équipe moribonde, mais il n'a pas su se contenir lorsqu'un adversaire s'en est verbalement pris à l'honneur de sa génitrice. Il est l'enfant de la France, alors s'en prendre à sa maman, c'est attaquer la nation ; cet argumentaire imparable a su convaincre l'état-major et lui éviter un blâme. En plus de la défaite, les huiles de l'Élysée ont un autre sujet de grogne : l'ONU vient à nouveau et avec un insupportable paternalisme de réprimander le pays pour être la dernière nation civilisée à pratiquer l'esclavage, près de cent ans après que les autres ont arrêté. Des pratiques d'un autre temps ressassent inlassablement des journaux à la solde de l'Anti-France.
Gavé par ce battage médiatique, le président Chirac convoque le seul homme en qui sa confiance soit totale. « Agent Pal, le machin commence à me défoncer les couilles avec ses réprimandes geignardes. Comment ose-t-on dire que la France n'est pas un parangon de modernité ? Hé ben s'ils veulent se la jouer comme ça, très bien : je vais leur en donner de l'abolition ! Et bien avant tous ces jocrisses invertis. Vous allez remonter le temps et faire promulguer un amendement interdisant sur l'ensemble du territoire toute sujétion humaine. Dès 1550 ! En attendant, je vais couler un ou deux archipels à coup d'atome : ça va me calmer. » Toni Pal hoche la tête avec gravité mais une question le taraude à fond : « Président Chirac, j'entends bien, mais ne croyez-vous pas que cela risque de porter préjudice à Nantes et à notre belle capitale, Bordeaux, qui ont su profiter de la manne du commerce triangulaire pendant plus de cinq cents ans pour devenir les deux Perles de l'Occident, les plus grandes et prospères villes du monde ? _ Franchement, Toni, je vais vous dire : ça m'en touche une sans faire bouger l'autre. Si Bordeaux devient aussi moche et misérable que Toulouse, on n'aura qu'à déplacer la capitale à Dijon. Ou non, pire, à Paris... » Et ces deux héros nationaux de rire à la cantonade.
C'est ainsi qu'en 1555, à l'issue de quelques péripéties coloniales, Toni Pal retrouve recroquevillé au fond du négrier corsaire qu'il vient de couler au large d'Hispaniola à l'aide d'un F-22 Raptor (dont il a fait dédicacer la carlingue par tous les membres d'Aerosmith) un esclave ivoirien. Ce dernier, prisonnier d'une bulle d'air, s'exalte complètement à la vue de son sauveur, qui voulait juste checker s'il y avait moyen de récupérer quelques ducats à refourguer aux numismates de Barbès. Libéré de son piège aquatique, l'esclave régale l'agent temporel de ses facéties simiesques lors d'une soirée mémorable sous le clair de lune des Caraïbes, autour d'un sachet de golden teachers, des psilo mexicains que Toni se fait livrer sous plis discrets. Toni Pal prend sous son aile l'enthousiaste nègre qu'il appelle Thomas Ngijol de par sa ressemblance à vrai dire assez vague avec l'humoriste d'origine camerounaise. A partir de ce moment, son acolyte le suit dans la plupart de ses aventures, du moins celles qui ne nécessitent pas de compétences trop poussées en diplomatie ou en furtivité.
Une grosse larme roule le long de la joue de Toni Pal alors qu'il est étreint par une bête de nostalgie. Il émerge son buste profilé comme celui d'un orque épaulard de l'écoutille de la tourelle pour constater que les remparts de Rouen ne sont plus qu'à quelques centaines de mètres. La première partie de sa mission, le sauvetage de la pucelle d'Orléans, est à portée de main.
Soudain, un projectile explosif pulvérise le blindage du Panzer.
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