Chapitre 23
Résolution (n.f.) : fait d'apporter la lumière sur un problème, une difficulté.
Nous y voilà. Une grande villa nous fait face, avec ses murs blanchis à la chaux et ses tuiles rouges, elle se remarque parfaitement au bout de l'allée de pins. Etonnamment, personne n'a l'air de garder la maison, ce qui est plutôt suspect. J'appuie sur la sonnette, et je déclare quand j'entends qu'on a décroché :
- Nous sommes Nathanaël Lebrun, Martin Castand et Alessio Barese et nous aimerions parler avec M. Cyril Faubert.
- Je vous ouvre. Déclare une voix féminine à laquelle le pianiste se tend immédiatement.
Le portail s'actionne immédiatement, sans un bruit. Nous restons quelques instants à contempler l'allée de sable blanc qui est révélée, et je m'y engage le premier. Il faut qu'on en finisse. Il faut qu'on y arrive. J'entends les crissements des pas de mes amis derrière moi, et ils ne font que me donner plus de courage encore. Je me tiens droit, conquérant, vainqueur. Rien ne me fera reculer. La porte d'entrée, cachée derrière des vignes grimpantes, s'ouvre et laisse apparaître une jeune femme blonde, sûrement d'une vingtaine d'année. Elle nous toise, un petit sourire en coin, et ses yeux fortement maquillés se posent sur le pianiste. Je le sens se rapprocher de moi et instinctivement je lui prends doucement sa main valide. La jeune fille a une grimace de dégoût en voyant nos doigts entrelacés, et finit par dire d'une voix pleine de condescendance :
- Alessio. Je ne te savais pas en si bonne compagnie.
- Manon. Il répond d'une voix dénuée de toute chaleur.
- Et si vous entriez ? Papa vous attend de l'autre côté, au bord de la piscine.
Il ne répond rien et se contente de la suivre à l'intérieur, et nous l'imitons aussitôt avec Martin, non sans avoir échangé un regard entendu avant. Au moindre pas de travers, nous intervenons. Je passe ma main dans mes cheveux, sentant le micro qu'on y a dissimulé. Nous traversons la maison, étonnamment fraîche par rapport à la température extérieure, et nous quittons les dalles de carrelage rouge brique pour les pierres beiges de la terrasse. Un homme s'y tient, des cheveux gris parfaitement coiffés sur les côtés de sa tête ronde, et des grandes lunettes de soleil dissimulant ses yeux. Il nous regarde, un verre à la main, son autre main enfoncée dans la poche de ce que je présume être un short de bain.
- Mes amis ! Que me vaut l'honneur de votre visite ?
Sa voix sonne tellement faux que je me demande comment il espère avoir quelqu'un de cette façon. C'en est presque ridicule. Je me décale légèrement, laissant apparaître son neveu pour voir sa réaction. Il reste interdit quelques secondes mais se reprend très vite, et recommence d'une voix mielleuse :
- Mon cher Alessio, j'ai appris que tu avais eu un différent avec Gina, j'en suis profondément désolé.
Ce disant, il s'approche de nous et attrape le brun fermement par l'épaule. Je vois du coin de l'œil quatre jeunes hommes apparaître dans l'ombre de la maison, sûrement prêts à intervenir sur ordre de Cyril. Je fais signe à Martin de ne pas bouger, pas pour l'instant. Je lâche à regret la main d'Alessio, comme si je craignais ne plus jamais pouvoir la tenir. Il me lance un regard plein de détresse en suivant son oncle à seulement quelques pas de nous, mais je ne peux pas aller avec lui. Je lui souris tendrement, et il me répond par une légère grimace. Ce n'était pas prévu que Cyril veuille l'écarter de nous.
- Je n'ai pas envie que mes protégés soient en colère contre d'autres personnes. Vois-tu, Alessio, ta sœur est très en colère contre toi.
- Elle n'est pas ma sœur, crache le brun avec férocité.
- Mais bien sûr que si ! Elle ne t'a pas montré les analyses ADN ? J'ai aussi tous ses papiers ici, je pourrais te les montrer.
Il se met alors à tourner autour d'Alessio, ne nous accordant même plus un regard.
- Je ne te les montrerais pas, toutefois. Gina t'en a suffisamment dit, tu ne devrais pas douter d'elle, après tout vous êtes du même sang.
- Le sang ne veut rien dire. Depuis quand Manon est à ton service pour accomplir tes basses besognes ?
- Ta cousine ? s'esclaffe Cyril. Elle n'est au courant de rien, de même pour ta tante. Après tout, c'est quand même du fils de sa sœur, dont il est question.
- Qu'est-ce que tu veux de moi ?
La tension devient palpable. Martin se recule vers la baie vitrée, mais ne répond pas à mon regard interrogateur. Je meurs d'envie de me jeter sur Cyril, de l'écarter immédiatement du brun mais je ne peux pas. Nous sommes encerclés, piégés. C'était un piège. Il savait qu'on allait finir par amener son neveu ici ! C'est pour ça qu'il n'a fait aucun effort pour rechercher Alessio alors qu'il était parti de Calais ! Ma respiration s'accélère, devient saccadée. Je perds le contrôle, mais il ne faut pas. Pas maintenant.
- Tu sais, Alessio, j'aurais aimé vous avoir tous les deux. On dit toujours que le lien entre deux jumeaux est incroyable, et de tous mes protégés je n'en ai aucun, quel gâchis, vraiment.
- Arrête de les appeler tes protégés ! Hurle le pianiste. Tu as vu ce que tu en as fait ! Des bêtes, des monstres, ne connaissant ni le remords ni la peur. Qu'est-ce que tu leur as fait pour qu'ils deviennent comme ça ?
Cyril éclate d'un rire sonore, gras, presque maléfique. Il finit par se calmer et annonce fièrement en montrant une petite porte sur le côté de la maison.
- Tu n'auras qu'à demander à ta sœur, elle est très bien placée pour répondre. Tu te souviens quand j'ai dit que je ne voulais pas que mes protégés soient en colère contre d'autres personnes ? Eh bien, je voulais régler cette triste histoire, oui vraiment triste, rapidement. Gina arrive, vous allez pouvoir vous expliquer ! Ce n'est pas fabuleux ?
- Je ne veux pas la voir, ni lui parler. Elle m'a fait trop de mal, je ne veux pas m'expliquer avec elle.
- Oui, et elle s'est aussi occupée du meurtre de vos parents, toute seule !
La fierté dans la voix du cinquantenaire me donne la nausée. Une étincelle mauvaise brille au fond de son regard, et je vois le brun se transformer par la haine.
- Alessio ! je crie, désespéré. Ne fais rien, tu ne peux rien faire !
- Mais elle a tué nos parents, Nat' ! sa voix est plus aiguë, moins assurée qu'avant. Mes parents ! Elle ne peut pas être ma sœur ! Elle ne ...
- Assez ! rugit Cyril en l'attrapant par le bras. Oui, elle s'est occupée de la demande d'Elisa Letray. Elle a programmé cette voiture avec un système de reconnaissance de plaques d'immatriculation. Un jeu d'enfant, mais extrêmement bien fait. Vois-tu, elle est la meilleure de mes protégés. Elle fait toujours bien son travail, et elle est d'une loyauté indéfectible. Je lui fais confiance, même si je suis triste de l'admettre. J'aurais tellement aimé t'avoir avec moi, Alessio. Tu aurais été parfait.
Il fait un geste de main et la porte qu'il montrait un peu plus tôt s'ouvre en grand fracas, laissant apparaître Gina. La première chose qui me marque est la trace violacée qui court sur sa joue droite, et ses griffures sur ses longs bras pâles. On dirait qu'elle s'est fait battre. Une haine féroce brûle au fond de ses pupilles, et c'est avec un sourire sadique qu'elle s'avance vers son frère jumeau.
- Je vais te faire payer pour ce que tu as fait, ordure ! s'exclame-t-elle.
- Je ne t'ai rien fait. Répond Alessio d'une voix étonnamment calme.
- Si ! Tu existes, tu es celui qui a pu rester chez nos parents, tu n'aurais jamais dû être là-bas ! Si seulement tu n'avais pas été emmené par l'infirmière ce soir-là, tu aurais été avec moi ! On aurait été deux à se soutenir, on aurait été une famille !
- C'est toi qui parle de famille, alors que tu as tué mes parents ?
- Nos parents ! hurle la brune, presque hystérique. Ils n'ont rien fait ! Toutes ces années, ils savaient que je n'étais pas morte ! Toutes ces années, ils savaient que j'avais été enlevée, et pourtant, ils n'ont rien fait ! Ils ont demandé à la police d'étouffer l'affaire, pour te protéger. Parce que tu étais si faible, si fragile ... Si mignon ! Ils t'ont choisi, toi, alors qu'ils m'ont abandonnée ! Un parent peut-il faire ça à son enfant ?
- Et un enfant peut-il faire ça à ses parents ? réplique le pianiste, toujours aussi calmement.
- Tu ne comprends rien, espèce de ...
- Voyons, Gina, l'interrompt Cyril, surveille ton langage. Nous ne sommes pas ici pour discuter de ta vie, elle n'en vaut pas la peine.
La jeune femme baisse les yeux, rouge de honte et de colère, et ne prononce plus un mot. Je vois Alessio faire un pas vers elle, puis se raviser, hésitant. Dans mon dos, Martin est en train de regarder les lourds rideaux de la baie vitrée, et je me demande en quoi est-ce qu'il trouve cette situation si inintéressante.
- Allez, Gina. Reprend l'homme en remettant ses lunettes sur son nez, perdant visiblement patience. Je te donne cette opportunité, donc fais-moi le plaisir de le faire vite fait bien fait.
- Je ... ne veux pas perdre ma seule famille ... elle chuchote, et une larme s'écrase sur la dalle à ses pieds, créant une petite tâche plus foncée.
- Ta famille ? Et nous ? Il n'est pas ta famille, Gina. Il ne l'a jamais été, et il ne le sera jamais. Alors fais-le !
Elle hésite encore mais se lance soudain vers le brun, et c'est un signal pour tous les autres qui nous entourent. Deux garçons bien plus musclés que moi, habillés de noir, se jettent sur moi et m'immobilisent avec une facilité déconcertante. Je vois Martin se débattre, sans lâcher le rideau, et soudain je comprends. Une fumée monte de l'épais tissus, et je le vois ranger un briquet dans sa poche. Très vite, les flammes lèchent les rideaux et les hommes sont obligés de nous lâcher, essayant d'empêcher le feu d'aller plus loin. Libéré, je me tourne vers Alessio, quand je le voix maintenu par Gina. Cyril nous lance un regard mauvais, avant de déclarer avec une satisfaction évidente :
- C'est toi qui as amené ton petit copain à l'abatoir, Nathanaël, tu vas devoir vivre avec ça sur la confiance !
Il éclate d'un rire mauvais et Gina lui enfonce la tête sous l'eau, j'ai tout juste le temps de croiser son regard. Etonnamment, je n'ai vu aucune trace de peur au fond de ses yeux. Comme s'il était résigné à cette mort, et depuis très longtemps. Non, il y avait juste une profonde supplique : celle de rendre justice. De terminer ce pour quoi on est venus ici. Mais je ne veux pas l'abandonner, je ne peux pas. Je me propulse aussi vite que mes jambes me le permettent vers Alessio mais Cyril se met sur ma route, et avant même que je puisse faire quoi que ce soit, Martin m'attrape le bras mais je ne me retourne pas.
- Nathanaël ! il crie de toute la force de ses poumons. Viens avec moi, tu ne peux plus rien faire pour lui !
- Si ! ma voix n'est plus la même, aiguë, pleine de terreur. Je veux le sauver, je dois le sauver !
- Si on reste ici, on finira comme lui !
Il profite de ma très légère hésitation pour m'entraîner à l'autre bout de la terrasse, puis enfin dans la grande forêt de pins. Je cours à côté de lui, le choc de mes pieds sur le sol rythmant mes pensées chaotiques. Je n'arrive pas à réaliser. On verra forcément Alessio, on le retrouvera, et tout ira mieux. Ça ne peut pas se finir comme ça.
Personne ne nous court après, et je trouve cela étrange. Nous arrivons en haut d'une dune de sable, et derrière s'étend l'océan. Une personne est en train de promener son chien sur la plage. Comment peut-il être si calme, vivre normalement avec tout ce qu'il se passe derrière ? Je me retourne, et constate avec un sentiment mêlé d'effroi et de satisfaction qu'une partie de la forêt a commencé à brûler, et que la maison n'est qu'un immense brasier. Pourtant j'entends déjà les camions de pompiers arriver. Ils devraient venir rapidement à bout de l'incendie, il n'y a pas un seul coup de vent. Je m'apprête à parler à Alessio, lui demander comment il se sent quand je comprends. Ça me tombe dessus d'un coup, et je ne peux plus respirer. Mon cœur s'arrête de battre alors que je m'effondre, et Martin se précipite pour me soutenir.
- Alessio ... je chuchote, il est mort, Martin. Mort !
- Je sais, Nat'. Il faut qu'on parte d'ici. Allez, viens. Il insiste en me tirant par le bras.
Mais je résiste, et je me mets alors à crier.
- Mais il est mort ! C'est ...
- C'est inutile de rester là, tu ne peux plus rien faire pour lui maintenant ! Alors rends la situation utile, et dépêche-toi !
Je lève vers lui des yeux pleins de larmes, mais finis par le suivre, résigné. Je me sens affreusement vide, comme si on venait de m'arracher mon cœur. Je ne vois pas où mon meilleur ami m'emmène mais je lui fais confiance, et je le suis. Sans rien dire de plus. Je suis incapable de prononcer un mot, incapable de former une phrase correcte, incapable de penser quoi que ce soit. Mon esprit est tout entier centré sur Alessio, sur ce dernier regard. Et j'ai l'impression que je n'oublierais jamais ses yeux. Et mon cœur se brise chaque fois un peu plus. J'ai l'impression qu'on vient de m'ôter la vie, que je suis mort avec lui, dans la piscine.
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