Chapitre 2

Curiosité (n.f.) : sentiment créé par une volonté d'en apprendre plus sur une situation, un objet ou une personne.

Les rayons du soleil me réveillent doucement. Je souris en m'étirant dans les draps. J'ai dormi chez mes parents, et leur maison sent encore la peinture, étant donné qu'ils n'y ont emménagé que récemment. Je soupire de bonheur. Il y a bien longtemps que j'avais pris le temps de rester au lit un dimanche matin. En même temps, d'habitude, Scarlett me réveille. Entre ses griffes et ses miaulements, elle sait se faire entendre, et je peux vous dire que vous n'avez pas envie de vous confronter à un chat affamé. C'est terrifiant. Je m'assieds sur le bord du lit et sourit encore plus largement en sentant la douce odeur de gaufres émaner de la cuisine. Je suspecte Joseph de s'être levé assez tôt pour les faire, et je ne pourrais jamais remercier assez mon frère pour tout ce qu'il a pu me cuisiner ces dernières années. J'attrape un T-shirt et un pull, et je descends les escaliers en bois, attentif à ne pas réveiller mes parents.

- Je maintiens que tu aurais dû faire cuisiner, Jo.

- Tiens, Nat' ! T'as bien dormi ?

- Oui ça va merci. Papa et maman dorment encore ?

- Non, papa est parti travailler ce matin. J'ai entendu son téléphone sonner vers 6 heures ...

Nous nous échangeons un regard entendu. Mon père est infirmier, et s'est fait largement malmené par tous ses camarades à l'hôpital depuis des années, parce qu'il ne peut pas dire non. Mes parents n'ont jamais roulé sur l'or, ils n'ont pas pu payer nos études, et ils n'ont pu acheter cette petite maison qu'avec l'aide combinée de ma sœur, de mon frère et la mienne. Et aujourd'hui encore, ils n'hésitent pas à appeler mon père s'il y a besoin de quelqu'un, parce qu'ils savent qu'il a besoin d'argent. Et ça me fout en rogne. Je serre les deux et prends une des gaufres que me présente mon frère aîné, et nous commençons à déguster en silence. Ma sœur arrive dans la cuisine à son tour, déjà toute habillée, coiffée et maquillée. Elle réajuste une mèche dans son chignon blond avant de se tourner vers nous :

- J'y vais les gars, vous direz au revoir à maman pour moi. Sam m'a invitée à manger avec sa famille ce midi.

- D'acc Lisa, protégez-vous hein ! lance mon frère avant d'éclater de rire.

Je souris doucement à sa remarque et ma sœur vient nous embrasser la joue à tous les deux, avant de partir. Tous les trois, on a toujours été plutôt proches, à se serrer les coudes pour aider papa et maman. Et aujourd'hui encore, ça se ressent, même si on a tous dépassé l'âge de vivre ensemble chez nos parents.

- Tu restes ce soir, Nat' ?

- Non, je pense que je pars après le déjeuner, j'ai une semaine qui s'annonce chargée.

- Je suis content que ton boss t'ait passé cet article sur Barese.

- Pourquoi ? je demande, surpris.

- Peut-être qu'il te fera enfin changer d'avis sur la musique. Il est vraiment exceptionnel tu sais.

- Je verrais. Phi m'a dit la même chose hier ...

- Elle a raison. D'ailleurs elle va bien ? Elle n'avait pas l'air super à l'aise à table ...

- Non effectivement, parce que la personne qu'elle fréquente a le malheur de s'appeler Léa et d'être tombée amoureuse d'une De Saurin.

Joseph lâche un juron en me regardant avec ses grands yeux sombres. Encore une fois, on est d'accord, et ce n'est pas pour me déplaire. J'aimerais pouvoir me venter d'avoir une famille ouverte, mais je sais que ce n'est malheureusement pas toujours le cas.

Il est quinze heures passées quand je repars, le ventre plein et la tête prête à exploser sous toutes les attentions de ma mère. Travaillant dans une bibliothèque de collège, elle accepte difficilement quand mon père bosse le week-end, et j'aurais vraiment aimé rester avec elle lui tenir compagnie. Mais je ne peux pas, il faut que je commence à travailler sur ce pianiste. J'ai hâte. J'arrive finalement dans mon petit appartement que je loue, où je retrouve mon chat qui était parti se balader sur les balcons. Je prends le petit animal avec moi et m'installe sur le canapé, mon ordinateur sur les genoux.

Je regarde sur Google pour commencer, j'aimerais me faire une idée du personnage que c'est. Il est super connu, il doit bien y avoir des forums et des articles qui parlent de lui, peut-être même de grands journaux ! Je tombe sur quelques photos, une page Wikipédia désespérément vide, les dates de ses prochains concerts, et rien d'autre. J'ai beau chercher sous toutes les variantes possibles, il n'y a rien. Tout ce que je sais, c'est qu'il est né en 2000 à Lyon. Le peu de photos que j'arrive à trouver de lui sont des photos de remises de prix musicaux, et à chaque fois il me paraît si pâle qu'il a l'air malade. Ses chemises ne cachent pas qu'il a la peau sur les os. Et son visage, de ce que j'arrive à voir, a l'air fatigué. Il y a quelque chose de louche. J'envoie un message à mon boss.

« Bonjour M. Lereau, je m'excuse de vous déranger mais c'est au sujet de l'article sur Alessio Barese. Vous aviez dit, je me souviens bien, que nombreux étaient les journalistes à avoir échoué à écrire un article potable sur lui. Mais où sont tous ces articles ? Je n'en trouve aucun, comme s'ils avaient été effacés ... »

Je repose mon téléphone et continue de chercher, et je tombe sur un article de journal local. Il parle rapidement d'un accident qui a eu lieu il y a deux ans, en 2018. Et les deux victimes sont Elise et Julio Barese. Barese. Ses parents ? Je regarde la date, étonné. Ils sont morts sur le coup, leur voiture percutée par un camion, le 26 mars 2018. La date me fait tiquer, je suis sûr de l'avoir vu très récemmen. Mais où ? Je passe ma main pour remettre en place des mèches rebelles et j'inspire un grand coup. Réfléchis, Nathanaël. Qu'est-ce que tu as vu comme date récemment ? Non, ce n'est pas le début des travaux du café. Réfléchis.

Je sais ! La main tremblante, je bascule sur l'onglet toujours ouvert et tombe sur la page Wikipédia d'Alessio. « Alessio Barese est un pianiste professionnel français né le 26 mars 2000 à Lyon. »

Ses parents sont morts le jour de sa majorité ? Les deux ? Je pince les lèvres. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose de louche sous toute cette histoire, mais je dois sûrement me faire des idées. Et puis je n'ai pas le choix. Voyant que je n'ai encore reçu aucun message, j'enfile rapidement un short et un T-shirt de sport et j'attrape mes clefs. Je profite de la douceur de ce mois de mai pour aller courir dans le parc à côté de chez moi.

J'ai besoin de me calmer. Je crois que je me prends trop la tête avec cette histoire de pianiste. Il ne faut pas se mettre à paniquer pour une simple coïncidence ! Respire, Nathanaël. Tout va bien. Je vais rentrer chez moi et mon boss m'aura répondu. Il me donnera une explication limpide, ne laissant aucun doute, sur l'absence d'informations sur ce pianiste. Et je vais me bouger pour trouver moi-même les informations, comme je l'ai toujours fait.

J'arrive à bout de souffle au fond du parc, où ils ont installé des pâturages pour moutons. Perdu dans mes pensées, j'ai couru bien plus vite qu'à mon habitude, et j'ai besoin d'un peu de temps pour récupérer. Je m'appuie sur la barrière en bois et commence à regarder le petit troupeau qui mange de l'herbe un peu plus loin. Voir des animaux apaise les battements de mon cœur. Je souris doucement en voyant un petit agneau bondir autour de sa mère. Il n'y a vraiment pas de quoi paniquer comme ça. Alessio Barese est juste un musicien tout aussi ennuyant que les autres, quoique plus doué, pour qu'il soit autant admiré. Je reprends le chemin du retour, attentif à ne pas aller trop vite, et je me passe sous la douche avant de retourner travailler. J'attrape mon portable et souris largement en voyant la réponse de mon boss. Un mystère élucidé, un.

« Bonjour Nathanaël. Je suis étonné que tu ne t'y sois pas mis plus tôt, mais c'est toi qui gères ton temps. Tu sais ce qui t'attend si tu échoues.

Si les articles sont introuvables, c'est qu'ils ont été supprimés à la demande de sa manager, Elisa Letray. Elle ne les trouvait pas à son goût, alors à toi de lui écrire la perle qu'elle recherche pour son petit protégé. »

Elisa Letray ? C'est au moins un autre nom pour commencer les recherches. Mais je crois que je vais essayer d'assister à un de ses concerts d'abord, pour comprendre comment il arrive à envoûter la France toute entière. Il y en a un demain à Bordeaux, et il ne reste que très peu de places. J'appelle rapidement mon boss pour négocier avec lui, et raccroche, satisfait. Le journal couvre tous mes frais pour cet article. Je n'aurais pas pu me le permettre, sinon. J'appuie avec un certain entrain sur le billet que je veux acheter, et prends un billet de train dans la foulée. J'ai le temps de passer au bureau récupérer de quoi travailler demain matin, je ne dois pas être à la gare avant midi. J'ai de la chance là-dessus, Limoges-Bordeaux n'est pas un trajet très long. Je referme mon ordinateur et je lâche un soupir. Je ferme les yeux quelques instants, quand mon téléphone se met à vibrer. Inquiet, je décroche sans même regarder le numéro, et je soupire de soulagement en reconnaissant la voix masculine à l'autre bout du fil.

- Nat' ! Tu fais quoi ce soir ? J'organise une petite soirée, y aura Marine et nos amis de la fac !

- Tes amis, Gaëtan. Je ne leur ai jamais parlé. Bonjour sinon ?

- Oui bah ça va, chipote pas. Bonjour, comment ça va, moi ça va bien, merci. Bon, t'es dispo ce soir ?

Je secoue la tête en riant doucement. Gaëtan est mon meilleur ami, on s'est rencontrés à la fac, et on a été embauchés pour le même journal en même temps. Mais il me fatigue, parfois. Comme maintenant. Je l'entends s'impatienter dans le combiné et je finis par répondre, mi amusé mi résigné.

- C'est bon, je viens ce soir, mais à une condition.

- Ce que tu veux !

- Attends que je te la dise. Ne promets pas quelque chose que tu ne pourras pas tenir.

- T'as pas confiance en moi, mec ?

- Si si, c'est juste que je te connais.

- Bon, c'est quoi ta condition ?

- Interdiction de me harceler sur le nouvel article que je vais écrire, pour qui que ce soit. Si on m'en parle, je rentre chez moi.

- Quel article ?

- Je sais que Marine te l'a dit. Et si ce n'est pas encore le cas, tu n'as qu'à l'appeler, elle se fera un plaisir de te répondre. Sur ce je te laisse, j'ai encore un sac à préparer.

- Un sac ? Tu pars où ?

- Bordeaux.

- Ah ouais ? Tu pars à Bordeaux comme ça sans moi ? C'est bon, vas-y, t'es plus mon ami.

- C'est pour le boulot Gaëtan. Demande tout à Marine, et je répondrai à tes questions. Mais demain matin, au bureau. Pas ce soir.

- Bon d'accord Globe-Trotter. Allez, je te laisse. A ce soir Nat'.

- C'est ça, à ce soir.

Je raccroche en souriant. On ne changera jamais Gaëtan. Et je sais qu'il sera incapable de tenir la condition. Surtout si j'ai le malheur de laisser échapper la raison de ma visite à Bordeaux. Ce petit blond adore la musique. Et encore plus la musique classique. Et il est pianiste pour couronner le tout. Alors je crois que s'il apprend que je vais voir un concert du fameux Alessio Barese à Bordeaux, sa ville natale, sans lui, il va mal le vivre. Et moi, je vais tout simplement arrêter de vivre. Donc je vais prier pour qu'il ne fasse pas le lien. Il en va de ma survie.

Je me rassieds sur le canapé en poussant légèrement Scarlett qui me répond par un miaulement courroucé, et reprends mes recherches. Peut-être qu'avec cette Elisa la chasse sera plus fructueuse ? Malheureusement, je dois m'avouer vaincu après de longues recherches. Il n'y a rien sur elle, pas une seule photo, pas un seul article, rien. Je n'ose pas imaginer le contrôle qu'elle peut exercer sur les médias pour n'apparaître nulle part, et garder son protégé à couvert. Je capitule et finis par aller dans ma chambre pour faire mon sac. Je ne sais pas encore le temps que je resterai à Bordeaux, il ne faut pas que je me ferme des opportunités par rapport à cet article. Alors je ferais tout pour le rencontrer en personne.

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