Chapitre 19

Cocon (n.m.) :expression imagée représentant un havre de paix, où l'on se sent bien et ensécurité.

Les pneus de la voiture envoient voler quelques graviers alors que nous nous engageons dans l'allée soigneusement entretenue. Je souris en sentant la fraîcheur familière que procure l'ombre des grands chênes de part et d'autre de l'allée. Cette maison est une des rares où je me sens chez moi même si ma famille n'y est pas. Car Monique fait partie de ma famille, comme Martin, Tom et Steph.

- Mes lapins ! Qu'est ce que vous m'aviez manqué ! s'écrie une voix féminine dans mon dos.

- Content de te revoir Monique ! je lui réponds alors qu'elle me prend dans ses bras comme quand j'étais petit.

- Vous êtes tous là ! Oh mais je n'ai rien préparé à manger, il fallait prévenir plus tôt que ce matin, les enfants !

- On est désolés. Dit doucement Tom en baissant les yeux.

J'éclate de rire sous le regard réprobateur de mes amis. Ils ne changeront jamais, et elle non plus. J'ai l'impression de nous voir de retour en enfance, quand on se faisait gronder pour avoir taché nos pantalons.

- Et vous m'avez emmené un nouveau ! Quel beau spécimen, tu as bon goût Nathanaël !

Je me sens rougir immédiatement, gêné, avant qu'une pensée ne me traverse l'esprit :

- Mais comment tu ...

- Il se cache derrière toi comme si tu étais son rempart pour toutes les épreuves de la vie, et ça, crois-moi, ça ne trompe pas. Comment tu t'appelles, mon lapin ?

- Alessio Barese, Madame.

- Ah non ! s'énerve la vieille dame sous nos regards amusés. Surtout pas de « madame », ni de « vous », tu m'appelles Monique et tu me tutoies, un point c'est tout ! Ou tu as le droit de m'appeler Mamie, aussi.

- Nous aussi, on a le droit ? intervient Steph, une lueur espiègle au fond de ses yeux.

- Non, arrêtez tout de suite de vous moquer de moi ! Allez, on se dépêche, vous avez les chambres habituelles, Alessio, ça te va de partager ta chambre avec Nathanaël ? Ils ne m'ont pas prévenu qu'ils emmenaient une autre personne, alors je n'ai pas préparé de chambre supplémentaire.

- Non, ça va très bien, merci Ma ... Monique.

Je lui souris doucement et je l'aide à marcher jusqu'à la maison, de telle sorte qu'il s'appuie le moins possible sur sa cheville. Nous traversons la grande cuisine sous ses yeux émerveillés, le long couloir au parquet craquant, et je m'arrête au bas des escaliers.

- Ma chambre est au deuxième étage, en face de celle de Martin. Tom et Stéphanie sont au troisième étage, tu veux que je te porte jusqu'en haut ? Je t'apporterais à manger, et Monique comprendra que tu ne sois pas en état de descendre pour l'instant.

Il hoche la tête sans dire un mot, un air de profonde gratitude dessiné par son beau visage. Il a l'air enfin apaisé, comme s'il savait qu'il est en sécurité ici, quoi qu'il se passe à l'extérieur. Je le porte jusqu'au deuxième étage, et je lui montre la chambre de Martin avant de montrer la mienne.

Les mêmes posters de groupes de Rock décorent toujours les murs bleus de la pièce, et une multitude de photos de nous quatre est collée sur la porte. Pas un seul pan de mur est libre, et je souris, heureux de me retrouver là. Martin a toujours aimé décorer ses murs, mais il ne voulait le faire qu'ici, car il n'y a qu'ici qu'il se sente chez lui, à sa place. Nous ressortons et j'amène Alessio dans ma chambre, beaucoup moins personnelle. Les murs sont d'un vert forêt qui m'a toujours apaisé, et quatre cadres photos sont déposés soigneusement sur une étagère de la petite bibliothèque en bois sombre. Une photo représente ma famille alors que nous sommes au bord de la mer, et Martin est avec nous. Deux autres photos nous représentent tous les quatre, à faire je ne sais quelle activité, et la dernière photo est la plus chère à mes yeux. Monique avait invité ma famille pour un week-end, étant donné que je suis le seul de la bande à vivre avec ma famille biologique et à en être proche, en plus de Tom, Martin et Steph. Et nous sourions tous les neuf à la caméra, éblouis par le soleil mais profondément heureux. Je souris en la regardant, et la voix d'Alessio, douce et timide, me fait sursauter :

- Vous avez l'air d'être vraiment très proches, tous les quatre ...

- C'est ma deuxième famille. Et Monique y est pour beaucoup. Elle était là pour nous apprendre à pardonner aux autres quand on était fâchés, pour nous faire comprendre quand on allait trop loin, et surtout pour nous montrer ce que c'est une vraie amitié. Sans elle, on n'en serait sûrement pas là, et je ne serais pas non plus celui que je suis aujourd'hui ... j'ajoute dans un murmure.

- C'est elle qui t'a aidée à te détacher de la bande ?

Je me tourne vers le brun. Comment peut-il avoir compris ça ? Il me regarde, attendant patiemment une réponse.

- Oui. Mais ...

- Comment je le sais ? Je l'ai compris à ses regards. Elle ne te regardait pas pareil que les autres, comme si elle partageait un secret avec toi et ... elle n'avait pas l'air de comprendre ta présence avec eux ...

- Tu es vraiment observateur.

- Le silence parle souvent bien plus que des mots.

Il me sourit légèrement, et je sens mon cœur s'embraser. Alessio m'a manqué, mais je l'ai retrouvé maintenant. Je passe mes bras derrière son cou et dépose doucement mes lèvres sur les siennes, retrouvant avec bonheur ce contact familier et rassurant. Il répond à mon baiser et se rapproche de moi en serrant ma taille de ses bras fins. Je m'écarte un peu et je colle mon front au sien, ne rompant pas le contact visuel. Ses yeux m'envoûtent et me charment, et je suis comme attiré au fond de ces pupilles sombres.

- Tu m'as manqué, Alessio, je murmure. Promets-moi de ne plus disparaître ...

- Je ne peux pas te le promettre, Nat', et tu le sais. Mais toi, tu dois me faire une promesse.

Je décolle mon front du sien, alors qu'il me regarde avec cet air si sérieux que je crains le pire. Il prend une profonde inspiration avant de se lover au creux de mes bras, son oreille collée sur mon torse au niveau de mon cœur.

- Même si je ne suis plus là, tu dois continuer à vivre. Tes amis, ta famille compte sur toi. Mon père m'a toujours dit de respecter le silence encore plus que la musique. Et tu sais pourquoi ? Parce que le silence après la musique, c'est encore de la musique. C'est même bien plus que ça. C'est le moment où tu ne comptes plus sur le musicien pour te faire rêver, car tu commences à rêver de ton propre chef. Promets-moi que tu retiendras ça, quoiqu'il arrive. Et que tu l'appliqueras.

- Je te le promets, Alessio. Je réponds la gorge serrée. Et je te le promets, pour toi, uniquement pour toi.

- Tu as tes amis, ta famille aussi ...

- Oui, mais tu es ma raison de vivre. J'ai tout plaqué, tout abandonné pour rester avec toi, pour aller te chercher à Calais. Maintenant que je te connais, que j'ai pu goûter au bonheur d'être avec toi, je ne peux plus t'abandonner, je ne peux pas t'oublier. Et même si tu me demandes de continuer à vivre sans toi, si jamais ça arrive, je le ferais pour toi, et pas pour mes amis ni pour ma famille. Parce que même si tu n'es plus là, mon cœur sera entièrement à toi, et je ne pourrais pas l'en détacher. Je t'aime Alessio, plus que je n'ai jamais aimé quiconque.

Il lève vers moi ses yeux embués et je l'embrasse doucement sur le front, tout aussi ému. J'ai l'impression de prévoir mes adieux, et je n'aime pas ça. Je finis par le laisser se reposer tranquillement, après lui avoir montré la salle de bain au bout du couloir, et je descends dans la cuisine où j'entends Monique parler avec une certaine agitation.

- Ah, enfin quelque chose de sensé, tu as laissé ce pauvre petit là-haut ! Maintenant, si vous le permettez, j'aimerais avoir des explications.

Je regarde tour à tour Martin, Tom et Stéphanie, et tous les trois montrent le même étonnement que moi. Je n'ai presque jamais vu Monique nous parler avec ce ton menaçant, et ça ne présage rien de bon. Surtout qu'elle n'a pas voulu nous parler devant Alessio.

- Cet Alessio, c'est bien le pianiste mondialement connu ?

- Oui.

- Celui qui s'est blessé et qui a fait la une des journaux récemment ?

- Oui.

- Et tu étais toi aussi sur cette une, n'est-ce pas Nathanaël ?

- Oui mais je ne suis pas responsable de son état ils ne disent pas la vérité !

- Tu me crois sénile ? Je sais que ce n'est pas toi, tu ne ferais pas de mal à une mouche, ou du moins tu ne ramènerais pas cette mouche chez moi. Alors ?

Je soupire. Je crois que je n'y échapperai pas. Alors je prends une chaise autour de la grande table en bois massif et me laisse tomber dessus à côté de Martin. Je prends un petit temps pour remettre mes idées en ordre et je lui raconte tout, de l'article jusqu'au sauvetage d'Alessio, appuyé par Martin pour expliciter quelques détails, comme notre présence ici, dans cette cuisine. Quand j'ai fini de parler, elle me regarde avec une expression indéchiffrable, puis finit par déclarer, tout en attachant un tablier pour la cuisine autour de sa taille :

- Je suis contente de voir que tu t'es adressé aux bonnes personnes, mon lapin. Vous avez ramené Alessio ici, maintenant ce qu'il faut c'est qu'il guérisse. Je n'appellerais pas de médecin, sauf si c'est vraiment nécessaire. Maintenant, allez prendre des douches et faire une sieste, je compte sur vous pour m'aider dans le potager cet après-midi.

Je me lève dans un raclement de chaise sur la pierre froide, et m'apprête à suivre mes amis dans le long couloir quand la vieille femme m'interpelle.

- Nathanaël ! Reste deux minutes, veux-tu ?

Je la regarde avec étonnement, et elle me montre avec insistance la chaise qui lui fait face. Je m'y rassois, plutôt inquiet.

- Ainsi, tu as coupé totalement le contact avec eux pendant six ans ?

- Oui, c'est ... mon ami de la fac qui m'avait fait promettre ça ... L'opportunité de retrouver une vie normale était trop belle et m'a fait oublier ce qui était essentiel. Je m'en veux de les avoir abandonnés si lâchement, si facilement, et je sais qu'il en faut plus pour les retrouver.

La vieille dame me regarde en croisant ses petits bras au-dessus de son ventre arrondi, puis finit par déclarer :

- Je vois que tu as pris conscience de ton erreur, c'est pourquoi je n'ajouterais rien. Tâche de tenir ta parole et de faire tout ce qui est en ton pouvoir pour les récupérer, et ne fais pas la même erreur avec Alessio, il a l'air d'être bien plus fragile qu'eux.

- Il l'est. La vie a été bien trop dure avec lui pour qu'il arrive à rester debout à chaque coup bas ...

- Je ne t'ai jamais vu autant attaché à quelqu'un, Nathanaël. Je suis contente que tu aies enfin trouvé la bonne personne. Conclut-elle dans un sourire avant de commencer à cuisiner, ignorant totalement ma présence.

Je monte donc prendre une douche et faire une sieste afin de récupérer suffisamment d'énergie pour affronter l'après-midi qui s'annonce épuisante. Monique a toujours su puiser jusque dans nos dernières forces, sans que l'un de nous n'ose se plaindre. On l'aime trop pour dire quoi que ce soit. Quand je sors de la douche, fumant mais enfin détendu de la nuit passée dans la voiture, j'ai le bonheur de voir Alessio totalement endormi en plein milieu de mon grand lit, la bouche grande ouverte. Je me glisse à côté de lui sans un mot, passant mon bras autour de sa taille. J'inspire profondément son odeur alors que mes yeux se ferment d'eux-mêmes, et je souris en me laissant emporter dans le sommeil alors que le corps d'Alessio se blottit contre le mien.

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