Chapitre 15


Retrouvaille(s) (n.f.) : moment où l'on revoit après une certaine durée des proches, souvent heureux.

- Mais d'abord, il y a des gens qui voulaient te rencontrer, c'est ordre du boss. Donc tu vas visiter un peu la France avec moi.

Elle le tire par le bras tandis que je la regarde s'éloigner vers la porte d'entrée, totalement impuissant. Pense aux parents, pense à tes amis. Je ne fais que me répéter cette phrase en boucle alors que je regarde Alessio se faire emmener par sa sœur. Martin essaye de bouger mais je l'en empêche, et je réponds à sa question muette en chuchotant :

- Elle n'hésiterait pas une seule seconde à le tuer si l'un de nous bougeait.

Il me regarde, une profonde révolte brûlant au fond de ses yeux et je détourne le regard, anéanti. La porte d'une voiture claque et j'arrive à prendre une photo de la voiture avant qu'elle ne s'éloigne pour avoir la plaque d'immatriculation. Même si j'imagine très bien qu'elle changera soit de voiture, soit de plaque d'immatriculation en route.

- Nat', tu vas bien ? me demande ma sœur doucement alors que le calme retombe sur la maison.

Je ne réponds pas. Je suis vide, brisé, je viens de voir partir le seul homme que j'aie jamais aimé, mais pas une larme ne coule. Tout simplement parce que je n'ai pas le droit d'être faible avant de l'avoir retrouvé. Je me dois d'être fort pour lui, c'est comme ça. Je me lève sans un mot, et la voix féminine d'Elisabeth m'interpelle.

- Nat' ! Merci ... Pour avoir réfléchi. Tu as fait ce qu'il fallait, et ...

Je vois qu'elle pleure doucement, alors je la prends doucement dans mes bras et la raccompagne à sa voiture. Je vais rester ici le temps de trouver quelque chose à faire, mais j'ai besoin d'être seul pour réfléchir. Quand je retourne dans le salon, Martin est toujours là, à me regarder de ses grands yeux chocolat.

- Et maintenant ? il demande.

- Maintenant je vais le chercher.

- Nous.

- Comment ça, nous ?

- J'appelle Tom et Stéphanie. On ne va pas te laisser tout seul dans cette affaire. Et j'essaie d'en apprendre un peu plus sur l'organisation. De ton côté, essaie de te procurer deux trois armes, ça peut toujours servir, au cas où.

Je hoche la tête, sans rien ajouter. Même si le changement d'attitude de mon meilleur ami d'enfance me surprend, je n'en laisse rien paraître, et j'accepte volontiers ses directives pleines de sang-froid. J'appelle un ancien contact, je réunis tout mon argent et je le retrouve en ville. Un petit sourire m'échappe lorsque je remarque qu'il n'a pas changé. Toujours la même cicatrice qui barre son front bronzé, toujours la même barbe de trois jours, toujours les mêmes cheveux argentés en brosse sur le dessus du crâne. Il me salue avec entrain :

- Natha ! Qu'est-ce que ça me fait plaisir de te voir !

Je souris. Il doit être le seul à avoir choisi de me surnommer Natha et pas Nat', mais c'est sa marque de fabrique, alors je la lui laisse sans broncher. Il m'a toujours apprécié, et c'est réciproque, même si le fait qu'il vende des armes au noir ne fait pas de lui quelqu'un de très respectable.

- Je croyais que tu avais coupé les ponts avec la bande ?

- Effectivement, mais je ne fais pas ça pour eux ni avec eux.

- Quelle est ta motivation, mon petit Natha ? J'aimerais voir si je peux t'aider.

- Sauver l'homme que j'aime.

- Ce n'est pas rien ! répond-il dans un éclat de rire. Mais que lui est-il arrivé ?

- Enlevé.

Je ne détaille pas, s'il y a bien quelque chose que je souhaite éviter, c'est que cette affaire s'ébruite ou parvienne aux oreilles de la bande. Et je sais que ça lui suffit, il est du genre discret, mais très fleur bleue, alors je dois avoir touché la corde sensible.

- Mon pauvre petit ! Je me fais vieux, j'ai peur de ne servir à rien sur le terrain, mais j'ai quelques petits bébés qui pourraient t'être utiles.

Il ouvre un garage et m'amène vers deux grandes armoires métalliques au fond dissimulées par de nombreuses caisses sans intérêt et des couvertures élimées. Il glisse sa clé dans la serrure et ouvre la porte de la première armoire, révélant des dizaines d'armes soigneusement rangées.

- Il m'en faudrait quatre qui passent partout.

- J'ai tout ce qu'il te faut, surtout pour toi.

Il me sort rapidement quatre petits revolvers et je souris de satisfaction en les reconnaissant. Rapides, discrets et efficaces. Tout ce dont j'ai besoin.

- Je te fais un prix si tu me les rapportes à la fin. Tu me laisses deux cent balles de caution, mais sinon c'est cinquante euros par pistolet, parce que c'est toi.

- Et les balles c'est combien ?

Je commence à compter ma monnaie sous ses yeux et j'achète tout ce que je peux, dépensant jusqu'à mes dernières pièces. Je dois passer à l'appartement, amener mon chat à mon frère, et récupérer mes dernières affaires.

La soirée est bien avancée quand je rentre enfin à la maison blanche, stressé de traverser la ville avec des armes à feu sous le siège. Martin est assis à la table de la cuisine, une carte routière de la France dépliée sur la table. Je remarque un sac de sport déposé dans l'entrée et je comprends qu'il est allé chercher ses affaires.

- Steph et Tom habitent ensemble maintenant, ils sont tous les deux sur Paris.

Je hoche la tête à la réception de cette information et nous mangeons un peu avant de prévoir d'emporter suffisamment de nourriture avec nous. La nuit est totale lorsqu'on se dépêche vers la voiture de Martin. Je prends le premier le volant, alors que mon meilleur ami s'endort sur le siège passager. Au bout de deux heures, nous nous arrêtons dans une aire d'autoroute où nous achetons tous les deux une nouvelle carte Sim. Au cas où. J'envoie un dernier message à Gaëtan et Marine les prévenant de mon départ avant de retirer la carte de mon téléphone et de la balancer à la poubelle. Ma famille sera prévenue demain par ma sœur, j'ai pu voir ça avec elle, même si elle m'en veut profondément. Je doute retrouver sa confiance un jour, mais je sais que je peux compter sur elle pour ça. Elle me hait de partir une nouvelle fois, de mettre en danger notre famille, de « jouer au héros », mais elle sait que quoi qu'il arrive je ferais tout pour retrouver Alessio. Il est ma priorité désormais.

Martin prend le volant sans prononcer un mot, la mâchoire serrée. Je lui dis doucement, alors que la voiture s'engage sur l'autoroute :

- Merci Martin. Merci d'avoir été là pour moi alors que je ne l'ai pas été pendant six ans. Merci d'être resté mon meilleur ami, et surtout merci de me comprendre si bien.

- Je dois plutôt m'excuser, dit-il dans un rire. J'ai été odieux au café, je ne t'ai pas laissé une chance de me convaincre, et j'ai embarqué Alessio avec moi. J'avais peur que tu nous mettes dans un danger inutile, mais ce que je n'avais pas compris c'est qu'on y trempait déjà jusqu'au cou dans ce danger ... On aurait gagné du temps.

Je pose ma main sur son bras musclé et lui adresse un sourire sincère.

- Tu n'y es pour rien, ça n'aurait sûrement rien changé.

Il répond à mon sourire puis se concentre sur la route, tandis que j'essaie de me rendormir. Les pensées se bousculent dans ma tête, avant que je ne sombre dans les bras de Morphée.

Les premiers rayons du soleil pointent lorsque je me réveille, et la voiture est arrêtée dans un parking devant une forêt. Nous sommes sur une petite colline, et juste en contrebas se dessine une ville que je reconnais bien.

- Paris ... je murmure alors qu'un sourire se forme sur mon visage.

La dame de fer semble répondre à mon salut, éblouissante dans ces premières lueurs de l'aube. Je respire un grand coup l'air chargé de l'odeur des arbres à côté en sortant de l'habitacle, et je découvre avec amusement Martin qui se déhanche au rythme de je ne sais quelle musique un peu plus loin dans l'herbe. Il s'arrête dès qu'il me remarque, rougissant jusqu'aux oreilles et j'éclate de rire devant sa mine déconfite. Si Alessio n'était pas en danger et loin de moi, j'aurais adoré ce moment de retrouvailles avec mon meilleur ami. Même si j'ai Gaëtan, ce ne sera jamais pareil avec Martin. Parce que le brun est tout simplement lui-même, irremplaçable. Et ce qui nous unit est bien plus fort qu'une amitié normale.

- J'ai pensé qu'il valait mieux attendre que tu te réveilles avant d'entrer dans la capitale.

Je lui souris en simple réponse, et nous repartons. Je coupe le contact en bas d'un immeuble noirci par la pollution et je grimace en sentant l'air saturé par les rejets des pots d'échappement. Paris n'est décidément pas une ville où j'aimerais vivre. L'ascenseur, une vieille cage métallique extrêmement fine au milieu d'un escalier au bois craquant, ne nous inspire pas confiance, alors nous gravissons les 7 étages à pieds. C'est bon de se dégourdir les jambes après avoir passé la moitié de la nuit dans la voiture.

Je presse mon doigt sur la vieille sonnette ronde, et l'attente commence. Personne ne vient. Je me tourne vers Martin, qui hausse les épaules. Ils doivent être là, normalement. Je ne vois pas pourquoi ils n'auraient pas dit la vérité au téléphone, je leur fais confiance comme ils me font confiance. Alors que nous nous apprêtons à repartir, la porte s'ouvre et je ne retiens pas mon cri de joie en voyant apparaître les deux têtes blondes dans l'embrasure de la porte. Le sourire éclatant de Tom quand il nous reconnaît me renvoie six ans en arrière, quand je leur ai dit au revoir à tous les trois pour ce qu'il me semblait être la dernière fois. Mais me voilà, devant chez eux.

- Les 4 Fantastiques sont à nouveau réunis ... chuchote le blond.

Je hoche la tête sans réussir à prononcer un mot, sur le point de fondre en larmes. Je ne m'en étais pas rendu compte avant, car j'avais décidé de l'ignorer, mais ils m'ont terriblement manqué. Au collège et au lycée, nous étions inséparables, connus de tout l'établissement par le surnom des 4 Fantastiques, qu'un surveillant avait fini par nous attribuer, tant nous avions le don de nous impliquer dans les emmerdes en tous genres. A un moment où rien n'allait dans ma vie, ils étaient là, et ils ont été les piliers qui m'ont permis de me relever et de devenir celui que je suis aujourd'hui. J'aurais été capable de bien pire que du simple trafic de drogue s'ils n'avaient pas été là pour moi, et un frisson me parcourt rien que d'y penser.

Je les suis à l'intérieur, regardant chaque détail, chaque élément qui pourrait m'en apprendre plus sur leur vie depuis ce fameux soir d'été. De nombreuses photos ornent les murs, où ils sont tous les deux dans les jardins de Paris, à la gare de Limoges, dans un café ...

- Steph continue les combats. M'annonce Tom.

Je me fige. Nous ne sommes plus que tous les deux dans le couloir, et j'entends vaguement mes deux amis discuter depuis le salon. Ce n'est pas pour rien que le blond a attendu que nous soyons seuls pour en parler.

- Quel genre de combats ?

- Des combats clandestins, violents et illégaux.

Je perçois une certaine crainte dans son chuchotement, et j'essaie de lui adresser un sourire rassurant. Stéphanie a toujours été la plus violente et la plus combattive du groupe. Elle a le combat dans le sang, mais elle n'a jamais fait ça dans les règles, encadrée par un club ou quoi que ce soit. J'espérais que tous les trois auraient repris une vie normale après toutes ces années et surtout l'arrestation du big boss, mais je me suis trompé. J'aurais dû me douter que la blonde n'allait pas laisser tomber tout ça, tout ce qu'elle aime ...

- Elle est montée à Paris pour ça, elle gagne gros mais ... Quand je l'ai rejointe, elle a promis d'arrêter, mais parfois elle disparaissait pour la soirée, je me disais qu'elle allait voir des amis. Mais un jour elle est revenue du premier combat qu'elle a perdu, et elle était dans un état ...

La voix de mon ami se brise et je l'encourage d'un regard à continuer. Je vais l'aider, pour lui, pour elle, pour nous quatre.

- Elle ne s'est pas levée du canapé pendant une semaine, je m'en suis occupé, mais après ça ... Elle a commencé à partir de plus en plus fréquemment, et maintenant c'est ... deux fois par semaine qu'elle y va ...

- Deux fois par semaine ? je m'exclame bien trop fort à mon goût.

Je vérifie qu'ils n'ont rien entendu, tout comme Tom, puis il soupire doucement et finit par me dire tout bas :

- Je m'inquiète pour elle ... Même si elle est la meilleure, les petits de 16 ans ont moins de mal qu'elle à récupérer des combats, elle se surestime je pense ... J'ai peur que tout ça finisse mal, chaque défaite elle revient un peu plus amochée, et je crains que la prochaine défaite ne soit sa dernière ...

Il m'adresse un regard plein de larmes et je le prends dans mes bras, en lui faisant cette promesse :

- Après toute cette histoire, on se posera tous les quatre dans un endroit tranquille, on aura tous un métier sans risque, et on sera tous là pour veiller sur les autres. D'accord ?

Il hoche la tête en souriant, et essuie ses yeux humides du revers de la main avant de partir dans le salon rejoindre les deux autres. Je le suis en réfléchissant au meilleur moyen d'aborder le sujet.

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