Chapitre 14
Héroïsme (n.m.) :Sentiment de courage lié à une envie de rendre justice, parfois illusoire.
Martin arrive et son sourire s'évanouit en nous voyant au fond de la salle. Il me demande sans bruit ce qu'Alessio fait là mais j'attends qu'il s'assoie pour commencer à expliquer la situation.
- Martin, on a besoin de ton aide.
- Tu sais que j'ai coupé tout contact avec eux, non ?
- Pas avec tous, je dis en secouant la tête.
Il me regarde sans comprendre, puis l'illumination vient et il murmure :
- Tom et Stéphanie ...
- Exact.
Je sens le regard d'Alessio aller et venir entre mon meilleur ami et moi, mais il n'est pas encore le temps des explications.
- Qu'est-ce que tu attends de moi exactement, Nat' ?
- Utiliser tes capacités pour la bonne cause.
- C'était la bonne cause avant aussi, je te rappelle. C'est pas pour autant que tu n'as pas été envoyé en maison de redressement et que Big A n'a pas fini en taule.
- On a grandi, et j'ai appris à discerner les bonnes causes et les fausses bonnes causes.
- Je suis ravi de te l'entendre dire.
- Une minute, nous interrompt Alessio. C'est bien beau tout ça, mais je pense que si tu explicitais un peu plus ta « bonne cause », on serait plus à même d'en juger par nous-même.
Je soupire et m'apprête à leur expliquer toute l'histoire quand une serveuse vient prendre notre commande. Une fois enfin seuls, je prends une grande inspiration avant de commencer :
- Avant de ... Pousser Alessio par la fenêtre, Elisa a révélé quelque chose qui m'a vraiment fait cogiter ces dernières semaines.
Je surveille en même temps de parler l'état d'Alessio du coin de l'œil, et je suis rassurée de voir qu'il n'a pas mal réagi. Je continue donc, la voix un peu plus assurée.
- Elle a avoué avoir contacté une ... organisation pour commettre le meurtre de tes parents ... Et ce n'est pas une petite organisation, puisqu'elle a quand même sacrifié une voiture guidée à distance pour deux simples particuliers, à la demande d'une seule cliente. L'affaire n'est pas banale, et je pense qu'on est tous d'accord pour dire que cette organisation doit être découverte et démantelée avec l'aide de la police.
- Arrête de jouer les héros, Nat'. Tu te souviens notre premier boulot ensemble ? On se prenait pour des héros, invincibles, parce qu'on nous avait confié une mission importante. Et depuis ce jour-là, tu te crois toujours invincible. Je t'adore, mais tu peux te montrer borné parfois. Oui, beaucoup de choses t'ont réussies, personne de la bande n'est venu t'embêter, t'as eu le job de tes rêves, les filles tombent comme des mouches à tes pieds. Mais tout ne peut pas éternellement réussir. Alors ne vas pas jouer au héros dans une affaire où c'est perdu d'avance. Et surtout, n'entraîne pas des personnes qui n'ont rien demandé dedans.
Il me jette un regard entendu et se lève sans un mot. Il dit tout bas juste avant de partir :
- Pour info, Elisa Letray est venue nous voir avant de contacter l'organisation, mais Big A a refusé, il ne voulait pas tremper dans du meurtre. C'est quelqu'un d'autre de la bande qui lui a donné le contact, mais je ne veux pas te dire qui. Avec un peu de chance tu finiras en prison après avoir été aperçu avec eux, au moins tu seras en sécurité.
Il s'en va, bientôt suivi par Alessio. La serveuse revient avec les trois cafés et je dois lui expliquer que je serais le seul à consommer le mien, et je dois finalement payer pour les trois. Je sors du café en soupirant, le cœur serré. Je n'imaginais pas la scène se dérouler aussi mal. Je prends le chemin de la maison de mes parents, ne voulant pas dormir chez Alessio ce soir. Mes pas résonnant sur le goudron rythment mes pensées, et je finis bientôt par me laisser tomber sur l'herbe au bord de la chaussée, les larmes dévalant mon visage. Peut-être que j'aime jouer les héros, comme il dit. Mais je ne peux pas les laisser détruire la vie des autres. Pas sans avoir essayé de les arrêter. Personne ne nous a aidés, quand mes parents n'allaient pas bien. Et c'est la pire période de ma vie, alors je ne souhaite à personne de vivre ça, même pas à des inconnus.
- Je ne peux pas rester là sans rien faire ! je m'écrie à travers mes larmes en envoyant mon poing dans un mur.
Je retiens un cri de douleur et passe mes doigts tremblants sur les plaies que je viens de me faire. Tout mon corps est secoué de sanglots, et je ne sais plus quoi faire. J'ai l'impression de sentir mon cœur se déchirer lentement entre toutes les parties de ma vie, entre mes principes et envies et mes amis. J'ai le choix entre perdre Alessio, Martin, Gaëtan et Marine sûrement pour la vie ou vivre pour toujours avec eux avec le remords de ne rien faire contre cette organisation dont personne n'a entendu parler. Car personne à part moi n'en a entendu parler sans y trouver un intérêt quelconque, je suis le seul à pouvoir les arrêter. Le bruit d'un moteur me fait lever la tête et je vois ma sœur sortir de sa voiture et venir me voir en courant. Ses bras chaleureux m'entourent alors qu'elle murmure des paroles réconfortantes que je n'entends même pas. Elle est là pour moi. Mais je risque de la perdre aussi. Elle me fait monter dans sa voiture et ne s'arrête qu'au bas d'un immeuble que je reconnais être le sien. Elle ne veut pas que nos parents me voient comme ça et s'inquiètent, et je lui en suis éternellement reconnaissante. Elle m'amène dans son petit appartement et me fait asseoir sur le canapé avec une couverture malgré la chaleur dehors. Je finis par m'endormir, l'esprit embrouillé.
Une odeur de Pancakes me réveille et je mets un moment à réaliser où je suis, et surtout l'état dans lequel j'étais avant d'arriver ici. J'arrive dans la cuisine où ma sœur fredonne un air que j'ai dû entendre malgré moi à la radio, et elle se tourne vers moi avec un grand sourire :
- Alors, petit frère, qu'est-ce qui t'a mis dans cet état ? Tu t'es pris un râteau ?
Je lui envoie gentiment mon poing dans son épaule alors qu'elle éclate de rire, fière d'elle. Puis je réalise que quelque chose ne va pas.
- Lisa, comment tu savais où j'étais ?
- Martin m'a appelé. Tu n'es pas rentré là où tu devais être, il s'est inquiété et m'a appelé en m'expliquant que tu serais sûrement en chemin pour rentrer chez papa et maman, puisque tu n'avais pas les clefs de ton appart.
- Depuis quand Martin a ton numéro ?
- Depuis que tu t'es fait prendre par les policiers, Nat'. Je lui ai fait promettre de veiller sur toi et de t'empêcher de refaire une autre connerie.
J'encaisse la nouvelle. J'ai toujours cru que ma sœur et mon meilleur ami ne s'étaient jamais parlés, mais je découvre qu'ils l'ont fait dans mon dos, et qu'ils ont enregistré leurs numéros respectifs.
- J'ai ...
Elle se fait couper au milieu de sa phrase par son portable qui se met à sonner sur la table de bois. Martin. Elle décroche et met le haut-parleur, même si je n'ai pas prévu de dire un seul mot.
- Elisabeth.
La voix de mon meilleur ami est aiguë, reflétant une certaine panique. Tout de suite je sens mon estomac se tordre douloureusement mais je l'ignore du mieux que je peux, énumérant tout ce qui aurait pu lui arriver, à lui ou même à Alessio.
- On a un souci, j'ai besoin que tu viennes avec Nat'. Même s'il ne veut pas. Dis-lui que Gina est là, et il comprendra.
Le regard sombre de ma sœur se pose sur moi alors que j'arrête de respirer. Qu'est-ce que Gina fait à la villa ? Et pourquoi tout cela n'arrive uniquement quand je ne suis pas avec Alessio ? Il a vraiment un don pour s'attirer les problèmes. Je sors de la cuisine en furie, alors que la jeune femme me rappelle. J'enfile ma veste, prends les clefs de sa voiture posées sur le meuble dans l'entrée et je descends les marches en courant. J'arrive dans la petite voiture rouge, je mets le contact et je m'apprête à démarrer quand elle ouvre la porte, essoufflée et visiblement énervée.
- Tu ne partiras pas sans moi. C'est moi que Martin a appelée, pas toi, donc il compte visiblement sur moi pour te freiner.
- Me freiner de quoi ? je hurle. Je sais très bien me contrôler, je n'ai pas besoin de quelqu'un pour me chaperonner dès que je fais quelque chose !
- Permets-moi d'en douter. Me dit-elle en me jetant un regard circonspect.
Je ravale une insulte et me concentre sur la route, énervé au possible contre une voiture trop lente devant moi. Une berline noire aux vitres teintées est garée devant la maison blanche quand nous y arrivons et je me précipite à l'intérieur, tremblant d'appréhension. Que s'est-il passé ?
Je ne peux retenir un soupir de soulagement quand j'entends une discussion tout à fait calme et paisible venir du salon. Quand j'entre, toutes les têtes se tournent vers moi puis vers ma sœur qui arrive juste derrière. Martin est là, légèrement devant Alessio, comme s'il voulait le protéger de Gina, qui leur fait face. La lueur d'espoir qui illumine les yeux du pianiste quand il me voit me donne du courage et j'interpelle directement Gina :
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Vraiment très mal éduqué, Elisa avait raison.
- Pourquoi tu connais Elisa ? je demande en voyant Alessio se tendre du coin de l'œil.
- Nous travaillons ensemble. Il n'y a pas de crime à discuter d'autre chose que du travail ?
- Elisa n'a travaillé qu'avec Victor et moi. Intervient Alessio la voix tendue. Elle ne peut pas travailler avec toi.
- Elle ne t'a pas tout dit, petit frère.
- Tu n'es pas ma sœur ! s'écrie alors le brun, nous faisant tous sursauter. Ma sœur est morte il y a presque 20 ans maintenant, tu ne peux pas être ma sœur !
- Et pourtant si. Gina Barese, née le 26 mars 2000 au centre hospitalier Lyon Sud, fille de Julio Barese et Elise Barese, Baron de son nom de jeune fille. J'ai un frère, toi, et une cousine que tu connais bien, Manon.
- C'est impossible ! Tu es morte !
Je passe un bras autour de l'épaule du pianiste pour le soutenir sans lâcher une seule seconde la brune des yeux. Martin et Elisabeth se rapprochent de nous, comme s'ils nous protégeaient. Je raffermis ma prise sur l'épaule tremblante d'Alessio avant de demander à sa prétendue sœur :
- Qu'est-ce qui nous prouve ça ? Il te suffit d'avoir eu accès aux dossiers de l'hôpital pour le savoir. Alors donne-nous une preuve.
- Et ça, c'est du vent peut-être ? dit-elle d'un ton dédaigneux en nous brandissant une liasse.
Ce sont les résultats d'une analyse sanguine pour un test d'ADN, et les battements de mon cœur s'accélèrent alors que je vois le résultat marqué en bas de la dernière page. Gina et Alessio sont bien frères et sœurs, il n'y a pas de doute. Et les résultats ont été annoncés il y a deux mois, pour un test réalisé pas tant de temps que ça plus tôt. Il n'y a aucun doute possible, elle dit la vérité. Je lui rends la liasse d'un main tremblante, et elle reprend :
- Tout le monde se battrait pour avoir le si formidable Alessio Barese comme frère ! Ne serait-ce que pour obtenir un regard de sa part, Alessio le ténébreux, Alessio le mystérieux ! Mais pas moi !
Ma sœur s'approche de moi et pose sa main sur mon bras, comme pour m'empêcher de partir vers Gina et faire quelque chose que je regretterai ensuite. Je lui adresse un hochement de tête mais elle me chuchote, la mine sérieuse :
- Je ne serais pas là pour te couvrir les arrières une deuxième fois, Nat'. Alors avant de faire quoi que ce soit, pense aux parents, pense à tes amis, et réfléchis si c'est vraiment ce que tu veux, parce que je ne te protègerais pas de tout ce qu'il reste derrière toi une seconde fois.
Je ne lui réponds pas et reconcentre mon attention sur Gina qui commence à parler d'une façon bien moins maîtrisée qu'avant.
- Tout le monde serait si honoré de t'avoir comme frère ! Tout le monde aurait été si heureux d'être l'enfant d'Elise et de Julio Barese ! Quelle famille aimante, avec un talentueux pianiste comme père, une mère magnifique soutenant son enfant envers et contre tout !
J'attrape la main d'Alessio, sentant venir le danger alors que la voix de la jeune femme devient de plus en plus aiguë.
- Mais nos parents étaient des lâches ! Ils savaient que j'étais en vie, ils l'ont toujours su ! Mais ils n'ont rien fait, ils t'avaient donc à quoi bon se fatiguer pour une petite fille perdue alors que le fils, l'héritier mâle est là, avec un talent et une intelligence hors du commun ! Et toi, tu t'es affermi dans ton rôle de fils unique, accaparant toute l'attention de nos parents ! J'ai cru que les tuer suffirait à assouvir ma vengeance, j'étais si heureuse quand Elisa m'a contacté pour ce boulot ! Pourtant, ça n'a rien fait, je me sentais même plus triste qu'avant ! Et tu sais pourquoi, Alessio ?
Elle marque un temps d'arrêt et nous regarde tous les quatre avec un sourire diabolique. Tout s'enchaîne très rapidement, et en quelques secondes elle m'a expulsé du canapé avec un coup de pied et elle a réussi à nous écarter d'Alessio. Quand je relève les yeux vers elle, légèrement sonné, elle tient un pistolet contre la tempe du pianiste et déclare d'une voix effrayante :
- Tout simplement parce que c'est ta mort que je veux, Alessio.
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