Rien ne sert de courir




Encore une journée qui se termine et malheureusement, je l'ai passé seule à ressasser tout ce qui se passe dans ma vie sentimentale depuis quelques mois. J'ai besoin d'aller courir dans ce froid glacial pour me vider la tête. Rester seule n'est vraiment pas bon pour moi en ce moment. Si je n'ai pas une folle passion des salles de sport fermées où j'ai l'impression que tout le monde me regarde agiter mon postérieur sur le tapis de course, j'aime courir pour me vider l'esprit. C'est plus efficace que le cours auquel j'ai assisté la veille. Et aujourd'hui, j'ai du mal à faire le point sur ce qu'il se passe.

D'un côté, il y a Ethan, jeune directeur marketing, beau, amusant, sensible aux petits détails, et très pris par son travail. Très, très pris par son travail. De l'autre il y a Drew, sexy dans son uniforme de flic, très doué au lit, qui me fait tourner la tête quand il m'embrasse et réveille les papillons dans mon ventre rien qu'en me parlant au téléphone.

Ah ! cette conversation téléphonique. Je n'en ai jamais eu une aussi passionnante. Pas même avec Ethan. Mais ça ne s'est pas reproduit depuis la dernière fois. J'ai bien eu un message vendredi pour me demander si j'étais libre pour un café le lendemain, malheureusement je devais travailler. Et à l'heure où je devais terminer mon service, c'est lui qui devait prendre le sien. Je n'ai pas eu de nouvelles depuis. Sauf hier où il s'est montré très étrange sur la fin. Franchement, je n'y comprends rien. Je ne suis peut-être vraiment pas faite pour avoir une vraie relation avec un homme. Ce que nous avions avec Drew au chalet était très bien, jusqu'à ce qu'il disjoncte. Je n'ai peut-être pas besoin d'autre chose que ça. Rien de sérieux.

Vêtue de mon nouveau pantalon beaucoup plus moulant qu'il n'en avait l'air sur le cintre, un t-shirt à manches longues sous une veste et mes baskets, je dévale les escaliers de mon immeuble pour me diriger vers le centre. Le parc est assez sympa pour courir mais pendant les vacances, qui viennent de commencer, il est envahi par les enfants qui courent dans tous les sens, suivis de près ou de loin par leurs parents qui essayent de les rattraper parmi les bataille de boules de neige. Alors je préfère me contenter des trottoirs des six pâtés de maisons qui longent un coté du parc.

Je passe devant le poste de police et continue encore un peu avant de bifurquer pour entamer ma vraie course. J'accélère un peu le rythme, augmente le volume de mes écouteurs et commence à faire de plus en plus de nuages de vapeur en expirant. Je ne sentirais sans doute plus aucune partie de mon visage quand je rentrerais chez moi. Le froid est bien installé et ne va pas repartir tout de suite.

A l'angle du premier pâté de maison, je replonge dans mes pensées. Elles se dirigent invariablement vers Drew ces dernières semaines. Ethan les occupe de moins en moins et je me demande si je ne devrais pas lui dire définitivement au revoir. Il m'a fait livrer une boite de chocolat la semaine dernière parce qu'il ne pouvait pas venir au rendez-vous qu'il m'avait donné le dimanche. Il avait tout de même annulé depuis le jeudi, je m'en étais remise assez vite. A vrai dire, dix minutes plus tard, je me suis demandée quel gâteau je pourrais faire pour passer le temps. Finalement, j'ai opté pour un livre, que j'ai dévoré en un après-midi. Et puis j'ai pensé à Drew. Alors j'ai regardé des émissions de cuisine. Je crois qu'il faut que je trouve un autre remède que la nourriture pour me consoler. Mes quelques heures de course par semaine ne m'aideront pas à tenir la cadence si je continue à ce rythme. Mais il faut bien que je trouve une solution.

Je n'avais pourtant pas envie d'avoir une relation. Avec qui que ce soit. Je dois quand même avouer que si Drew n'avait pas craqué je pense que c'est moi qui l'aurais fait. Peut-être pas tout de suite. Mais sans doute quand nous serions revenus. En retournant à nos vies normales. Je n'avais pas réalisé à quel point ce petit jeu était devenu bien plus, très vitre. Même trop vite. C'est presque insensé quand on y pense.

Je tourne pour prendre la rue perpendiculaire, amorçant le début de mon retour, et soudain, une main se pose sur mon épaule. Prise de panique, je fais un bon sur le côté et lance mon bras en arrière, envoyant un coup de coude dans ce qui vient de m'attraper. Mes écouteurs tombent de mes oreilles et j'entends un grognement sourd avant de voir des mains emprisonner mes poignets.

— Tess.

J'arrête de me débattre au moment où je reconnais sa voix. Le souffle court, j'essaye de l'apercevoir entre les nuages de vapeur qui s'échappent de ma bouche.

— Drew ?

Je croise son regard sous son bonnet noir mais ne vois pas le bas de son visage, caché derrière son châle. Mais des yeux aussi verts ne peuvent appartenir qu'à une seule personne.

— Oh, je suis désolée. Je t'ai fait mal ?

Il me relâche et pose une main sur ses côtes.

— Nan, ça va.

Alors je le frappe à nouveau.

— Hé !

— Tu m'as fait peur ! Espèce d'idiot !

Et je le frappe encore une fois du plat de la main. Je doute que ça lui fasse mal, mais c'est pour le principe. Il m'attrape le poignet et le garde contre son torse.

— J'ai bien essayé de t'appeler mais tu n'entendais pas.

Je baisse les yeux vers mes écouteurs qui tombent presque parterre. Sans lui répondre, je les récupère et coupe la musique.

— En tout cas, tu as bien retenue la leçon pour te défendre.

Il se frotte à nouveau les côtes et je lui adresse un sourire malicieux.

— Je croyais que je ne t'avais pas fait mal ?

Il grogne et j'aperçois un sourire qui dépasse de la laine autour de son cou. En le regardant d'un peu plus loin, je m'aperçois qu'il est en tenu de sport.

— Tu courais ?

— Ce n'est pas en marchant que je t'ai rattrapé, ça c'est évident.

— Non, je veux dire, avant de me voir, je précise en indiquant sa tenue du plat de la main.

Il baisse les yeux, puis regarde ma tenue, avant de revenir à mon visage.

— Ouais. Je cours quand je n'ai pas envie d'aller à la salle de sport.

— C'est bon à savoir.

Il penche la tête en attendant que je m'explique. Je ne sais même pas ce que je veux dire par là.

— C'est bien que... tu fasses du sport... pour entretenir ton corps... enfin, parce que tu es policier... donc tu dois être en forme. Pour attraper les méchants.

Il lève un sourcil, retenant visiblement un éclat de rire.

— Attraper les méchants ?

Un rire nerveux m'échappe.

— Ou attaquer les filles qui courent.

Il lève les mains comme si je le pointais avec une arme mais je vois son sourire derrière son châle.

— Ok, on va en rester là. Si tu t'es remise de tes émotions, on peut courir ensemble. Je te promets que je ne vais plus t'attaquer.

Je fais semblant d'y réfléchir et ses yeux se font suppliants. Comment y résister ? Il semble de meilleure humeur que hier soir.

— D'accord.

Nous nous remettons à courir, je reprends très vite le même rythme et évidemment, Drew n'a aucun mal à me suivre. Il ne dit rien pendant que nous courons, me suit quand je change de direction pour entamer l'autre moitié de ma boucle et accélère même de temps à autre pour passer devant moi jusqu'à ce que je le rattrape. Ça en devient un jeu.

Il accélère.

Je le rattrape.

J'accélère.

Il me rattrape.

Il accélère et se tourne pour me lancer un regard de défis.

Je le rattrape et le dépasse.

Voyant que je ne ralentis pas cette fois, il accélère à son tour. J'augmente la cadence, mon appartement n'est plus très loin. Je fonce comme jamais, crachant presque mes poumons, mais ça me fait un bien fou. Je vais de plus en plus vite, me focalisant seulement sur la porte de mon appartement de plus en plus proche. J'entends Drew derrière moi, juste derrière. Il rit. Comment peut-il avoir la force de courir à cette vitesse et rire en même temps ? Je ne me laisse pas impressionnée pour autant, il est toujours derrière moi. J'accélère encore et manque de percuter la porte, m'arrêtant juste avant. Je l'ai fait ! Je l'ai battu ! Je suis totalement morte, incapable de bouger le moindre muscle, mais je l'ai fait !

Je m'adosse au mur, essoufflée, en sueur, le vent glacial me giflant les joues. Drew est tout aussi essoufflé, ça me rassure. Il marche devant moi, de droite à gauche, les mains sur les hanches, alors que je ne suis même pas certaine de pouvoir monter jusqu'à ma porte. Courbée, les mains sur les genoux, j'essaye de retrouver mon souffle.

— J'avoue, tu es très rapide.

— Plus... que toi ? je demande dans une lamentable tentative de le taquiner, mais je suis tellement essoufflée que ma voix monte immédiatement dans les aiguës.

Il se plante devant moi.

— Presque.

— Je t'ai battu, j'affirme en me redressant.

— Je t'ai laissé gagner, il réplique en haussant les épaules.

Je le regarde dans les yeux, essayant de savoir s'il dit la vérité. Pourquoi m'aurait-il laissé gagner?

— Tu mens.

Il sourit, je regrette de n'en voir que la moitié.

— Je t'ai laissé gagner, Bébé.

Les papillons se réveillent mais je décide de ne pas souligner ce petit surnom. Il évoque bien trop de moments auxquelles je ne dois pas penser maintenant. Mais c'est déjà trop tard. Mon corps me trahis, je sens mes joues chauffer. Redressant le menton, je pose mes mains sur mes hanches.

— Prouve-le, je le défis.

Il s'approche, juste à quelques centimètres de moi. Je suis toujours un peu essoufflée alors que lui respire parfaitement normalement comme si nous venions juste de marcher.

— Tu n'arrives même pas à reprendre ton souffle, il dit d'une voix qui fait trembler mes genoux.

Il ne sait pas que c'est en partie à cause de la proximité de son corps que je n'y arrive pas. Il pose ses mains de chaque côté de mon visage et ma respiration s'arrête carrément pendant quelques secondes.

— Ça ne prouve rien, j'arrive à articuler.

Il tire sur son châle pour dégager le bas de son visage et sourit. Mes genoux vont lâcher.

— Très bien.

Je n'ai pas le temps de comprendre pourquoi il dit ça, je me retrouve la tête à l'envers avant d'avoir le temps de crier. Ça devient une habitude.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Je me tiens à ses hanches pour me stabiliser, perchée sur son épaule.

— Je te prouve que je t'ai laissé gagner. Donne-moi tes clés.

Qu'est-ce qu'il compte faire ?

— Non.

— Si tu ne me les donnes pas, on ne peut pas rentrer.

— Alors repose-moi.

Il grogne et je sens sa main explorer une poche de ma veste. Il n'y trouve rien. Il la ressort et tapote mes fesses, il les caresse même, comme pour y chercher mes clés alors qu'il n'y a même pas de poches.

— Hé ! Bas les pattes.

Il glousse et passe à l'autre poche de ma veste pour en sortir mes clés.

— Je les ai.

Je l'entends essayer plusieurs fois avant de trouver la bonne, mais il finit par ouvrir la porte.

— En quoi me porter sur ton épaule prouve que tu m'as laissé gagner ?

— Parce que j'ai encore la force de te porter jusqu'à chez toi.

Il tapote mes fesses tout en parlant alors je réplique. Il faut dire que j'ai une belle vue directe sur son postérieur. Son pantalon est plus moulant que celui qu'il portait hier. Il rit et recommence un peu plus fort. Je sens encore sa main sur mes fesses quelques secondes après. Je fais de même sur les siennes.

— Ça devient intéressant, il commente avant de frapper un peu plus fort.

Je glapie et réplique, espérant qu'il va s'arrêter là. Je l'entends grogner et cette fois il caresse mes fesses avant que nous n'arrivions à la porte de mon appartement. Mon estomac se met à danser et mon pouls s'accélère.

— Tu ne réplique qu'à la violence ?

— Quoi ?

Ma voix n'est qu'un couinement. Il s'arrête devant ma porte et j'entends quelqu'un dire bonjour. Drew lui répond comme si de rien n'était. Levant la tête, je vois l'un de mes voisins passer à côté de nous et m'adresser un clin d'oeil avant de continuer sa descente.

— Oh non, je gémis en me cachant derrière mes mains.

Drew ouvre la porte et entre. J'essaye de me souvenir de l'état de mon appartement et gémis de nouveau. Mes chaussures traînent dans l'entrée. Mes vêtements sont éparpillés dans le salon. Des sous-vêtements que je ne lave pas en machine sèchent devant le radiateur sous la fenêtre. Et tout est à sa vue.

— Je vais mourir, je me lamente dans mes mains.

— Quoi ?

Il me dépose en riant et me tiens jusqu'à ce que je retrouve l'équilibre. Le sang revient violemment vers le bas de mon corps, et collée contre lui, il revient un peu trop violemment dans le bas de mon ventre. Une main posée au bas de mon dos fait des petits cercles sur ma peau alors que l'autre dégage des cheveux de mon visage. Le sentir me caresser, même si c'est relativement chaste face à ce que nous avons déjà fait, rend mon corps moue comme de la guimauve. Je lutte pour ne pas fermer les yeux.

— C'est bon ?

Je lève les yeux vers lui et croise son regard vert sombre, comme à chaque fois qu'il s'apprêtait à me déshabiller. Je perçois le léger sourire au coin de ses lèvres, sa langue qui passe doucement sur la chair rose et douce qui a tant de fois touché et caressé la mienne. J'ai envie de les sentir à nouveau, de les goûter et les mordre parce que ça fait trop longtemps que je n'y ai pas eu droit. Mais je ne peux pas refouler ce léger remord qui me tord le ventre. Je ne dois pas succomber à cette facilité. Il ne veut pas juste du sexe une fois de temps en temps. Il veut être avec moi. Je n'ai pas le droit de faire ça sans en être certaine. Alors je récolte mes dernières forces pour m'écarter et détourner le regard.

— Je... hum...

— Tu me crois maintenant ?

Je relève les yeux. Sa voix n'est plus du tout vibrante comme avant, elle est plus légère.

— Quoi ?

— Je t'ai laissé gagner, cette fois.

Je n'en ai plus rien à faire, mais je lui répond quand même.

— Oh. Euh... oui, je te crois.

Il a un léger sourire, rien à voir avec de l'amusement. C'est plus dangereux. Comme un avertissement.

— Je ne le referait plus, il dit sans lâcher mon regard.

Je n'ai soudain plus l'impression qu'il parle de la course. Il fait un pas vers moi, réduisant l'espace que j'ai instauré.

— Aujourd'hui, c'était la dernière fois que je te laissais gagner, Tess.

Je reste figée, ne comprenant pas vraiment ce qu'il veut me dire. Il semble satisfait de son effet et décide de s'en aller. Sans un mot de plus.

— Drew ?

Il s'arrête à la porte. Je ne sais pas vraiment si je veux lui demander de rester. Ou lui demander de s'expliquer. Ou s'il va revenir. Devant ma confusion, il sourit et hoche la tête.

— A bientôt, Tess.

Je hoche la tête et il s'en va.

Que vient-il de se passer ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais je crois que les choses vont être différentes maintenant. Totalement différentes. Et je crois que ça me plait.

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