Révélation et cauchemar




Un poids pèse sur mon ventre et ma poitrine. Pas assez lourd pour me déranger, mais assez inattendu pour me surprendre. Ouvrant brusquement les yeux, je pose une main sur la masse de cheveux juste sous mon menton et la soirée précédente me revient à l'esprit. C'est Drew, il est avec moi, dans mon lit, il n'est pas parti en plein milieu de la nuit. Il semble que dans notre sommeil, nous avons changé de position. Je suis maintenant allongée sur le dos alors que sa tête repose sur ma poitrine et que ses bras enserrent ma taille. L'apaisement me gagne et une larme de joie roule sur ma joue. Cette nuit a été la plus paisible que j'ai eu en presque deux semaines. Aucune angoisse, pas de sueurs froides en pleine milieu de la nuit, pas de cauchemars, pas même un petit rêve étrange, juste une bonne et sereine nuit de sommeil. C'est presque extraordinaire.

Mes doigts s'aventurent dans les cheveux de Drew et mon autre main se glisse sous son t-shirt, caressant doucement sa peau. Je me demande si ce n'est pas un rêve pervers de mon esprit, si je ne suis pas simplement en train d'imaginer son corps chaud et réconfortant contre le mien. Si c'est le cas, je ne veux pas me réveiller, jamais. Mais le rêve éclate soudain quand mon réveil se met à sonner. Drew sursaute alors que je tends la main pour éteindre l'engin infernal qui brise le silence de ce moment merveilleux. Drew se redresse, l'air désorienté, et quand son regard croise le mien, il se fige et prend plusieurs secondes pour comprendre ce qui se passe. Il est si beau, le regard ensommeillé, le corps détendu, les cheveux qui partent dans tout les sens et cette petite joie dans le regard. Mais elle ne dure pas. Je vois précisément le moment où il comprend que ce n'est pas ici qu'il devait se réveiller. Le moment où tout le drame de ces derniers jours lui revient en mémoire, le moment où il ne me regarde plus avec amour, mais avec doute et déception. Son regard me glace et je n'ose même pas ouvrir la bouche, au risque que cela le fasse fuir plus vite.

L'air résigné, il se lève, descend du lit et récupère son jean. Il se rhabille sans un mot, sans même un regard de plus. L'apaisement disparaît et la détresse reprend sa place.

— Tu veux manger avant de partir ? Je te prépare quelque chose si tu veux.

Il secoue la tête sans me regarder, enfilant ses chaussures.

— Je dois travailler, je n'ai pas le temps.

Je ravale la boule dans ma gorge tout en priant pour trouver un moyen de le faire rester, ou de le revoir. Mais rien ne vient. J'ai juste envie de le supplier, me mettre à genoux et le supplier de ne jamais partir. Mais ce n'est pas ce qu'il veut. Ce n'est pas ce que je dois faire pour le convaincre que je ne le quitterais plus jamais.

Alors rassemblant mes forces, je sors de mon lit et l'accompagne jusqu'à la porte de l'appartement. Je le suis en retenant mes mains de le toucher, empêchant mes lèvres de l'embrasser, interdisant mon cœur de tambouriner aussi fort. Une fois devant la porte, il attend que je l'ouvre et se tourne vers moi. Ses lèvres s'écartent pour me dire quelque chose, mais elles se referment avant que le moindre son ne soit sorti de sa bouche.

— Je suis désolée, pour hier soir.

Je n'ai vraiment pas envie qu'il s'en aille. Je veux le garder ici, près de moi, encore un peu. Les lèvres pincées, il ne dit rien.

— Je t'en prie ne...

Il ne me laisse pas finir, attrapant mes poignets alors que je voulais le toucher.

— Non, Tess.

Un poignard s'enfonce tout droit dans mes côtes.

— Je ne peux pas. Pas encore. Je suis...

Il me lâche et passe ses mains dans ses cheveux.

— Je suis en colère contre toi, Tess, il reprend. Il s'est passé quelque chose à Detroit, et je t'en veux pour ce que tu as fais. J'ai besoin de t'en vouloir encore un peu. Même si...

Il soupire lourdement, lève le regard vers le plafond laissant tomber sa tête en arrière comme s'il cherchait un signe, une aide divine.

— Je comprends.

Je le vois fermer les yeux. Peut-être qu'il est soulagé.

— Je suis là si tu veux parler. Quand tu seras prêt.

Confus, il se frotte la nuque en me regardant silencieusement quelques secondes, puis sort de l'appartement. Il descend les escaliers sans un regard en arrière, me déchirant une nouvelle fois le cœur. Comment puis-je souffrir autant, comment un si petit organe peut-il vivre autant de choses ? Je me laisse glisser le long de la porte fermée, atterrissant sur mes fesses, et prends mon visage entre mes mains. J'ai mal, partout, mon corps tout entier est en souffrance, mais je tiendrais bon. Pour lui, pour lui laisser le temps de ne plus m'en vouloir, je vais tenir bon.

Je retourne travailler en sachant cette fois que je vais voir Kyle. Bien plus que de chercher des astuces pour récupérer son frère, je veux savoir comment il va. Comment s'est passé l'audition, comment il se sent. Qu'est-ce qui s'est passé à Detroit? Je n'ai pas osé lui écrire ou même l'appeler depuis le jour de l'audition, et je m'en veux. Il était tellement perturbé par tout ça avant d'y aller, j'aurais dû venir le voir plus tôt.

Dans le café, je le trouve derrière le comptoir à remplir le présentoir de gâteaux. Mon ventre gargouille en voyant toutes ces pâtisseries. Je n'ai pas réussi à avaler quoi que ce soit ce matin et j'étais trop déprimée, puis trop alcoolisée pour manger quelque chose hier. Je m'approche de Kyle, sur mes gardes. Il sait que les choses ne sont pas arrangées avec son frère, je ne sais pas dans quel état il est. Aurais-je droit au Kyle autoritaire qui veut que j'arrange les choses avec son frère ou au Kyle resté cet enfant blessé qui a pleuré sur mon épaule ?

— Bonjour, je souffle en attrapant un muffin au citron.

Il lève les yeux vers moi et sourit. C'est le Kyle bien dans sa peau qui attend la prochaine occasion de me taquiner. Je ne sais pas si je le préfère aux deux autres.

— Bonjour, belle-sœur.

Je fronce les sourcils, arrêtant ma main juste avant que le muffin n'atteigne mes lèvres.

— Quoi ?

Il termine de déposer les pâtisseries et se tourne vers moi.

— Tu es toujours ma belle-sœur, non ?

Il se laisse aller contre le comptoir, sûr de lui, m'adressant un regard de défi.

— Euh... oui.

Il hoche la tête, satisfait de ma réponse, puis il prend son carton et va le déposer à l'arrière. Il ne m'a jamais appelé comme ça, ni fait référence à cela avant, c'est plutôt surprenant. Est-ce qu'il cherche à me faire passer un message ?

Je grignote quelques morceaux du petit gâteau en le suivant. Je me change dans la salle de pause et termine mon gâteau en retournant dans la salle. Il n'y a presque personne, les quelques clients déjà présents sont servis ou attendent leur commande en préparation.

— Kyle ?

Il remplit une tasse de café et la dépose sur son plateau avant de se tourner vers moi.

— Comment tu vas ? je lui demande le plus sérieusement que je puisse.

Il hausse les épaules, sachant parfaitement de quoi je parle.

— Je ne pourrais pas vraiment répondre à cette question avant de connaitre la décision du juge.

Mon cœur se serre au ton blessé de sa voix. J'aimerais tellement pouvoir lui dire que ça ira, qu'il n'a pas à s'inquiéter.

— Comment ça s'est passé pour toi ?

Il soupire en déposant une seconde tasse sur son plateau.

— J'ai dit ce que j'avais à dire. J'ai eu l'impression d'avoir réussi à les convaincre, du moins en partie. Je ne doute pas qu'ils vont mettre mon témoignage en doute du fait de mon jeune âge à l'époque des faits.

— Tu parles comme un avocat, je lui dis avec un sourire pour le détendre.

Il renifle et récupère les assiettes que Frédéric a préparé.

— Si tu as besoin de parler, tu sais que je suis là, ok ?

Il hoche la tête

— Et... Est-ce qu'il s'est passé quelque chose d'autre là-bas?

Il se fige et je vois son visage perdre toute sa gaieté.

— Drew t'a dis quelque chose?

— Juste... non, rien. Il m'a juste dit qu'il s'est passé quelque chose.

— Notre... père, Matthew, a dit que je ne suis pas son fils. Il pense que ma mère l'a trompé.

— Mon Dieu, je souffle en portant une main à ma bouche.

— Est-ce que c'est vrai ? Je veux dire... ça n'a aucune importance maintenant mais si c'est vrai alors tu as un autre père... quelque part.

Les lèvres pincés, il se tourne vers moi et son regard devient flou une fraction de seconde avant qu'il ne se reprenne.

— Drew et moi sommes allés faire un test avant de revenir de Detroit, pour voir si nous avons le même père. On attend les résultats. Mais peu importe, Drew reste mon frère et c'est la seule personne que j'ai maintenant.

— Je suis désolée, Kyle. Tu as dû être bouleversé.

Il hausse une épaule et m'adresse un léger sourire.

— Je gère.

Il le prend étrangement bien. Ou alors il fait semblant et dans ce cas je devrais lui demander des cours parce qu'il joue beaucoup mieux la comédie que moi. Tapotant son épaule, je dépose un baiser sur sa joue et il s'en va servir des clients.

Jenna s'approche de moi, le sourire aux lèvres. Je vois bien qu'elle est inquiète, elle se demande sans doute si je vais être aussi déprimée que hier, alors je lui adresse un sourire en retour pour la rassurer. D'une certaine façon, même si je n'ai pas vraiment pu parler avec Drew, j'ai l'impression que les choses ont avancées. Et une bonne nuit de sommeil a permis à mon visage de retrouver un peu de couleur. Le gris déprimant s'en est allé. Pour de bon j'espère. Jenna semble rassurée et me tapote l'épaule en passant à côté de moi avant de retourner en cuisine.

Après le rush du déjeuner, j'aide Kyle à débarrasser les tables pendant que Sarah range le comptoir. Je ne manque pas les petits regards que les deux adolescents s'échangent. J'ai l'impression que notre sortie au match de hockey les a aidés dans leur petit jeu de séduction. Je songe quelques secondes à faire ça avec Drew, le séduire à nouveau, mais il ne me faut pas longtemps pour comprendre que ça ne fonctionnera pas. Il est toujours amoureux de moi, je le sais, sinon il n'aurait pas réagi de cette façon. Ce qu'il veut, c'est être certain que je ne partirais pas, que je ne vais plus abandonner parce que j'ai peur. Je dois lui montrer que je n'ai plus peur et pour cela il faut que je m'en persuade moi-même.

— Les choses ont l'air d'aller bien entre vous, je dis à Kyle alors que nous débarrassons les tables du fond.

Il cherche Sarah du regard et sourit en la voyant.

— Plutôt bien, oui. Je l'emmène au cinéma ce soir.

— Bien joué, je lui dis en lui tendant la main.

Après avoir légèrement rougit et levé les yeux au ciel, il me tape dans la main.

— Et entre toi et mon frère ? Il n'a pas dormi à l'appartement hier soir.

Il agite un sourcil mais je secoue la tête.

— Ce n'est pas vraiment en bonne voie. Pas autant que vous en tout cas.

— Vous êtes mariés, c'est plus en bonne voie que ça ne pourra jamais l'être.

Je soupire et soulève mon plateau.

— Pourquoi tout le monde ne cesse de me le rappeler ? Oui, nous sommes mariés, mais ça n'aide en rien. Il m'en veut et je le comprends, je m'en veux à moi-même.

Il renifle et me suit.

— Ça change beaucoup de choses, au contraire. Ça veut dire que vous ne pouvez pas vous quitter comme ça. Vous êtes obligés d'y réfléchir à deux fois avant de divorcer. Ce n'est pas quelque chose qui se fait à la légère.

— Etant donné l'état dans lequel j'étais à notre mariage, il serait facile de l'annuler, je marmonne.

— C'est ce que tu souhaites ?

Il me fait face maintenant, nous sommes séparés uniquement par le comptoir. Ses yeux aussi verts que ceux de son frère, plongent dans mon regard.

— Non, ce n'est pas du tout ce que je veux. Pas du tout.

Il tapote des mains sur le comptoir.

— Alors il serait temps que tu acceptes ce mariage, belle-sœur.

Je lui lance un torchon à la figure. Il le rattrape et me tire la langue avant de retourner débarrasser des tables.

Tout en rangeant, je songe à ce qu'il vient de me dire. Je dois accepter ce mariage. Je pense l'avoir fait... je l'ai fait ! Je suis mariée à Drew. Il est mon mari et je suis sa femme. Il n'y a plus d'échappatoires et nous n'en avons pas besoin. Nous sommes liés jusqu'à la mort. C'est mon âme sœur, je le sais, je ne peux pas vivre sans lui, je suis même incapable de dormir sans lui. Je le sais maintenant, ce mariage était la meilleure chose qui puisse m'arriver. Je sais ce qu'il me reste à faire pour le convaincre que je ne partirais plus, qu'il n'a plus à avoir peur que je le laisse encore une fois.

Retournant dans la salle de pause, j'attrape mon téléphone qui sonne dans mon sac. C'est un numéro que je ne connais pas.

— Allo ?

— Madame Jacobs ? demande la voix sans aucune émotion d'une femme.

— Oui ?

— Votre mari vient d'être admis à l'hôpital Granson, pourriez-vous venir ?

Mes jambes se dérobent sous moi et je m'affale sur une chaise. Tout mon sang vient de quitter mon visage et un air froid me glace soudain.

— L'hôpital ? je répète en sentant mon cœur se serrer.

— Nous vous donnerons plus d'explications une fois que vous serez sur place.

Entendant un verre tomber et se briser dans la salle, je songe à Kyle et me demande s'il vient aussi d'avoir un appel.

— Je viens tout de suite.

Je me lève et retire mon tablier avant de me précipiter dans la salle. Kyle rit avec Sarah alors qu'ils ramassent les débris de verre. Il ne sait rien. Dois-je le lui dire ? Je ferais peut-être mieux de savoir ce qu'il se passe vraiment d'abord. Pourquoi ne l'ont-ils pas appelé lui en premier ? C'est peut-être mieux ainsi, il n'a pas besoin d'un drame inutile.

— Tess ? Tu trembles comme une feuille.

Je me tourne vers Jenna dont le visage se peint d'inquiétude.

— Qu'est-ce qui se passe ? elle insiste en saisissant mes épaules.

Je réalise alors que je pleure.

— Tess ?

Kyle s'approche, il ne rit plus du tout. Je dois lui dire.

— Drew est à l'hôpital, je souffle.

Son visage devient blême, la panique traverse rapidement son regard mais ne reste pas.

— Oh non, fait Jenna en inspirant brusquement, posant une main sur sa bouche.

Elle nous regarde à tour de rôle, alors que Sarah reste immobile et silencieuse.

— On va se débrouiller, nous rassure Jenna. Allez le voir.

— Allons-y, déclare Kyle en courant à la salle de pause pour récupérer ses affaires.

Quand il revient, il saisit mon bras et me guide dehors jusqu'à sa voiture. Je suis bien contente qu'il en ait une et qu'il soit capable de conduire, je n'aurais pas pu attendre un taxi.

— Ils t'ont dit quelque chose de plus ? il me demande d'un ton bien trop calme.

— Ils ont dit qu'ils me donneront plus de précisions une fois à l'hôpital.

Kyle hoche la tête, parfaitement concentré sur la route.

Il faut vingt-six minutes pour aller du café à l'hôpital. Les vingt-six plus longues minutes de ma vie. Kyle a même fini par tenir ma main tout en conduisant. C'est moi qui devrais le réconforter, c'est son frère.

— Tu n'as pas peur ? je lui demande d'une voix tremblante.

— Si. J'ai la trouille. Mais ça va aller. Drew est un dure à cuir. Il ira bien, Tess.

Je me dis que ce garçon a déjà vu tellement d'horreur dans sa vie qu'il s'est forgé une carapace comme moi. Ou plutôt comme moi avant que je ne rencontre Drew et lui donne tout ce que j'ai. Mon cœur, mon corps et mon âme. Kyle enchaîne les coups dure mais ne flanche pas. C'est un roc. Il m'impressionne.

Nous arrivons à l'hôpital et je bondis hors de la voiture pour me précipiter à l'accueil. Je n'ai même pas attendu que Kyle se soit garé.

— Je viens voir Drew Jacobs, il vient d'être admis, je dis à la femme derrière le bureau.

— Puis-je savoir qui vous êtes ? elle demande calmement en consultant son ordinateur.

Je tends ma main devant elle en répondant.

— Sa femme, je suis sa femme.

— Et je suis son frère, ajoute Kyle en arrivant à son tour en courant.

L'infirmière hoche la tête puis nous sourit.

— Une infirmière s'occupe de lui. Il est dans la salle 4.

Je me précipite dans le sens que l'infirmière indique du doigt et repère la salle 4. Kyle est juste derrière moi quand j'arrive devant la porte et me fige. Tremblante, j'entre sans frapper, le cœur battant à tout rompre. Durant les vingt-six minutes qui m'ont conduite ici, je l'ai imaginé en sang, allongé sur un lit, inerte, branché à des machines qui le maintiennent en vie. Je me suis imaginé le pire en me disant que la réalité ferait moins mal. Mais je ne m'attendais pas à ça.

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