Les Jacobs
Jenna a demandé à Sarah de s'occuper de Kyle, pour le former. Lui montrer comment les machines fonctionnent, comment s'organiser, comment travailler efficacement. Je prends un malin plaisir à les regarder se tourner autour. C'est évident, Sarah en pince pour Kyle, et le voir user de son charme rend les choses assez comiques. Sarah est totalement déstabilisée. Elle n'a jamais été aussi maladroite. Son sourire se fane à mesure que les heures passent. Kyle n'aide pas vraiment. Je dois avouer qu'il est attentif, il apprend vite et est efficace. Mais dès qu'il s'approche de Sarah, rien ne va plus. Je peux presque la voir trembler. Et lui a l'air de s'en réjouir. Je ne sais pas s'il partage les mêmes sentiments qu'elle, mais si c'est le cas, il va falloir qu'ils se mettent rapidement d'accord, avant que nous n'ayons plus aucune assiette ni aucun verre entier.
Après ma pause, je fini par prendre pitié de Sarah. Elle va avoir besoin d'un magasin de chocolat entier pour calmer ses nerfs s'ils continuent comme ça tous les deux.
— Va en pause, je m'occupe de Kyle, je lui dis quand elle revient au comptoir.
Elle regarde Kyle revenir d'un pas nonchalant, tambourinant sur son plateau vide du bout des doigts. Il faut avouer qu'il a tout pour lui. C'est un Drew plus jeune et avec moins de muscles. Des cheveux plus longs aussi. Ils lui tombent sur le front en de fines mèches noires qui contrastent avec le vert de ses yeux. Mais le reste est pareil. Même visage au menton carré. Même nez droit. Même pommettes légèrement saillantes qui vous donne envie de les pincer ou de les embrasser. Même épaules large mais plus mince pour sa part. Et surtout, ils ont le même regard de braise. Quand il croise celui de Sarah, son sourire se fait séducteur et si j'avais une dizaine d'année de moins, je serais sans doute dans le même état que ma jeune collègue. C'est-à-dire complètement muette, figée, semblable à une poupée lobotomisée.
— Va en pause, Sarah, je lui répète en la poussant vers la salle qui nous est réservée.
Elle ne proteste pas, mais elle n'est pas aussi réjouie qu'elle devrait l'être après le rush qui vient de se terminer.
— Où va Sarah ? me demande Kyle en déposant son plateau sur le comptoir.
J'y met des tasses fumantes et un muffin pour la table qu'il doit aller servir.
— Elle est en pause. Tu auras la tienne plus tard.
Il prend le plateau et va servir. Je prends le mien et fait de même. En terrasse, il y a beaucoup moins de monde que hier. Quelques flocons de neige ont commencé à tomber, mais la route est encore dégagée. Cela fait plusieurs jours qu'il n'y a pas plus de deux centimètre de neige qui tombent sur la ville. Rien d'alarmant.
Je dépose les commandes, prend le temps d'échanger quelques banalités avec des clients et retourne à l'intérieur. J'y trouve Kyle qui débarrasse une table, rapidement et efficacement. Quand il revient au comptoir, il se plante juste devant moi. Je prends le temps de l'admirer dans son pull noir près du corps et son jean bleu slim sous son tablier. J'arrive facilement à imaginer Drew à son âge. Kyle me regarde longuement, d'une façon étrange que je ne saurais pas expliquer. C'est comme s'il faisait une évaluation de mon être. Pas physiquement, mais à l'intérieur. Comme s'il cherchait à cerner qui je suis.
De mon côté, je n'ose même pas bouger. Je suis hypnotisée et je ne cherche même pas à lui échapper. Je ne suis pas mal à l'aise, c'est comme s'il m'avait mise sur pause.
— C'est toi la Tess, pas vrai ?
Je fronce les sourcils.
— La Tess ?
Il sourit légèrement et croise les bras.
— Ouais. Celle dont mon frère m'a parlé. Celle qui était avec lui en vacances.
— Oh.
Il se laisse aller contre le comptoir, plus décontracté maintenant alors que je me demande soudain ce que Drew a bien pu lui dire sur moi et nos vacances. Je me balance d'un pied à l'autre sans savoir quoi dire. Qu'a-t-il bien pu lui dévoiler ? Certainement pas ce que nous avons fait, ça c'est certain.
— Donc c'est bien toi. Ravi de mettre un visage sur un nom.
— Moi aussi. Drew m'a un peu parlé de toi.
Il a l'air gêné, ou mal à l'aise. Il décroise ses bras et passe une main dans ses cheveux. Ses épaules s'affaissent imperceptiblement.
— Je pense qu'il n'a pas dû te dire beaucoup de bien de moi alors.
J'avoue qu'il ne m'a pas dit grand-chose et dans le peu qu'il m'a dit, ce n'était pas très positif.
— Assez pour que je sache qu'il tient beaucoup à toi.
Un rire sans joie lui échappe.
— Ouais. Sans doute. Je suis son frère, pas vrai ? Il n'a pas vraiment le choix.
— On a toujours le choix. Et le fait d'être venu avec toi ce matin montre qu'il se souci de toi.
Son regard perd sa concentration et il regarde le sol avec un léger sourire.
— Tu as mérité ta pause, je lui dis en le bousculant un peu. Dis à Sarah que la sienne est terminée dans cinq minutes.
A l'évocation de son prénom, Kyle revient subitement parmi nous et son regard pétille. Il hoche la tête et s'en va rapidement dans la salle attenante. Je vais devoir assurer toute seules le temps qu'ils arrêtent de flirter. Ça m'apprendra à vouloir aider les autres. Il faut que j'arrête de jouer les entremetteuses.
Deux mains se posent sur mes hanches alors que je me penche par-dessus le comptoir pour récupérer mon plateau. Je souris déjà en pensant que ces mains sont celles de Drew.
— Je travaille, je le sermonne d'un ton loin d'être réprobateur.
— Je voulais te faire une surprise, ronronne une voix qui n'est pas celle de Drew.
Mais c'est une voix que je connais. Je me fige et prend quelques secondes pour paraître moins déçue avant de me retourner.
— Salut Ethan, je dis d'une voix tendue, très peu naturelle.
Son sourire se crispe.
— Tu ne pensais pas que c'était moi, pas vrai ?
Un rire nerveux m'échappe. N'importe quelle réponse à cette question sera une mauvaise réponse.
— Qu'est-ce que tu fais ici ?
Il hausse les épaules et se gratte l'arrière de la tête. Il est de nouveau l'homme un peu gêné que j'ai rencontré dans ce refuge de montagne. C'est étrange comme en une fraction de seconde il redevient quelqu'un de totalement différent de celui qui me téléphone habituellement.
— J'avais un rendez-vous dans le coin, alors je me suis dit que je pouvais passer te voir.
— Oh, c'est gentil. Je suis un peu débordée, je lui dis en montrant la salle, mais je peux te servir si tu veux. Installe-toi.
Il me suit jusqu'à une table près de la vitrine.
— Je prendrais juste un café, j'ai déjà déjeuné et je n'ai pas beaucoup de temps à t'accorder.
Mes sourcils se lèvent d'étonnement. Il me dit cela comme si je lui avais moi-même demandé de venir.
— Ok, je vais te chercher ça.
Je repars vers le comptoir sous son regard ravi et son sourire séducteur. J'ai mal cerné le personnage. Son air timide n'est peut-être qu'une façade.
Je prépare son café et le ramène juste avant d'aller servir une autre table. Je n'ai pas le temps de lui parler plus de trois secondes.
— Tu es très occupée, me dit-il alors que je reviens pour la cinquième fois.
— Comme je te l'ai dit au téléphone, c'est un peu la folie en ce moment.
Je suis assise depuis à peine dix secondes, qu'un couple entre dans le café. Cette fois, et à mon plus grand étonnement, Kyle me fait signe qu'il s'en occupe. Je peux enfin prendre quelques minutes pour respirer.
— Il me fait penser à quelqu'un, commente Ethan en regardant Kyle traverser la salle.
Je ne suis pas la seule à voir cette ressemblance évidente entre les deux frères. Drew et Kyle auraient été jumeaux que ça ne m'étonnerait même pas. Sans répondre à Ethan, je hoche simplement la tête.
— Alors, quelles affaires t'ont amené ici ? je lui demande pour changer de sujet.
— Un contrat avec un restaurant de la ville. Je suis venu moi-même constater l'apport publicitaire que nous ferait l'acquisition de ce restaurant.
— Et c'est une bonne acquisition d'après toi ?
Il fait une grimace, boit une gorgée de café et prend un temps fou pour me répondre. Je ne suis pas son patron, je lui pose juste la question pour faire la conversation. Il a l'air de jouer sa vie sur cette réponse.
— Il y a du potentiel, mais il va falloir changer un peu leur image pour les rendre plus haut de gamme.
— Tu penses que ça attirera plus de clients ?
— Pas plus de clients, mais de meilleurs clients.
Il regarde autour de nous d'un air entendu.
— De meilleurs clients ?
Il se penche vers moi et me répond comme à une enfant qui ne comprend pas encore tout à la vie.
— Plus riches.
Il se recule avec un sourire satisfait. Je le regarde comme s'il venait de me donner une claque. Il pense que des personnes plus riches sont de meilleurs clients ? Ben voyons ! Il ne faut pas être riche pour être respectable. Nous n'avons décidément pas du tout la même vision des choses.
— Je ne dis pas que les petits cafés comme celui-ci sont moins bons, il reprend sans avoir l'air désolé. J'ai juste besoin de plus de qualité pour l'image de l'entreprise. Je pourrai même essayer de te décrocher un job là-bas. Tu oublierais ce tablier, il ajoute avec une grimace.
Je baisse les yeux vers mon tablier violet. Je n'ai pas envie d'être une de ces serveuses coincées qui travaillent en talons et qui ont tellement mal au pieds qu'elle ne sont plus capable de sourire. Le fait qu'Ethan pense que mon emploi ici ne vaut rien, ne me plait pas du tout. Je relève les yeux vers lui et hoche la tête, bien décidée à vite me trouver une raison de partir. A ma plus grande joie, Ethan regarde sa montre et soupire.
— Je suis désolé, je dois y aller, Tess.
Je me lève et il fait de même. Il dépose quelques billets sur la table et me sourit.
— A bientôt peut-être.
— Peut-être.
Je ne l'espère pas. Nous ne partageons pas beaucoup de choses et après cette conversation aussi courte qu'instructive, je me rends compte qu'il va être difficile de nous trouver des points communs.
Il s'en va après un simple petit signe de la main et en le regardant partir, je vois Drew entrer. Ils se croisent et malgré le regard assassin de Drew, Ethan lui adresse un sourire supérieur et hoche la tête. Je me demande s'il l'a vraiment reconnu dans son uniforme.
Le bas de mon ventre s'agite alors que Drew tourne son regard vers moi, un sourire décontracté et réellement heureux sur le visage.
— Salut, toi, dit-il en arrivant à ma hauteur.
— Salut, je lui réponds en prenant le temps d'admirer le vert pétillant de ses yeux comme des étoiles dans un ciel d'été.
— Tu as une petite place pour moi ?
— Toujours.
Je lui fais signe de me suivre et l'installe à une table, différente de celle qu'occupait Ethan il y a quelques minutes.
— Drew, grogne Kyle en passant à côté de sa table. Ne me dis pas que tu es venu me surveiller !
— Le monde ne tourne pas autour de ton nombril, Kyle.
Ce dernier me regarde, puis regarde à nouveau son frère, et un sourire malicieux apparaît sur son visage.
— Oh ! Tu es venu draguer ? Excuse-moi, frangin.
Il lui tapote l'épaule et s'enfuit avant que Drew n'ait le temps de lui donner une tape derrière la tête. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Et si j'avais été quelques centimètres plus sur la gauche, sa main aurait frappé ma tête.
— Heureusement que ce n'est pas un secret, marmonne Drew.
Je me sens rougir mais je fais bonne figure. Il a raison, ce n'est pas comme si je ne le savais pas.
— Euh... que puis-je te servir ?
Il m'adresse un regard lubrique en détaillant ma tenue. Le V de mon pull est assez sexy sans être outrageant, j'en suis plutôt fière. En dessous de mon tablier, mon jean brut se glisse dans mes bottes plates à fausse fourrure. Evidemment, il s'intéresse plus à mon décolleté qu'au reste et j'avoue que si c'était quelqu'un d'autre je lui ferais remarquer que c'est déplacé. Mais venant de lui, je trouve ça encourageant.
— Je... (il s'éclaircit la voix) je n'ai pas encore choisi.
— Je reviens dans quelques minutes alors.
Il hoche la tête sans protester. Plutôt étrange d'après moi. A contre-cœur, je m'éloigne jusqu'au comptoir sans savoir quoi y faire.
— T'en a déjà assez de l'entendre ?
Je sursaute pour voir Kyle guetter son frère de loin.
— Non. Et arrête de te faire des idées. Nous sommes amis.
— Hum, hum. Mais bien sûr.
Je secoue la tête et remplit une cruche de thé glacé.
— Bon, puisque vous n'êtes qu'amis, je te propose de venir demain soir. C'est soirée pizza à la casa Jacobs.
Je retiens un éclat de rire à son imitation de l'accent espagnol. Une soirée innocente chez les frère Jacobs. Pourquoi pas ? Il s'agit seulement d'une pizza.
— Ok. Tu devrais inviter Sarah aussi.
Il la cherche dans la salle et je perçois très exactement le moment où il la trouve. Son visage s'illumine et ses yeux brillent un peu plus. Mais Kyle est bien trop fier pour l'admettre.
— On verra, il répond simplement en haussant les épaules.
Le laissant à sa rêverie, je retourne à la table de Drew.
— Tu as choisi ?
Je dépose un verre et le remplit de thé glacé. Il lui faut tout de même quelques secondes avant de me dire enfin ce qu'il veut. Quand je reviens avec son sandwich et le mien, je retire mon tablier et m'assoie avec lui.
— Tu déjeune avec moi finalement ?
— Considère que c'est un privilège.
— Ça veut dire que tu n'as pas déjeuné avec monsieur costard ?
Je prends quelques secondes pour comprendre qu'il parle d'Ethan. C'est pour ça qu'il était un peu bizarre avant ?
— Non, tu m'as dit que tu venais. Et il n'a fait que prendre un café. Que je n'ai pas eu le temps de partager non plus parce que j'étais débordée. Mais maintenant il y a moins de monde et j'ai ma pause à prendre alors...
Il lève une main pour m'interrompre.
— Un simple non m'aurait suffi, Tess. Ce n'est pas un interrogatoire.
Je vois qu'il retient un rire.
— C'est l'uniforme qui te fait flipper ? Je ne le mettrais plus en ta présence si ça te perturbe.
— Non ! J'adore ton uniforme.
Voilà ce qui arrive quand je parle sans réfléchir. Il sourit de toutes ses dents.
— Ah oui ?
Je me sens rougir furieusement cette fois. Pour cacher mes joues, je pose mon visage dans mes mains et prend le temps de répondre d'un air nonchalant.
— Ouais. Il est pas mal.
Il se penche sur la table et souffle tellement bas que je ne suis pas certaine qu'il ait vraiment prononcé les mots.
— J'ai toujours les menottes.
Mon corps tout entier se met à bouillir et mes mains deviennent moites. Une catastrophe. Heureusement que personne ici ne peut lire dans mes pensées parce qu'il faudrait les interdire au moins de 18 ans.
— J'en prends note, j'arrive à répliquer d'une voix presque pas tremblante.
Drew m'adresse un sourire si éblouissant que je sens mes cuisses se resserrer.
— Je ne voulais pas venir pour te mettre mal à l'aise.
— Je ne suis pas mal à l'aise.
Il tend la main sur la table et caresse la mienne du bout des doigts. Mon regard se pose dessus alors que ma lèvre se coince entre mes dents.
— Je peux continuer, alors?
Un gloussement d'écolière m'échappe. Pathétique. Je pourrais me donner des claques.
— Je n'ai jamais dis que... tu devais arrêter.
Il m'adresse un regard joueur, un léger sourire au coin des lèvres. Il a déjà terminé son sandwich alors que je ne suis qu'à la moitié du mien, mais je n'ai plus faim tout à coup. Pas de nourriture en tout cas.
— Tess? m'interpelle Kyle depuis le comptoir. Tu peux venir me donner un coup de main?
Drew lève les yeux alors que je me retourne pour voir le problème. A côté de lui, la machine à café se met à fumer et crachoter.
— Oh merde!
Je me lève d'un bond et me précipite jusqu'à la machine, poussant Kyle pour m'occuper du problème. Elle ne nous a plus fait ce coup depuis plusieurs mois, elle devait être réparée, mais apparemment, ce n'est plus le cas. Appuyant sur différents boutons pour la stopper, je commence à paniquer parce que rien ne fonctionne et la machine commence à vibrer comme si elle était sur le point d'exploser.
— Va chercher Jenna, je dis à Kyle.
Alors qu'il s'en va, la machine s'arrête soudainement. Mes mains restent écartées devant moi, ne sachant pas trop ce que j'ai fait pour l'arrêter, jusqu'à ce que Drew se relève. Je ne l'avais pas vu s'accroupir à côté de moi et pousser les boites sous le comptoir. Il brandille maintenant la prise de la machine à café.
— Je crois qu'il vous en faut une nouvelle, il marmonne en reposant la prise à côté de la machine.
— Merci, je n'y avais même pas pensé, je soupire en passant une main sur mon visage.
— De rien. Je dois retourner travailler, ça va aller?
Je regarde ma montre, j'ai l'impression qu'il n'est resté que deux minutes alors que ça fait une heure.
— Oui, bien sûr. Soit prudent, je lui dis sans réfléchir.
Il m'adresse un sourire en coin et passe un bras autour de ma taille pour déposer un baiser contre ma tempe.
— A plus, il souffle avant de s'en aller.
Je le regarde partir avec l'affreuse envie de lui courir après.
— Ce jeune homme est tout à fait charmant, soupire Jenna d'un ton rêveur.
Je sursaute et me tourne vers elle, les joues rouges. Cette femme est vraiment plus qu'une patronne, j'ai l'impression d'avoir trouver une tante. Elle m'adresse un clin d'oeil, puis se tourne vers la machine, changeant de sujet.
— Il va falloir que je rappelle le réparateur. Et que je commande une nouvelle machine.
— Heureusement que la deuxième fonctionne toujours.
— Nous allons perdre un peu de temps pour servir et ce n'est vraiment pas la bonne période. Je vais téléphoner tout de suite.
Elle me tapote l'épaule et s'en va, sans doute dans le petit bureau où elle garde ses dossiers.
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