Ivresse
Je lève mon verre en grimaçant face au soleil. Sur mon transat près de la piscine, je sirote un cocktail en compagnie de mes copines de voyage. Elles m'ont dit que le meilleur moyen pour combattre la gueule de bois est... de boire. Encore. Alors c'est ce que je fais. Pour le brunch, je n'ai bu que des mimosas. Qui aurait pu croire que ce soit si bon ? Ensuite je me suis effondrée deux heures dans notre suite avant de les retrouver ici, au bord de la piscine. Nous avons carrément une serveuse attitrée qui nous apporte tout ce que nous voulons et en l'occurrence, elle me fournit en cocktail depuis que je me suis affalée là.
— Tu vas ressembler à une écrevisse si tu ne te mets pas un peu de crème, m'avertit Elise.
Je gémis en me redressant et commence à m'en appliquer.
— Il faudrait des mecs sexy à disposition pour le faire, dit Julie.
Ou peut-être que c'est Jade. J'ai du mal à les différencier. Elles sont toutes les deux grandes, blondes, avec des yeux bleus mais l'une a le visage plus rond et l'autre a les yeux plus grands.
— Il suffirait qu'elle ait son petit ami, vous devriez le voir, intervient Elise. C'est un canon et en plus il est flic.
— C'est sérieux entre vous ? demande une des blondes en se redressant sur son transat.
Je la fusille du regard même si elle ne doit pas le voir derrière mes lunettes de soleil.
— Pas touche ! j'aboie en la fixant plusieurs longues secondes.
— Oh, très sérieux à ce que je vois.
Même si j'ai encore quelques doutes, il est hors de question que l'une de ces nymphomanes s'approche de lui. Je devrais peut-être lui téléphoner pour savoir comment il va. Je ne lui ai pas parlé depuis... je ne sais même plus si je lui ai parlé hier. Sans plus attendre, je cherche mon portable dans mon sac et le trouve éteins. J'essaye plusieurs fois de l'allumer avant de me rendre à l'évidence. Je vais devoir attendre de monter dans notre suite pour le recharger.
— Et si nous commencions l'un de mes jeux ? intervient Sophia avec enthousiasme.
Les filles se rassemblent autour de mon transat et celui de Sophia.
— On va commencer par « action ou boissons ».
— Et c'est toi qui les a inventés ? demande Elise d'un air soupçonneux.
Elle se tord les lèvres en tournant les pages de son petit carnet.
— Pas tous. J'ai peut-être changé quelques règles pour les rendre plus amusants, c'est tout.
Je me redresse pour laisser de la place à Elise qui s'assoit lourdement à côté de moi.
— On ne va pas survivre, elle se lamente.
— Tu parles à la fille qui est bourrée depuis hier soir, réplique Bethany en me bousculant légèrement.
Je lui tire la langue et remonte mes lunettes de soleil. Sophia s'éclaircit la voix.
— Bien, alors je propose de commencer par Elise.
— Evidemment, elle ronchonne d'un air faussement exaspéré.
— Le principe est simple. On te lance un défi, soit tu le fais, soit tu bois. (Tout en parlant, Sophia fait signe à notre serveuse de nous ravitailler en alcool.) Je crois que je vais facilement me faire à cette vie.
— Mais vous le faites aussi, il n'y a pas que moi qui suis piégée là-dedans, pas vrai ?
— Oui, chacune son tour. Commençons.
La serveuse dépose un plateau de shooters.
— Ton premier défi est d'aller demander son numéro au type là-bas, annonce Julie en pointant un homme bedonnant et chauve de l'autre côté de la piscine.
— Vous êtes malades ? Je vais me marier, et en plus il doit au moins avoir cinquante ans.
— Alors tu bois, réplique Sophia.
Elise prend un verre sans hésiter et le vide en une gorgée avant de grimacer.
— Bandes de traîtresses, elle grommelle.
Un large sourire sur le visage, Sophia passe à la suivante.
— Bethany, ton défi est de payer un verre à quelqu'un.
— L'une de vous ?
— Non, n'importe qui autour de la piscine.
Un air malicieux se fond sur son visage et elle se redresse pour observer les gens qui nous entourent. Il ne lui faut pas plus que quelques secondes pour trouver sa cible et faire signe à la serveuse. En lui glissant un billet sur son plateau, elle lui demande de ramener un verre à l'un des garçons qui joue à la roulette à une table extérieure.
— Dois-je lui dire de qui vient ce verre ? demande la serveuse comme si on lui demandait de faire cela tout le temps.
— Evidemment, si je peux avoir son numéro de chambre aussi ça ne me dérangerait pas.
La serveuse hoche la tête et s'en va. En nous regardant, Beth perd son sourire.
— Ben quoi ? J'ai relevé le défi, elle fait en haussant les épaules.
— Toi, t'es géniale, lui dit Sophia.
Elles se tapent dans la main et c'est au tour d'Elise de lancer un défi.
— Jade, tu dois nous faire une danse improvisée là-bas.
Elle pointe un coin à la vue de tous, totalement dégagé, au bord de la piscine. Jade hésite quelques secondes mais finit par se lever en grognant. Sans regarder autour d'elle, elle s'avance jusqu'à l'endroit indiqué et commence sa danse sans aucune musique.
— Elle est danseuse classique, me confit Elise.
Ça explique pourquoi elle fait si bien ces gestes amples et précis. Même sans musique, c'est magnifique. Je lui en veux un peu moins d'avoir voulu me piquer Drew. Après un dernier tour sur elle-même, Jade s'arrête et salue. A ma plus grande surprise, nous ne sommes pas les seules à l'applaudir. Presque toutes les personnes autour de la piscine l'acclament.
— Merci, elle cri en s'inclinant une nouvelle fois pour saluer.
Nous poussons des cris et des sifflements quand elle nous rejoint. Elle marche fière, un large sourire sur le visage, la tête haute et sûre d'elle. Je l'admire un peu plus.
— Suivante ! elle annonce en s'asseyant.
Sophia me pointe du doigt et fait un signe du menton à Julie. Cette dernière tapote son menton en réfléchissant.
— Comme tu es déjà pompette, je te défie de marcher en ligne droite jusqu'à la porte.
Je tourne la tête pour voire la distance qui nous sépare de la porte de l'hôtel. Trois fois rien.
— Ok !
Je me lève, et les problèmes commencent. J'attends que ma tête cesse de tourner et me stabilise pour rejoindre le point de départ. C'est plus difficile qu'il ne le parait. Heureusement que je n'ai pas des talons en plus. Peut-on se tordre la cheville en sandales ?
— Vas-y, Tess !
Je ne sais pas laquelle d'entre elles vient de me crier cet encouragement, je suis trop concentrée sur mes pieds pour avoir le temps de reconnaître la voix. Ça y est, je suis au point de départ. Je lève les yeux vers la porte. Elle est au bout d'une toute petite allée de dalles roses, bordée de palmier d'un côté et de gazon de l'autre. Rien d'insurmontable. Mais avec cette dose d'alcool dans le sang, ça en devient drôle et ressemble à un véritable défi. Pourquoi suis-je la seule ivre ? Peu importe, je dois le faire ou je devrais boire encore plus. Alors j'y vais. Un pied, puis l'autre.
Droite.
Gauche.
Droite.
Gauche.... Non, je ne suis pas tombée.
Droite.
Gauche.
Je ne sais plus à combien j'en suis, mais la porte est juste là, devant moi, à deux ou trois pas.
Droite.
Gauche.
Et je me retourne finalement vers les filles, un sourire triomphant sur le visage. Je lève les bras et sautille, mais pas trop. Je vais m'effondrer sinon. En amies loyales, elles m'applaudissent et me font signe de revenir. Je m'apprête à y aller quand la porte derrière moi s'ouvre et me projette au sol. J'atterrie à quatre pattes, ma dignité s'en allant en courant dans l'autre sens.
— Merde ! Je suis vraiment désolé !
Deux mains agrippent mes épaules et me soulèvent pour me remettre sur pied.
— Vous n'avez rien ?
Je lève la tête en retenant quelques larmes. Je ne sais si elles viennent de la petite douleur que j'ai aux genoux ou de mon humiliation.
— Ça va.
Le type fronce les sourcils puis sourit.
— Vous êtes la fille d'hier soir. La fille qui cherchait ses chaussures.
— Euh...
Il me faut un moment pour savoir de quoi il parler.
— Oh ! Tim !
— Oui. Vous vous souvenez !
Et comme j'ai bu et que l'alcool me rend amicale, je le prends dans mes bras et serre fort les paupières pour chasser ces larmes rebelles.
— Merci pour mes chaussures !
Il rit mais je le sens soudain s'éloigner violemment de moi, interrompant son rire par un hoquet de surprise. Devant moi, un type se tient de dos, le corps tendu, prêt à frapper, alors que Tim se tient encore au palmier pour retrouver l'équilibre.
— Mais qu'est-ce...
Je n'ai pas le temps de terminer ma question. Je reconnais cette carrure, mais je reconnais surtout ce parfum, et je reconnais les frissons qui me submergent.
— Drew ?
Il se retourne, Tim n'ose pas bouger d'un pouce. Le regard de Drew est blessé et furieux.
— Mais qu'est-ce....
Cette fois c'est lui qui ne me laisse pas le temps de terminer et s'en va à l'intérieur de l'hôtel. Je lui cours après, enfin j'essaye.
— Drew !
Il s'arrête à quelques pas des escaliers et se retourne. Toujours aussi furieux.
— C'était qui ?
Je jette un regard vers la porte. Tim nous observe.
— C'est à cause de lui que tu m'as écrit tout ça ? il insiste sans que je ne sache de quoi il parle.
— Quoi ?
J'ai l'impression que les effets de l'alcool s'en vont plus rapidement.
— Ne fais pas l'innocente, Tess. Dis-moi juste la vérité.
— Je ne sais pas du tout de quoi tu parles. Qu'est-ce que je t'ai écrit ?
Il passe nerveusement ses mains dans ses cheveux.
— Tess ?
Elise arrive derrière moi et s'arrête au milieu du couloir.
— Drew ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Je me le demande, il grogne et se retourne pour monter les escaliers.
Je reste plantée là, sans savoir dans quelle direction partir. Mais qu'est-ce qui se passe ?
— Tout va bien ? demande Elise de sa petite voix.
— Je n'en sais rien du tout.
Elle me pousse légèrement vers les escaliers, je manque de trébucher.
— Va voir ce qui se passe, tu nous rejoindras plus tard.
Sans même la remercier, je m'élance dans les escaliers. Je prends garde à ne pas aller trop vite pour ne pas tout redescendre sur les fesses et cri le nom de Drew à chaque palier.
— Drew !
Je hurle encore une fois, enfin c'est plutôt un gémissement essoufflé, alors que j'entre dans le couloir de l'étage où il s'est arrêté.
— Retourne t'amuser, Tess.
Il introduit la carte magnétique pour déverrouiller la porte de sa chambre. Il a une chambre ici ?
— Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
Il secoue la tête avec désolation et entre dans la chambre. Je me précipite pour m'y glisser à mon tour avant qu'il ne la referme.
— J'ai compris, Tess. Je ne vais pas te courir après plus longtemps.
Il ne se retourne même pas pour me dire ça. Il marche tout droit vers le lit où un sac de sport est éventré. Je remarque alors que Drew porte encore ses boots et un jean épais, avec une chemise à manche longue.
— Quand es-tu arrivé ?
— Quel importance ? il demande en essayant de refermer le sac.
Il est tellement énervé que ses mains tremblent. Le sac va bientôt voler à travers la pièce si je ne le calme pas.
— Aucune, je réponds avec aplomb.
Il s'arrête. Tout son corps se fige.
— Drew, je ne comprends vraiment pas ce qu'il se passe.
Je fais un pas vers lui. Il ne bouge toujours pas.
— Drew, s'il te plait. Regarde-moi.
— Notre relation ne rime à rien, il souffle sans me regarder. Tu en veux plus que je ne peux t'en donner. Je crois que je viens de le comprendre. Désolé.
Je panique en sentant mon cœur sur le point de se déchirer.
— Quoi ? Mais d'où tu sors ça ?
Il se retourne lentement alors que je ne sais plus si je dois l'affronter ou m'enfuir en courant.
— Je ne suis pas assez mature pour une chose aussi compliquée, il continu le regarde remplit de douleur.
— Mais c'est toi qui veux une vraie relation, toi qui m'a dit que tu en veux plus ! Pourquoi tu changes d'avis maintenant ?
Je cri et pleure en même temps. Qu'est-ce qui se passe ? Je ne comprends plus rien ? Il a fait tout ce chemin pour me dire ça ? Pour rompre alors que nous avons, à peine, commencé ?
— Tu trouveras une femme qui est faite pour toi.
Il dit cette dernière phrase, et je comprends tout à coup. Son visage n'est que colère alors que ses yeux brillent de larmes retenues.
— C'est moi ? Je t'ai envoyé ça ?
— A toi de me dire ce qu'il se passe, Tess.
Ses derniers mots ne sont qu'un souffle, comme s'il venait de perdre toute sa force.
— Je... j'étais... je t'en prie, oublie tout ça. Ce n'était pas moi.
— C'était ton numéro, Tess. N'essaye pas de me faire croire que quelqu'un d'autre me les a envoyés.
Il brandit son téléphone comme une arme qui vise mon cœur et le sien en même temps.
— Peu importe ton excuse, si tu m'as envoyé tout ça, c'est que tu le pense.
Je n'ose pas protester, parce que c'est vrai. Je ne sais pas comment avoir une telle relation. Je ne sais pas comment satisfaire ce qu'il attend de moi parce que je ne sais même pas ce qu'il attend de moi. Mais je sais aussi que je ne veux pas abandonner. J'ai soudain mal au cœur, dans tous les sens du terme. Sans un mot, je me précipite dans la salle de bain et vide mon estomac dans la cuvette. Ça ne pouvait pas être mieux.
— Tess ?
J'agite la main derrière moi, dans la direction approximative de la porte.
— Laisse-moi quelques minutes.
Il s'éloigne sans protester, j'en suis encore plus malade. Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi ai-je autant bu hier soir ? Je n'aurais jamais dû être aussi faible. Je viens de tout gâcher à cause de mes idioties. C'est sans doute le seul homme capable de me gérer, de me comprendre, et j'ai carrément rompu par message avec lui alors que j'étais ivre. Je suis plus que lamentable.
Quand je retourne dans la chambre, après avoir désinfecté ma bouche, et j'exagère à peine, je retrouve Drew debout devant les fenêtres qui donnent sur la piscine. Sa chambre est plus petite que la suite dans laquelle je dors. Celle-ci n'a qu'un lit avec une petite table et une salle de bain.
— Tu vas mieux ? il demande sans se retourner.
— Oui, je crois.
Il me fait face pour bien planter son regard dans le mien.
— Alors tu vas pouvoir m'expliquer tout ça maintenant.
Les bras croisés, il n'a pas l'air moins en colère que tout à l'heure.
— J'étais ivre. Je n'aurais jamais dû te dire ça. C'était... un moment de faiblesse.
— Un moment de faiblesse. Qu'est-ce que ça veut dire ? Tu le pense vraiment tout ça ? Tu crois vraiment que tu n'es pas faite pour moi ? Que je vais trouver quelqu'un d'autre ? Que tu n'es pas assez mature ?
Je baisse les yeux parce que oui, je le pense. Ça me fait mal, et j'en suis malade, mais je le pense.
— Ce ne sont que des conneries, Tess !
Il fait un pas vers moi mais je ne bouge pas. Je veux qu'il me prenne dans ses bras, qu'il m'embrasse, qu'il fasse ce qu'il veut de moi. Je sais que je ne trouverais pas mieux que lui, mais lui trouvera mieux que moi. Mieux qu'une fille incapable d'affronter ses démons, de prendre des responsabilités, de s'ouvrir à quelqu'un.
— Tess, je ne veux personne d'autre que toi.
Il prend mon visage dans ses mains pour m'obliger à le regarder. Ses yeux sont d'un tel vert qu'ils sont presque irréels.
— Tu ne décideras pas à ma place, Tess. Je te veux toi, et personne d'autre. Et je sais que tu me veux aussi. Il va falloir que tu le comprennes parce que je n'ai pas l'intention de supporter de tel messages à chaque fois que tu seras ivre.
Il ne crie pas, mais ses paroles sont fermes. Il ne rigole pas, il ne cherche même pas à m'attendrir. Il énonce les faits, purement et simplement.
— Je vais essayer.
— Je vais t'aider, mais je n'accepterais pas que tu me repousses encore.
Une larme roule sur ma joue.
— J'ai besoin de ton aide, je souffle.
Ses bras se referment autour de moi, mon visage se loge dans son cou et je pleure.
Je pleure parce que je suis encore ivre.
Je pleure parce que Drew est là.
Je pleure parce qu'il a dit exactement ce que j'avais besoin d'entendre.
Je pleure parce que mon cœur s'est déchiré tant de fois que je ne le supporterais pas encore une fois de plus.
Et je pleure parce que toutes ces choses me rendent folle.
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