Il faut partir à point
C'est le chaos! Partout ! La salle est pleine. La terrasse déborde. Je ne sais plus où donner de la tête. Jenna, Sarah et moi, ne faisons pas le poids face à l'affluence de ces derniers jours. La saison est plus prospère que l'année précédente et que les trois années d'avant d'après Jenna. Il y a d'autres cafés dans la ville, ils doivent sans doute être aussi submergés que nous.
— Jenna, il faut trouver quelqu'un d'autre pour nous aider, lui dit Sarah en passant en coup de vent devant le comptoir.
Jenna me regarde avec désespoir. Elle avait passé une annonce il y a quelques semaines, mais les étudiants qui se sont présentés ne voulaient finalement pas travailler depuis sept heure du matin. Ils ont certainement préféré aller travailler dans les restaurants qui n'ouvrent que le soir.
— Je vais devoir augmenter le salaire si je veux trouver quelqu'un, elle se lamente.
Je lui tapote l'épaule et emporte le plateau que je viens de préparer. Dehors, l'air me semble encore plus froid que la semaine dernière. Comment font ces gens pour déjeuner en terrasse ?
Je distribue les commandes sans m'arrêter. Je n'ai même pas le temps de parler avec les habitués, mais ils savent ce que c'est. Personne ne se plaint du retard inévitable que nous prenons de temps à autres pour les servir. Ils sont en vacances, ils ont le temps. Et si cela ne leur plait pas, ils peuvent très bien aller ailleurs.
En début d'après-midi, le rush du déjeuner passé, je réussie à m'asseoir quelques minutes. Mes pieds me font un mal de chien et je commence aussi à avoir mal à la tête.
— Tu as bien mérité ta pause, me dit Jenna.
Je regarde la salle, elle s'est progressivement vidée et il ne reste plus personne en terrasse. Certains finissent doucement leur repas alors que d'autres arrivent pour prendre un café.
— Je vais à l'arrière, je préviens en m'éclipsant.
Si je reste dans la salle, je vais me faire interpeller par des clients et je ne pourrais jamais faire ma pause.
M'installant à la table près des cuisines, je sors mon téléphone de ma poche et consulte mes mails. Quelques publicités, un rappel de facture à payer et un mail du magasin de sport. Je jette ceux qui ne sont pas importants, archivent ceux qui le sont et Jenna m'appelle déjà à l'aide.
— Je vais finir par embaucher un autre cuistot, se lamente Frédéric en venant à la table avec une tasse de thé.
Il fait un grimace en humant la vapeur qui s'en échappe. Depuis quelques mois, son médecin lui a interdit de boire du café. Sa grande consommation de caféine a affecté son cœur qui maintenant doit subir un sevrage selon les terme de Jenna. Elle lui a donc acheté une centaine de thé différents pour qu'il trouve celui qui lui convient.
— Il est à quoi aujourd'hui? je demande en Frédéric en me penchant au-dessus de sa tasse alors que je me lève.
— D'après l'odeur je dirais poireau et vinaigre, il grimace.
Son air bougon m'a toujours amusé, parce que je sais que derrière cette apparence féroce, c'est une vraie crème. Passant à côté de lui, je lui tapote l'épaule et rejoins Jenna. Quand j'arrive dans la salle, il me faut quelques secondes pour être certaine que je ne vois pas double. Les gens se multiplient dans cette ville ?
Sans perdre une minute, je sors mon calepin et commence à prendre les commandes. Les cafés se multiplient, les sourires aussi, par chance. Je retourne derrière le comptoir pour préparer une nouvelle commande et soudain Jenna se met à crier. Mon cœur fait un bon avant que je ne comprenne ce qui se passe.
— Attrape-le !
Je regarde le gamin qui cherche à s'enfuir et me précipite vers le bout du comptoir pour le rattraper avant qu'il n'arrive dehors. Au dernier moment, alors que nous arrivons presque en même temps à la sortie, je plante mon talon devant lui et il tombe par-dessus, s'étalant de tous son long juste devant la porte.
— Où comptes-tu aller comme ça ?
Il gémit et se retourne. Son regard assassin pourrait presque me faire peur. S'il n'était pas aussi beau, il me ferait peur. Je n'ai vu qu'une seule fois un vert pareil, mais ce n'est pas le moment d'y penser.
— Mais qu'est-ce qui se passe? s'agace Frédéric en arrivant à côté de moi.
— Il voulait partir sans payer, dit Jenna en arrivant près de moi.
J'agite la main pour lui dire que tout va bien.
— On s'en occupe, ajoute Jenna en déposant un baiser sur la joue de son mari avant qu'il ne retrouve les cuisines.
Je regarde le gamin toujours au sol. Il doit avoir dix-sept ans, ses vêtements sont simples mais neufs et son téléphone portable est sortie de sa poche quand il est tombé. Il n'est peut-être pas riche, mais il a les moyens de se payer un café ou même un repas.
— C'est bon, je vais payer, il marmonne en essayant de se relever.
Je lui tends une main pour l'aider. Il la repousse et se met sur ses pieds. Derrière lui, je vois Sarah qui l'observe curieusement. Elle le regarde de la tête aux pieds, puis semble le reconnaître et se met à rougir.
— Tu voulais juste voir si tu étais capable de partir sans payer ? Pas très malin comme jeu.
Je croise les bras pour avoir l'air plus sévère. Mon père faisait toujours ça.
— C'est bon, je vais payer. Pas besoin de me faire la morale.
Je regarde la salle, les clients attendent leurs commandes en regardant ce qu'il se passe. Nous avons beaucoup trop de travail à nous trois. Ce petit idiot en a profité et maintenant il nous fait perdre notre temps. Ça me donne une idée.
— Tu vas faire plus que cela, je lui réponds.
Il me regarde les yeux écarquillés.
— Ah ouais ? Pourquoi j'en ferais plus ?
— Parce que je suis certaine que tu ne veux pas que j'appelle la police.
Il plisse les yeux, soupçonneux. J'ai le temps de voir un brin de panique passer sur son visage avant que ses épaules ne s'affaissent légèrement. Il n'est pas plus grand que moi, presque la même taille, je pourrais sans doute le remettre à terre s'il cherche à partir.
— C'est quoi votre chantage ? il demande d'un ton qui n'est plus aussi sûr qu'avant.
— Nous avons besoin d'aide ici. C'est bien payé et pas trop compliqué. Si tu viens travailler ici, on oublie la police.
Je jette un regard vers Jenna pour être certaine qu'elle n'est pas contre. J'aurais peut-être dû la consulter avant. Mais elle hoche la tête et sourit.
— Alors ? j'insiste.
— Je serais payé ?
— Evidemment, répond Jenna.
— A condition d'être à l'heure tous les jours et de faire le travail comme il faut.
Les discussions ont repris dans la salle et Sarah s'occupe des commandes en attentes. On ne s'occupe plus de nous.
— C'est quoi l'arnaque ?
— Il n'y en a pas. On te propose un travail, c'est tout. Tu as quel âge ?
— Seize ans.
— Il te suffit de faire ce qu'on te dit, d'être poli avec les clients, ponctuel et sérieux. Tu penses pouvoir y arriver ?
Il se tourne vers Jenna qui lui sourit gentiment, puis me regarde à nouveau.
— Ok.
Je retiens un soupir de soulagement. J'ai bien cru qu'il allait refuser et j'aurais eu l'air idiote parce que je n'avais aucunement l'intention d'appeler la police.
— Comment t'appelle-tu ? demande Jenna en lui serrant la main.
— Kyle. Kyle Jacobs.
— Merde...
Mes bras tombent et ma bouche reste légèrement ouverte. Il ne peut pas y avoir deux Kyle Jacobs de seize ans avec de tels yeux verts dans cette ville.
Il se tourne vers moi et me regarde comme si j'avais marché sur son pied. Il ne doit pas savoir qui je suis. Pourquoi il saurait ? Je doute que Drew parle de moi à son frère. Restons calme, prenons un air innocent.
— Je dois terminer mes commandes, je dis en m'éloignant.
Il reste avec Jenna qui lui parle sans doute de ce qu'il devra faire. Je me concentre sur mes gestes pour ne pas me tromper dans les commandes, et les ramène à leur table. Je n'arrive pas à croire que je viens de faire embaucher le frère de Drew. Il m'a dit qu'il faisait des conneries là où ils vivaient avant, ça petite tentative pour nous fausser compagnie devait être un moyen de refaire les mêmes erreurs qu'avant. Je suis plutôt contente de l'avoir arrêté. J'espère que travailler ici va lui permettre de changer de voie.
A la fin de la journée, en rentrant chez moi, je prends le temps de lire les mails que j'ai trié pendant mes deux minutes de pause. Je n'ai pas eu un instant à moi jusqu'à ce que sonne l'heure de la fin de mon service. Assise sur mon canapé, les pieds en l'air, dans un simple short et un t-shirt que j'ai passé après avoir pris un bon bain pour me détendre, j'arrive enfin au mail du magasin de sport. En gros, en plein milieu, un énorme « félicitations » me fait bondir de joie. Pour être certaine, je lis le mail en entier. J'ai gagné les places pour le match de hockey ! J'ai envie de partager ça avec quelqu'un mais je ne sais pas qui. Sophia n'en a sans doute rien à faire. Et Elise doit être dans le même cas. Qu'est-ce que je vais faire de mes trois autres billets ? Alors que je réfléchis à cette question, mon téléphone sonne. C'est Ethan.
— Bonsoir.
— Bonsoir Tess. Comment vas-tu ?
— J'ai gagné des places pour un match de hockey, je lui annonce en réfléchissant toujours à ce que je vais en faire.
Peut-être qu'il voudrait venir avec moi.
— Vends-les. Que veux-tu aller faire à un match de hockey ? Ça ne vaut pas le baseball.
Bon. Ça ne sera pas lui le candidat pour l'un des billets.
— Je veux y aller. Je dois juste trouver quelqu'un pour m'accompagner.
— Je n'aurais certainement pas le temps de t'accompagner.
— Ni l'envie, je marmonne.
— Pas vraiment non.
J'ai l'impression qu'il est de moins en moins le mec sympa et drôle que j'ai rencontré.
— Tu as beaucoup de travail ?
Il soupire lourdement.
— Tu n'imagines même pas. Tu dois être tranquille toi.
— C'est la haute saison, je n'ai pas arrêté aujourd'hui. Pas une minute pour moi.
Il ne répond que par un grognement, ou un raclement de gorge, je ne sais pas trop.
— Pourquoi tu m'as appelée ?
Il soupire à nouveau.
— J'avais envie d'entendre autre chose que mes collègues.
Il se rattrape. C'est quand même un compliment. Il pense à m'appeler moi pour se changer les idées.
— Je t'offre du divertissement ?
— Ouais. J'aime bien te parler de temps en temps. Et puis en général, quand je termine le travail, il est trop tard chez mes parents pour que je puisse les appeler.
J'entends ce qu'il n'ose pas ajouter : il ne lui reste que moi comme choix. Finalement ce n'est plus vraiment un compliment. Je soupire et me lève pour rejoindre ma chambre. Je suis morte. Cette journée a été un enfer. Je m'allonge sous les couvertures alors qu'Ethan me raconte sa journée, remplie de rendez-vous, de réunions, et de machine à café qui ne fonctionne plus.
— Tu dois être épuisé, je marmonne.
J'ai vraiment du mal à ressentir de la compassion pour lui.
— Oui. Je crois que je vais aller me coucher.
— Ok.
— Bonne nuit Tess. A bientôt.
— Ouais. Bonne nuit.
Je raccroche et balance mon téléphone sur la table de nuit. En repensant à mes billets de hockey, un petit papillon s'envole et vient chatouiller mon cœur. Je repense à mon père, si heureux ce jour-là. Je veux absolument aller voir ce match, même si je dois y aller seule.
Le lendemain, je constate avec une pointe de déception que Kyle n'est pas là. Jenna vient me voir avant le début du service et me demande si je suis d'attaque pour la journée.
— J'ai passé une bonne nuit. Mais si nous sommes aussi submergées que hier, je ne sais pas si je tiendrais.
Elle tapote mon épaule et me sourit.
— Kyle va nous être d'une grande aide.
Je regarde autour de nous. Kyle n'est pas là.
— Il ne va peut-être pas venir.
Elle m'adresse un clin d'oeil.
— Je suis certaine qu'il viendra. Je lui ai dit qu'il peut commencer à huit heure. Il n'y a jamais beaucoup de monde avant huit heure et demi.
Je hoche la tête mais je ne suis pas convaincue. J'espère que Kyle viendra. Jenna sera très déçue dans le cas contraire. Et moi aussi.
Sarah arrive une demi-heure plus tard, étrangement plus souriante et apprêtée qu'à son habitude.
— Tu as l'air en pleine forme.
Elle me sourit.
— Je le suis. C'est une belle journée, non ?
Je regarde dehors et vois le ciel menaçant. Il va certainement neiger dans quelques heures.
— Une belle journée neigeuse.
Elle secoue la tête comme si je faisais exprès d'être pessimiste. Mais ce n'est pas moi qui fait la météo !
Quand huit heure sonne, je regarde la porte avec impatience. Des clients entrent et je les accompagne jusqu'à leur table.
— Comment allez-vous, Tess ? demande le vieil homme en lissant sa moustache.
— Bien. Et vous monsieur Jones ?
Il sourit et penche la tête.
— Je sens qu'il va neiger aujourd'hui, ma petite Tess. J'aime bien la neige. Alors je vais bien.
— J'en suis ravie pour vous. Je vous apporte votre petit déjeuner tout de suite.
Il tapote mon bras pour me remercier et je m'en vais. Parfois, quand je lui parle, j'ai l'impression d'avoir un grand oncle qui me rend visite. Surtout parce qu'il m'appelle « ma petite Tess ». Avec un sourire sur le visage, je traverse la salle et m'arrête au comptoir pour préparer le café de monsieur Jones pendant que Frédéric prépare son plat.
— Tess ?
Un frisson agréable glisse de mon cou à mes orteils. Une voix aussi vibrante et chaude ne peut appartenir qu'à une seule personnes. Je me retourne pour voir Drew et Kyle, debout de l'autre côté du comptoir. Ce pourrait être des jumeaux si Kyle n'avait pas l'air clairement plus jeune. J'ai un peu l'impression de voir double. L'un semble content, mais l'autre à l'air exaspéré.
— Bonjour.
Je m'approche d'eux, ne sachant pas trop ce que je dois dire. Drew sait ce qu'il s'est passé hier ? Je n'ai pas envie que Kyle ait des problèmes, même s'il les a cherchés.
— Bonjour, Tess. Comment tu vas ?
— Bien. Vous venez pour le café ?
Drew regarde Kyle d'un air menaçant puis secoue la tête.
— Kyle m'a dit qu'il a été embauché hier.
Je hoche la tête. Jusque-là, nous sommes d'accord. Je regarde ma montre, il est près de huit heure quinze.
— Il a un peu de retard, je commente.
Kyle lève un regard entendu vers son frère mais ce dernier ne s'excuse pas auprès de lui.
— C'est ma faute, me dit-il avec un grimace d'excuse. Je ne l'ai pas cru. J'ai insisté pour venir avec lui.
Je retiens un sourire.
— Ok. Tu peux aller prendre ton tablier derrière et te mettre au travail.
Kyle s'exécute avec soulagement. Avoir son frère sur son dos tout le temps ne doit pas être très agréable à vivre, je le conçois.
— J'ai été très surpris d'apprendre qu'il a trouvé quelque chose pour s'occuper, me confit Drew.
— Il a peut-être décidé de se prendre en main. C'est un grand garçon.
Il sourit comme un père et mon cœur fond.
— J'aimerais que ce soit vrai. C'est toi qui lui a forcé la main ?
Mon sourire se crispe.
— Quoi ?
Il se penche sur le comptoir, appuyé sur ses coudes, et me regarde dans les yeux. Il est intimidant comme ça. Je ne doute pas qu'il puisse avoir toutes les réponses qu'il souhaite quand il le veut.
— Je sais quand quelqu'un me ment, il dit d'une voix sombre.
Il observe ma réaction, j'essaye de rester stoïque mais j'ai du mal. Son regard s'arrête à mon cou, puis descend un peu plus bas mais là je suis certaine que ce n'est pas pour savoir si je mens. Son regard remonte rapidement à mes yeux, l'air de rien.
— Et je sais quand tu es nerveuse, il ajoute. Tu n'avais pas l'air de savoir quoi dire quand tu nous as vu. Qu'est-ce qu'il a fait ?
Je soupire et secoue la tête.
— Il n'a rien fait Drew. Tu devrais lui faire un peu plus confiance.
Les lèvres pincées, il ne me répond pas tout de suite. Je sens qu'il va lire sur mon visage que je cherche à protéger Kyle, juste pour lui donner une chance d'effacer ce qu'il a fait.
— S'il fait la moindre chose de travers, je veux que tu me préviennes, Tess.
Peu importe le sujet de la conversation, dès qu'il prononce mon prénom un papillon prend son envol dans mon ventre.
— Je te le dirais si c'est nécessaire.
Il grogne et tapote ses lèvres avec le bout de ses doigts.
— D'accord, il soupire en se redressant.
Kyle revient et je vois Sarah derrière Drew devenir rouge et baisser la tête pour laisser ses cheveux cacher son visage. C'est suspect tout ça. Je suis aussi facile à déchiffrer qu'elle, quand je parle à Drew ?
— Je vais le laisser tranquille pour le moment. Tu déjeune à quelle heure ?
— Euh... S'il y a autant de monde que hier, je n'aurais pas le temps d'avaler plus qu'un sandwich.
Il tord ses lèvres pour chercher la solution à son problème.
— Je passerais quand même pour le déjeuner.
— Je serais là.
Il sourit mais reste contre le comptoir.
— J'espère que tu auras quelques minutes pour moi.
— Je vais voir ce que je peux faire, je lui réponds d'un air nonchalant.
Il secoue la tête et tapote le comptoir de ses doigts.
— Je t'ai dit que je ne te laisserais plus gagner, il réplique d'une voix étrangement vibrante.
J'en ai des fourmis dans les doigts et les orteils. Son regard émeraude plonge en profondeur dans le mien comme un fantôme prenant possession de son hôte.
— Nous verrons bien, j'arrive tout de même à répliquer.
Son sourire se fait diabolique. Je prends pleinement conscience de ces mots. Il veut gagner, et je doute d'être encore capable de lui tenir tête.
— D'accord.
— D'accord, je souffle en retour avec un sourire.
Il se penche et dépose un baiser sur ma joue, juste à côté de mes lèvres. Presque un simple effleurement qui me chatouille jusqu'au bas de mon ventre. Puis il s'en va. Sans se retourner. Sans un regard ou un sourire.
Il vient de prendre la tête de la course et a une bonne longueur d'avance.
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