Confidences sur l'oreiller
J'ouvre les yeux en réalisant que je suis toujours sur Drew. J'ai dû m'assoupir quelques secondes car il ne semble pas l'avoir remarqué, ou alors il ne veut pas que je bouge. Ses doigts caressent doucement mon dos et des frissons parcourent ma peau à leur passage.
— Tu as froid, il dit d'une voix monocorde.
— Je n'ai pas envie de bouger, je marmonne contre son épaule.
Il inspire longuement en plongeant son visage dans mon cou. Il y presse un long baiser, puis se recule pour laisser sa tête tomber contre le dossier du canapé.
— Je ne pourrais pas te porter jusqu'à la salle de bain. Et même si cette position est très agréable, il faut que nous soyons habillés ou ailleurs quand Kyle rentrera.
Je me redresse et le regarde dans les yeux. La colère qui y régnait depuis plusieurs jours n'est plus aussi forte qu'avant. Malgré cela, le doute est encore visible et douloureux.
— Alors tu me laisse rester ici ? je demande avec espoir.
— Ai-je le choix ?
Je secoue vigoureusement la tête parce que de toute façon je n'allais pas le laisser me virer, et une ombre de sourire passe sur son visage.
— Alors je suppose que tu restes, il conclut.
Je me lève à contrecœur, le sentir glisser hors de moi est une sensation étrange, comme un morceau de moi-même qui s'en va. J'évite de me focaliser sur cette sensation, de nous deux, je dois être celle qui positive parce qu'il n'est clairement pas en état de soutenir quoi que ce soit. Je récupère nos affaires étalées sur le sol pendant qu'il se lève, et les porte à la salle de bain avec nous. J'ouvre le robinet d'eau, sentant le regard de Drew sur moi. Etre totalement nue devant lui ne me dérange pas, bien que je me sente un peu exhibitionniste. Une fois que l'eau est chaude, j'entre sous la douche et laisse la porte ouverte pour qu'il me suive.
Je n'ai pas besoin de le formuler pour qu'il agisse. Comme un félin, il se glisse derrière moi sous la douche et prend ma place sous le jet d'eau. Les yeux fermés, il laisse son corps se détendre sous le liquide chaud qui dessine chaque contour de son corps. D'une main légèrement tremblante, j'attrape le gel douche et en verse dans ma paume avant de l'appliquer sur son torse. Il sursaute à mon contact, les yeux toujours fermés, mais il se laisse faire. Il n'y a rien de sexuel, rien pour nous amener à l'excitation et le besoin du contact charnel. Mes mains glissent sur son corps avec adoration, prenant soin de passer plus délicatement autour de sa blessure.
— J'ai besoin que tu te tournes, je lui dis si bas que je ne sais pas s'il m'a entendu.
Je le vois inspirer profondément, puis il ouvre les yeux directement sur moi avec un léger sourire, si infime que n'importe qui d'autre ne l'aurait pas remarqué. Il se tourne pour me présenter son dos et je vois un énorme bleu vers le côté droit, sous son omoplate.
— Mais qu'est-ce qui s'est passé ? je demande en dessinant les contours de l'hématome du bout des doigts.
Il frissonne et je vois ses muscles se tendre. Mon estomac se tord, j'imagine à nouveau un tas de scénario catastrophe qui expliqueraient ses blessures. Il n'aurait aucun intérêt à nous avoir menti, mais je suis obligée de repousser des images désagréables qui cherchent à encombrer mon esprit. Je refuse de revoir encore l'accident de mon père ou la dernière fois que j'ai vu ma mère à l'hôpital avant qu'elle ne meurt.
— Je te l'ai dit, un contrôle qui a mal tourné.
Je ravale la boule qui s'est logée dans ma gorge pour m'éclaircir la voix et ne pas laisser entendre les larmes qui essayent de se frayer un chemin sur mon visage.
— Chéri, tu as un gros bleu là et une balle a traversé ton épaule. J'ai besoin d'un peu plus d'explications.
Je le vois frémir, mais ne comprend pas tout de suite pourquoi. Ce n'est que quand il souffle « ma puce », que je comprends. Il n'ajoute rien, il ne cherche pas à m'interpeller, il le dit juste comme un souvenir agréable. Je ne l'ai jamais appelé autrement que par son prénom, et même si cela me surprend tout autant que lui, je ne le laisse pas paraître.
— Une voiture est passée un peu trop rapidement dans une zone résidentielle où nous faisions notre patrouille, il explique, la tête baissée sous le jet d'eau, une main sur le mur pour tenir debout.
Je caresse doucement son dos pendant qu'il parle. Il agite la tête avec un petit rire sans réelle joie avant de continuer.
—Palmer n'avait pas envie de sortir de la voiture parce qu'il voulait terminer son beignet. Il est donc resté à l'intérieur pour chercher des informations avec la plaque d'immatriculation. Des antécédents, ou si elle a été volée. La routine. Je me suis approché du véhicule pour demander ses papiers au conducteur. Quand il s'est penché, Palmer est sorti en courant vers moi. Le temps que je réalise qu'il tenait déjà son arme, le type dans la voiture braquait la sienne sur moi. J'ai eu un mouvement de recul en la voyant, il a tiré, et j'ai perdu l'équilibre. Je suis tombé contre le rebord du trottoir. Palmer lui a crié de lâcher son arme en tirant dans le rétroviseur. Je crois qu'il visait sa main. Le type l'a laissé tomber au sol et s'est rendu.
Je retiens mon souffle encore quelques secondes, la main figée sur sa peau meurtrie.
— Mais pourquoi t'a-t-il tiré dessus ?
Il secoue la tête.
— C'était un gamin de vingt ans. Il était défoncé et Palmer a vu qu'il avait été impliqué dans un cambriolage qui avait mal tourné. Une vieille dame qui était morte pendant qu'il pillait sa maison avec deux de ses complices, qui sont toujours en prison d'après ce que je sais.
Je soupire et embrasse son hématome.
— Je suis contente que tu n'aies rien de plus grave.
Il se tourne pour se rincer et prend le gel douche. M'attirant vers lui pour échanger nos places, il me savonne sans dire un mot. Ses gestes sont lents et tendres, je me surprends à ronronner, les yeux fermés, sentant ses mains me masser les épaules et le dos. Je ne manque pas de remarquer qu'il s'attarde plus longtemps sur mes fesses et mes seins, mais qui oserait se plaindre ?
— Dépêche-toi de te rincer avant qu'il n'y ai plus d'eau chaude.
Je m'exécute et coupe l'eau. Il est déjà sorti de la cabine et a passé une serviette autour de ses hanches, m'en tendant une autre pour que je me sèche.
— Je vais te chercher quelque chose à mettre.
Il disparaît dans sa chambre avant que je n'ai le temps de protester. Habituellement, je porte une culotte et un de ses t-shirts quand je dors ici. Je me demande si mes affaires traînent dans sa chambre comme les siennes traînent chez moi.
Je le rejoins, seulement enroulée dans ma serviette, et m'installe sur le lit.
— Tu es fatigué ? je lui demande en voyant qu'il fouille ses tiroirs avec peu de conviction.
— Ouais. Ça doit être les antidouleurs.
Il me donne un t-shirt et une de mes culottes, ce constat me fait sourire. Je me change alors qu'il enfile un caleçon, puis il vient s'installer à côté de moi. Je pose ma tête sur son épaule, un bras en travers de son torse, mais je n'arrive pas à garder les yeux fermés. L'orage gronde dehors et je me rends compte que la pluie s'abat sur la fenêtre de la chambre. Le bruit de la pluie est apaisant, et les bras de Drew sont tellement réconfortants. Malgré cela, mon esprit ne reste pas tranquille.
— Tu dors ? je chuchote en dessinant des petits cercles sur son torse.
— Non.
Je dépose un baiser dans une petite touffe de poils et inspire profondément son parfum.
— Tu repenses à ce qui t'es arrivé ?
— Non.
J'enfouis mon visage dans son cou et y dépose un baiser. Je suis consciente que je dois sans doute l'emmerder avec mes questions, mais je ne peux pas m'en empêcher. J'ai l'impression que je vais sombrer si je n'entends pas encore sa voix.
— Tu penses à quoi ?
— Toi.
J'ai un frisson. Je dépose un autre baiser sur son épaule cette fois. J'aimerais lui répéter qu'il n'a pas à avoir peur que je parte encore une fois, mais je sais que ça ne mènera à rien. Il l'a déjà entendu, il a besoin maintenant de le comprendre et d'y croire. Et pour cela, pour l'instant, je ne peux rien faire.
— Tu es préoccupée ? il me demande en sachant déjà la réponse.
Je ne veux pas qu'il s'inquiète pour moi pour l'instant, mais des questions tournent dans ma tête s'en s'arrêter, même la pluie qui tambourine sur le toit et contre les vitres ne peut pas les atténuer.
— Est-ce que tu as eu peur ?
Son bras se resserre autour de moi.
— Ouais. On a toujours un peu peur dans ces situations. Malgré le gilet par-balle, il reste la peur.
Mon estomac se tord en imaginant la scène. Je me le suis interdit jusque-là, mais les images finissent par s'imposer d'elles-mêmes. Et si ce gamin avait visé sa tête, ou s'il avait réussi à toucher un organe vital? Ces pensées me font peur, bien plus que je ne devrais. Il a choisi ce métier, c'est ce qu'il aime, je ne peux pas non plus lui demander d'arrêter. Je dois juste prendre sur moi. Je l'aime trop pour le priver de cela, et j'ai déjà essayé de l'oublier sans succès. Après tout, c'est lui qui risque sa vie. Il a eu peur, sans doute plus que moi, et si cela ne le pousse pas à renoncer à ce qu'il fait, alors je n'ai aucun droit de le lui demander.
— A quoi tu as pensé ?
Il soupire et se tend. J'embrasse son torse et il embrasse mes cheveux.
— J'ai pensé à toi et Kyle. Et puis à ma mère.
Je retiens des larmes, contente qu'il ne voit pas mon visage en cet instant. Qui aurait pu croire que je puisse pleurer autant pour rien? Mes doigts descendent vers ses côtes, et dessinent les contours de son tatouage sur sa hanche.
— C'est pour elle ton tatouage ? C'est un ange ?
— Oui, je pense qu'elle nous protège d'une certaine façon depuis là où elle est.
— Je n'en doute pas. Elle a deux fils merveilleux.
Je le sens sourire.
— Tu ne m'as jamais dis comment elle est morte. Seulement que c'était la faute de ton père.
— Matthew, il rectifie d'une voix sombre. Je te l'ai dit, il la battait et buvait comme un trou. Un soir elle...
Il inspire douloureusement et s'agrippe à moi de son bras valide. Je serre sa main pour le réconforter, j'ai encore manqué une occasion de me taire. Mais il doit savoir que je peux l'entendre, et l'aider. J'ai perdu mes deux parents, pas dans les mêmes conditions, mais l'impact est le même.
— Un soir, il reprend, le gars qui tenait le bar où Matthew allait tout le temps, à appelé ma mère pour lui demander de venir le chercher. Il était évidemment trop ivre pour rentrer.
La colère s'entend encore dans sa voix, alors que cette histoire s'est déroulée il y a plus de dix ans. Mais je le comprends. Cela fait moins longtemps que j'ai perdu mon père, mais je ne pense pas que je cesserais un jour d'en vouloir à l'homme qui l'a tué.
—Sur le chemin, elle a fait une sortie de route. Elle s'est simplement endormie au volant. Il l'épuisait, la poussait à bout, tout le temps. Ce jour là, j'avais une sorte de pressentiment. Je ne sais pas exactement ce que c'était. Je m'étais peut-être juste dit que si elle n'allait pas le chercher, il ne rentrerait plus jamais. Je ne sais pas.
Il s'interrompt à nouveau, la voix légèrement tremblante. J'arrive à sentir toute sa peine, sa rancœur, elle me bouleverse comme si j'avais vécu ce drame avec lui.
—Je l'ai suppliée de ne pas y aller, il ajoute d'une voix presque éteinte. Elle était si fatiguée que je pensais réussir à la convaincre. Mais elle m'a juste pris dans ses bras, m'a dit qu'elle m'aime et m'a demandé de veiller sur Kyle.
Un sanglot m'échappe alors que j'essayais de les retenir jusque là. J'imagine la dernière fois qu'il a vu sa mère, cette femme si belle sur la photo que j'ai vu il y a quelques semaines. Cette femme qui était rayonnante avec son fils et son ventre rond. L'imaginer à bout de force, épuisée par une vie monstrueuse imposée par un homme qui ne savait même plus ce qu'il faisait, par l'homme qu'elle aimait. C'est horrible et douloureux.
— Je suis tellement désolée, je sanglote pathétiquement.
— Je suis certain qu'elle t'aurais aimé, il murmure contre ma tempe.
Je blotti mon visage dans son cou et pleure un petit moment, le serrant le plus fort que je puisse, la peur de le perdre me tordant l'estomac, m'empêchant de respirer. Mais je veux surtout qu'il sache que je suis là, que je le soutiens, et le ferais toujours.
— Je me suis déjà demandé si elle t'a mise sur ma route, il reprend après un moment de silence.
Je renifle de façon très peu élégante, utilisant le t-shirt qu'il m'a donné pour essuyer mes joues.
— Je devrais la remercier, dans ce cas. Vous lui ressemblez beaucoup, toi et Kyle.
— Je suis content de ne pas ressembler à Matthew.
Cet aveu me fait penser à la discussion que j'ai eu avec Kyle ce matin. J'ai l'impression qu'une tonne de choses se sont produites depuis.
— Kyle m'a dit. Pour le test.
Drew soupire, visiblement épuisé.
— Ouais. C'est fou comme histoire. Mais je pense que si elle avait un amant, elle serait partis avec lui, au lieu de rester avec ce monstre.
— Tu pense qu'il ment ?
— Il ment, ou alors il était tellement ivre à longueur de journée qu'il a réussi à s'en convaincre et le croire lui-même.
Nous restons tous les deux silencieux pendant de longues minutes. Je me dis que je n'aurais jamais envie de rencontrer cet homme, capable de frapper sa femme enceinte pour une bouteille d'alcool, l'épuiser jusqu'à sa dernière goutte d'énergie, jusqu'à la faire mourir. Je repense au premier soir que nous avons passé en vacances, l'attitude de Drew envers moi parce que j'avais bu. Il m'en voulais ce soir là, et il m'en veut encore aujourd'hui, mais pour d'autres raisons. C'est un cercle auquel je dois mettre fin. Me redressant sur un coude, je pose ma main sur sa joue. Il me regarde si intensément, le vert de ses yeux plongeant si simplement en moi que j'en reste muette quelques secondes.
— Je t'aime, tu le sais, n'est-ce pas ?
Il ferme ses yeux, sans me laisser savoir si c'est du soulagement ou autre chose.
— J'en ai douté,quand tu es partie.
Quand il ouvre ses yeux, ils brillent un peu plus. Mais il ne me laisse pas me défendre.
— Et je t'en ai voulu. Je t'en veux toujours. Mais je t'aime aussi, Tess. J'ai juste besoin d'un peu de temps pour te faire à nouveau confiance.
— Je t'ai abandonné au moment où tu avais le plus besoin de moi, et je m'en veux. Si tu savais comme je m'en veux.
Je n'essaye même plus de retenir mes larmes. A quoi bon ? Ses doigts glissent jusqu'à ma nuque et doucement il se met à la masser, Me ramenant contre lui, embrassant mes cheveux de temps en temps, jusqu'à ce que je me calme. Nous avons subit un peu trop d'émotions aujourd'hui. Je suis épuisée et Drew ne doit pas être mieux. Je me demande comment il fait pour être toujours réveillé et supporter mes pleurnicheries.
— On devrait dormir maintenant, je murmure.
Il passe ses doigts sous mon menton pour me forcer à le regarder. Son regard émeraude scintille sous le clair de lune. Son visage, dans la faible lumière qui nous parvient de la rue, ne semble plus empreint de douleur.
— Je sais que je ne devrais pas te le demander, que nous n'avons encore rien réglé, mais j'ai besoin de toi ce soir.
— Je serais toujours là, je lui dis sans réfléchir parce que c'est vrai.
Sa main posée contre ma joue, il essuie mes larmes.
— Embrasse-moi, il ordonne dans un souffle.
Je me redresse et me penche vers lui pour lui accorder un long baiser qui lui communique tout les sentiments que j'ai pour lui. Ça n'est pas pour initier une nouvelle séance de plaisir charnelle comme sur le canapé. Nous nous embrassons comme si nous ne faisions que nous caresser. Juste des baisers pour nous soulager, pour donner à l'autre le réconfort dont il a besoin. Je prends soin de ne pas m'appuyer sur son épaule blessée, mon corps à moitié sur le sien.
— Bonne nuit, mon amour, il murmure contre mes lèvres entre deux baisers.
— Bonne nuit, chéri, je réplique en souriant.
Ses mains me tiennent fermement sur lui, les miennes ne font que le caresser doucement. Nous continuons à nous embrasser aussi simplement que nous respirons, jusqu'à ce que nous nous endormions, rassurés par les bras de l'autre, protégés dans la chaleur de nos corps et bercés par le tambour de la pluie sur les vitres dans l'appartement silencieux.
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