Je n'ai fait que semblant de dormir durant le reste du voyage. Au moment où la voiture s'arrête, j'ouvre les yeux et regarde tout autour de moi. Nous sommes stationnés sur un petit parking, à côté de la voiture de Stuart. Il n'y a que deux autres véhicules un peu plus loin et tout est entouré par des arbres qui annoncent le début d'une forêt dont les sommets sont encore enneigés. Je sens le regard de Drew sur moi alors que j'essaye d'identifier les lieux.

— Tu vas mieux ? il demande d'une voix clairement soucieuse.

Je retire mes lunettes, frotte mes yeux, puis les remet aussitôt en arborant un léger sourire.

— Oui, tout va bien, je mens parfaitement avant de sortir de la voiture.

J'ai encore un peu de mal à assumer la conversation que j'ai instaurée plus tôt. Je n'en reviens toujours pas d'avoir failli lui demander... je ne sais même pas ce que j'allais lui demander. Tout ce que je sais c'est qu'il m'attire et personne ne m'a attiré comme ça avant. Je me rends compte que c'est absurde, mais mon cerveau refuse d'écouter ma raison.

Je reste plantée derrière la voiture alors que Drew ouvre le coffre pour en faire sortir Boomer. Il lui attache une laisse et me demande de la tenir le temps qu'il referme la cage. C'est là que Sophia vient passer un bras autour de mes épaules et m'entraine vers le sentier. Jules et Stuart ouvrent déjà la marche.

— Tu as dormis pendant le voyage ? elle me demande. Tu as l'air un peu molle.

— J'ai essayé, je marmonne.

— Drew ne t'a pas laissé dormir ? elle demande en riant.

Si seulement elle savait. Je soupire et secoue la tête.

— Il ne m'a pas dérangé, c'est juste que je n'ai pas réussi à m'endormir.

Elle pince les lèvres, les sourcils froncés.

— Quelque chose ne va pas ?

Un rire assez aigu nous parvient et nous nous retournons en même temps pour voir Elise rire avec Drew à quelques mètres derrière nous.

— Ils ont l'air de bien s'entendre tous les deux.

Sophia a l'air ravie, moi je le suis un peu moins. Qu'est-ce qui m'a pris de lui parler comme ça ? Maintenant je n'ai plus aucune chance d'avoir une conversation normale avec lui. Je vais être gênée pour le reste de la semaine. Heureusement que je ne le reverrais plus de ma vie. Mais ce qu'il m'a dit m'intrigue quand même. « Je ne suis pas en mesure de t'apporter ce que tu pourrais attendre ». Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ça a un lien avec ce qui lui est arrivé et que Jules n'a pas eu le temps de m'expliquer ?

— Tu sais ce qui est arrivé à Drew ? je demande d'un air innocent.

Sophia fronce les sourcils.

— De quoi tu parles ?

Je hausse les épaules. Je ne sais pas si je peux lui dire ce que Jules m'a dit. Elle n'a pas l'air d'être au courant. Il vaut mieux que je n'en dise pas trop, bien que je ne sache pratiquement rien.

— Je ne sais pas... il était plutôt à cran hier. Je me demandais s'il y avait une raison particulière.

— Elise m'a dit qu'il avait vraiment l'air furieux hier soir quand tu es arrivée totalement pompette à notre table, mais je ne sais pas. Je ne pense pas que ce soit à cause de toi en tout cas. Il ne te connait pas, il n'aurait aucune raison d'être furieux pour ça.

Je hoche la tête. Elle a raison, c'est exactement ce que je me suis dit. Et ça prouve qu'elle ne sait pas plus que moi ce qui a bien pu arriver à Drew pour que Jules me demande d'être sympa avec lui pour lui remonter le moral. Si je veux des réponses, il faut que je m'adresse directement à Jules ou à Drew. Mais je crois que ce dernier ne me dira rien après la conversation que nous avons eue dans la voiture. Il doit me prendre pour une folle maintenant ou une fille qui veut juste le mettre dans son lit. Ce qui je l'avoue ne serait pas déplaisant. Je secoue la tête pour faire partir cette idée. Je vais me retrouver dans une situation impossible si j'écoute toutes les bêtises qui me passent par la tête. Je ne suis pas de ses filles qui arrivent à gérer les coups d'un soir. Bien que je n'ai jamais essayé. Les hommes que j'ai pu rencontrer jusque-là n'ont fait que me décevoir en un dîner, alors comment arriver à avoir envie d'eux juste un soir sans le regretter le lendemain ?

Les garçons devant s'arrêtent, semblant nous attendre. Nous les rejoignons et ils reprennent leur marche. Jules passe son bras autour de Sophia et dépose un baiser sur sa tempe.

— Alors, vous avez trouvé une date de mariage ? je demande pour avoir l'air de m'intéresser à quelque chose.

— Non, pas du tout, soupire Jules. Si ça continue tu seras mariée avant nous.

Je laisse échapper un rire ironique.

— Je crois que vous avez une sacrée avance sur moi. Ça ne risque pas d'arriver.

— Tu trouveras, me dit Sophia l'air de vouloir me rassurer.

— Oh non, je m'exclame en levant les deux mains comme si je voulais la repousser. Vous n'allez pas commencer avec les discours de réconfort parce que je suis célibataire. Ce n'est pas une maladie ni un handicap, je le vis très bien.

Ils rient tous les trois et nous continuons notre marche. Je dirais plutôt que je le vivais très bien jusqu'à ce que je rencontre monsieur j'ai-un-corps-parfait, et son chien. Mes joues chauffent à cause des idées déplacées qui s'immiscent dans mon esprit.

— Jules, tu penses que Drew voudrait venir à notre mariage ? demande Stuart.

Jules hausse les épaules et tourne la tête pour voir où sont Drew et Elise. Je fais de même et les vois un peu plus loin, l'air d'être en pleine conversation. Elise sourit comme d'habitude alors que Drew semble lui expliquer quelque chose en faisant des grands gestes.

— Sans doute, conclu Jules. Il a l'air de bien s'entendre avec Elise.

— Qui ne s'entend pas avec Elise ? je demande avec une pointe de sarcasme non voulu.

— Oui, c'est vrai, elle est géniale, confirme Stuart sur le ton de l'admiration.

— Vous avez déjà une date pour le mariage, vous ? je demande en feignant l'intérêt.

Stuart redresse fièrement les épaules et m'adresse un sourire ravis. Je n'ai pas l'habitude de le voir faire ça et manque de trébucher.

— On a fixé une date oui, ça sera cet été. Les invitations devraient être envoyées la semaine prochaine.

Je hoche la tête une fois, peu intéressée, et les laisse débattre de la façon dont lui et Elise s'y sont pris pour choisir la date. Je ne me rends compte que j'ai ralentit le pas que lorsque je me retrouve juste devant Drew et Elise.

— ... elle m'a vraiment donné du fil à retordre, conclut Drew avec amusement.

J'essaye de me dire que ça ne m'intéresse pas, mais je ne peux m'empêcher de me demander de quoi il parle.

— Et elle te l'a proposé comme ça ? s'étonne Elise.

Proposé ? Proposé quoi ? Ils parlent de moi ? Mon cœur s'accélère. Il n'aurait quand même pas osé lui répéter ce que j'ai dit dans la voiture ? En plus ça n'avait aucun sens. Et il n'en rirait pas. À moins qu'Elise ai compris où je voulais en venir, ce qui serait vraiment extraordinaire sachant que même moi je ne sais pas vraiment où je voulais en venir.

— Oui, comme ça. Je venais de lui passer les menottes et elle m'a proposé d'aller boire un café pour oublier tout ça.

Elise éclate de rire. Effectivement, ce n'est pas de moi qu'il parle. Mon corps se détend et je m'arrête parce que Boomer a besoin de se soulager.

— Je ne pense pas qu'elle ne faisait que vendre de la drogue, elle dit toujours hilare.

— Crois-moi, elle était sérieuse.

Je suis tournée vers les arbres qui longent le sentier, observant Boomer renifler un arbre, et j'entends derrière moi quelqu'un se mettre à courir. Peut-être un randonneur. Mais soudain, un bras s'enroule autour de mes épaules et je sursaute.

— Désolé, je ne voulais pas t'effrayer, me dit Drew sans pour autant retirer son bras.

Je tourne la tête pour voir que la personne qui s'était mise à courir était Elise, qui a maintenant rattrapé les autres. Boomer, qui a fini sa petite affaire se remet en route et je fais de même.

— Ça ne te dérange pas de le promener ? il me demande. J'avais l'intention de le récupérer mais tu étais déjà partie avec Sophia.

— Non.

— Il a l'air de bien t'aimer.

Je regarde Boomer qui marche fièrement à coté de nous.

— Je l'aime bien aussi, je dis d'une voix distraite.

Il frotte sa main sur mon bras l'air de vouloir me réchauffer ou me réconforter. Je fais mine de trouver ça normal mais une dizaine de questions me viennent à l'esprit d'un coup.

— Et ta tête, ça va mieux ?

Il retire son bras de mes épaules pour glisser ses deux mains dans ses poches.

— Euh... oui, ça va mieux.

Je me mords la lèvre nerveusement. Je suis tellement tendue que ma main se crispe sur la laisse. Pourquoi a-t-il fallu que j'ouvre la bouche dans cette voiture ? Je ne pouvais pas garder mes réflexions pour moi ?

— Je devrais peut-être rouler un peu plus doucement pour remonter, histoire de t'habituer plus facilement à l'altitude.

Je tente un regard dans sa direction. Il regarde droit devant lui, l'air totalement détendu. Mes muscles se relâchent un peu.

— Je pense que ça ira. Merci.

Il croise mon regard, mais ne le voit sans doute pas à cause de mes lunettes. Il fronce légèrement les sourcils mais hoche la tête.

— Si tu vas mieux tu peux enlever tes lunettes, non ?

Je préfère rester cachée derrière les verres teintés, même s'ils ne cachent que mes yeux. Je ne supporterais pas de croiser tout de suite son regard, pas avant ce soir au moins.

— Je préfère les laisser. Pour l'instant.

Du coin de l'œil je le vois hocher la tête.

— Ok.

Il sort sa main de sa poche et prend la mienne. Je suis d'abord surprise mais je n'ai pas le temps de réagir qu'il me tire un peu en avant.

— Viens, on va les rattraper avant qu'ils essayent de nous semer.

Ma gorge se serre sans que je ne sache pourquoi.

— Ta main est gelée, il dit en la mettant avec la sienne dans sa poche.

— J'ai oublié mes gants.

Il serre ses doigts autour des miens et caresse ma peau de son pouce.

J'accélère le pas tout comme Boomer et nous arrivons rapidement à la même hauteur que les autres. Mais pourtant, Drew ne lâche pas ma main. Bien que je fasse mine de la retirer, il serre sa prise autour de mes doigts pour les garder avec les siens. Les autres n'y font pas attention, ou alors prétendent ne pas le remarquer. Ils continuent de discuter, Drew prenant part à leur conversation de temps à autres. Moi je reste silencieuse pendant tout le reste de la promenade et n'essaye plus de retirer ma main. C'est quand même agréable, je dois l'avouer. Drew ne fait rien pour la retirer non plus. Il fait des petits cercles du bout du pouce de temps à autres, croise ses doigts avec les miens. Il n'a pas vraiment l'air d'y prêter attention, comme si c'était naturel. Je fais un effort monstrueux pour ne pas me crisper et prétendre que ça ne me perturbe pas. À mesure que nous marchons et que les conversations changent, mes amis changent de place aussi. Mais Drew reste obstinément à côté de moi, ne lâchant pas ma main. Sophia se retrouve à côté de moi alors qu'Elise et Stuart marchent devant nous et que Jules discute avec Drew.

— Tu vois, ça fait du bien cette promenade, me dit Sophia avec un clin d'œil.

Je vois son regard descendre vers mon autre main cachée dans la poche du manteau de Drew. Mes joues chauffent et j'essaye de la retirer mais Drew resserre sa prise et tourne la tête vers nous. Sophia lui adresse un large sourire, ravie. Je suis certaine qu'elle s'imagine quelque chose. Qu'on s'est rapproché ou quelque chose de pire encore. Je peux voir dans ses yeux qu'elle imagine déjà nos enfants.

— Je crois que ma main est assez réchauffée maintenant, je dis à Drew en essayant à nouveau de la retirer.

Cette fois il ne proteste pas. Il m'adresse un léger froncement de sourcils et comme je fais mine de l'ignorer, il reprend sa conversation avec Jules. Je me tourne vers Sophia avec un léger sourire mais il s'efface en voyant son visage. Elle me regarde d'un air sévère, les lèvres pincées pour visiblement retenir ce qu'elle voudrait me dire. Mais qu'est-ce qui lui prend ? Qu'est-ce que j'ai fait encore ? Ma journée n'est pas en voie de s'améliorer. Je fronce les sourcils et l'interroge du regard. En seule réponse, elle lance un regard entendu vers Drew. Je soupire et refuse de lui répondre. De toute façon c'est une situation trop compliquée pour le lui expliquer avec des regards et des gestes. Je fixe le chemin devant nous et réalise que nous arrivons à la fin de la boucle, rejoignant le parking d'où nous sommes partis.

— Je propose qu'on change un peu l'organisation des voitures, déclare Sophia alors que nous arrivons sur le parking.

Je lève un sourcil, craignant déjà le pire. Bien que ça ne puisse pas être pire que ce qui est arrivé pour l'aller.

— Je prends la voiture de Stuart avec Elise et Tess, et vous, elle ajoute en pointant les garçons, vous montez dans l'autre voiture.

Oh non ! Je confirme, c'est pire. Maintenant je vais avoir droit à un interrogatoire en bonne et due forme version Sophia, jusqu'à ce qu'on arrive au restaurant. Je regrette déjà le silence gênant de la voiture de Drew. Ce dernier appelle Boomer qui me tire avec lui jusqu'au coffre comme je tiens encore sa laisse. Il me tend la main pour que je la lui rende et se penche pour détacher Boomer.

— Quelque chose ne va pas ? il me demande discrètement en se redressant.

Je tourne la tête vers les autres qui sont assez loin pour ne pas entendre.

— Si, ça va. Sophia a juste envie de passer un petit moment entre filles je suppose. Elle doit avoir quelque chose à nous dire.

Son visage se détend alors qu'il referme la cage et le coffre. Il se tourne pour poser ses mains sur mes épaules, un léger sourire aux lèvres. Ne panique pas Tess, ne panique pas.

— Je crois que nous aurons vraiment besoin du chemin de retour tous les deux pour discuter, il dit d'une voix basse et intrigante.

Bon d'accord, là je panique. Mes yeux s'agrandissent derrière mes lunettes et mes lèvres se séparent pour protester, mais rien ne me vient. De quoi veut-il parler ? Il n'y a plus rien à dire. J'ai déconné, c'est tout.

— Je t'ai dit d'oublier ce que...

— Allez, on y va ! annonce Jules en s'approchant.

Je grogne légèrement. Drew retire ses mains de mes épaules et en pose une dans mon dos pour m'inciter à aller jusqu'à l'autre voiture où m'attendent Elise et Sophia.

— Oublie, j'articule sans laisser sortir le moindre son de ma bouche comme je m'éloigne.

Il fronce les sourcils puis se tourne pour monter dans la voiture.