Premier rendez-vous
Il y a deux façons d'affronter le début de journée avec Drew : soit je l'ignore, soit je lui adresse la parole comme si rien ne s'était passé. Hier, j'ai opté pour la deuxième option, mais ce matin, il est tellement ronchon, je ne peux que l'ignorer pour ne pas lui crier dessus. Il claque presque toutes les portes qu'il referme, marmonne ses réponses quand on lui pose une question et reste dans son coin, sans dire un mot. Je ne sais même pas s'il nous regarde ou s'il nous ignore. Je ne comprends vraiment pas comment ce qui s'est passé l'autre soir peut le rendre aussi grincheux. Si encore ce n'était qu'avec moi, mais là il s'en prend à tout le monde. Quand je suis enfin arrivée au refuge pour retrouver Ethan, je l'ai ressenti comme un soulagement. Contrairement aux autres, je n'aurais pas à supporter Drew toute la journée. Ethan m'attendait déjà, il faut dire qu'à cause de Drew nous avions une demi-heure de retard. Je crois bien qu'il a fait exprès de prendre tout son temps, mais je n'ai pas pris la peine de le lui faire remarquer. Je cherche encore à le comprendre et j'avoue que plus il est sombre, plus il est difficile de trouver une explication.
En tout cas, dans sa grande bonté, Ethan ne m'en a pas tenu rigueur et m'a accueilli avec un large sourire. Et qu'est-ce qu'il est beau aujourd'hui ! J'ai été étonnée de le trouver en costume bleu marine et chemise blanche avec une cravate pourpre. Puis je me suis souvenue qu'il devait aller à un rendez-vous professionnel après. Je me sens un peu mal habillée à côté de lui, je n'ai pris la peine que de mettre un jean et un pull, qui révèle quand même assez bien mon décolleté il faut l'admettre, mais je me suis à peine maquillée et ma coiffure se résume à : j'ai essayé et j'ai abandonné. J'ai laissé mes cheveux détachés dans un coiffé-décoiffé qui devrait passer. Le temps de notre petit déjeuner, j'ai pu me libérer de mes tensions avec Drew et connaitre un peu mieux Ethan. Mais je n'arrête pas de faire la comparaison entre les deux et j'avoue que cela commence à me taper sur les nerfs. Pourquoi Drew est-il si omniprésent dans mes pensées alors que je veux qu'il s'en aille ?
— Tu veux dire que tu habites dans la ville juste à côté de la mienne ?
Encore quelque chose que je sais sur lui et pas sur Drew. Je ne sais même pas d'où il vient. Ethan penche sa tête sur le côté, amusé.
— Il semblerait, oui.
Son sourire ravageur me fait presque rougir.
— Le monde est petit.
— Nous ne sommes pas très loin de nos deux villes, alors je dirais que ce n'est pas très surprenant. Et j'en suis ravi.
Il se dandine et sort son téléphone de sa poche. Après un rapide regard à l'écran, il secoue la tête et soupire.
— Un problème ? je demande alors qu'il fronce les sourcils.
Il pianote rapidement une réponse et repose son téléphone, puis m'adresse un sourire désolé.
— Non, rien de bien grave. André et Diego cherchent juste à savoir si tu es venue et si je suis toujours en vie.
Je souris et me souviens de leurs plaisanteries hier.
— En vie ? Pourquoi ? Ils ont peur de moi ?
Il rit et hausse les épaules.
— Quelque chose comme ça. D'après eux, une femme aussi belle et intelligente doit avoir un passé de serial killer.
J'éclate de rire, les imaginant élaborer cette théorie.
— Dommage qu'ils ne soient pas là, ils sont drôles.
Ethan fait une grimace de douleur et pose sa main sur son cœur.
— Qu'est-ce qu'il y a ? je m'affole en m'imaginant déjà qu'il fait une crise cardiaque ou quelque chose du genre.
Il grade la même expression, mais je vois de l'humour dans son regard.
— Moi qui croyais que je te plaisais, en fait c'est eux que tu aimes bien.
Je laisse échapper un soupir et secoue la tête, soulagée et amusée.
— Non, je dis juste qu'ils sont drôles. J'ai passé un très bon moment hier, mais je suis heureuse d'être ici avec toi.
Je prends mon livre qu'il a déposé entre nous sur le canapé quand nous avons quitté notre table, et le brandille.
— Surtout que tu tenais mon livre en otage.
Il sourit et essaye de me le reprendre mais je le change de main et le pose sur mon sac.
— Ah non ! Pas deux fois la même excuse. Si tu veux que je t'appelle il va falloir en trouver une autre.
Il me considère quelques secondes, les lèvres pincées, le regard plongé dans le mien. J'avoue que fixer son regard noisette si intensément posé sur moi fait accélérer mon rythme cardiaque.
— Tu seras encore là vendredi ?
Je hoche doucement la tête. Notre départ est prévu samedi, en début d'après-midi, histoire que nous ayons le dimanche entier pour récupérer avant de retrouver le travail.
— Il y a une soirée à mon hôtel. Je veux que tu viennes.
Je plisse les yeux et peut-être que j'examine trop ce qu'il me dit, mais je ne peux pas m'en empêcher.
— Oh ! Tu veux ?
Je lève un sourcil pour souligner mon étonnement à son ordre.
— J'aimerais, il se reprend. Mais je veux correspond plus à mon envie de te voir.
Je fronce les sourcils en essayant de comprendre.
— Disons plus clairement que si tu ne viens pas, je serais capable de venir te chercher. Parce que je veux vraiment te revoir.
Oh ! C'est plus clair dit comme ça. Mais je ne sais pas quoi en penser. Je me mords la lèvre dans l'espoir de retenir le sourire idiot qui cherche à s'immiscer sur mon visage sans même comprendre vraiment ce qu'il vient de me dire. J'avoue que j'ai également envie de le revoir, mais sa façon de me le dire me fait un peu peur. Et m'émoustille en même temps.
— Et qui te dis que moi j'ai envie de te revoir ?
J'espère prendre un air assez espiègle pour lui faire comprendre que je le provoque. Il se penche légèrement vers moi, doucement, son regard passant de mes yeux à ma bouche puis à mes joues.
— Tu rougis, il murmure le regard intense.
Je me mords la lèvre. Je n'avais pas remarqué que j'avais rougis. Il continu à se rapprocher, un bras posé sur le dossier du canapé, juste à côté de moi comme je lui fais face. Je ne bouge pas d'un millimètre, le souffle court. Une fois que son visage est tout près du mien, tellement près que je peux sentir son souffle sur mes lèvres, il s'arrête.
— Dis-moi que tu viendras, il murmure pratiquement contre mes lèvres.
Je n'ai plus les idées claires. Mon corps tout entier est tendu dans l'attente de sentir ses lèvres contre les miennes. Mais il ne fait rien, il ne bouge pas. Il attend une réponse. Qu'est-ce que je perds à y aller ? J'irais avec mes amis, s'ils le veulent bien, comme ça je ne risquerais rien. Oh et puis je m'en fiche. J'irais ! C'est certain. Et je veux l'embrasser, là tout de suite. Alors sans lui répondre, sans prendre le temps d'analyser ce que je vais faire, je colle mes lèvres aux siennes et agrippe sa cravate pour qu'il ne s'éloigne pas.
Ses lèvres sont douces et sucrées. Sa main se glisse derrière ma tête et alors que mes lèvres s'écartent, il glisse sa langue pour venir caresser la mienne. Soudain, l'image de Drew apparaît derrière mes paupières. Je la repousse tant que je peux, l'ignore, et me concentre sur Ethan. Ma main relâche sa cravate et doucement il s'écarte de moi. Le souffle court, je croise son regard. Il est... contrarié ? Ses sourcils sont froncés et ses lèvres pincées. Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que j'ai fait ?
— Je...
Je ne sais même pas quoi lui dire. La main qu'il a posée derrière ma tête glisse maintenant sur ma joue et il passe son pouce sur ma lèvre. Son visage se détend peu à peu alors que je reprends conscience de mon environnement, des bruits tout autour de nous, des gens qui entrent et sortent du refuge, des conversations.
— Maintenant il faut vraiment que tu me dises que tu viendras, parce que le contraire me rendra fou.
J'écarquille les yeux de surprise. Je ne m'attendais pas à ça. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé pour qu'il ait cet air étrange mais maintenant il est tout ce qu'il y a de plus sérieux et ses yeux brillent d'une petite lueur d'espoir qui me supplie de mettre fin à son attente.
— Je viendrais, je souffle.
Il sourit et pose doucement ses lèvres sur les miennes avant de les retirer à nouveau.
— Tu ne peux pas savoir à quel point je regrette d'avoir ce rendez-vous maintenant.
Quoi ? Pourquoi ? On vient de s'embrasser, tout se passe bien, pourquoi il regrette ?
— Je ne peux pas annuler, il ajoute comme si je venais de le lui demander.
Annuler quoi ? Ce qui vient de se passer ? Je suis perdue. Non il doit parler d'autre chose. Mes yeux quittent les siens pour se poser sur sa cravate et là, mon esprit s'éclair à nouveau. Son rendez-vous d'affaire ! Qu'est-ce que je peux être idiote. Je pose ma main sans réfléchir sur sa cravate et la lisse le long de son torse qui se révèle plutôt musclé sous mes doigts.
— Je dois vraiment partir, il reprend.
Je relève les yeux vers lui pour voir son visage masqué par la déception.
— Il n'y a pas de problème. Je serais ici toute la journée sans doute.
Il soupire et se recule un peu.
— Pas moi. André et Diego ont fait tout un programme à la minute près jusqu'à vendredi. Je n'aurais pas une minute à moi.
— Oh.
Je ressens une petite déception tout à coup mais je fais bonne figure et souris, comme d'habitude.
— Mais on se voit vendredi. Je t'appellerais pour te donner l'heure et l'adresse.
Je hoche la tête, toujours avec le sourire. La perspective de faire la fête m'aide beaucoup à garder cet air réjoui. Il se penche à nouveau pour m'embrasser et grogne quand il s'écarte encore une fois et se lève. Il passe sa veste sans me quitter des yeux, puis récupère son manteau et le passe également.
— Bon rendez-vous, je lui lance parce que je veux lui dire quelque chose mais je ne trouve rien de mieux.
Il sourit plus largement, comme si je venais de lui raconter une blague et soudain il prend mon visage entre ses mains et écrase ses lèvres sur les miennes. Le cou tendu, les mains posées sur ses poignets, je le laisse s'emparer de mes lèvres à mon plus grand plaisir avant de s'en arracher avec un petit gémissement.
— Je dois vraiment y aller, il dit plus pour se convaincre lui que moi.
Il fait quelques pas pour contourner le canapé et se retourne tout en reculant vers la sortie.
— Vendredi, il répète en me pointant du doigt.
Je hoche la tête, et une fois qu'il se retourne et sort, je n'arrive plus à retenir le sourire idiot qui s'incruste sur mon visage. Pour une fois, j'ai suivi les conseils de Sophia, j'ai laissé quelqu'un que je ne connais pas du tout m'approcher, et j'avoue que c'est une expérience agréable. Même très agréable. Je fixe le feu dans la cheminée en face de moi, l'air absente. Je m'imagine déjà ce que sera ma soirée de vendredi. Faire la fête, boire un peu, peut-être même beaucoup, danser et surtout flirter toute la soirée avec Ethan. Je ne peux pas refuser une telle proposition. Et je suis certaine que Sophia ne sera pas contre une petite fête avant de repartir chez nous. Je sors immédiatement mon téléphone de mon sac et lui envoie un message. Je sais que je vais la voir dans peu de temps pour le déjeuner et qu'elle ne va sans doute pas voir mon message avant de descendre de ses skis, mais j'ai besoin de le lui dire, de l'écrire pour me rendre compte de ce que je fais. Oui, j'ai vraiment accepté un rendez-vous.
Après tout ce temps passé toute seule à m'enfermer comme je pouvais pour éviter tout rapport avec la gente masculine, je me suis finalement laissé avoir. Je soupire et remet mon téléphone dans mon sac. La réalité me revient soudain, comme une vague qui me submerge. Depuis la mort de ma mère, j'ai consacré mon temps à mes études et à mon père. J'ai eu à peine trois petits amis, et n'ai sauté le pas qu'avec le dernier pour finalement le quitter après trois jours. Trois jours ! Je ne suis pas une asociale pourtant. Je suis toujours très attentive et aimable avec les clients du café, je suis toujours très gentille et souriante, mais je ne sais pas pourquoi, avec les hommes, c'est plus compliqué. Je me cache derrière un mur et les repousse dès qu'ils approchent. Cette fois, je l'ai laissé approcher et j'ai peur des conséquences. C'est peut-être à cause de Drew. Ce petit jeu qui n'a même pas durée plus longtemps que ma dernière relation, m'a peut-être donné une certaine assurance qui me manquait. Pourtant on pourrait croire que cela m'ait affaibli, après tout, c'est lui qui est partit sans raison cette fois, pas moi. Mais au contraire, je me sens juste plus... apte. Apte à laisser quelqu'un s'approcher de ma forteresse.
— Tess ?
La voix basse et étrangement douce de Drew me tire de mes pensées. Il est debout devant moi, les mains dans les poches, son bonnet enfoncé sur sa tête. Pourquoi faut-il qu'il soit attirant même quand il est en colère ?
— Oh... euh... vous avez déjà fini ?
Je me lève en même temps que je parle et rassemble mes affaires. Comme je lui tourne le dos, je scrute en même temps la salle pour trouver la table où sont installés mes amis. Mais je ne les trouve pas.
— On ne déjeune pas ici, il m'informe.
Je me tourne vers lui et fronce les sourcils. Il n'a pas l'air aussi furieux que ce matin, plutôt... incertain. J'enfile mon manteau, prend bien soin de ne rien oublier cette fois et le suis vers la sortie. Dehors, il n'y a toujours personne. Drew passe devant moi et marche vers le parking où nous avons laissé les voitures ce matin.
— On rentre au chalet ? je demande alors qu'il m'ouvre la portière.
La voiture de Stuart est toujours au même endroit, mais mes amis ne sont pas là.
— Oui, il répond simplement avant de refermer la portière.
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