Pas un mot




           

Durant le déjeuner, je m'installe à coté de Sophia, le plus loin possible de Drew. Je sais que c'est lâche de ma part, mais depuis que nous sommes descendus de nos motoneiges, il a l'air ailleurs, dans ses pensées et presque énervé. Même Boomer l'a lâché pour venir se réfugier à mes pieds. Bon, c'est peut-être aussi parce que je lui donne toujours un peu de ce qu'il y a dans mon assiette. Le refuge est grand, et le couple qui tient l'établissement est adorable. Oui, encore un couple. Je vais finir par faire une dépression avant la fin de cette semaine. D'autres personnes nous rejoignent à mesure que le temps passe, des skieurs pour la plupart, et la salle se remplit rapidement. 

— Hé les gars, vous avez vu les engins garés devant ? s'exclame une jeune fille en s'approchant des personnes assises à la table à côté de la nôtre.

Je lance un regard vers Sophia qui me sourit fièrement. Nos motoneiges ont l'air d'avoir du succès.

— Alors... ? me demande Sophia avec un regard entendu.

Je hausse les épaules et prend un air innocent. Elle prend son air de maman ours pas contente.

— Il était en pleine forme ce matin et maintenant il boude. Qu'est-ce que tu as fait ?

— Mais rien !

Je m'exclame un peu trop fort, car tous les regards à notre table se tournent vers moi. Mes joues s'enflamment. Il faut vraiment que j'apprenne à mieux contrôler mes émotions.

— Je n'ai rien fait, je reprends d'une voix beaucoup plus basse.

Les autres reprennent leurs conversations mais je remarque que Drew ne fait que les fixer sans vraiment avoir l'air de les écouter. Son regard est perdu.

— Il faut que je parle à Jules, je dis à Sophia.

Elle hausse les sourcils.

— Pourquoi ?

— Eh bien il y a clairement quelque chose qui ne va pas chez Drew, et je suis certaine que Jules est au courant.

Elle tourne la tête vers son fiancé assit à côté d'elle, puis regarde Drew. Je vois une ride de contrariété se former progressivement entre ses sourcils avant qu'elle ne se tourne à nouveau vers moi.

— Il va falloir attendre qu'on retourne au chalet. Je ne vois pas quand tu pourras le voir seul sinon.

Je soupire doucement et regarde Boomer à mes pieds.

— Je suis certaine que tu sais tout toi.

Il me regarde comme si je venais de débarquer de la lune.

— Ne prend pas cet air innocent, je le sermonne.

Sophia tire sur ma manche pour attirer mon attention.

— Tu sais, il ne te comprend pas.

— Bien sûr que si, je proteste et me tourne à nouveau vers Boomer. Dis-lui que tu me comprends.

Boomer se lève, et j'avoue que l'espace d'un instant j'ai cru qu'il allait se mettre à parler. Mais il se dresse juste pour poser ses pattes avant sur ma cuisse, laissant sa langue pendouiller. En riant, je lui gratte la tête.

— Tu n'as pas envie d'aller marcher un peu toi ?

Il pose sa tête sur ma cuisse.

— Je vais prendre ça pour un oui.

Je me tourne vers Drew, voulant l'interpeller, mais je croise son regard juste à ce moment et mon appel se bloque dans ma gorge. Ses coudes sont appuyés sur la table, son menton reposant sur ses mains et ses doigts sont recourbés devant sa bouche. Ses yeux sont légèrement rouges et il n'y a pas la moindre trace de sourire sur son visage. J'ai du mal à déglutir soudain et mon cœur se serre. Pourquoi a-t-il l'air aussi triste ?

— Je... je vais aller marcher un peu avec Boomer, j'annonce en me levant.

— Ne t'éloigne pas trop, me conseil Jules.

Je récupère la laisse de Boomer à mes pieds et entend une des chaises racler le sol.

— Je viens avec toi.

Drew se lève et me rejoint d'un pas décidé. Je n'ose pas protester, après tout ça va peut-être lui faire du bien. Et j'arriverais peut-être à le faire parler.

Nous descendons les quelques escaliers pour arriver directement dans la neige. J'entreprends de faire le tour du refuge et Drew me suit sans un mot, les mains dans les poches, la tête baissée vers ses pieds. Ok, il va falloir faire quelque chose là, parce que non seulement ça me met mal à l'aise mais je ne supporte pas de voir un ami aussi mal en point.

— Tu es certain que tu ne veux pas en parler ? je demande d'une voix hésitante.

— Certain, il répond froidement.

— Ok...

J'aurais mieux fait de me taire. Nous continuons à marcher en silence et faisons deux fois le tour du refuge avant que les autres ne nous rejoignent à côté des motoneiges.

— C'est parti pour la prochaine étape ? demande Stuart alors que Drew essaye de faire monter Boomer dans sa cage.

Mais ce dernier refuse d'y aller.

— Merde Boomer ! Rentre là-dedans !

Comme les autres, je me retourne en sursaut vers Drew qui crie contre ce pauvre chien. Voyant la détresse de son maître, il s'approche doucement et se colle à ses jambes. Drew passe ses mains dans ses cheveux, l'air désespéré. Je ne sais pas ce qui me pousse à faire ça, parce que je dois avouer qu'il me fait un peu peur dans cet état, mais je m'approche de lui et prend la laisse de Boomer.

— Laisse-moi essayer, je dis d'une petite voix.

Il me regarde silencieusement. Je n'ose pas croiser son regard. J'approche la laisse de la cage et tapote l'intérieur. Boomer monte sans aucune protestation et je referme la cage.

— Euh... bon, mettons-nous en route, dit Sophia d'un air un peu inquiet.

Je lui adresse un sourire que je veux rassurant, mais elle continue à regarder Drew les sourcils froncés. Ce dernier prend son casque et l'enfile avant de se mettre sur la motoneige. J'enfile mon casque et m'installe derrière lui.

— Merci, il marmonne en démarrant l'engin.

Je passe mes bras autour de lui comme tout à l'heure.

— De rien, je réponds en essayant de laisser entendre mon sourire.

Nous reprenons la route à la suite de Jules et Stuart cette fois. Elise s'est finalement installée derrière lui. J'aurais bien aimé demander à Drew de me laisser conduire, mais je crois que ce n'est pas le bon moment.

Jules nous conduit à nouveau à travers les étendues de neiges. Nous passons une forêt, puis une autre, et nous retrouvons au bord d'un lac. La surface est gelée, mais la glace n'a pas l'air très épaisse. Nous en faisons le tour pour rejoindre un petit chalet de l'autre côté, juste au bord du lac. Le ponton qui s'avance dans l'eau est entouré de glace brisée qui flotte sur l'eau, et quelques plantes qui ont l'air de bien résister au froid pointent le bout de leur nez à travers la couche de neige par endroits. Nous sommes entourés par les montagnes et je crois percevoir des skieurs sur le flan de la plus éloignée. Le paysage est à la fois beau et apocalyptique. Presque terrifiant de solitude. Nous nous arrêtons devant le petit chalet et descendons des motoneiges.

— C'est une sorte d'observatoire en été, nous explique Jules.

Il a vraiment fait un sacré boulot de recherche pour ce séjour. La prochaine fois il pourrait nous emmener quelque part où il fait plus chaud, comme Hawaï. Je prends l'initiative de faire sortir Boomer de sa cage. Drew me regarde sans un mot mais je crois que son regard me remercie. Nous entrons dans le petit chalet tout en bois et découvrons un salon dont les murs sont recouverts de photos d'animaux avec des légendes et des explications. Toute la partie tournée vers le lac est faite d'une immense vitre qui offre une vue dégagée sur le paysage. Stuart commence à faire des explications sur les quelques animaux qu'il reconnait, à vrai dire il n'y en a que quatre qu'il ne connait pas. Je crois que Jules a choisi cette étape pour faire plaisir à son ami. Il a l'air de vraiment s'y connaitre. Je fais le tour des affiches et des photos, mais je ne m'y intéresse pas plus que cela.

— Il t'a parlé ? me demande doucement Sophia.

Je secoue la tête et cherche Drew du regard mais ne le trouve pas.

— Il est sorti, m'informe Elise en pointant le ponton du menton.

À travers la vitre, je le vois marcher jusqu'au bout du ponton et s'y arrêter, Boomer assit à ses pieds.

— Tu devrais peut-être aller lui parler, elle ajoute.

Je lui réponds d'un air absent tout en l'observant. 

— Je ne suis pas sa copine, je ne sais pas quoi lui dire.

Elle pose une main sur mon bras avec un regard de sollicitude.

— Reste juste à côté de lui, ça l'aidera déjà.

— Tu es la plus douée d'entre nous pour remonter le moral, ajoute Sophia.

Je soupire, pas parce que ça m'embête mais parce que je me sens inutile. J'aimerais tellement qu'il me dise ce qui ne va pas pour que je puisse l'aider. Les autres restent à l'intérieur pour continuer à apprendre je ne sais quoi sur les animaux qu'on trouve dans le coin et je rejoins Drew sur le ponton. Dans l'espoir de le faire rire, je lance le premier truc qui me vient à l'esprit. Ce qu'il m'a dit hier en me trouvant sur le balcon de ma chambre.

— Tu ne cherches pas à te suicider, n'est-ce pas ?

Sa tête se relève et j'entends un petit rire lui échapper. Tout mon corps se détend d'un seul coup et je traverse le dernier pas qui nous sépare.

— La noyade ce n'est pas le plus efficace des suicides.

Sa voix est beaucoup moins froide que tout à l'heure.

— Dit ça à Rose, je marmonne.

Il tourne la tête vers moi, l'air perdu.

— Rose, je répète. Dans Titanic ? Quand elle essaye...

Il lève un sourcil, l'air de me prendre pour une dingue.

— ... Oublie ça, je conclu avec un geste de la main.

Cette fois il rit un peu plus.

— Ne te moque pas de moi, je le menace d'un doigt.

— Je ne me moque pas, il se défend en levant les deux mains. C'était juste mignon.

Je lui adresse un regard assassin et croise les bras.

— Fait attention, on est juste au bord d'un lac gelé, je n'ai pas grand-chose à faire pour que tu tombes dedans.

— Ah tu crois ça ?

Au moment où il prononce ces paroles, il agrippe mon bras et me pousse vers l'eau mais me retient pour que je ne tombe pas. Un cri monstrueux m'échappe et je m'agrippe à son bras des deux mains. Lui est mort de rire. Même si ça me fait plaisir qu'il ait retrouvé sa bonne humeur, moi je viens d'avoir la peur de ma vie. Sans réfléchir je lui envoie mon poing dans l'épaule. Il ne cesse pas de rire pour autant.

— Fais attention, agression envers agent, ça peut aller loin.

Je lève un sourcil pour le défier.

— Légitime défense, je rétorque.

Il se plante juste devant moi, tout prêt, laissant à peine de l'espace entre nous pour mes bras que je croise à nouveau pour le défier. Il me domine de toute sa taille. Il me faut toute ma volonté pour ne pas le laisser voir qu'il m'impressionne.

— Il n'y a aucun témoin.

Sa voix est soudain basse et rauque. Les frissons menacent de me faire replonger dans l'état dans lequel j'étais hier soir quand nous étions dans ma chambre. Ce n'est pas le moment de perdre la tête.

— Et qu'est-ce que je risque ?

Je veux que ma voix soit provocante, mais elle est juste légèrement tremblante. Non, mes joues de rougissent pas, c'est juste une impression, pas vrai ? Oh je suis presque morte de honte de le laisser voir à quel point il me perturbe.

— Tu vas au moins te retrouver avec les menottes.

Je retiens ma mâchoire qui menace de lâcher. Mon cœur vient de rater un battement et mes yeux se sont écarquillés instantanément.

— Quoi ?

Je couine maintenant. Super ! Je devrais être terrifiée non ? Alors pourquoi j'ai l'impression que mon corps à juste envie de lui crier de me ramener immédiatement au chalet pour mettre ses menaces à exécution ? Tout en riant, Drew pose ses mains sur mes épaules.

— Je vais me faire un plaisir de t'apprendre un tas de choses cette semaine.

J'agite frénétiquement ma tête de haut en bas. Oh oui, ça va être la meilleure semaine de ma vie. Ma réaction le fait à nouveau rire. Un son qui me réjouit encore plus, presque autant que la perspective des menottes.

— Vous êtes prêts à partir ? crie la voix de Jules au loin.

Je me retourne brusquement alors que Drew lui répond que oui. Je prends la laisse de Boomer et nous rejoignons les autres aux motoneiges. Comme tout à l'heure, je fais monter Boomer dans sa cage. Je croise le regard de Sophia en allant m'installer derrière Drew. Elle me fait un clin d'œil et un large sourire. Si on continu comme ça, elle va vraiment croire qu'il y a quelque chose entre Drew et moi. Enfin, quelque chose d'autre que ce qu'il y a vraiment. Ça elle ne risque pas de s'en douter une seule seconde.

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