Pas ça


            Un peu déçue et intriguée aussi, je garde le silence alors que nous roulons vers le chalet. Il faut avouer que c'est quand même surprenant. Ce matin, j'ai cru qu'il allait tuer tout le monde, et maintenant il est... tranquille. Drew ne parle pas plus que moi, ce qui n'est pas inhabituel, mais il y a quand même une légère tension dans l'habitacle. C'est étrange que nous partions avant les autres.

— Ils nous rejoignent là-bas ?

La situation me semble trop étrange pour que je puisse rester sereine. Il veut peut-être me tuer et se débarrasser de mon corps dans la forêt. Bon d'accord, c'est stupide. Mais son calme apparent est bien trop étrange.

— Non. Pas tout de suite.

Je fronce les sourcils et fixe son profil, mais il ne me donne pas plus d'explications. Il ne croit tout de même pas que je vais faire quoi que ce soit avec lui ? Il m'a clairement dit qu'il voulait arrêter ça et son comportement depuis n'a fait que confirmer ses propos. Et franchement, ça m'a aussi refroidie. Je le trouve toujours très sexy et attirant et beau et... je m'emballe là. Il n'a pas changé, mais son caractère s'est révélé bien trop explosif pour me laisser avoir confiance en lui.

Il se gare et je ne lui laisse pas le temps de m'ouvrir la portière. Je sors de la voiture en l'entendant marmonner quelque chose, et marche d'un pas précipité vers le chalet. Il me rattrape en chemin et m'ouvre la porte.

Bon, qu'est-ce qui lui arrive ? Il veut s'excuser ? Tant mieux, mais pas la peine d'être aussi étrange.

Alors qu'il se débarrasse de ses affaires, je reste plantée derrière lui et attend. Une fois qu'il se retourne, je ne manque pas son petit sursaut de surprise.

— Hum... il faut qu'on parle, il déclare nerveusement.

Je lève un sourcil. Sans blague ? Je croise les bras et attend qu'il parle.

— Tu veux bien qu'on aille s'assoir ?

Je m'empresse d'aller m'installer sur le canapé et il s'installe à côté de moi. Boomer vient s'allonger à nos pieds et se rendors illico. Je me demande quel âge il a. Il dort beaucoup, tellement que je me demande s'il n'est pas très vieux, mais dès que nous sortons il est vif et plein de vie, comme un jeune chiot.

— Je te dois des excuses, dit Drew d'une voix monocorde, comme s'il récitait un texte.

Je ne croise son regard qu'une fraction de seconde avant qu'il ne le détourne. Ça je ne m'y attendais pas. Lui qui est franche et direct, il semble perdre sa confiance.

— Il y a visiblement quelque chose qui ne va pas, alors si tu ne veux pas m'en parler, je ne te forcerais pas, mais j'aimerais bien savoir pourquoi tu t'es énervé comme ça.

Il soupire et se lève, passant ses mains dans ses cheveux. Il s'arrête devant la cheminée et pose ses mains sur l'étagère juste au-dessus. Il reste comme ça un long moment, sans un mot et je m'apprête à me lever pour aller dans la cuisine quand finalement il se met à parler.

— Je n'ai pas aimé ta façon de me jeter dehors, il dit d'une voix sourde.

Je lève les sourcils, bien qu'il ne puisse pas me voir.

— Je t'ai déjà dit que je n'avais pas le choix. Que voulais-tu que je fasse ?

J'essaye de ne pas m'énerver, nous avons déjà eu cette discussion stupide et elle n'a mené à rien.

— Tu...

Il soupire et tourne la tête vers la salle à manger, si bien que je ne vois même plus son profil.

— Tu ne veux pas de relation, c'est ça ?

Je fronce les sourcils et essaye de comprendre où il veut en venir. Il ne va tout de même pas me proposer de reprendre où nous nous sommes arrêtés ? Je ne sais pas ce que je répondrais. Il est vraiment bon au lit et je n'en garde que de très, très bons souvenirs, mais je ne peux pas faire ça alors que j'ai un rendez-vous avec Ethan dans deux jours et que je l'ai embrassé ce matin. Ça serait comme le tromper, non ? Comme je ne lui réponds pas, il continu.

— Tu m'as dit que tu ne voulais pas de relation alors on s'en est tenu au sexe. Et ça me convenait très bien.

— Alors je ne vois pas où est le problème.

Il se tourne vers moi et scrute mon regard, mon visage. Le sien reste impassible mais je vois sa mâchoire se crisper.

— Je ne veux pas d'une relation, Tess. Mais je te veux, toi.

Mon souffle se bloque dans ma gorge. J'ai bien entendu ? Je suis paralysée devant lui, je ne sais pas quoi dire, ni quoi penser. Il se moque de moi ? Qu'est-ce qu'il cherche ? Je ne comprends rien. Je me lève d'un coup et traverse la pièce jusqu'à la cuisine pour me prendre une bière. Mais finalement, je la remets au réfrigérateur et sort le whisky.

— Tu n'as rien à me dire ? il demande en se plantant de l'autre côté du comptoir.

Je le fusil du regard et avale le whisky. Ça me brule la gorge mais ça fait du bien.

— Tu t'es énervé, parce que...

J'essaye de mettre les choses en place dans ma tête mais ça ne marche pas. Ça n'a pas de sens. C'est comme essayé de mettre ensemble les pièces de plusieurs puzzles différents.

— Je me suis énervé parce quand tu m'as jeté dehors je me suis pris en pleine figure quelque chose dont je ne voulais pas.

Je lève les sourcils et verse de nouveau du whisky dans le verre.

— Quoi ?

Il me regarde avaler le liquide ambré dégueulasse l'air un peu soucieux, puis soupire et se verse un verre également.

— Je ne veux pas de relation. Je ne veux pas vivre avec quelqu'un. Je ne veux pas dépendre de quelqu'un, je ne veux pas que quelqu'un de plus dépende de moi. Ma vie est loin d'être la plus simple, je m'occupe de mon petit frère et j'ai pas mal de problèmes dont je ne veux pas parler. Je n'ai pas prévu d'avoir de la place pour quelque chose comme ça.

Il me montre de la main en disant ces derniers mots et j'avoue que je ne sais pas comment je dois le prendre. Ça fait beaucoup d'informations d'un coup. Encore plus de questions me viennent maintenant. Il s'occupe de son petit frère ? Il a quel âge ? Et pourquoi est-ce lui qui s'en occupe ? Il continu à me fixer comme si j'étais capable de régler tous ses problèmes.

— Quelque chose comme quoi ? Comme moi ? Mais je ne t'ai rien demandé !

Je m'emporte. C'est peut-être à cause du whisky. Je m'en fiche. Je ne suis pas une chose et je ne lui ai pas demandé de me faire une place dans sa vie.

— Non, je sais que tu ne m'as rien demandé.

Maintenant il fait des vas-et-viens de sa main entre nous deux.

— C'est ça que je ne voulais pas. Ce que... ce que je ressens pour toi.

Ce sentiment étrange qui m'envahit soudain, je le connais et je le déteste, c'est de la panique. La panique de ne pas savoir quoi faire ou dire pour sortir indemne de cette situation. Un sentiment d'impuissance.

— Quoi ? Tu as dit que tu ne voulais pas de relation ! Je ne t'ai rien demandé !

Je m'énerve un peu trop, je cris, mais ça aide à faire passer la panique.

— Je sais, bon sang ! il s'énerve aussi, ça va mal finir. Tu m'écoute quand je te parle ? Je ne l'ai pas voulu, d'accord ? Tout ce que je voulais c'était m'amuser avec toi, c'est tout. Je n'avais pas prévu que...

Il passe ses deux mains dans ses cheveux et se tourne, pour me cacher son visage sans doute, ou pour ne pas voir le mien.

— Tu n'avais pas prévu quoi ? je demande avec impatience en essayant de contrôler ma colère.

Ses bras retombent lourdement le long de son corps, ses épaules sont basses, mais il ne se tourne toujours pas vers moi.

— Que j'aurais des sentiments pour toi, Tess.

Sa voix est calme, maitrisée, même déterminée. La mienne refuse de sortir de ma bouche. Il n'y a que mon souffle saccadé qui accepte de s'échapper. Alors, ne pouvant sans doute plus attendre ma réponse, il se tourne vers moi, inquiet.

— Tess...

— C'est n'importe quoi ! j'explose, presque hystérique. On ne se connait que depuis quoi ? Cinq jours ? Tu ne peux pas avoir des sentiments pour moi comme ça ! Arrête de te moquer de moi !

Je range rageusement la bouteille de whisky et pose tellement violemment mon verre dans l'évier en pierre qu'il éclate dans ma main.

— Merde, Tess. Tu t'es coupée ?

Il fait précipitamment le tour du comptoir pour examiner ma main. Mes yeux sont rivés sur le sang qui s'écoule de ma coupure. Des images horribles que je m'efforce de refouler depuis près de deux ans me reviennent violement à l'esprit. Je revois mon père allongé sur la route, le crâne fracassé, les membres pliés de façon incongrue, le sang qui l'entoure...

Le sang...

Rouge, dégoutant, horrifiant...

Tellement de sang...

Je me mets à trembler de la tête aux pieds et mes jambes se dérobent sous moi, mais je ne suis pas capable de réagir, je n'arrive pas à me retenir à quelque chose pour ne pas m'effondrer.

— Merde !

Le grognement de Drew me parvient à travers le bruit de mon sang qui bourdonne à mes oreilles. Je sens ses bras passer autour de moi, je sens qu'il me soulève, mes pieds quittent le sol, mais mes yeux ne peuvent pas quitter le sang dans ma main. La douleur que j'ai ressentis à la mort de mon père me revient, encore plus forte qu'à l'époque, comme si c'était possible. J'ai du mal à respirer. Je lutte pour faire entrer l'air dans mes poumons mais ils refusent obstinément de s'ouvrir. J'ai l'impression que mon propre corps cherche à me tuer. Puis ma main disparait. Le sang est caché sous le torchon que Drew vient de poser sur ma blessure. Je suis assise sur le canapé, essoufflée, perdue, fatiguée.

— Tess, il souffle en passant ses pouces sur mes joues alors qu'il tient mon visage entre ses mains.

Mon regard rencontre le sien et je réalise que j'ai pleuré. L'air revient doucement dans mon corps. Drew a l'air terrifié et presque tout aussi perdu que moi. Ses pouces ne cessent de caresser ma peau. Je ne sais pas de quoi j'ai l'air mais si son expression reflète la mienne, alors je dois être à deux doigts de vomir.

— Je suis désolé, je ne voulais pas...

Je secoue la tête pour l'interrompre et sens les larmes affluer à nouveau. D'un seul coup, je me retrouve plaquée contre sa poitrine, une main posée derrière ma tête, l'autre dans mon dos, il me tient fermement contre lui. Je n'arrive pas à arrêter mes larmes, je les sens rouler sur mes joues et s'écraser sur son pull, mais aucun sanglot ne m'échappe. Je reste silencieuse et perdue. Je n'arrive pas à revenir au présent. Mes pensées s'en vont vers ce jour horrible où mon père s'est fait renverser par une jeep lancée à près de quatre-vingt-dix kilomètres heure, conduite par un homme ivre en plein après-midi. Le deuxième jour le plus horrible de ma vie. La douleur me serre le cœur et je m'agrippe à Drew. Cela fait presque deux ans maintenant mais les images sont aussi nettes que si l'accident c'était produit hier. Mon père devait me rejoindre de l'autre côté de la rue, il était juste là, devant moi et l'instant d'après il était allongé au sol, sans vie. Je n'avais même pas eu la force de crier ou de pleurer ou même de chercher du secours ou courir vers lui. Je suis juste restée là, pétrifiée jusqu'à ce que quelqu'un me demande si je vais bien. Alors j'ai éclaté en sanglot et je me suis précipité vers mon père. Un frisson me parcourt toute entière à ce souvenir.

— Il faut nettoyer ta main et mettre quelque chose sur ta blessure, me dit Drew sans me lâcher.

Sa voix me ramène au présent et je m'y accroche comme à une bouée.

— Je t'emmène dans la salle de bain, il doit y avoir quelque chose pour te soigner.

Je hoche la tête, incapable de prononcer un seul mot. Doucement il s'écarte et attrape mon coude pour m'aider à me lever. Mes jambes sont encore flageolantes mais j'arrive jusqu'à la salle de bain sans mal. Drew me fait m'assoir sur le rebord de la baignoire et fouille dans l'armoire à pharmacie cachée derrière le miroir au-dessus du lavabo.

— Je crois qu'il y a encore du verre, je dis en retirant doucement le torchon couvert de sang.

Ma voix est rauque comme si j'avais crié pendant des heures. Drew s'agenouille devant moi et prend ma main. J'évite de la regarder, je ne veux pas voir le sang, je ne veux pas que ça recommence.

— Il y a quelques petits morceaux. Tu ne t'es pas ratée, il commente.

Je sens qu'il retire les morceaux de verres, sans doute avec une pince à épiler. Puis je sens le picotement du désinfectant, le froid du liquide qui coule le long de ma main.

— Ce n'est pas profond, mais c'est plutôt grand, un pansement ne suffira pas.

J'ose un regard vers ma main mais dès que le rouge apparait, je détourne les yeux. Pourtant je me suis déjà coupée depuis l'accident, j'ai vu le sang, mais il n'y en avait peut-être pas autant. Je ne comprends pas pourquoi ces images sont revenues maintenant, si violentes.

— Tu ne supportes pas la vue du sang ? me demande Drew sur le ton de la conversation.

Les cris et les paroles hésitantes se sont évanouis avec ma crise de panique. Je m'obstine à fixer la porte en face de moi alors qu'il s'applique à enrouler un bandage autour de ma main pour faire tenir la compresse.

— Si, c'est juste..., je soupire, ne voulant pas lui parler de mon passé. Je ne sais pas. Ça m'a rappelé de mauvais souvenirs que je préfère oublier.

Il termine d'enrouler le bandage et hoche la tête pour toute réponse à ce que je viens de dire. Je lui en suis vraiment reconnaissante de ne pas m'avoir posé de questions. Une fois qu'il a terminé, il repose ma main sur mes genoux et reste agenouillé devant moi. Je baisse les yeux vers ma main, admirant avec quelle habileté il a fait un bandage parfait, digne d'un secouriste.

— Merci, je murmure.

Je me mords la lèvre pour retenir les larmes qui essayent de m'échapper. Celles-ci je ne sais pas d'où elles viennent. J'inspire profondément et croise son regard. Il est doux et inquiet, pas du tout celui qu'il avait depuis deux jours. Il a retrouvé une certaine brillance, ses deux émeraudes presque emplis d'espoir.

— Je t'en prie. C'est un peu de ma faute.

Il a un petit sourire mais il disparait très vite. Sa main vient se poser sur ma joue et son pouce glisse sur ma lèvre. Je laisse ma joue reposer contre la chaleur apaisante de sa peau.

— Je sais que ce n'est plus vraiment le moment, mais il faut que je te le dise. Je sais que c'est... stupide et irréel, qu'on ne se connait que depuis cinq jours, mais je veux vraiment être avec toi, Tess.

Oh, non ! Il ne va pas recommencer ! Je ne suis pas en état de subir ça. Je ne veux pas penser à ça maintenant. C'est trop... absurde ! Je n'ai même pas les mots pour m'expliquer. Ce n'est juste pas possible. Pas lui, pas avec moi, pas comme ça. Je ne suis pas une princesse qui vient de rencontrer son prince charmant. Je ne vais pas lui tomber dans les bras comme ça, d'un seul coup. Je ne vis pas un conte de fée, c'est la vraie vie, la vie dure et impitoyable, et dans cette vie, les gens ne tombent pas amoureux comme ça, sans raison. Ça ne rime à rien.

— Je ne te demande pas de réponse maintenant, il reprend l'air désespéré. Dis-moi juste que tu as compris. Dis-moi quelque chose, n'importe quoi. Cris-moi dessus, mais ne reste pas muette devant moi.

Sa détresse me surprend, me choque presque. Il m'avait l'air si solide et fort et d'un seul coup je le trouve devant moi, à genoux et vulnérable. Mais que s'est-il passé ? Ces vacances ne devaient pas se dérouler de cette façon.

— Je t'ai entendu, je dis d'une voix sans émotions. Je ne comprends pas. Mais je t'ai entendu. Je te demande juste de me laisser seule.

Il pince les lèvres mais se lève. Il ramasse les compresses souillées qu'il a utilisées pour nettoyer ma main, range ce dont il s'est servi puis se tourne à nouveau vers moi. Il me regarde longuement, sans un mot et les émotions qui traversent son regard me sont insupportables. Pourquoi cherche-t-il à me faire culpabiliser maintenant ? C'est lui qui est partit dans un délire totalement incompréhensible. Moi je n'ai rien demandé. J'allais bien, tout allait bien. Pourquoi a-t-il fallu que je conclu ce stupide accord ? Qu'est-ce qui m'a pris ?

— Laisse-moi, je murmure sans le regarder parce que je ne veux pas voir de la peine ou de la détresse dans son regard. S'il-te-plait, j'ajoute comme il ne bouge pas.

— Je ne te laisserais pas t'éloigner, Tess.

Ses mots me surprennent et je croise finalement son regard pour y voir de la détermination. Très bien, alors c'est moi qui sors d'ici. Il ne va pas me suivre dans ma chambre, n'est-ce pas ? Je passe à côté de lui sans le regarder et traverse le couloir pour entrer dans ma chambre.

— Je vais préparer quelque chose pour le déjeuner, je t'appellerais quand ça sera prêt.

— Je n'ai pas faim, je grommelle avant de me laisser tomber sur mon lit.

Il a la courtoisie de rester à la porte et ne pas entrer.

— Si, tu vas manger. Je te ramène un plateau ici s'il le faut mais tu vas manger.

Je le fusil du regard. De quel droit il me donne des ordres ainsi ? Et pourquoi veut-il m'obliger à manger ? Je ne suis pas une enfant, je suis capable de prendre soin de moi. Enfin je crois. Je le croyais jusqu'à ce que je décide de coucher avec un mec que je connais à peine, juste pour passer du bon temps et me distraire. Maintenant je crois que je suis juste une idiote menée par ses hormones, qui n'est pas capable de résister à un homme aussi beau que Drew.

— Je ne plaisante pas, il dit simplement avant de partir.

Un grognement m'échappe et je me laisse tomber en arrière, mes deux mains sur le visage pour cacher ma honte. Je suis stupide. Qu'est-ce que j'ai fait ? Maintenant il croit qu'il a je ne sais quels sentiments pour moi... ça n'a aucun sens.

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