Mauvaise chute

— Tu crois vraiment que c'est une bonne idée d'y aller ?

Je soupire et regarde Sophia assise dans le jacuzzi avec Elise et moi. Nous l'avons découvert dans le jardin ce matin. Enfin, je l'ai découvert. Il faut dire qu'il était caché bien au fond, aucun moyen de le voir par l'une des fenêtres. Il semblerait que Sophia, Jules et Stuart savaient qu'il était là. Elise et moi leur avons fait une petite crise de colère parce qu'ils ne nous ont rien dit. Ensuite, nous avons kidnappé Sophia pour nous réfugier dans le jacuzzi alors que les garçons ont décidé d'aller faire une petite randonnée. Ça fait maintenant une bonne heure que nous marinons dans l'eau chaude et que j'essaye de ne pas me poser trop de question. Mais c'est sans compter sur l'insistance de Sophia. 

— Je lui ai dit que je viendrais, je lui répète comme une règle apprise qui ne peut pas être changée. 

— Mais tu n'as pas vraiment l'air de vouloir le faire, souligne Elise.

Il suffit de lui donner un peu d'alcool et elle se transforme en conseillère sentimentale. Pour l'occasion, nous avons pris une bouteille de vin dans la cave généreusement garnie du chalet. Et je suis bien déçue de ne pas pouvoir en emmener quelques unes avec moi. 

J'aval la dernière gorgée de mon verre et soupire lourdement en rejetant ma tête en arrière. Elise attrape immédiatement la bouteille pour me verser à nouveau du vin. 

— Raconte-nous.

Je baisse la tête et les regarde une après l'autre. Sophia, les cheveux remontés sur le haut de la tête, m'observe par-dessus les remous de l'eau qui s'agite autour d'elle. Elise quant à elle, est presque sous l'eau, le bas de ses cheveux est mouillé, et j'ai du mal à la voir à travers la vapeur qui monte entre nous. Le jacuzzi est protégé par une sorte de bulle qui se ferme pour l'hiver et doit pouvoir rester ouverte l'été je pense. C'est un peu comme un igloo en verre. On profite de la chaleur tout en état parfaitement libre de voir le décor tout autour de nous. 

— Que veux-tu que je vous raconte ? Vous savez dans quel pétrin je me suis mise.

— Deux mecs s'intéressent à toi, résume Sophia. Mais toi, est-ce que tu t'intéresses aux deux ?

Je me mords la lèvre et gémis.

— Tu as déjà essayé de faire des listes de pour et contre pour chacun d'eux ?

Je secoue la tête.

— Essayons, propose Sophia.

— Drew est sexy, commence Elise.

— Beau, j'ajoute.

— Il a un regard magnifique, complète Sophia.

— Il est drôle et gentil, pointe Elise en agitant la tête de haut en bas.

— Mais il semble avoir une vie compliquée, je grimace.

— Qui peut se vanter d'avoir une vie facile de nos jours? proteste Sophia.

Elise la montre du doigt pour confirmer qu'elle pense la même chose, car sa bouche est occupée à boire du vin.

— Et il a été blessant quand nous nous sommes disputés, je marmonne.

Je n'ai pas très envie d'y repenser. Sophia et Elise me regardent avec des yeux ronds. C'est vrai qu'elles ne connaissent pas toute l'histoire. Si c'était le cas, ça serait peut-être plus simple.

— Je ne vous ai pas tout raconté. Pour Drew et moi.

Je n'ose plus les regarder. Mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée de tout leur dire maintenant. J'agite la main pour leur demander de passer à autre chose.

— Passons à Ethan, propose Sophia en voyant que je commence à me renfermer.

— D'après ce qu'on a vu, il est plutôt mignon, commence Elise.

— Il a une très bonne situation professionnelle, ajoute Sophia.

— Drew aussi, je proteste. Ça paye sans doute moins, mais l'uniforme c'est...

— Chaud, confirme Elise. J'étais avec un pompier pendant quelques mois. Je vous assure que c'était chaud. Si ça se trouve, une fois que tu auras vu Drew dans son uniforme, tu n'auras plus aucun doute.

Je ris et avale un peu de vin. L'alcool commence à m'aider à me détendre. Malgré les massages hier, je suis encore tendue comme un arc. Je n'ai évidemment pas laissé Drew terminer son massage dans ma chambre, et je ne suis pas allée lui en faire un non plus. Ça aurait été trop dangereux. Et de toute façon, c'était hors de question. 

— Je ne connais pas grand-chose sur Ethan, je déclare en fronçant les sourcils. Quand nous avons discuté, j'ai appris qu'il est drôle, surtout quand il est avec ses amis. Et je sais qu'il est intelligent et cultivé. Légèrement maladroit avec les filles, mais c'est mignon.

Je regarde au loin pour essayer de trouver d'autres arguments.

— Tu as embrassé Drew ?

Mon regard se concentre à nouveau sur mes amies, je dois avoir l'air légèrement affolée. Si je l'ai embrassé ? Oh oui ! Et pas qu'un peu.

— Pourquoi ? je couine.

Elise lève les épaules l'air de rien.

— Tu as embrassé Ethan, donc si tu as aussi embrassé Drew, tu pourrais avoir un point de comparaison.

— Oh. Euh...

C'est plutôt compliquer. Le baiser d'Ethan était... agréable. Doux et passionné, mais dans la retenue. Avec Drew... c'était plus sauvage. Nous n'avions pas à nous séduire. C'était bon, direct, sans jeu. C'était sincère.

— J'ai aimé les deux, je conclue.

— Je vois dans ton regard qu'il y en a un qui était mieux que l'autre, dit Sophia en plissant les yeux.

Je hausse les épaules.

— Ça n'était pas dans le même contexte. Je ne peux pas comparer.

Elise hoche la tête et se concentre étrangement sur son verre presque vide.

— Ne le partage pas avec nous si tu ne veux pas, mais garde cet avis en tête. Je sais que tu as quand même une préférence, ajoute Sophia en m'adressant un clin d'oeil.

— Les filles. Je crois que j'ai trop bu, déclare Elise qui vient de vider son verre.

Nous éclatons de rire alors qu'elle laisse tomber sa tête en arrière en se cachant le visage derrière ses mains.

Sophia récupère le verre d'Elise et le pose plus loin pour qu'elle n'y touche plus.

— Je pense qu'il me faut encore du temps pour réfléchir à tout ça, je reprends après quelques minutes de silence.

— Tu ne devrais pas y aller ce soir, insiste Sophia.

Elise, les yeux fermés, ne dit rien. Je me demande si elle s'est endormie.

— Ne pas y aller reviendrait à faire un choix, non ?

Sophia secoue la tête.

— Juste le choix de prendre ton temps. Cette semaine a instauré un contexte particulier, tu devrais retourner à la vie normale avant de faire un choix.

Un rire sans joie m'échappe. Je crois qu'elle a raison. La vie normale me manque.

Après le déjeuner, je me retrouve seule dans le salon, à contempler le feu dans la cheminée. J'ai troqué mon verre de vin pour une tasse de thé, et blottie dans un plaid tout doux, je repense aux paroles de Drew. Quand je l'ai pris dans ma bouche pour la première fois, qu'il m'a dit qu'il a attendu cela toute la journée... qu'il avait envie de moi rien qu'en me voyant allongée là, sur le tapis devant la cheminée. J'ai aimé ces paroles crues. J'ai aimé me sentir désirée, sentir la façon dont les mots, aussi surprenants que sincères, me donnaient l'impression de compter pour lui. Si je lui en donne l'opportunité, Ethan me dira-t-il les mêmes choses ? Est-ce que ces mots seront aussi agréables que ceux de Drew ?

— Les garçons ne devraient pas déjà être là ? demande Elise d'une voix encore un peu endormie.

Elle s'est effondrée dans sa chambre juste après le déjeuner.

— Ils ont dit qu'ils reviendraient en début d'après-midi.

Je regarde ma montre tout en disant cela. Il est près de quinze heure.

— Quoi ? hurle soudain Sophia depuis le haut des escaliers.

Elise se précipite vers les dernières marches et je me lève d'un bon. Sophia serre son téléphone dans une main, le visage livide.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

Elle se laisse tomber au milieu des marches, une main accrochée à la rambarde. Ses yeux sont embués de larmes, mais elle ne dit rien. Elise et moi restons immobiles, la regardant avec impatiente en attendant de savoir ce qui se passe.

— D'accord, elle répond d'une voix tremblante.

Puis elle raccroche. Son regard reste perdu dans le vide quelques secondes avant qu'elle ne passe une main sur son visage et lève les yeux vers nous.

— Qu'est-ce qui se passe ? demande Elise dont la peur fait trembler sa voix.

— C'est Jules. Il est à l'hôpital.

— Oh non, je murmure en portant une main à ma bouche.

— Il va bien ?

Sophia hoche la tête et tout mon corps se détend. Elle laisse échapper un lourd soupir et se frotte les yeux avant de reprendre.

— Je n'ai pas très bien compris ce qu'il s'est passé. Il a fait une chute et maintenant il a un plâtre à la jambe droite. C'est Drew qui m'a appelé, elle précise en me regardant.

Je hoche la tête, ne voulant pas chercher plus longtemps pourquoi elle me le précise. Peut-être pour me dire qu'il va bien.

— Stuart et lui vont bien ? demande Elise.

— Oui. Hum...

Sophia se redresse et s'éclaircit la voix. Elle a encore l'air un peu désorientée.

— Qu'est-ce que Drew t'a dit ? je demande finalement.

— Je suis désolée Tess, mais nous allons retourner chez nous plus tôt. Drew m'a demandé de vous dire de faire vos valises. Il vient nous chercher. Nous partons dès que tout est prêt.

Ce qui veut dire que nous n'aurons pas le temps d'aller à la soirée d'Ethan. Je n'ai plus à faire de choix. Le destin a choisi pour moi cette fois. Une part de moi en est soulagée. L'autre s'en veut de lui poser un lapin. Il faut que je le prévienne.

— Je vais faire nos valises, annonce Elise. Ça va aller ?

Sophia hoche la tête et lui adresse un léger sourire. Le choc s'estompe peu à peu.

— Je vais aller faire la mienne aussi, je précise en me dirigeant vers le haut des escaliers. Je viendrais t'aider à faire les tiennes dès que j'ai terminé.

Sophia me sourit et je la prends brièvement dans mes bras avant de continuer mon chemin jusqu'à ma chambre. Une fois la porte fermée, je sors mon téléphone de ma poche et appelle Ethan. Après plusieurs sonneries, j'arrive sur sa messagerie. C'est pire que d'avoir à lui parler directement.

— Salut Ethan, c'est moi... euh... Tess. Je... hum... je ne pourrais pas venir ce soir. Un de mes amis a eu un accident. Nous partons dans quelques heures. Hum... désolée.

Je raccroche avant de dire encore des choses qui n'ont aucun sens. Je ne sais pas s'il va me rappeler ou juste m'oublier. Peu importe. Ce n'est pas le plus préoccupant pour l'instant.

Je termine rapidement de boucler ma valise, j'avais déjà remis la plupart de mes affaires dedans ce matin. J'entends la porte d'entrée s'ouvrir et sors de ma chambre pour retrouver Sophia. Elle n'a sans doute pas encore terminé d'emballer ses affaires. Dès que j'ouvre la porte de ma chambre, je tombe sur Drew. Le nez et les pommettes légèrement rouges à cause du froid, il retire son châle qui fait trois fois le tour de son cou. Quand ses yeux se posent sur moi, il se fige dans le couloir et je réalise que je suis heureuse de voir qu'il n'a rien.

— Tu vas bien ? je lui demande d'une voix hésitante.

Il s'avance vers moi, doucement, et s'arrête à quelques centimètres seulement. Je ne bouge pas. J'ai du mal à respirer. Il est tellement grand et imposant comme ça. Presque intimidant. Et pourtant je n'ai pas du tout peur de lui, j'ai juste envie de le prendre dans mes bras. Mais je ne fais rien. Je ne bouge pas.

— Je vais bien, Tess.

Sa voix vibre quand il prononce mon nom. Ou alors ce n'est que moi qui ai des hallucinations.

— D'accord, je souffle.

Il sourit, juste un léger retroussement des lèvres, mais son regard vert d'herbe fraîche m'enflamme.

— Je dois aller... aider Sophia.

— D'accord.

Aucun de nous deux ne bouge. Derrière lui, une porte s'ouvre et je vois Elise pointer le bout de son nez dans le couloir.

— Oh, Drew !

Il se retourne et Elise me voit. Son regard passe de lui à moi, comme si elle cherchait à déterminer si elle a interrompu quelque chose. Je suis plutôt soulagée qu'elle soit apparue.

— Stuart n'est pas avec toi ? elle demande finalement.

— Non, il est resté avec Jules à l'hôpital. Tu devras prendre votre voiture jusque là-bas. Ça ira ?

Je me faufile à coté de Drew et entre dans la chambre de Sophia.

— Oui, je me débrouillerais, lui répond Elise. Je vais terminer nos valises.

Je referme la porte en croisant le regard toujours aussi chaud de Drew. Il me sourit légèrement, je crois qu'il trouve ma fuite amusante, mais je n'en tiens pas compte. Je dois aider Sophia.

— J'ai presque terminé, elle dit d'une voix claire et impatiente.

Je la regarde fourrer une dernière paire de chaussures dans un sachet qu'elle met dans sa valise. Je ne suis pas certaine que ce soit de cette façon qu'elle arrange sa valise habituellement. Tout est mis n'importe comment, à peine plié. Ses gestes sont rapides, presque frénétiques. Elle court dans la chambre pour tout récupérer.

— Il n'a rien de grave tu sais. C'est juste un plâtre.

Elle s'arrête soudainement, penchées sur sa valise, et soupire lourdement.

— Je sais. Je sais. Ce n'est pas grave.

Elle se laisse tomber sur le lit à côté de sa valise qui rebondit légèrement. Passant ses mains sur son visage, elle soupire à nouveau puis relève les yeux vers moi. Son regard est suppliant.

— Quand Drew m'a dit qu'il est à l'hôpital ...

Elle secoue la tête et ne termine pas sa phrase. Je sais ce qu'elle veut dire. Elle a repensé à l'appel qui lui a annoncé que sa mère était à l'hôpital. Elle n'en est jamais ressortie vivante. Un souvenir difficile à oublier.

— Je sais que tu as eu peur, mais ça va. Il n'a rien. Il sera un peu emmerdant sans doute, mais tu devrais pouvoir gérer.

Elle rit alors qu'une larme roule sur sa joue. Je n'ai pas envie de rester là à la regarder pleurer. Mes propres souvenirs reviennent en la voyant ainsi. C'est un peu trop pour moi aujourd'hui.

— Terminons ces valises avant que Jules n'appelle pour demander ce qui nous prend autant de temps, je lui dis et commence à rassembler leurs dernières affaires.

En dix minutes, tout est prêt et Drew nous aide à charger nos valises dans les coffres.

— Tu accompagnes Elise jusqu'à l'hôpital ? il me demande sur le ton de la conversation.

J'ai du mal à rester près de lui sans vouloir lui sauter dessus, le serrer dans mes bras et lui dire que je suis soulagé qu'il n'a rien.

— Oui. Je n'ai pas envie qu'elle roule toute seule.

Il sourit légèrement. J'évite son regard.

— D'accord.

Boomer vient se coller à mes pieds, comme un chat qui cherche des caresses.

— On se voit tout à l'heure, je dis en lui caressant le cou.

Puis je le fais monter dans sa cage.

— Il t'aime définitivement plus que moi, marmonne Drew.

— Je suis irrésistible, je rétorque.

Il referme le coffre et se tourne vers moi.

— C'est une évidence.

Je ne dois pas l'embrasser ! Je ne dois pas l'embrasser. Je ne dois pas l'embrasser...

Mais qu'est-ce que j'en ai envie là, tout de suite.

— On y va ?

Je sursaute et me tourne vers Sophia qui monte dans la voiture de Drew et claque la porte.

— A tout à l'heure, Tess.

Je ne fais que hocher la tête et m'en vais dans la voiture d'Elise.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top