Gênant




           

J'ai horriblement mal à la tête depuis que je me suis réveillée il y a environ une heure. Je n'ai aucune envie de sortir de mon lit bien chaud. Je sens qu'à partir du moment où je vais poser un pied parterre, ça va être une catastrophe. Je ne sais pas ce qui est prévu pour aujourd'hui mais je sais que je ne vais pas aimer. Dans l'état dans lequel que je suis, tout ce qui ne propose pas de rester allongée au chaud dans le silence, est une mauvaise idée. J'ai entendu des personnes passer dans le couloir, vers les salles de bain, chuchoter, mais je ne sais pas si tout le monde est réveillé. Soudain, une porte claque violemment et je sursaute. Le bruit s'est répercuté dans ma tête et je gémis. Si je reste là sans bouger ils vont peut-être m'oublier pour la journée ?

Mon regard se pose sur le cachet sur ma table de nuit. J'hésite à la prendre. Je suis plutôt anti-médicament. Je préfère boire un thé ou dormir en attendant qu'un mal de tête disparaisse plutôt que de prendre un cachet, mais je sens que je vais en avoir besoin cette fois. Je me redresse et tends le bras pour prendre le médicament au moment où la porte de ma chambre s'ouvre. Doucement. Une tête rousse apparaît et lorsque mon regard croise celui de Sophia, elle ouvre la porte totalement et entre, le sourire aux lèvres.

— Bonjour !

Je grimace et remue la main pour lui demander de parler moins fort.

— Il y en a une qui a trop bu hier soir, elle dit presque en chuchotant.

Je lui fais une grimace et avale une gorgée d'eau.

— Tout ça ce n'est que ta faute, je dis en la pointant du doigt. 

Elle pousse mon épaule mais ne se défait pas de sa bonne humeur. Je crains le pire.

— Un bol d'air frais te fera le plus grand bien.

— Oh non..., je gémis avec un regard suppliant.

Elle agite la tête de haut en bas.

— On va prendre un bon petit déjeuner, enfin vu l'heure ça sera plutôt un brunch, et ensuite on se met en route.

Je soupire et fais la moue. Il me faut une excuse et une bonne pour éviter cette torture. Quand la silhouette de Drew passe devant la porte de ma chambre, mon visage s'illumine.

— Drew ! je l'appelle avec une grimace.

Même ma propre voix me donne mal à la tête. Il fait demi-tour et viens se poster à l'entrée de ma chambre.

— Ouais ?

Sophia me regarde, puis regarde à nouveau Drew, se demandant sans doute pourquoi je l'ai appelé.

— Sophia veut qu'on aille tous faire une randonnée, je l'informe avec un regard entendu.

Mais il ne semble pas comprendre le message.

— C'est une super idée, Boomer va pouvoir se dégourdir les pattes.

Mon visage vient de perdre toute sa contenance et mes épaules se sont affaissées d'un coup.

— Tu vois, me dit Sophia, on va s'amuser.

Je lui adresse une grimace qui ressemble à un sourire et elle se penche pour embrasser mes cheveux avant de sortir. Drew s'avance de quelques pas dans ma chambre pour la laisser passer.

— Pour un flic, t'a la mémoire courte, je grogne en sortant de sous les couvertures.

Il lève un sourcil interrogateur.

— Tu devais m'aider là, je lui explique.

Il s'avance encore et vient se poster juste devant moi.

— T'aider à quoi ?

Mais il le fait exprès ? Je soupire d'énervement et me tourne pour refaire mon lit, tirant sur les draps comme si j'essayais de les punir. Drew pose une main dans mon dos et je me calme instantanément.

— Hé, qu'est-ce qui t'arrives ? On va se promener, il est où le problème ?

Je me retourne pour lui adresser le regard le plus noir que j'ai en réserve.

— Le problème c'est que moi je ne voulais pas y aller.

Sa main a glissé de mon dos à mon bras comme je me suis tournée, mais il ne me lâche pas.

— Oh.

Il pince les lèvres, réfléchissant à quelque chose. Ses yeux semblent scruter mon visage, passant de mes cheveux à mes yeux, puis mes lèvres, mes pommettes et reviennent à mes yeux. Encore une fois, comme hier j'ai l'impression que le temps s'est arrêté. Je m'aperçois que son pouce caresse mon bras à travers le tissu de la manche de mon t-shirt et mon cœur s'accélère. Drew fronce légèrement les sourcils et laisse échapper un léger souffle entre ses lèvres.

— Je pense qu'on va passer un bon moment, mais si ça ne te plait vraiment pas, je te promets que je te ramènerais au chalet.

J'ouvre la bouche dans l'intention de lui répondre, mais rien ne vient. C'est comme si mon cerveau était incapable de donner une information cohérente à ma bouche. Finalement, je hoche simplement la tête. Un léger sourire étire les lèvres de Drew et il serre doucement mon épaule avant de partir. Mon souffle m'échappe une fois qu'il est dans le couloir, assez loin pour ne pas m'entendre. Enfin j'espère.

Mais qu'est-ce qui m'arrive ? Je passe une main sur mon visage et ferme les yeux. C'est vraiment une mauvaise idée d'être attirée par le meilleur ami de Jules. Si je fais une connerie, ça risque de mal finir, pour moi. Jules m'en voudra et Sophia n'aura d'autre choix que d'arrêter de me voir pour faire plaisir à Jules. Non, il ne faut pas que je laisse mes hormones faire n'importe quoi de ma vie.

            Je retrouve tout le monde dans la salle à manger, sauf Jules qui était encore dans l'autre salle de bain. Je m'installe à la même place que hier, en face de Drew. Il m'adresse un clin d'œil complice qui m'est difficile d'ignorer malheureusement. Je dois garder mes esprits, ne pas me laisser avoir. Je ne lui réponds pas et fixe mon regard sur mon assiette. Jules nous rejoint à son tour et tapote mon épaule en passant derrière moi. Je le suis du regard jusqu'à ce qu'il s'installe et l'interroge d'un sourcil levé, mais il ne fait que me sourire d'un air reconnaissant. Il n'a visiblement pas vu à quel point Drew était énervé hier soir. Ou alors il pense que son humeur a changé grâce à moi ? C'est vrai d'ailleurs, Drew semble de meilleure humeur que hier. Mais je doute que ce soit grâce à moi. Je grimace et écoute les conversations sans trop y participer. Mon regard reste rivé sur mon assiette qui se vide peu à peu, alors que mon cerveau n'a toujours pas décidé d'arrêter de toquer contre les parois de mon crâne. 

— Tu vas bien Tess ?

Je lève la tête pour chercher qui m'a parlé et croise le regard inquiet d'Elise, assise à côté de Drew. 

— Oui... euh... Ça va.

— Ne me dit pas que tu boudes encore à cause de la randonnée ? intervient Sophia.

Je me penche légèrement pour la voir. Elle a plus l'air amusée qu'énervée. Je secoue la tête.

— Non, j'ai juste la gueule de bois.

Ce qui n'est qu'un demi-mensonge. J'ai toujours légèrement mal à la tête malgré le cachet que j'ai avalé. 

— L'air frais va nous faire le plus grand bien, annonce Jules en se levant. Il est temps de partir.

Nous l'imitons pour débarrasser la table et je me félicite d'avoir évité de regarder Drew pendant tout le brunch.

Quelques minutes plus tard, nous sommes tous prêts à partir et comme la veille je me retrouve en voiture avec Drew. Je m'installe pendant qu'il fait monter Boomer dans sa cage. Tu es ridicule Tess, je me sermonne en frottant nerveusement mes mains sur mes cuisses. Drew est sympa et Jules m'a demandé d'être sympa avec lui, alors c'est ce que je vais faire en restant dans les limites de l'amitié. Il faut juste que j'oublie qu'il est incroyablement beau et qu'il a le chien le plus adorable du monde. Ou plutôt je vais me concentrer sur ça, me concentrer sur Boomer. C'était mon plan de départ, je ne vais pas le changer. Cette histoire de pacte était ridicule et j'étais encore un peu sous l'emprise de l'alcool quand je lui ai proposé l'idée. Ça m'étonne que lui, l'ai accepté. En y réfléchissant, il n'avait aucune raison de le faire, et pourtant il était sobre, ce qui veut dire qu'il était plus conscient de l'absurdité de ma proposition que je ne l'étais. Je sors de ma réflexion au moment où Drew s'installe à côté de moi.

— Tu as pris le cachet que je t'avais ramené ? il me demande alors que nous nous engageons sur la route.

— Oui.

Je fixe la route mais je vois du coin de l'œil qu'il me regarde.

— Et tu as toujours mal à la tête ?

Comme le soleil n'est pas vraiment de sortit aujourd'hui, pour pouvoir porter mes lunettes de soleil j'ai prétexté que mon mal de tête ne voulait pas partir. En pratique, elles me permettent juste de ne pas avoir à discuter avec les autres, leur rappelant en quelque sorte que je suis mal en point. Et j'avoue que ça me donne aussi un peu l'impression de me cacher.

— Ouais, ça n'a pas été très efficace, je marmonne. 

— C'est peut-être l'altitude ? On redescend, ça devrait aller mieux.

Jules a décidé que nous allions nous promener en bas de la montagne, à environ trois quarts d'heures de route et que nous en profiterions pour dîner dans une sorte d'auberge qui accepte les chiens.

— J'aurais dû prendre ma valise et rester en bas, je dis sur le ton de l'humour. 

J'essaye un sourire et il a l'air d'être sincère. Drew bouscule mon genou, joueur, je me crispe mais essaye de garder l'air amusé sur mon visage.

— Et comment je ferais sans ma complice ? il me taquine.

— Tu n'as qu'à rester avec moi, je réplique sans y réfléchir.

Comme il rit, je me détends. Il est vraiment beaucoup plus enjoué aujourd'hui. Je me demande ce qui l'a fait changer. Il était peut-être juste fatigué hier.

— C'est une proposition ? il demande d'une voix rauque qu'il veut sans doute séductrice. 

Je tourne la tête vers lui brusquement et reconnait l'hilarité dans son regard. Je ne sais pas ce qui me déçoit le plus. Qu'il prenne ça sur le ton de l'humour ou qu'il n'envisage même pas une telle proposition venant de moi. Si j'étais plus sûre de moi, je le lui proposerais sans doute directement. Après tout, il est vraiment attirant. Et je me suis promis de mettre un peu de changement dans ma vie. Une relation avec lui ne serait pas un mal. Alors je prends un air totalement sérieux.

— Et si s'en était une ?

Il me regarde fixement quelques secondes avant de regarder à nouveau la route. Je sens mes joues s'enflammer. Mon pouls s'accélère en attendant sa réaction. Qu'est-ce qui m'a pris de dire ça ? Ma confiance en moi vient d'arriver et prendre la fuite en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire. Il laisse passer encore quelques secondes de silence puis je vois les côtés de sa bouche se relever.

— Jules avait raison, tu es plutôt drôle.

Un seau d'eau froide aurait eu le même effet sur moi. Je n'ai même pas la force de sourire pour apaiser le choc. D'accord, je ne suis même pas envisageable pour lui. Je ne pourrais pas proposer ça sérieusement ?

— Je ne plaisante pas toujours, je marmonne.

Vu le regard qu'il m'adresse, je crois qu'il m'a entendu. Il a l'air très sérieux d'un coup et je vois ses doigts se crisper sur le volant.

— Ce n'est pas une bonne idée, Tess.

Hou là ! Il est passé de « quelle belle journée » à « ça devient gênant ».

— Tu as quelqu'un ? je demande d'un ton hésitant.

Il laisse échapper un rire sans joie. Presque sarcastique.

— Non. C'est juste que...

— Je ne te plais pas, je le coupe pour abréger ses souffrances.

Il ne dit rien et fixe la route. Pourquoi ai-je posé la question ? Maintenant c'est encore pire. Ce n'est pas juste parce que la situation n'est pas adéquate parce qu'il est l'ami de Jules et moi l'amie de Sophia, ou parce qu'on ne se connait que depuis deux jours, mais c'est parce que je ne lui plais pas. Mon ventre se crispe sous l'humiliation.

— Tu ne pourrais pas te tromper plus que cela, il marmonne.

Je plisse les yeux derrière mes lunettes et scrute son visage. Ai-je bien entendu ?

— Quoi ?

Il tourne la tête vers moi, mais regarde de nouveau la route.

— Tu es une très belle femme, Tess, très attirante je dois l'avouer. Mais je ne suis pas en mesure de t'apporter ce que tu pourrais attendre de moi.

Je lève un sourcil. Ce que je pourrais attendre de lui ? Ça veut dire quoi ça ? Je n'attends rien de lui. Enfin, je crois. Je fixe son profil en songeant à cela. Qu'est-ce que j'attends de lui ? Je ne le connais que depuis deux jours, je ne peux pas avoir d'attentes à part celle de bien m'entendre avec lui. Je ne lui ai rien demandé. Qu'est-ce qui m'a pris de lui parler comme ça ? Je suis une vraie idiote.

— Je n'attends rien, j'affirme.

Mais j'avoue que je suis un peu confuse. La discussion est allée bien plus loin que ce qu'elle devait. Je ne cherche pas de relation, pas maintenant. Je ne suis pas encore prête à m'engager avec quelqu'un. Je veux juste un peu m'amuser. Rattraper les années que j'ai passé à me renfermer sur moi-même.

— Qu'est-ce que tu essais de me dire, Tess ? Je ne te suis pas.

Je détourne mon regard du sien et croise les bras.

— Je n'en sais rien. Oublie cette discussion, ça vaudra mieux.

Je suis vraiment la reine des situations gênantes. Mais qu'est-ce qui m'a pris ? Si je pouvais me cacher dans un trou de souris là tout de suite, je le ferais. Je me laisse glisser sur le siège et me ratatine pour me faire la plus petite possible et ferme les yeux, posant ma tête contre le siège. Je vais essayer de dormir ou faire semblant pour éviter que la conversation ne devienne encore plus gênante que cela.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top